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II

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Table des matières

—Ma femme ou ma fille! répétait M. Gosselet montant l'escalier qui conduisait au premier étage. Ma femme ou ma fille, c'est-à-dire une femme portant le nom de Gosselet que cinq ou six générations de chaudronniers on traîné honnêtement sur les grandes routes d'Issoire à Ambert. Ah! ces Parisiennes! Pourtant Simonette doit avoir du bon sang rouge d'Auvergne dans les veines quoique née d'une petite marchande de la rue Saint-Denis… Parisienne sans doute, mais Auvergnate aussi!

—«Elle ressemble aux Gochelets!»

—«C'est tous le portrait des Gochelets!»

L'année précédente en un voyage triomphal à travers le Mont-Dore, toutes les mères à rouliers, toutes les cabaretières avaient proclamé que la gente demoiselle était bien l'héritière des «Gochelets rétameurs de cacheroles depuis que le monde est le monde.»

Quant à Mme Gosselet, «qui avait bien pour cent francs de drap sur le corps», les commères l'avaient jugée un peu fière. Le fabricant de poupées avait surpris certains clignements d'yeux sous les coiffes enrubannées de rouge qui l'avaient obligé de se disculper de cette mésalliance:

—Elle a apporté deux cent mille francs.

—Dame! Si elle vaut ça, mon gars. Mais elle aime pas le travail, sûr!

M. Gosselet mit sa redingote, vite, puis courbé devant la cheminée, sur un cadre de peluche fanée, il examina avec soin une photographie déteinte qui représentait une large paysanne coiffée d'un bonnet à coquilles et revêtue d'une robe noire évasée en cloche. Les mains énormes étreignaient le ventre. La face émergeait, molle, de rubans fanfreluchés. Menton, joues et nez étaient dessinés par quatre ou cinq grandes lignes convergeant vers la bouche amincie, usée. Sous des sourcils à peine teintés, de petits yeux gris brillaient en un réseau de rides.

—Pauvre mère Jeanneton! Pauvre mère Jeanneton! murmurait le marchand de poupées, tu étais une vraie Gosselet, toi. Fille de mon grand-père Gosselet, tu épousas mon père, Henri Gosselet. Si Simone te ressemble, c'est l'autre, la Parisienne qui est coupable. Ah! l'autre, la Parisienne!

Et il fit un geste de menace qui parut amener un sourire approbateur sur les lèvres fines de mère Jeanneton.

Quelqu'un heurta à la porte de la chambre, puis une voix:

—Il y a déjà un bon quart d'heure que madame attend monsieur, un bon quart d'heure!

—J'y vais, Jenny.

Jenny, la femme de chambre de madame, s'éloigna à petits pas… Jenny! encore une invention de la Parisienne. Pourquoi pas Eugénie? Oui, mais Eugénie, trop commun, Jenny, genre anglais!

Très raide dans sa redingote mise à la diable, le col relevé, Jean-Marie

Gosselet fit son entrée dans la salle à manger.

Résolu à observer sa femme et sa fille sans faire montre de son inquiétude, il dit d'un ton doucereux:

—Me voilà, ma toute bonne, me voilà!

Puis, après avoir plaqué un baiser sur le front de Simone, il se laissa tomber sur une chaise Henri II, dont le haut dossier sculpté en bosses rendait plus laborieuses ses digestions, mais qui faisait bien quand il y avait quelqu'un à dîner.

—Il ne fallait pas m'attendre, ma toute bonne, dit M. Gosselet après avoir palpé ses manchettes comme pour les retrousser: ancienne habitude de bon ouvrier qui va se mettre à la besogne.

—On ne vous a pas attendu, mon cher!

Épluchant un radis, Mme Gosselet ne daigna pas lever les yeux sur son mari.

Ma toute bonne, mon cher, c'étaient là des expressions employées autrefois par M. et Mme Gosselet pour cacher aux yeux de Simone, petite fille, les dissentiments qui obligeaient les époux à faire chambre à part. Par habitude, ils se servaient toujours des mêmes locutions pot-au-feu, mais avec des intonations de voix variables qui avaient surpris Simone grandissante.

Après avoir manœuvré son couteau autour du radis avec l'habileté d'un chirurgien qui circonscrit un kyste du bout de son scalpel, Mme Gosselet voulut jouir de la grimace que sa réponse impertinente avait dû faire naître sur la face du marchand de poupées. Brusquement, les bras tendus comme pour repousser une horrible vision, elle laissa choir son couteau sur son assiette, puis avec une moue et un tapotement de main impatient sur la nappe:

—Habillez-vous, monsieur… Pour les domestiques au moins!

M. Gosselet promena ses doigts tâtonnants sur son gilet, son faux-col, puis sur le collet de sa redingote qu'il baissa tranquillement:

—Ce n'est que ça, ma toute bonne! Jenny est à la cuisine, je ne puis l'offenser.

—Mais, mon cher, il me semble:—puis d'une voix clairette pour mieux glisser sa méchanceté,—il me semble que vous avez beaucoup à faire pour ne pas être ridicule, même la tenue aidant.

Et elle le lorgna comme il avait lorgné le portrait de mère Jeanneton.

Il n'était pas beau, M. Gosselet, mais sur les routes d'Auvergne, il aurait pu figurer le roulier faraud qui taquine les filles d'auberge. Le visage large rasé, les mâchoires fortes, des muscles saillants sur les joues, semblant appliqués à la main, le front poli et bombé, il portait au dessus de son col haut un entourage de barbe grise qui se tenait raide, serrée entre le menton à fossettes et le linge durci par l'empois. Les cheveux coupés ras, blancs et noirs, dessinaient toutes les courbures du crâne plus large que haut.

De rouge qu'il était autrefois, le teint de M. Gosselet était devenu presque blanc, mais d'un blanc strié de petites raies roses qui historiaient l'épiderme de losanges, de carrés, de mille figures microscopiques. Ses yeux gris gitaient en un fouillis de cils incurvés comme des ronces.

Large d'épaules, le cou très court, M. Gosselet portait la redingote de telle sorte qu'elle semblait lui être toujours trop étroite ou trop large. Quand il marchait, traînant la jambe, les bras lancés en un mouvement rythmé de balanciers, les yeux l'habillaient instinctivement d'une blouse bleue et le coiffaient d'une casquette de soie.

Mme Gosselet, née Elvire Decambe, n'eut pas la douce joie d'avoir exaspéré son mari. Quand le fabricant de poupées était de mauvaise humeur, il le témoignait à son insu, par deux petites rides qui, partant du coin de la bouche, allaient rejoindre le nez un peu long.

M. Gosselet rit franchement, ce qui mit à nu ses dents larges solidement plantées:

—Il est certain, ma toute bonne, que je n'ai pas la tournure d'un muscadin,—fort heureusement pour nous.—Qu'en dis-tu, petite Simone?

Petite Simone, qui croquait ses radis sans les éplucher, après les avoir tamponnés dans une pincée de sel, répondit en tournant les feuillets d'un gros volume posé près de son assiette:

—Vous avez raison, père. Il n'est pas nécessaire d'être très beau pour gagner beaucoup d'argent.

Et Mme Gosselet, pour se venger de la réflexion de sa fille:

—Pourquoi lire à table, Simone? Tu es d'un sans-gêne!

—Maman, je n'écoute pas lorsque je lis.

—C'est une leçon, mademoiselle.

Sans confusion, Simone continua sa lecture.

—Voilà un livre qui me semble t'intéresser, dit M. Gosselet en se penchant sur l'épaule de Simone.

—Ce n'est pas un roman, soyez-en persuadé, mon cher!

Anatomie… Ma toute bonne, je ne veux pas m'en plaindre.

—J'ai renoncé à comprendre quoi que ce soit à l'éducation que l'on donne aujourd'hui à nos filles, monsieur Gosselet.

Le fabricant de poupées haussa les épaules, puis, bravement, en homme décidé à entreprendre une tâche peu agréable:

—Ma toute bonne, c'est entendu! Il vaut mieux, qu'une jeune fille ne sache pas un mot de ce qu'apprennent les hommes même ignorants, mais…

—Peuh! des doctoresses… des acrobates… des…

—Permettez, ma toute bonne. On leur apprend aussi pas mal de choses utiles…

—Je vous dis bien, mon cher, la gymnastique!

—Et aussi la couture, la cuisine, le prix des légumes au marché. Sortant du lycée, elles ne savent guère de piano, il est vrai, mais cela vous fait de gentilles petites ménagères débrouillardes qui s'intéressent aux occupations de leur mari… et qui l'aiment.

—Vraiment, mon cher, l'éducation laïque vous conduisant tout droit à l'amour du monsieur que l'on vous impose parfois!

—Voyons, ma toute bonne. Vous êtes d'un agressif à laisser croire que l'on ne distribuait pas de prix de douceur dans votre couvent.

—Votre fille peut tout entendre, monsieur Gosselet. C'est une fille à la laïque. Si je dis: «votre fille», c'est que Simone est ce que vous l'avez faite. Je l'aime moi aussi, mais comme je la vois, toute petite, avec une natte dans le dos et vouée à Marie.

—N'ai-je pas acquis, ma toute bonne, le droit de lui donner telle éducation qui me semble préférable?

—Certainement!

Simone continuait à feuilleter son Anatomie, nullement émue d'une discussion devenue si fréquente qu'elle figurait au menu de tous les repas, comme les parlottes sur la pluie et le beau temps.

—Quand on n'est pas une rêveuse, continua M. Gosselet, en fixant ses petits yeux gris sur le visage de sa femme, quand on sait, un peu de la vie, on ne bâtit pas de châteaux en Espagne, on ne se dérobe pas devant les devoirs de la vie de famille, on ne cherche pas le bonheur à côté.

Mme Gosselet leva la tête, surprise, mais non intimidée.

—Vous avez dû apprendre cette tirade-là, mon cher, au temps où vous fréquentiez le poulailler du théâtre des Gobelins. Vous n'ignorez pas que je ne veux de l'existence que ce qu'elle m'a donné. Je vous l'ai prouvé, n'est-ce pas!

«Je vous l'ai prouvé!»

Mme Gosselet, née Elvire Decambe, avait prouvé à son mari combien était sincère sa résignation conjugale.

Née en la rue Saint-Denis, elle avait grandi dans un appartement situé au premier étage d'une maison occupée bruyamment, au rez-de-chaussée, par les ateliers de la maison Decambe et Frist: aux étages supérieurs par le dépôt du Fil au nègre. Dessus et dessous, c'était un bruit continuel de caisses emballées, de heurts de monte-charge, de sonneries, de coups de sifflets, de tuyaux acoustiques.

Aussi, petite-fille, avait-elle beaucoup rêvassé, tapie près du feu presque toujours allumé, aux pieds de mère-grand qui, venue tard à Paris, suppliait Dieu de détourner sa colère de la rue Saint-Denis le jour où il voudrait anéantir la Babylone.

Placée dans un couvent près de Paris, elle étudia et pria avec le même zèle, jouant peu, écoutant plutôt les babillages des petites amies mondaines, apprenant le chic, inscrivant sur un carnet le «ce qui se fait» et le «ce qui ne se fait pas.»

A dix-huit ans, après avoir beaucoup lu de romans à l'eau de roses, tous empreints de la même tendresse fade et larmoyante, elle crut aimer un jeune homme pauvre. Papa Decambe n'eut qu'à lui dire: «Comment, Elvire, tu épouserais ce petit jeune homme qui gagne dix-huit cents francs par an», pour la guérir de sa grande passion.

Puis vint M. Gosselet qui, à trente-cinq ans, était possesseur de la fabrique de bébés inventés par le célèbre Numeau. Elle mit sa menotte dans sa grosse patte d'ouvrier en brave petite fille de boutiquiers qui sait la valeur de l'argent.

Elle ne fut pas heureuse amante, mais heureuse femme, libre de porter toilette, libre d'aménager son nid comme elle l'entendait, tout étonnée d'avoir sa voiture.

Malheureusement, les relations de son mari ne lui permirent que de goûter aux joies mondaines les plus banales: loges de théâtre et fêtes de charité. Elle ne dansa guère qu'en de misérables sauteries bourgeoises ou aux bals annuels de l'Hôtel de Ville.

Déçue mais résignée, elle résolut alors de s'habiller pour elle, de vivre pour elle, n'ayant d'autre plaisir que de feuilleter le grand livre de la maison, devenue âpre au gain, espérant, pour ses enfants, la réalisation des rêves faits autrefois, au couvent, en compagnie des petites amies mondaines.

Avoir un amant! A quoi bon?

Ni brune, ni blonde, le nez un peu quêteur de sensations nouvelles, mais la bouche coupée droit, un nez de Montmartre et une bouche du Marais, le torse sans raideur mais sans souplesse aussi, elle était à vingt ans, lors de son mariage, de celles qui passent dans la rue sans troubler les petits ramoneurs.

Cependant, un employé de son mari, un jeune caissier qui faisait des vers, osa lui envoyer un sonnet où il suppliait la froide beauté de lui expliquer le mystère de sa bouche. Très digne, comme en l'accomplissement d'un devoir, elle montra le poulet à son mari.

Dès lors, du haut de sa fidélité conjugale, elle s'amusa à harceler l'Auvergnat de moqueries apprises autrefois au couvent. Puis devenue mère, elle signifia brusquement à M. Gosselet qu'elle voulait avoir son lit, un lit où se dorloterait au chaud son petit égoïsme.

Le marchand de poupées céda en homme d'affaires qui couche toujours avec les deux cent mille francs de la dot.

«Je vous l'ai prouvé!» Ainsi Elvire Decambe n'avait jamais promené ses petits souliers dans l'allée de lilas fleuris. Coupable, cette femme qui portait la tête haute et raide comme le dossier de sa chaise Henri II, mangeant son beefsteack bien cuit avec la gravité d'une prêtresse en fonctions sacerdotales! Elle ne pouvait pas renoncer à tous les privilèges que lui valait sa réputation d'épouse vertueuse pour les soucis d'une aventure.

La coupable, si la coupable demeurait sous le toit de M. Gosselet, ne pouvait être que l'élève à la laïque, Mlle Simone, qui dégustait de si bel appétit une large tranche de bœuf saignant, en léchant ses lèvres d'un rouge mouillé.

M. Gosselet, penché sur l'épaule de Simonette, feignant de lire un passage de l'Anatomie descriptive, lui chatouilla du doigt les boucles brunes qui fiorituraient son chignon en couronne.

—Père, laissez-moi lire, je vous prie.

Et elle se tourna vers lui, avec un bon rire, le visage éclairé par la lumière venant de la baie, puis elle reprit sa lecture pendant que Mme Gosselet maugréait contre ces façons de petits bourgeois.

Elle était bien jolie, Mlle Gosselet, penchée sur ce bouquin de science rédigé par quelque vieux coupe-les-bras. De ses cheveux relevés en petite houppe de clown, le front se dégageait volontaire. Le nez droit, très fin, indiscret, querelleur, se reliait à la bouche par une courbe presque hardie et pourtant Mlle Simone n'avait pas le nez retroussé. La bouche un peu grande se colorait d'un pourpre violent à la commissure des lèvres. Le menton droit était d'une grande pureté de lignes malgré les petites rondeurs grasses qui disparaissaient sous le col droit de sa blouse de surah. Sous les sourcils d'un arc irrégulier, les yeux gris-bleu, mirettes de petite fille étonnée, brillaient dans l'ombre des paupières un peu fatiguées. Sous la perruque brune tendue en arrière comme sous le poids du chignon à la grecque, l'oreille compliquée, ornée de petits cartilages en saillie, s'éclairait de petites teintes lumineuses. L'épiderme à peine rosé était pimenté d'une couleur brune qui donnait à cette jolie petite tête de Parisienne l'aspect d'un camée antique.

M. Gosselet, fabricant de poupées, répétait à qui voulait l'entendre que sa fille était «ce qu'il avait fait de mieux» en bon père qui ne voit pas là matière à féroce plaisanterie.

M. Gosselet, la fourchette dressée en l'air, examinait le visage de sa fille, découvrant en elle tous les caractères de sa race. De la face large de mère Jeanneton au minois de Simone il y avait loin. Cependant le bonhomme mettait tant de bonne volonté à établir des ressemblances entre la paysanne et la petite Parisienne, que, l'imagination aidant, il finit par conclure que Simone était bien une Gosselet, une Gosselet mignonne, mais une vraie Gosselet. Le front volontaire et les yeux gris le témoignaient évidemment. Or une Gosselet n'irait pas courir la prétentaine la nuit!

Tout à la joie d'avoir découvert que Simone n'était pas coupable, M.

Gosselet se livra à une nouvelle enquête contre sa femme.

—Avez-vous vu vos lilas en fleurs, ma toute bonne?

—Mon cher, je ne m'aventure pas dans un parc devenu une place publique: vous avez la manie d'exhiber vos poiriers même à votre marchand de carton.

—Mais le soir, à nuit tombée.

—A nuit tombée? Faire la rencontre de quelque rôdeur de banlieue!

D'ailleurs les nuits sont encore froides, même sous les lilas.

Mme Gosselet témoignait un tel mépris pour les promenades nocturnes que le fabricant de poupées baissa le nez sur son assiette.

—Et toi, fi-fille?

—Moi, père! De quoi s'agit-il? Je lisais une merveilleuse description de l'œil. Laissez-moi voir, papa Jean-Marie, si je n'apercevrai pas de petits bâtonnets dans vos prunelles.

La taille souple dans sa blouse lâche, elle se leva, et prenant la tête de M. Gosselet dans ses deux mains, la renversa en arrière pour mieux voir les petits bâtonnets.

Heureux de cette gaminerie, le fabricant de poupées laissa faire, les lèvres amincies par un sourire.

—Non, décidément, je ne vois rien, dit-elle en un rire, rien que mes yeux… du gris dans du gris.

Puis, après avoir baisé au front papa Jean-Marie, elle reprit sa lecture, le cou empourpré d'une rougeur. Mais M. Gosselet, tout à son interrogatoire, continua:

—J'espère que tu es contente de cette bonne odeur de lilas dans le parc.

—Les lilas fleuris! Oh! oui, père!

Elle dit cela d'une voix si émue, les yeux tournés vers la fenêtre, les yeux mouillés, plaqués de clartés blanches comme des gouttes de lait, que le fabricant de poupées devenu soupçonneux, oubliant qu'elle était une Gosselet, ajouta imprudemment:

—Tu aimerais à te promener sous leur feuillage, au clair de lune?

—Pourquoi cette question, papa Jean-Marie?

—Pourquoi! Pourquoi!… pour savoir.

Elle fit: «Ah!» indifférente, puis tourna plusieurs feuillets du gros livre comme pour témoigner qu'elle ne voulait pas être distraite de son étude physiologique.

Jenny, la femme de chambre, venant de quitter la salle à manger, M.

Gosselet continua:

—Quelle gentille petite femme tu feras, Simone! Ah! l'heureux diable qui…

Abandonnant l'Anatomie, Simone s'enfuit en des battements de jupe effarouchés, le visage pourpre, les mains maladroites à tourner le bouton de la porte.

Mme Gosselet prit une attitude désespérée:

—Mon cher, vous n'avez jamais rien compris aux femmes.

—Cependant, ma toute bonne, Simonette est en âge de se marier. Elle a dix-neuf ans.

—Mais c'est précisément… Que je serais confuse si nous avions des invités! Car, mon cher, même dans ces occasions-là, vous êtes d'un sans-façon! Mardi dernier, vous nous avez conté une histoire de pruneaux d'un goût douteux.

—Oui, ma toute bonne, le jour où vous nous avez amené ce petit Sivitgloff… un ingénieur russe, je crois… qui a des espérances… une tante au Caucase.

—Je vous l'ai présenté comme un parti sortable. Il a de bonnes relations dans la diplomatie… Vous n'avez pas voulu me laisser plaider sa cause: cela me suffit! Mariez votre fille, mariez-la au premier coffre-fort venu!

—Je sais ce que vaut l'argent. L'alliance russe ne s'escompte qu'en politique.

—Pas de sottes plaisanteries. Ce jeune homme est charmant, d'un blond distingué: une femme serait heureuse de se montrer à son bras. La fille sera tout aussi heureuse que la mère, je le prévois.

Dignement, à pas comptés, Mme Gosselet, née Elvire Decambe, quitta la salle à manger, battant en retraite devant le cigare que venait d'allumer le fabricant de poupées.

—Ma femme devenue sentimentale, voilà qui m'expliquera, peut-être, les traces de pas, pensa M. Gosselet; puis il se leva, poussant un gros soupir d'homme chagrin qui a beaucoup mangé. Les affaires de cœur ne devaient pas lui faire oublier les affaires sérieuses. Il devait créer l'outillage nécessaire à la fabrication du système oculaire. L'honneur de la maison voulait qu'il fût prêt à livrer les commandes au jour fixé.

Comme il descendait les marches du perron, il aperçut sous les acacias une forme blanche balancée comme en une escarpolette sous un portique de gymnastique.

Il approcha, souriant, puis tapant ses grosses mains l'une contre l'autre avec la furie d'un maître de claque, il cria:

—Bravo, Momone!

Mlle Simone, suspendue par les jarrets à un trapèze lancé à toute volée, venait, d'un saut périlleux, de se laisser choir sur un amas de sciure de bois.

Debout maintenant, la taille serrée dans une tunique de flanelle blanche, les jambes dessinées en un pantalon bouffant de même étoffe, gantée haut de peau de chien, son toupet de clown ébouriffé, Simone était d'une robustesse délicieuse.

Elle s'approcha du fabricant de poupées, joyeusement essoufflée:

—C'est la première fois que je le réussis, père. Imaginez-vous que j'avais peur.

Embrassant le front moite de sueur de la petite gymnasiarque, M.

Gosselet oublia ses soupçons.

Restait l'autre, la Parisienne!

Simone

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