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III

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Table des matières

Dix heures du soir!

M. Gosselet se promenait dans son parc aux portes closes.

Coiffé d'un chapeau à bords larges, chaussé de feutre, «vêtu de nuit», le digne fabricant de poupées évitant les allées blanchies par la lune, gagnant les bosquets avec les précautions d'un matou en bonne fortune, ressemblait à un dévaliseur de villas. 2928 Le costume de M. Gosselet était un peu théâtral—il y a dans tout homme grave un cabotin qui sommeille—et il était évident que le fabricant de poupées ne rimait pas de sonnet aux petites veilleuses, les étoiles, tant il jouait bien son rôle de conspirateur. Drapé dans son manteau, il tenait à la main une arme aux reflets métalliques qui était tout bonnement un chronomètre.

M. Gosselet attendait l'arrivée de deux autres personnages, il ne savait lesquels, qui devaient jouer les amoureux et causer de leurs affaires de cœur sous les lilas.

Comme décor: la grande cheminée d'usine, le petit pavillon d'un blanc pâle et les massifs éclairés à la lumière électrique par la lune.

Minuit, et les amoureux n'arrivaient pas. Or, en l'esprit de M. Gosselet minuit devait être l'heure du crime! Au théâtre et dans les romans douze coups ne peuvent tinter à une horloge sans que les épées sortent de leurs fourreaux, sans que les lèvres roses s'unissent aux lèvres moustachues.

Minuit!

La scène était délicieusement embaumée de senteurs traînant des mosaïques de fleurs: les amoureux allaient-ils manquer leur entrée?

Dissimulé derrière un portant de gymnastique, le fabricant de poupées gagnait à pas furtifs la cachette choisie à l'avance où il pourrait entendre le duo amoureux, quand un coup de sifflet retentit sur la voie du chemin de fer. Le dernier train de banlieue se dirigeait vers Paris.

La machine passa, haletant, éclairant de ses deux gros yeux rouges les massifs du parc, teintant de pourpre les murs du petit chalet endormi.

Presque aussitôt une fenêtre s'ouvrit au deuxième étage de la maison et Simone parut, appuyée sur la grille du balcon, explorant le parc du regard.

Le fabricant de poupées s'accroupit vivement derrière un fusain, pleurant déjà d'avoir découvert la coupable.

Satisfaite sans doute de son examen, Simone quitta la fenêtre, puis reparut portant un paquet qu'elle sembla fixer au balcon.

M. Gosselet, qui avait gagné sans bruit l'allée de tilleuls formant une charmille obscure, vit sa fille dérouler une longue corde dont l'extrémité tomba sur le perron.

Apeuré par le péril qu'allait courir son enfant, il voulut crier:

—Simone, ne descends pas, par pitié!

Mais déjà elle enjambait le balcon et se laissait glisser, à la force du poignet, par petits coups, en bonne gymnasiarque amoureuse des exercices physiques périlleux. Son joli corps vêtu de noir se balançait avec grâce sur la façade blanche. Du pied elle éloignait la corde de la muraille pour ne pas se meurtrir les bras aux aspérités de la pierre.

Descendue sur le perron, tenant encore le câble en main, prête à commencer l'escalade si quelque danger la menaçait, elle observa de nouveau le parc et se dirigea vers la charmille où attendait M. Gosselet.

Vite, le marchand de poupées se blottit derrière le socle du petit Amour lançant des flèches, écartant les branches de lilas qui formaient un retrait où il pourrait tout entendre sans être vu. Les amoureux prendraient place sur le banc de pierre si proche de lui qu'il devinerait même les mots balbutiés par les lèvres bégayant les serments passionnés.

Il entendit un bruit de pas, puis le heurt léger d'un doigt contre la lourde porte qui séparait le parc de la cour de l'usine. On chuchota:

—Vous, Simone?

—Moi, André.

Et brusquement la lourde porte cadenassée, verrouillée, s'ouvrit comme par enchantement, sans la moindre plainte de ses gonds habituellement gémissants.

Les pas se rapprochant de sa cachette, M. Gosselet put apercevoir

Bamberg et Simone venant vers lui, les mains enlacées.

—Vous n'avez pas froid, mignonne?

—Non, André. J'ai mon caban et aussi mon costume de gymnastique de flanelle noir qui est très chaud.

—Causons, voulez-vous?

Soupirant, ils vinrent s'asseoir sur le banc de pierre, ainsi que M. Gosselet l'avait prévu, Simone le coude appuyé sur le socle du petit dieu, Bamberg penché en avant pour admirer l'aimée.

—Cruelle, qui me refuse un baiser.

—Plus tard, André!

—Quand?

—Je vais vous gronder… je vous ai répété si souvent que cela arrivera quand vous m'aurez toute.

—Toute! Depuis un mois, mon adorée, je baise les cinq ongles roses de votre menotte. Puis-je espérer que mes lèvres arriveront un jour jusqu'au poignet?

—Vous vous lassez.

—Méchante qui n'en croit pas un mot?

—Mon ami, je veux vous donner une petite femme, qui vous sera totalement inconnue.

—Donnez-moi, en attendant, vos dix doigts à baiser, au moins.

—Prenez garde et n'allez pas écorcher vos lèvres aux rugosités de l'épiderme. J'ai beau mettre des gants très épais, le trapèze ne me permet pas de montrer des mains de petite maîtresse.

—M'aimes-tu?

—Pourquoi me tutoyer, André? Plus tard vous me direz: «madame Bamberg, vous êtes insupportable… madame Bamberg, vous êtes exaspérante.» Et tout cela pour avoir abusé du tu aux nocturnes fiançailles.

—L'originale fiancée!

—Originale, non! Les autres sont originales, moi pas! Qu'une jeune fille livre ses yeux, livre sa bouche, livre sa taille et se croie toujours vierge: voilà ce que je n'ai jamais pu comprendre. Les hommes,—j'ai beaucoup lu,—nous considèrent comme de jolies petites places fortes où il fait bon tenir garnison. La place se rend ou ne se rend pas: voilà tout. Je ne sache pas que les défenseurs d'une forteresse aient jamais engagé les assiégeants à persévérer dans l'attaque par des aguicheries et des concessions de tourelles. Ce seraient des sièges de convention, ces sièges-là.

—Voilà une petite place qui tonne joliment contre le pauvre André

Bamberg.

—Vous userez de représailles, mon ami!

—Quand, hélas!

—Affaire à vous. Quel drôle d'assiégeant vous faites! Vous restez là à jouer des airs de flûte sous les… remparts espérant qu'on répondra à vos bergerades par des baisers à boulets rouges.

—Bien! je prends l'offensive.

Passant le bras autour du caban de Simone, André voulut prendre un baiser.

—Prenez garde, mon ami, je me défends. J'ai des ongles acérés de petite chatte sauvage et des biceps capables de porter quinze kilos à bras tendus.

—Il me serait impossible d'accomplir semblable prouesse… et je désespère, Simone, de vous faire partager mon amour.

—C'est-à-dire que vous pensez, mon pauvre André, que si je suis assise à côté de vous en ce coin désert du parc, c'est par caprice de jeune fille romanesque, amoureuse seulement de clairs de lune.

Dégageant ses mains des menottes de Simone, André Bamberg baissa la tête pour cacher à la jeune fille une larme tombée dans les frisons blonds de sa moustache. Mais Simone devina la cause du silence de celui qu'elle aimait, et, penchée en un joli mouvement de buste, elle attira les lèvres d'André vers ses lèvres, le bras passé autour du cou de son amant:

—Méchant qui pleure! Méchant qui pleure! Alors, je ne t'aime pas… Osez donc répéter, monsieur Bamberg, que je ne vous aime pas! Et cette vilaine larme qui me mouille les lèvres… Séchée la larme!… Bue la larme, la petite larme salée si bonne, qui me donne soif de nouveaux baisers. C'est pour toi, mon aimé, que je ne voulais pas de tes caresses. On doit tant aimer ce que l'on a longtemps voulu avec la désespérance de ne pas le posséder un jour. Pendant un mois, un long mois, j'ai souffert, me gardant de toi, de ta bouche. J'ai pleuré de faire de la tristesse à ton front. J'aurais voulu m'offrir à toi au jour de la communion, les lèvres vierges de tes lèvres. Je me serais donnée peu à peu, pour être certaine de te garder plus longtemps, aussi longtemps que mon seigneur aurait pris de nouvelles joies en moi! Méchant qui pleure et qui n'a pas vu que je ne voulais pas gaspiller notre tendresse, et que je ne suis pas femme à me donner un peu sans me donner toute.

André ne pleurait plus, mais écoutait la petite musique de cette voix douce chantant près de son oreille, si près, que l'haleine chaude de Simone le chatouillait. Il embrassait les mains de celle qui venait de lui dire franchement toute sa passion, se servant, jeune fille chaste, des mots de vieilles maîtresses qui savent bercer les douleurs d'hommes.

M. Gosselet, surpris de ne plus entendre que des chuchotements, écarta de la main une branche qui l'empêchait de voir les amoureux.

Le bruissement des feuilles apeura Simone qui se pressa vers l'aimé, l'étreignant de ses deux bras:

—J'ai peur, André.

—Peur, petite folle, peur de quelque insecte qui bourdonne sa tendresse à sa fiancée.

—Les feuilles ont remué, je te l'assure.

—Bast! C'est le petit amour qui écarte les grappes de lilas pour voir combien tu es belle. Parle… Dis-moi: tu… Tu dis si bien: tu. Dis ce que tu voudras, ce que tu imagineras. Je ne connaissais pas ta voix. Quand je te disais mon amour, moqueuse, tu interrompais mes serments de mots drôles. J'étais toujours battu, moi qui ne parlais qu'avec mon cœur. Tu m'aimes?

—Je vous aime.

—Le vilain vous.

—Je t'aime, je t'aime parce que…

—Parce que…

—Tu n'es pas comme ceux qui viennent chez mon père, et, assis à notre table, inventorient les meubles, le linge de bouche, les faïences accrochées au mur et aussi la fille, qu'ils espèrent emporter avec un peu d'argenterie. Je t'aime parce que… je ne sais pas, moi, pourquoi je t'aime! Un jour comme tu causais avec papa Jean-Marie des affaires de l'usine, j'ai compris que tu me disais des mots que ceux qui étaient là n'entendaient pas. «Il nous faut vingt mètres de courroie, monsieur Gosselet!» Tu m'as dit ça et je ne me suis pas défendue de ton amour et j'ai attendu l'aveu que tu devais me faire pour que je vienne à toi; et je suis venue sans crainte, vers mon époux… Vous ne pleurez plus, monsieur Bamberg!

—Nous sommes de grands coupables, Simone!

—Oui, de grands coupables! Pauvre père!

Et brusquement leur étreinte se relâcha.

—Jamais M. Gosselet ne consentira à notre union, Simone. D'ailleurs, je n'oserai jamais moi, le petit Bamberg, comme il m'appelle, lui demander la main de Mlle Simone, sa fille. Que lui dire pour le gagner à notre cause? Que tu m'aimes! Il m'a secouru alors que j'allais, comme mon camarade Fortin, solliciter de la compagnie d'Orléans un emploi de chauffeur-mécanicien. Et je serais entré dans sa maison pour lui voler sa fille!

—Pauvre père, comme il va souffrir!

—Simone, je partirai et… oublierai. Pardonne-moi de t'avoir parlé d'amour, mignonne! Je suis pauvre: je devais te fuir, ne pas te tenter par l'appât de nouvelles joies. Aimée de ton père, tu étais si gaie avant mon arrivée à l'usine. Mes yeux t'ont dit: «Si tu savais combien sont heureuses celles qui se donnent toutes», et tu t'es donnée presque toute, mon aimée, et mes yeux mentaient, puisque nous sommes malheureux de nous aimer tant.

—Tu veux t'en aller où je ne serai pas?

—Où tu ne seras pas… pour oublier.

—Oublier! Sais-tu, mon ami, si des jeunes filles ont pu se donner à un autre que celui qui les créa femmes en leur disant le premier: «Je vous aime!»

—Je t'assure que l'on oublie très bien. Il y a des proverbes là-dessus.

—Tu oublierais, toi!

—Moi… oui.

—Et tu m'aimes?

—Je t'aime et me souviendrai. Mais j'oublierai Mlle Gosselet, je l'espère du moins. Demain… je partirai… avant l'ouverture des ateliers. J'irai en Suisse où maman habite seule notre vieille petite maison. Je lui dirai tout. Je suis resté petit pour elle. Elle savait si bien apaiser mes chagrins d'enfant qu'elle calmera mes douleurs d'homme.

—Moi je n'ai pas de mère à qui je puisse me confesser, monsieur Bamberg, vous le savez bien! Si vous avez menti en me promettant les joies d'aimer, vous devez réparer le mal que vous m'avez fait. Je suis une fiancée originale, moi, n'est-ce pas?

—Oh! mignonne, vous m'avez dit vous!

Simone posa sa joue sur l'épaule d'André, et, câline:

—C'est vrai, pardon! Mais un honnête homme n'abandonne pas celle qu'il a promis d'aimer. Fuirais-tu, André, si j'étais sur le point de devenir mère? Je suis enceinte de ton amour, mon aimé. Méchant, qui oblige sa fiancée à se servir de comparaison brutale pour le garder à elle.

—Les petites filles ne savent pas la vie, Simone. Il est des devoirs…

—Des devoirs! Tu m'aimes, je t'aime. Notre devoir est de nous aimer.

—Les jeunes gens pauvres n'épousent des héritières que dans les romans. M. Bamberg a épousé le million de M. Gosselet, voilà ce que dirait le monde.

—Le monde, nous ne lui demandons rien.

—Sans doute, mais le monde exige.

—De quel droit?

—On ne sait pas.

—Êtes-vous sûr, monsieur Bamberg, que vous n'épouserez pas le million de M. Gosselet en m'épousant? Oui, n'est-ce pas! Moi je sais bien que tu serais tout heureux de m'emporter bien loin, comme je suis vêtue, en mon costume de gymnastique! N'est-ce pas, mon aimé! Le monde n'existe pas hors de nous.

—Il existe si bien, mignonne, que tu as un brave homme de père qui me chasserait de sa maison le jour où je lui avouerais aimer sa fille. Nous vivrons notre vie séparés mais toujours l'un à l'autre. Les hommes ne pourront rien contre cet amour caché et les joies du sacrifice!

—Les joies du sacrifice!… mais je ne veux pas me sacrifier, moi!

—Nous ne pouvons cependant nous marier sans le bon vouloir de ton père.

—Mon père! Pourquoi me parler sans cesse de mon père, André! Et tu veux t'en aller où je ne serai pas…

—Pauvre adorée que je fais pleurer! Mais tu vois bien qu'il faut que je parte. Je suis capable de te prendre un jour et de t'emporter, de te voler!…

—Tu ne m'aimes donc pas que tu trouves tant de bons arguments pour me convaincre que nous ne devons pas nous aimer. Je vais te prouver, moi, que nous ne pouvons pas nous quitter.

Lèvres contre lèvres, les mains enlacées, Simone et André ne prononcèrent pas un mot et pourtant, quand M. Gosselet, inquiet d'un silence trop prolongé, voulut écarter le feuillage, l'amant se dégageant de l'étreinte de Simone dit tout haut:

—Notre amour est plus fort que tout, ma fiancée, ma femme!

—Vrai! je suis donc bien éloquente, mon petit mari. Vois-tu, j'ai appris beaucoup de choses dans les livres, on m'a faite si savante.

A voix basse, si basse que le pauvre père aux aguets était désespéré de ne plus entendre les propos amoureux, Simone continua:

—On peut nous surprendre ici. On peut nous surprendre… demain peut-être! Fuyons tous deux. Quand je ne t'aurai plus à côté de moi, les vilaines bonnes raisons vont t'assaillir et tu es trop honnête homme, mon aimé, pour ne pas leur céder. Toi parti, je mourrais et je ne veux pas mourir. Fuyons tous deux demain! Cela ne te surprend pas trop que je te propose de fuir, moi ta fiancée? Je garde mon amour: voilà tout. Et tu ne dis rien? Tu ne me remercies pas de cette bonne pensée?

—Te remercier… mais nous ne courons aucun danger ici… et puis tu es si éloquente que M. Gosselet se laissera probablement toucher.

—Oh! l'honnête homme! Oh! l'honnête homme! A la rescousse l'amoureux! Papa Jean-Marie ne cédera jamais… jamais. Papa Jean-Marie qui est si bon ne croit pas aux affaires de cœur. Il se dirait: le petit Bamberg veut me mettre dedans. Il a toujours peur d'être mis dedans, papa Jean-Marie! As-tu de l'argent?

—De l'argent!

—Voilà une question qui te surprend.

—Pourquoi parler…

—Mais il nous faut de l'argent pour fuir. Une voiture m'attendra demain soir, près de la grande grille. Je me promènerai dans le parc un livre à la main. Le père Tant-Seulement, le jardinier, époussettera ses artichauts que le train de sept heures couvre toujours d'escarbilles de charbon. Je sauterai dans le fiacre—un fiacre par économie—et tu me prendras dans tes bras et nous irons à la gare de l'Est. Nous ne nous éloignerons guère de Paris pour revenir vite consoler papa Jean-Marie qui nous aura pardonné.

—Je suis assez riche pour…

—Tant pis, mon aimé, tant pis! Je voudrais verser dans ta bourse toutes mes économies de jeune fille, mais la fierté de M. Bamberg se gendarmerait terriblement. Ne fronce pas les sourcils… Voilà que je t'ai déplu, déjà. Demain! Sept heures.

—Simone!

—C'est entendu! Je t'en prie, laisse-moi payer le fiacre. Je serais si heureuse de donner un louis au cocher qui t'enlèvera, car je t'enlève… Je t'enlève! Tu verras quand nous serons dans notre chez nous! J'ai appris à cuissoter un tas de petits plats. Mais, mon aimé, les étoiles ne brillent plus que faiblement et le Grand Jour, le jour de mon bonheur, va paraître. Ne dis pas non! Fais taire en toi le vilain honnête homme pour n'écouter que l'amoureux. Ce soir… sept heures! Sept heures! Si la voiture n'est pas près de la grille, je m'enfuis quand même. Que je t'embrasse avant de faire mon escalade pour la dernière fois! à toi, mon aimé!

—A toi, mignonne!

Les deux amoureux disparus, M. Gosselet se leva péniblement de sa cachette, les jambes engourdies, les reins courbaturés, la gorge enrouée d'une petite toux qu'il avait courageusement refoulée jusqu'à la fin du duo amoureux. Ce qu'avait dit le petit Bamberg, il ne le savait guère, mais la voix de Simone était arrivée jusqu'à lui distincte, vibrante.

Sa fille voulait prendre la fuite! Sa fille aimait un petit ingénieur roublard, sans le sou, et le lui avait dit avec des mots qu'elle n'avait jamais appris, des mots que lui avait soufflé quelque esprit du mal torturant sa chair d'une passion subite. Lui qui ne croyait pas au diable, lui, l'esprit fort, qui se moquait des vieilles légendes auvergnates, il ajoutait foi maintenant aux maléfices, aux ensorcellements.

Il se disait que les paysanne ont raison de se signer quand les gens qui ont le mauvais œil passent sur le désert, la petite place du village.

Ce petit Bamberg! Quelque Suisse-Allemand, sans doute! Un hypnotiseur qui avait jeté son dévolu sur sa fille, héritière, et pouvait en faire sa maîtresse par la puissance de l'œil, du mauvais œil.

Il sauverait Simone, l'exorciserait de bons conseils honnêtes qui mettraient en fuite l'esprit du mal!

Assis sur le banc que venaient de quitter les amoureux, il pouvait voir sa fille grimper le long de la muraille à la force du poignet, puis s'arrêter sur le balcon du premier étage pour envoyer de la main des baisers au séducteur posté, sans doute, dans la cour de l'usine.

—Pauvre enfant, elle est prise… prise… ensorcelée!

Et il pleura, le front appuyé sur le socle du petit Malin qui lançait toujours ses flèches…

Simone

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