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Chapitre 6 LORENZO
ОглавлениеJe ne pus retenir un petit sourire de satisfaction quand je vis Mia Madison franchir l’entrée du Bridge.
Je savais qu’elle avait refusé mon pass et que seule l’intervention d’un de ses amis l’avait sauvée. Nul n’était assez fou pour offenser un Orlando en refusant son cadeau, même si Mia semblait indifférente à mon nom de famille et à ce qu’il représentait à Rockart City.
Mon sourire s’épanouit lorsque je la vis ôter sa veste légère en lin blanc pour dévoiler une robe montante bleu clair, même si cette dernière avait une large échancrure dans le dos.
Son apparence chaste, soulignée par un léger maquillage aux nuances pâles, était une indication claire du fait qu’elle tenait à ne pas être prise pour une entraîneuse comme la fois dernière.
Pendant un bref instant son regard croisa le mien.
Nous nous fîmes un bref signe de tête en guise de salutation mais ses yeux restèrent accrochés aux miens une fraction de seconde de trop pour que je ne comprenne pas qu’elle avait pensé à moi pendant la semaine qui venait de s’écouler, tout comme moi j’avais pensé à elle.
Il était difficile de m’ôter de la tête une femme qui m’avait ouvertement traité de repris de justice et m’avait défié si ouvertement, bien que je lui fîsse peur.
Je promenai lentement mon regard sur elle, à la recherche de cette femme transgressive et sans complexes, mais toute trace semblait en avoir disparu.
Elle était simple et très belle.
Ses yeux bleus légèrement teintés de violet ressortaient grâce à son fard à paupières lilas et les lèvres charnues à peine soulignées d’un rouge à lèvre rose.
Par rapport à la fois précédente, elle paraissait plus jeune. Je ne lui donnais guère plus de vingt-cinq ans et les manières gracieuses et raffinées avec lesquelles elle se déplaçait, s’asseyait et portait le verre de Bellini à ses lèvres... tout ceci avait quelque chose de sensuel et charmant à la fois.
J’avais compris qu’elle avait fait des études supérieures et n’était pas une vulgaire entraîneuse lorsque j’avais parlé avec elle et, à présent, la voyant dans sa merveilleuse simplicité, je m’aperçus qu’elle était bien plus que ce qu’elle ne laissait entrevoir. Toutefois sa timidité et sa réserve, lorsque le garçon auquel elle parlait la touchait, me firent comprendre qu’il y avait quelque chose d’étrange en elle : c’était comme si le contact physique la dérangeait...
Elle avait été très réservée avec moi mais j’avais lu la peur dans son regard ; alors qu’à présent il s’agissait d’irritation et d’aversion, bien que dissimulées derrière des sourires affectés et des gestes mesurés, pas assez incisifs cependant pour que le garçon garde ses mains à leur place.
J’appréciai ses efforts pour maîtriser sa nervosité tout en gardant le masque d’une jeune fille distinguée, même s’il était clair par ailleurs qu’elle aurait voulu gifler son cavalier.
Je jouis du spectacle depuis ma position surélevée, me demandant combien de temps il lui faudrait avant de sortir de ses gonds.
D’autre part son amie Chelsea semblait ne se rendre compte de rien, tant elle était prise par les épanchements avec le garçon avec lequel elle sortait déjà la semaine dernière.
À un certain point le cavalier de Mia se mit à jouer avec ses longs cheveux blonds.
Apparemment ce geste la dérangea au plus haut point car elle se leva d’un coup et, avec une excuse quelconque, se dirigea vers les toilettes.
J’allais replonger le nez dans mon verre lorsque je vis le garçon la suivre.
Je connaissais bien ce sourire trop sûr de soi et je me doutais de la suite qu’allaient prendre les événements.
En temps normal j’aurais fait appeler un serveur pour lui demander d’intervenir ; mais cette fois je sentis que mes mains me démangeaient et, si je découvrais ce que je craignais, je n’aurais pas hésité à boxer le malchanceux.
Je me dirigeai nonchalamment vers les toilettes des femmes.
Porte close.
Je frappai à la porte et pour toute réponse j’entendis un cri, aussitôt étouffé, et quelque chose qui tombait par terre.
Je ne voulais pas provoquer un esclandre ni effrayer les clients étant donné que la réputation de mon établissement était basée sur la discrétion ; donc j’évitai d’enfoncer la porte ou de crier qu’on m’ouvrît.
J’appelai aussitôt Jacob, mon second, et me fis apporter les clés des toilettes.
Je me précipitai dans les toilettes pendant que Jacob refermait la porte derrière nous.
Mia était au sol, une joue rougie, tandis que le garçon avait la braguette ouverte et était allongé sur elle, lui bloquant les poignets.
Je balançai ce salaud au loin et me penchai vers Mia.
Je lui écartai les cheveux du visage mais, à peine mes doigts eurent‑ils effleuré son visage qu’elle sursauta et s’éloigna du contact, terrorisée.
Avec surprise je vis une mèche brune émerger au niveau de sa tempe et je compris que ses blonds cheveux n’étaient qu’une perruque.
“Mia, c’est moi, Lorenzo Orlando”, lui dis‑je lentement en lui prenant les épaules secouées par les sanglots. “Viens, je vais t’aider à te relever.”
Elle fixa longuement ma main, comme s’il s’agissait de quelque chose d’interdit et de dangereux mais, à la fin, elle accepta mon aide.
Avec douceur je l’aidai à se remettre debout ; ce faisant je m’aperçus qu’elle avait dû se fouler la cheville car elle boîtait et la sangle de sa chaussure était cassée.
Avant qu’elle ne s’effondrât à nouveau je la saisis dans mes bras pour l’emporter.
Elle était tellement désorientée et effrayée de ce qui venait d’arriver qu’elle n’opposa aucune résistance et se blottit contre ma poitrine en tremblant.
Entretemps Jacob s’était occupé du type.
“Si je te revois dans mon établissement je te brise en mille morceaux”, le menaçai‑je avant que Jacob ne l’expulse.
Je sortis des toilettes et notai les regards curieux de certains clients. Seule l’amie de Mia semblait bouleversée et se précipita vers nous.
“Mon Dieu... Que t’est‑il arrivé ?” s’écria‑t‑elle désespérée en voyant le visage écarlate de Mia.
Celle‑ci essaya de la rassurer : “Tout va bien”
“Ça ne va pas. Plus rien ne va... Mince, s’il t’arrive quelque chose, je suis morte !”
Cette phrase m’inquiéta parce que Chelsea semblait réellement y croire.
J’aurais voulu creuser la question mais Sebastian, mon manager, s’approcha.
“Trouve‑moi les clés d’une chambre. La demoiselle s’est blessée et a besoin de prendre un peu de repos”, lui demandai‑je.
“Toutes les chambres sont occupées”, me dit‑il d’un air soucieux.
Je conclus, décidé : “Alors je l’amènerai dans mon appartement.”
“Non !” s’exclamèrent à l’unisson Mia et Chelsea.
“Ne vous inquiétez pas. Il n’est pas dans mes habitudes de sauver une femme d’une tentative de viol pour en abuser ensuite. En attendant, Sebastian appelle un médecin et la police, ainsi la cliente pourra porter plainte.
“Non !” s’écrièrent presque simultanément Mia et Chelsea.
“Ce n’est pas nécessaire... Je vais bien et il ne s’est rien passé. Je crois qu’il vaut mieux tourner la page et oublier cet incident. De plus je ne tiens pas à créer un scandale qui porterait atteinte à la réputation des Orlando”, se hâta d’ajouter Mia, inquiète.
Je pressentais un sac de problèmes d’après la panique qui je lisais dans les yeux des jeunes femmes.
“Entendu, comme il vous plaira”, décidai‑je en me dirigeant vers le deuxième étage où se trouvait mon appartement.
Je transportai Mia dans la chambre des invités et la déposai sur le lit.
“Merci”, me remercia‑t‑elle timidement.
J’en vins à ce qui me préoccupait : “Et maintenant, peux-tu me dire ce qui s’est passé et ce que t’a fait ce garçon ?”
“J’étais en train de me rafraîchir lorsqu’il est entré dans les toilettes. Il a fermé la porte. Je me suis fâchée et il a commencé par me bousculer. J’ai perdu l’équilibre à cause des talons hauts et je suis tombée, me foulant la cheville droite. Je pensais qu’il m’aurait aidée et se serait excusé... À l’inverse il m’est tombé dessus et à commencé à... me toucher... à me dire d’arrêter de faire la sainte nitouche... j’ai essayé de le frapper mais il s’est défendu et m’a giflée... Je... Je...”
“Et puis ?”, dis‑je doucement, essayant de maîtriser la colère qui m’envahissait.
“Il a relevé ma jupe et a ouvert le rabat de ses pantalons... C’est à ce moment‑là que tu as frappé à la porte en lui intimant d’ouvrir. J’ai essayé de crier mais il m’a mis la main sur la bouche. J’ai essayé de me libérer, sans y parvenir et, à la fin, tu es entré... Merci d’être intervenu”, bredouilla Mia, encore sous le choc.
Je répondis avec détachement : “Je n’ai fait que mon devoir. Nul ne peut se permettre de faire certaines choses chez moi ni d’importuner mes clients”, même si, en réalité, j’étais furieux au point de vouloir casser la figure à ce fils de pute.
“Lorenzo”, m’appela Sebastian.
Sortant de la chambre avec mon manager, je me congédiai des deux jeunes femmes : “Je vous laisse. Je reviens de suite”
“Il y avait ceci dans les toilettes”, me dit Sebastian en me tendant la pochette de Mia. “Fais gaffe, Lorenzo. Je ne leur fais pas confiance.”
“Moi non plus. Elles dissimulent quelque chose.”
“Tu trouveras peut-être la réponse à l’intérieur”, me suggéra‑t‑il en ouvrant la pochette.
Je tournai le dos aux filles afin qu’elle ne me voient pas car la porte était ouverte.
Je fouillai dans la pochette dont le contenu me surprit.
Dedans se trouvaient à peine deux cents dollars et la carte d’identité de Mia Madison.
Je scrutai le document.
Faux !
J’échangeai un regard avec Sebastian qui acquiesça pour me faire comprendre qu’il constaté la même chose.
“Quelle femme sort sans son téléphone portable ?, demanda‑t‑il d’un air inquisiteur.
“Soit une personne qui ne veut pas être localisée, soit quelqu’un qui est trop pauvre pour s’en payer un.”
“Je pencherais pour la première hypothèse étant donné que sa robe provient d’un grand magasin.”
“Je ne pense pas”, murmurai‑je.
“Que faisons‑nous ?”
“Je m’en occupe. Pour le moment appelle le nouveau qui fait la plonge, celui qu’on a embauché le mois dernier. Il m’avait dit qu’il faisait des études de kinésithérapie. Fais‑le monter afin qu’on sache si cette chère Mia Madison s’est réellement fait mal ou s’il ne s’agit que d’une mise en scène. Et cherche des informations à son sujet. Là dessus il est écrit qu’elle vient de Los Angeles. Au moins, voyons si c’est véridique.”
“J’ai des contacts là‑bas.”
“Utilise‑les et ensuite rends‑moi compte de ce que tu auras découvert.”
“Et que fait‑on de l’agresseur ?”
Encore furieux, je tranchai : “Trouve qui c’est et puis démolis‑le : qu’il souhaite disparaître de la surface de la Terre et tout particulièrement de Rockart City”. J’aurais fait n’importe quoi pour lui ruiner sa carrière ou sa vie et seul l’exil le sauverait.
“À tes ordres !”
En toute hâte Sebastian partit se mettre à l’œuvre.
Je m’apprêtais à retourner dans la chambre lorsque j’entendis Chelsea se fâcher contre Mia.
“Lève‑toi je t’en supplie. Je veux bien te porter jusqu’à la maison si nécessaire.”
“Non. Je te l’ai déjà expliqué.”
“Tu ne peux pas me faire ça ! Je... je... Mince, il ne fallait surtout pas qu’une telle chose arrive. Tout est de ma faute !”
“Ne dis pas de bêtises.”
“Je n’aurais jamais dû te convaincre de m’accompagner.”
“Tout va bien, Chelsea”, s’efforça de l’apaiser son amie.
“Cesse de dire que tout va bien !” hurla la jeune femme en pleine crise d’hystérie.
Avant que les choses ne dégénèrent je pénétrai dans la chambre.
À l’instant les deux femmes se turent.
“Comment vas‑tu Mia ?” lui demandai‑je.
“J’ai un peu mal à la cheville mais ça va. Je suis encore sous le choc de ce qui s’est passé”, me répondit‑t‑elle, montrant sa cheville enflée.
Le plongeur, Randy, arriva heureusement sur ces entrefaites.
Je lui présentai Mia qui se laissa manipuler, pendant que son amie prenait une serviette humide dans la salle de bains et la lui passait sur ses joues écarlates.
“Je ne suis pas médecin et je ne suis qu’en avant‑dernière année de kinésithérapie mais la cheville ne semble pas cassée. Elle devrait dégonfler avec de la glace et, après deux jours de repos, tout devrait revenir à la normale. Évidemment il vaudrait mieux faire une radio...” expliqua Randy.
“Je suis sûre qu’avec un peu de glace tout va s’arranger pour le mieux”, le rassura Mia.
Randy soigna rapidement Mia et je profitai de l’absence de Chelsea, occupée avec Sebastian qui voulait connaître le nom de l’agresseur, pour rester en tête‑à‑tête avec elle.
M’asseyant sur le rebord du lit, je lui demandai gentiment : “Est‑ce que ça va mieux ?”
“Oui, merci. Je suis vraiment désolée pour le dérangement que je vous crée”, me répondit‑elle, revenant à un certain formalisme. Apparemment le choc était passé et elle avait retrouvé la maîtrise d’elle‑même.
“Nous pouvons nous tutoyer.”
“Ok”, dit Mia sans enthousiasme dans un murmure à peine perceptible.
“Je t’ai rapporté ta pochette”, lui dis‑je en posant l’objet sur le lit.
“Merci.”
“Veux‑tu que je prévienne ta famille ?”
“Non.”
“Veux‑tu que je te raccompagne chez toi ?”
“Ce n’est pas nécessaire mais si ma présence t’importune, alors je m’en vais tout de suite.”
“Tu es mon invitée et tu peux rester aussi longtemps que tu voudras.”
“J’ai simplement besoin de quelques minutes de repos”, murmura Mia, endolorie et épuisée, fermant les yeux.
“Prends tout ton temps.”
Je n’eus pas de réponse.
Elle venait de s’endormir.