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IV

Table des matières

La composition d’un wagon de seconde classe. — Griffard fait sensation. — Maudits bavards!

Me voici en wagon avec Julie et Griffard, ce dernier toujours invisible. Le wagon est éclairé, et deux coins sont déjà pris. Je fais vis-à-vis à ma bonne, qui a le bras passé dans l’anse de son panier, et une main occupée à caresser le chat, afin de l’engager à rester bien tranquille; dans le troisième angle il y a un monsieur très-gros qui bâille déjà comme une carpe, et dans le quatrième une dame petite et maigre, avec une coiffure presque aussi haute qu’elle, une figure blanchâtre et grognon, et tant de musc que ma bonne et Griffard ont éternué violemment en passant devant elle. Heureusement que ma bonne éternue avec une telle force que le petit reniflement de Griffard s’est perdu dans son bruyant: atchoum! Mais voici de nouveaux compagnons qui nous arrivent. Un jeune frère de la doctrine chrétienne, qui n’a pas plus de barbe que moi, inspecte le wagon; derrière lui, j’aperçois le visage d’un vieux frère, le plus ridé, le plus vénérable des visages. «Pas de coin,» murmure le jeune ignorantin. En l’entendant, je m’étais enfoncé dans mon coin, premier mouvement. Je me suis élancé vers la portière en disant: «Mon frère, en voici un,» second mouvement; donc le premier mouvement n’est pas toujours le bon. Le jeune frère m’a remercié, le vieux frère a fait quelques façons, mais ils sont entrés leur manteau sur le bras, leur grand chapeau à la main. Le gros monsieur et la dame blanchâtre se sont mis à renifler malhonnêtement et à se reculer avec affectation. Après les frères sont entrés très-rapidement: un jeune homme très-bien et très-poli, et deux malappris qui avaient évidemment oublié l’heure au buffet. Leur haleine s’est mêlée au musc de la dame blanchâtre pour empester le wagon; mais le train s’est mis en marche, et quelques bonnes bouffées d’air nous sont arrivées.

J’étais très-content de penser que maman était restée seule et bien à l’aise dans son wagon de première classe. En supposant qu’il lui vienne des compagnons, ils ne parleront jamais si haut ni si grossièrement que les deux jeunes gens qui parlent d’eux en criant à tue-tête. J’ai causé un peu avec le bon vieux frère, qui s’est intéressé à ce que je lui ai dit de mes études. C’est étonnant comme je n’aime pas à être pris pour un cancre. Je n’aurai plus l’imbécile fanfaronnade de poser pour le dernier. Être dernier, voilà vraiment de quoi se glorifier! Robert, mon ami, pourquoi donc l’es-tu si souvent? je ne te croyais pas si bête! Il y a toujours dans les classes quelques pauvres bons à rien qui, ne pouvant jamais, par le fait de leur dose d’intelligence, devenir les premiers, s’imaginent de trouver beau d’être à la queue, et trouvent superbe de poser pour des cruches vides. «On arrive toujours,» disent-ils. Oui, on arrive à se faire battre par les plus forts, et à coiffer des oreilles d’âne. Tiens! comme j’en pense long ce soir. A.lons, bonsoir, ma pensée, il fait nuit, et j’entends mes deux voisins mal élevés qui s’invitent en argot à dormir. Maman trouve que j’aime trop à parler argot; mais voici des personnages qui m’en dégoûtent; si jamais je reparle de dormir en argot.... Allons, bonsoir tout le monde.

Je dormais les poings fermés, je rêvais même, je crois, quand un cri affreux m’a réveillé en sursaut. La dame blanchâtre avait jeté ce cri; toute pelotonnée dans son coin, elle tendait un petit doigt aiguisé vers ma bonne, qui ronflait comme une toupie d’Allemagne. Le wagon s’est rempli de bâillements et de: «Quoi?... Qu’est-ce?... Qu’y a-t-il?

— Là, là, criait la dame. Oh! c’est horrible! Au fond du panier de cette femme, voyez! voyez!»

Au fond du panier de cette femme, qui était ma bonne, j’ai vu briller les yeux verts de Griffard. A travers son treillis il regardait fixement la lampe. Je suis parti d’un éclat de rire fou. Oh! mais d’un rire qui a réveillé ma bonne en sursaut.

«Eh bien! eh bien! Griffard.. Robert....» a-t-elle bégayé en se détirant.

Le panier est tombé par terre, Griffard s’en est échappé en miaulant comme un démon, et a lestement sauté sur la dame blanchâtre; j’ai vu sa grande queue zébrée passer comme un pinceau sur son visage irrité. Effrayé lui-même des cris perçants qu’elle poussait, il a bondi sur les genoux du bon vieux frère, qui l’a charitablement caressé.

Griffard a sauté sur la dame. (Page 47.)


«C’est affreux!... que le train s’arrête!... je me plaindrai!» criait la dame.

Le gros monsieur et les deux autres jeunes gens se sont mis à accabler ma bonne d’injures.

«Voilà bien du bruit pour un malheureux chat! a-t-elle dit en reprenant Griffard. Est-ce qu’il peut faire mal à quelqu’un? Voyez, madame, il est doux comme un agneau.

— Il y a un wagon pour les bêtes, madame, a répondu brutalement un des malotrus.

— Le pauvre animal n’aurait pas pu voyager sans moi, a reparti bien honnêtement ma pauvre bonne dans sa simplicité.

— Eh bien, on aurait trouvé à vous caser avec lui, et c’était bien là votre place à tous deux.»

J’étais rouge de colère, et j’allais un peu parler à ce grossier personnage; mes deux compagnons se sont penchés vers moi.

«On dédaigne de répondre aux gens mal élevés, m’a dit le jeune homme comme il faut; vous ne pourrez pas lutter de grossièreté avec eux.

— Prenez patience, mon petit ami, murmurait le bon frère, ils se tairont d’eux-mêmes.»

Le train s’arrêtait comme il disait cela. La dame, ses boucles, son fard, ses grimaces, son musc, ses frayeurs, sont partis, et je me suis glissé dans son coin. J’aurais pu dormir sans les deux malotrus qui se sont de nouveau mis à bavarder.

Oh! les bavards! Non, jamais je ne parlerai argot.

On m’a dit ou j’ai lu que les Spartiates montraient un homme ivre aux enfants pour les dégoûter de l’ivresse; ils faisaient très-bien. Pour moi, mes compagnons de route m’ont dégoûté de l’argot, même de celui qu’on parle au collège.

J’ai bien dormi. Je dormais à poings fermés quand j’ai cru entendre dire: «Rennes!» Je me suis secoué et levé ; il faisait grand jour, et maman me regardait. Elle avait fait descendre ma bonne, et elle essayait de me réveiller en me passant la main sur le front et en me disant: «Rennes! Rennes!» dans l’oreille. Nous sommes descendus et nous avons gagné le buffet. Mère m’a fait prendre un bouillon, et puis m’a donné ses dernières instructions. J’avais le cœur bien gros de la quitter, pour un rien j’aurais sacrifié mon voyage. Mais elle n’a pas voulu en entendre parler, et elle est venue me remettre en wagon. «Écris - moi ton journal,» m’a-t-elle dit. Je le lui ai promis, et.... nous nous sommes séparés. Je me suis jeté dans un coin, voulant à toute force me rendormir jusqu’à Auray.


En congé

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