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Chapitre 3 AUTRES DONNÉES SUR L’ALCOOLISME

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La plupart d’entre nous avons été réticents à admettre que nous étions de véritables alcooliques. Personne ne trouve agréable de penser que mentalement et physiquement on est différent des autres. Il n’est donc pas étonnant que nos vies de buveurs aient été marquées par d’innombrables et inutiles tentatives pour prouver que nous pouvions boire comme tout le monde. La grande obsession de tout buveur anormal est qu’un jour, il ne sait trop comment, il parviendra à se contrôler et à prendre plaisir à boire. Il est renversant de constater à quel point cette illusion peut persister. Nombreux sont ceux qui s’y accrochent jusqu’aux portes de la folie ou de la mort.

Nous avons appris à accepter, jusqu’au plus profond de notre être, que nous étions alcooliques. C’est la première étape vers le rétablissement. Toute illusion que nous sommes comme les autres ou qu’un jour nous le deviendrons doit être dissipée.

Nous, les alcooliques, sommes des hommes et des femmes qui avons perdu la faculté de maîtriser notre consommation d’alcool. Nous savons que jamais un alcoolique véritable ne retrouve cette maîtrise. Nous avons tous eu, à un moment donné, l’impression de nous ressaisir ; mais ces sursis, généralement courts, étaient suivis d’un manque de contrôle encore plus grand qui menait, éventuellement, à un découragement pitoyable et incompréhensible. Nous sommes tous convaincus que les alcooliques de notre catégorie sont aux prises avec une maladie progressive. À la longue, notre condition va sans cesse en s’aggravant, elle ne s’améliore jamais.

Nous ressemblons à des personnes qui n’ont plus de jambes : elles ne repousseront jamais. Il ne semble exister aucun traitement qui permette à des alcooliques comme nous de ressembler aux autres. Nous avons essayé tous les remèdes possibles. Parfois certains nous ont apporté un bref moment de répit, qui était toujours suivi par une récidive encore plus grave. Les médecins qui connaissent l’alcoolisme s’accordent à dire qu’il est impossible pour un alcoolique de redevenir un buveur normal. Peut-être un jour la science apportera-t-elle la solution, mais ce n’est pas encore fait.

Malgré ce que nous pouvons dire, nombreux sont les vrais alcooliques qui ne croiront pas appartenir à cette catégorie. En se leurrant eux-mêmes et par toutes sortes de moyens, ils tenteront de se prouver qu’ils sont des exceptions à la règle et que par conséquent, ils ne sont pas alcooliques. Nous sommes prêts à lever notre chapeau à la personne qui, s’étant révélée un jour incapable de se maîtriser devant l’alcool, réussit ensuite à consommer normalement. Dieu sait les nombreux et pénibles efforts que nous avons faits pour tenter de boire comme tout le monde !

Voici quelques-unes des méthodes que nous avons essayées : boire seulement de la bière ; limiter le nombre de consommations ; ne jamais boire seul ; ne jamais boire le matin ; boire seulement à la maison ; ne pas garder d’alcool chez soi ; ne pas boire durant les heures de travail ; boire seulement en société ; laisser le scotch pour le cognac ; ne boire que du vin ; accepter de donner notre démission s’il nous arrivait de nous enivrer au travail ; partir en voyage ; ne pas partir en voyage ; jurer, ou simplement promettre, de ne plus jamais boire ; faire plus d’exercice physique ; lire des ouvrages pour se motiver ; séjourner quelque temps dans une maison de repos à la campagne ou dans une clinique ; accepter de recevoir des soins psychiatriques. La liste pourrait s’allonger à l’infini.

Il est toujours délicat d’affirmer de quelqu’un qu’il est alcoolique mais chacun peut facilement établir son propre diagnostic. Rendez-vous au bar le plus près et voyez si vous pouvez boire raisonnablement. Essayez de boire et de vous arrêter tout d’un coup. Répétez l’expérience plusieurs fois. Vous saurez vite à quoi vous en tenir si vous êtes honnête avec vous-même. Cela vaut peut-être la peine de risquer une bonne crise de tremblements pour être tout à fait fixé sur sa condition.

Bien que nous ne soyons pas en mesure de le prouver, nous croyons que la plupart d’entre nous aurions pu mettre un terme à notre mauvaise habitude dès le début. Mais peu d’alcooliques désirent vraiment arrêter de boire quand il en est encore temps. On a relevé quelques cas d’individus qui, malgré la manifestation certaine de tous les signes de l’alcoolisme, ont réussi pendant longtemps à ne pas boire grâce à un puissant désir de s’en sortir. En voici un exemple.

Un homme de trente ans faisait souvent la fête. Très nerveux le lendemain de ses beuveries, il se calmait avec encore un peu plus d’alcool. Il désirait ardemment réussir en affaires mais il se rendait compte qu’il n’accomplirait rien de bon tant qu’il toucherait à l’alcool. Une fois qu’il avait commencé à boire, il ne pouvait plus s’arrêter. Il a donc pris la décision de ne plus avaler une seule goutte d’alcool tant qu’il n’aurait pas réussi dans la vie et qu’il ne serait pas à la retraite. Homme exceptionnel, il est demeuré totalement abstinent pendant vingt-cinq ans et il a pris sa retraite à cinquante-cinq ans après une carrière fructueuse et heureuse dans le monde des affaires. Il a alors commis l’erreur de croire, comme presque tous les alcooliques, qu’en raison de sa longue abstinence et compte tenu de sa discipline personnelle, il pouvait boire comme les autres. Il a donc mis ses pantoufles et ouvert une bouteille. Deux mois plus tard, il se présentait à l’hôpital, confus et humilié. Pendant quelque temps, il a fait des efforts pour contrôler sa consommation mais au cours de cette période, il est retourné plusieurs fois à l’hôpital. Puis, prenant son courage à deux mains, il a tenté de cesser de boire complètement pour découvrir qu’il en était incapable. Ne regardant pas à la dépense, il a pris tous les moyens possibles pour régler son problème mais toutes ses tentatives ont échoué. Bien que robuste au moment de sa retraite, notre homme a dépéri si rapidement qu’il est mort quatre ans plus tard.

Il y a dans ce récit une importante leçon. La plupart d’entre nous ont cru qu’en ne buvant pas pendant une bonne période, nous pourrions ensuite boire normalement. Pourtant, cet homme, à cinquante-cinq ans, a découvert qu’il était exactement au même point qu’à trente ans. Ainsi l’énoncé : « Alcoolique un jour, alcoolique toujours » se vérifie-t-il constamment. Lorsque, après une période d’abstinence, nous retouchons à l’alcool, nous retombons en peu de temps aussi bas qu’avant. Si nous voulons renoncer à boire, nous devons le faire sans aucune réserve, sans caresser l’espoir subtil d’être un jour immunisé contre l’alcool.

Les jeunes peuvent trouver un encouragement dans l’expérience vécue par cet homme en pensant que, comme lui, ils peuvent cesser de boire par la force de leur volonté. Nous croyons que peu d’entre eux peuvent réussir car ils ne le désirent pas assez ardemment. Il est peu probable que l’un d’eux puisse s’en sortir à cause de la déformation d’esprit particulière déjà acquise. Plusieurs de nos membres âgés de trente ans ou moins ne buvaient que depuis quelques années, mais ils se sont trouvés aussi dépourvus que ceux qui buvaient depuis vingt ans.

Il n’est pas nécessaire d’avoir bu longtemps ni d’avoir absorbé les mêmes quantités d’alcool que nous pour être gravement affecté. C’est particulièrement vrai pour les femmes. Les femmes de type alcoolique sont souvent subitement assaillies par la maladie et atteignent le point de non-retour en quelques années seulement. Certains buveurs qui seraient très vexés d’être considérés comme des alcooliques sont étonnés de leur incapacité de cesser de boire. Nous, qui sommes familiers avec les symptômes de cette maladie, voyons un grand nombre d’alcooliques éventuels chez les jeunes. Mais allez donc essayer de leur ouvrir les yeux !6

En jetant un regard sur le passé, il nous semble que nous avons continué à boire bien longtemps après avoir dépassé le stade où, avec de la volonté, nous aurions pu encore nous en sortir. À celui qui se demande s’il a franchi ce seuil, nous lui suggérons d’essayer de s’abstenir d’alcool pendant un an. S’il est véritablement alcoolique et si son alcoolisme est très avancé, il a peu de chance de réussir. Au début, il nous est arrivé de ne pas boire pendant une année ou plus, pour devenir plus tard de solides buveurs. Même si vous êtes capable de ne plus boire pendant une très longue période, vous pouvez être un alcoolique en puissance. Parmi ceux que ce livre intéresse, nous sommes persuadés qu’il y en a peu qui réussiront à ne pas toucher à l’alcool pendant un an. Certains seront déjà ivres le lendemain du jour où ils auront pris leur résolution ; la plupart s’enivreront après quelques semaines.

Ceux qui sont incapables de boire avec modération se demandent bien comment ils pourraient cesser complètement. Nous tenons pour acquis, bien sûr, que le lecteur souhaite renoncer à boire. Pour savoir si quelqu’un peut s’en sortir sans une aide spirituelle, il faut aussi savoir jusqu’à quel point il a déjà perdu la capacité de choisir s’il va continuer ou non de boire. Nous étions nombreux à croire que nous avions une grande force de caractère. Nous sentions la nécessité absolue de renoncer à l’alcool pour toujours. Et pourtant, cela nous a été impossible. L’alcoolisme, nous le savons aujourd’hui, a cette particularité déroutante : l’incapacité totale pour le malade de ne plus boire, aussi grands que soient le désir et la nécessité d’y parvenir.

Alors, que devons-nous faire pour aider nos lecteurs à déterminer par eux-mêmes, dans leur propre intérêt, s’ils sont des nôtres ? Essayer de renoncer à l’alcool pendant un certain temps est utile ; cependant, nous croyons avoir un meilleur moyen d’aider ceux qui souffrent d’alcoolisme, et peut-être aussi le milieu médical. C’est pourquoi nous allons décrire quelques-uns des états d’esprit qui précèdent une rechute, car il est évident que c’est là le cœur du problème.

Que se passe-t-il dans la tête d’un alcoolique qui répète chaque fois l’expérience désespérée du premier verre ? Les amis, qui avaient tenté de ramener l’alcoolique à la raison après une cuite qui avait failli lui coûter un divorce ou une faillite, sont toujours déconcertés de le voir reprendre le chemin du bar. Pourquoi le fait-il ? À quoi pense-t-il ?

Notre premier exemple est celui d’un homme que nous appellerons Jim. En plus d’avoir une femme et des enfants charmants, Jim a hérité d’une concession automobile florissante, et son passé – c’est un ancien combattant de la Deuxième Guerre – est impressionnant. Il réussit bien dans la vente. Il jouit de l’estime de tous. Autant que l’on puisse en juger, c’est un homme intelligent, mais enclin à la nervosité. Il n’a pas bu avant trente-cinq ans. Au bout de quelques années, ses excès d’alcool l’ont rendu si violent qu’on a du l’interner. À sa sortie de la clinique, il a pris contact avec nous.

Nous lui avons fait part de ce que nous savions sur l’alcoolisme et de la solution que nous avions trouvée. Il a décidé de tenter l’expérience. Il a retrouvé sa famille et pris un travail comme vendeur dans l’entreprise qu’il avait perdue à cause de l’alcool. Tout s’est bien passé pendant un certain temps, mais il n’a rien fait pour enrichir sa vie spirituelle. À son grand étonnement, il s’est enivré six fois en peu de temps. Après chacune de ces rechutes, nous lui avons prêté assistance en essayant de comprendre avec lui ce qui s’était produit. Il a reconnu qu’il était réellement alcoolique et que son état était sérieux. Il savait qu’en continuant, il s’exposait à un autre séjour en clinique. De plus, il perdrait sa famille, qu’il aimait profondément.

Malgré tout, il a bu de nouveau. Nous lui avons demandé de nous raconter exactement comment les choses s’étaient passées. Voici son récit : « Je me suis présenté au travail le mardi matin. Je me souviens que j’étais irrité à l’idée de n’être qu’un vendeur dans un commerce qui m’avait déjà appartenu. J’ai eu une petite dispute avec le patron, mais rien de sérieux. Ensuite, j’ai décidé d’aller rencontrer un de mes clients qui habitait la campagne et qui était peut-être intéressé par l’achat d’une voiture. Chemin faisant, comme j’avais faim, je me suis arrêté dans un restaurant où il y avait un bar. Je n’avais nullement l’intention de boire. Je voulais simplement manger un sandwich. J’ai pensé que je pourrais peut-être rencontrer un autre client dans cet endroit qui m’était familier puisque je le fréquentais depuis plusieurs années. Il m’était souvent arrivé d’y manger au cours des mois où je ne buvais pas. Je me suis assis à une table puis j’ai commandé un sandwich et un verre de lait. Je ne pensais toujours pas à l’alcool. Puis, j’ai commandé de nouveau un sandwich et un autre verre de lait.

« Soudain, j’ai pensé que je pourrais ajouter une once de whisky à mon lait, que ça ne pourrait me faire de tort puisque j’avais l’estomac plein. J’ai commandé un whisky et je l’ai versé dans mon verre de lait. Je sentais vaguement que je n’agissais pas très intelligemment, mais je me suis rassuré en me disant que le whisky aurait peu d’effet dans un estomac bien rempli. L’expérience se passa si bien que j’ai commandé un autre whisky, toujours avec un verre de lait. Comme je ne m’en sentais pas plus mal, j’ai continué. »

C’est ainsi que Jim a dû reprendre le chemin de la clinique et de nouveau faire face à la menace d’être interné, de perdre son travail et sa famille, sans compter les souffrances morales et physiques que l’alcool lui causait toujours. Il était pourtant bien renseigné sur sa condition d’alcoolique. Cependant, toutes les raisons qu’il avait de ne pas boire ont été facilement écartées au profit de l’idée insensée qu’il pouvait prendre du whisky sans danger, pourvu qu’il le mélange avec du lait !

Quoi que l’on en dise, pour nous, c’est là de la folie pure et simple. Comment appeler autrement un tel manque de mesure, une telle incapacité de juger correctement !

Peut-être croyez-vous qu’il s’agit d’un cas extrême ? Pour nous, c’est courant car nous avons tous fait ce genre de raisonnement un jour ou l’autre. Il nous est arrivé de réfléchir plus que Jim aux conséquences. Mais il y avait toujours ce curieux phénomène mental parallèlement à notre raisonnement sensé : inévitablement, il nous donnait des excuses insensées et injustifiées pour prendre notre premier verre. Notre bon sens ne parvenait pas à nous retenir et la déraison prenait le dessus. Le lendemain, en toute sincérité et le plus sérieusement du monde, nous nous demandions comment cela avait bien pu arriver.

En certaines circonstances, nous nous sommes délibérément enivrés, nous croyant justifiés par la nervosité, la colère, l’inquiétude, la dépression, la jalousie ou un sentiment du même genre. Cependant, même dans ces cas-là, nous sommes forcés d’admettre notre démesure et la légèreté de l’excuse – qui selon nous justifiait notre rechute – compte tenu de ce qui s’ensuivrait. Aujourd’hui nous voyons bien que lorsque nous recommencions à boire, volontairement et non fortuitement, nous n’avions pas réfléchi sérieusement aux conséquences énormes qui en résulteraient.

Notre réaction devant le premier verre est aussi absurde et aussi incompréhensible que celle d’un individu qui, par exemple, aurait la manie de se faufiler entre les voitures pour traverser la rue. Cherchant les sensations fortes, il prend plaisir à éviter les automobiles. Malgré les mises en garde d’amis bienveillants, il s’amuse à ce jeu pendant quelques années. Jusque-là, il passe pour un drôle d’individu ayant des idées bien étranges sur la façon de s’amuser. Un jour, la chance l’abandonne et il se fait blesser légèrement plusieurs fois de suite. Tout individu normal devrait, dès ce moment-là, renoncer à sa dangereuse manie. Mais le voilà de nouveau renversé par un véhicule et cette fois, il a le crâne fracturé. Dans le courant de la semaine suivant sa sortie de l’hôpital, un tramway lui casse un bras. Il vous dit qu’il a résolu de ne plus jamais se lancer au milieu de la rue mais au bout de quelques semaines, le voilà avec les deux jambes fracturées.

Pendant des années, il persiste dans sa manie mais toujours en promettant d’être plus prudent ou de s’abstenir d’aller dans la rue. Finalement, il ne peut plus travailler, sa femme obtient le divorce et il devient la risée de tous. Il tente par tous les moyens de se débarrasser de sa fâcheuse habitude. À sa demande, il est enfermé dans un institut psychiatrique avec l’espoir de se corriger. Mais le jour où il met fin à sa retraite, il se jette devant un camion d’incendie qui lui fracture le dos. Il faut être fou pour agir comme ça, non ?

Peut-être trouverez-vous notre comparaison caricaturale. L’est-elle vraiment ? Parce que nous sommes passés par de dures épreuves, nous sommes forcés d’admettre qu’on pourrait raconter exactement la même histoire à notre sujet, en substituant l’habitude de boire à celle de se lancer dans la circulation. Ce serait tout à fait nous. Si intelligents que nous ayons pu nous montrer en d’autres circonstances, nous étions frappés d’insanité dès qu’il s’agissait d’alcool. C’est dur à entendre, mais c’est la vérité. N’est-ce pas ?

Certains d’entre vous doivent penser : « Oui, ce que vous nous dites est vrai, mais ça ne s’applique pas entièrement à notre cas. Nous admettons présenter quelques-uns de ces symptômes, mais nous n’avons pas atteint les mêmes extrêmes que vous et il y a peu de chance que cela nous arrive car après ce que vous nous avez dit, de telles choses ne peuvent pas se reproduire. L’alcool ne nous a pas tout fait perdre dans la vie, et nous n’avons certainement pas l’intention d’en arriver là. Merci pour l’information. »

C’est peut être vrai en ce qui concerne certains non-alcooliques qui, bien que buvant beaucoup et de façon déraisonnable aujourd’hui, sont capables de cesser de boire ou de se modérer parce que leur cerveau et leur corps n’ont pas été endommagés comme les nôtres. Mais pour ainsi dire, tous les alcooliques actifs ou en puissance sont absolument incapables de cesser de boire du simple fait qu’ils ont une certaine connaissance d’eux-mêmes. Nous voulons insister sur ce point encore et encore pour que nos lecteurs alcooliques se le mettent bien dans la tête, car nous avons découvert cette vérité au prix de cruelles expériences. Passons à un autre cas.

Fred est membre associé d’un bureau de comptables bien connu. Il gagne un bon revenu, possède une belle maison. Il est heureux en ménage, et ses enfants font des études prometteuses au collège. Sa personnalité agréable le fait se lier d’amitié avec tout le monde. Fred est l’exemple parfait de l’homme d’affaires qui a réussi. Il donne l’impression d’un être stable, bien équilibré. Pourtant, il est alcoolique. Nous avons rencontré Fred pour la première fois il y a un an à l’hôpital où il se remettait d’une crise de convulsions alcooliques. C’était la première fois que cela lui arrivait et il en avait terriblement honte. Loin d’admettre qu’il était alcoolique, il se disait qu’il était venu à l’hôpital pour se calmer les nerfs. Le médecin lui a bien fait comprendre qu’il allait plus mal qu’il le croyait. Pendant quelques jours, cette nouvelle l’a déprimé. Il a décidé de renoncer complètement à l’alcool. Jamais il ne lui est venu à l’esprit qu’il ne pourrait pas y arriver malgré sa force de caractère et son rang social. Fred refusait de reconnaître qu’il était alcoolique et il était encore moins disposé à accepter une solution spirituelle à son problème. Nous lui avons dit ce que nous savions de l’alcoolisme. Intéressé, il a reconnu qu’il présentait quelques-uns des symptômes mais il était loin d’admettre qu’il ne pouvait pas s’en sortir tout seul. Il croyait ferme que son expérience humiliante jointe aux connaissances qu’il avait acquises suffiraient à l’empêcher de boire pour le reste de ses jours. La connaissance de soi réglerait son problème.

Nous sommes restés sans nouvelles de Fred pendant quelque temps. Un jour, on nous a appris qu’il avait été de nouveau hospitalisé. Cette fois, il était fortement ébranlé. Il n’a pas tardé à demander à nous voir. Ce qu’il nous a dit alors est des plus instructif, car nous sommes ici en présence d’un homme convaincu qu’il doit cesser de boire, qui n’a aucune excuse de s’adonner à l’alcool, qui démontre un jugement et une détermination remarquables en tout ce qui a trait au reste, et qui s’était pourtant cassé la figure.

Écoutons-le raconter son histoire : « J’avais été bien impressionné par ce que vous m’aviez dit de l’alcoolisme et je croyais sincèrement qu’il était impossible que je recommence à boire. J’avais pris note de vos opinions quant à la folie subite qui s’empare de l’esprit avant le premier verre, mais j’étais certain que cela ne m’arriverait pas après ce que j’avais appris. Je me disais que mon cas était moins grave que le vôtre, que j’avais généralement réussi à régler mes autres problèmes personnels et que je réussirais là où vous aviez échoué. Il me semblait que j’avais toutes les raisons d’avoir confiance et qu’il suffisait d’avoir de la volonté et de me tenir sur mes gardes.

« J’ai repris le travail avec ces convictions et tout s’est bien passé pendant un certain temps. Je n’avais aucune difficulté à refuser les consommations, si bien que je commençais à me demander si je n’avais pas exagéré la gravité de mon cas. Un jour, je suis allé à Washington pour soumettre un dossier comptable à un bureau du gouvernement. J’avais déjà eu l’occasion de voyager du temps où j’avais cessé de boire. Il n’y avait donc là rien de nouveau pour moi. Je me sentais bien physiquement et j’avais l’esprit libre de tout tracas. Mon rendez-vous avait été un succès. J’étais content et je savais que mes partenaires le seraient aussi. Une journée parfaite prenait fin, sans un nuage à l’horizon.

« Je me suis rendu à l’hôtel et me suis préparé tranquillement pour le dîner. Lorsque j’ai passé le seuil de la salle à manger, l’idée m’est venue que je pourrais bien agrémenter mon dîner de quelques cocktails. Voilà, rien de plus. J’ai commandé un cocktail et mon repas. Puis j’ai demandé un autre cocktail. Après le dîner, j’ai décidé d’aller me promener. À mon retour à l’hôtel, j’ai pensé qu’une consommation me ferait du bien avant d’aller me coucher et je me suis dirigé vers le bar et j’ai pris un verre. Je me souviens d’en avoir bu plusieurs autres ce soir-là, et encore le lendemain matin. J’ai un vague souvenir de m’être trouvé à bord d’un avion à destination de New York et d’avoir trouvé, à l’aéroport, un chauffeur de taxi sympathique au lieu de ma femme. Le chauffeur m’a accompagné dans mes allées et venues pendant plusieurs jours. Je me souviens très peu de ce que j’ai dit ou fait, ou des endroits où je suis allé. Puis de nouveau, le séjour à l’hôpital et les terribles souffrances morales et physiques.

« Dès que j’ai retrouvé mes esprits, j’ai soigneusement passé en revue cette soirée à Washington. Non seulement je n’avais pas été sur mes gardes, mais je n’avais absolument pas résisté à ce premier verre. Cette fois, je n’avais pas du tout pensé aux conséquences. J’avais pris ce premier verre avec la même désinvolture que s’il s’était agi d’un soda. Je me rappelais maintenant ce que mes amis alcooliques m’avaient dit. Ils m’avaient prévenu que si j’avais le tempérament d’un alcoolique, le jour viendrait où je recommencerais à boire. Ils m’avaient dit que même si j’étais sur la défensive, un jour, sous un prétexte banal, mes défenses céderaient. Eh bien, c’est justement ce qui s’était produit et plus encore, car ce que j’avais appris sur l’alcoolisme ne m’était pas du tout revenu à l’esprit. J’ai su à ce moment-là que j’avais le tempérament alcoolique. Je me suis rendu compte que la volonté et la connaissance de soi ne pouvaient m’être d’aucun secours dans ces moments étranges de vide mental. Jusque-là, je n’avais jamais pu comprendre les gens qui se disaient dépassés par un problème. Dès lors j’ai compris. C’était un coup dur.

« J’ai reçu la visite de deux membres des Alcooliques anonymes. En souriant, ce qui m’a un peu agacé, ils m’ont demandé si je me reconnaissais alcoolique et si je m’avouais vraiment vaincu. J’ai dû déclarer forfait sur les deux points. Ils m’ont présenté une foule de preuves pour me faire comprendre que le comportement alcoolique que j’avais eu à Washington était le fait d’une condition désespérée. Ils ont cité des douzaines de cas puisés à même leurs propres expériences. Cette démonstration a achevé d’éteindre la faible lueur d’espoir que j’avais de m’en sortir tout seul.

« Puis, ils m’ont exposé la solution spirituelle et le programme d’action qui avait réussi à une centaine d’entre eux. Même si je ne pratiquais pas ma religion, j’ai trouvé, intellectuellement, leurs principes faciles à assimiler. En revanche, le programme d’action, tout sensé qu’il était, m’a semblé très sévère. Il demandait que je jette par-dessus bord plusieurs de mes croyances de toujours. Ce n’était pas facile. Mais à partir du moment où j’ai pris la décision de m’engager dans le programme, j’ai eu le sentiment curieux d’être soulagé de ma condition d’alcoolique et il s’est avéré que c’était le cas.

« Tout aussi importante fut la découverte des principes spirituels comme solution à tous mes problèmes. Depuis, j’ai été amené à vivre selon un mode de vie infiniment plus satisfaisant et, je l’espère, plus utile que celui d’autrefois. Mon ancienne façon de vivre n’était certainement pas mauvaise en soi, mais je n’échangerais certes pas les meilleurs instants d’autrefois contre les pires de ma vie d’aujourd’hui. Je n’y retournerais pas, même si je le pouvais. »

Le témoignage de Fred se passe de commentaires. Nous espérons que son exemple servira à des milliers d’autres comme lui. Il n’avait subi que les premières atteintes du mal. La plupart des alcooliques attendent d’être gravement meurtris avant de vraiment faire quelque chose pour régler leur problème.

De nombreux médecins et psychiatres partagent nos idées. L’un d’entre eux, qui est attaché à un hôpital mondialement connu, déclarait récemment à quelques-uns des nôtres : « À mon avis, vous avez raison lorsque vous dites que l’alcoolique moyen est atteint d’un mal généralement incurable. Quant à vous deux dont j’ai entendu l’histoire, il ne fait aucun doute dans mon esprit que vous ne vous en seriez jamais sortis sans une aide divine. Si vous aviez demandé à être traités dans mon hôpital, je ne vous aurais pas admis si j’en avais été capable. Les malades comme vous sont trop désespérants. Je ne suis pas très religieux, mais j’ai un profond respect pour l’approche spirituelle dans des cas comme les vôtres. La plupart du temps, il n’y a, à vrai dire, aucune autre solution. »

Nous le rappelons encore une fois : il y a des moments où l’alcoolique se trouve mentalement démuni devant le premier verre. Sauf de rares exceptions, lui, ni aucun autre être humain, ne peut lui fournir les moyens de se défendre. Le secours doit lui venir d’une Puissance supérieure.

6 Cette constatation était vraie au moment de la publication de ce livre. Mais un sondage effectué en 2013 auprès de nos membres américains et canadiens a démontré qu’environ 10 pour cent des AA avaient moins de 30 ans.

Les Alcooliques anonymes, Quatrième édition

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