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CHAPITRE VI.
Passages du Pentateuque, tendants à indiquer en quel temps et par qui cet ouvrage a été ou n'a pas été composé

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AU dernier chapitre du Deutéronome on lit un récit détaillé et circonstancié de la mort de Moïse, de son inhumation, et en outre ces phrases singulières: «Personne, jusqu'à ce jour, n'a connu le lieu de sa sépulture, et il ne s'est plus élevé dans Israël de prophète égal à Moïse.»

N'est-ce pas l'indice saillant d'un long temps déjà écoulé? Personne jusqu'à ce jour… il ne s'est plus trouvé de prophète.

On nous dit que ce chapitre a été ajouté après coup, qu'il ne fait point corps avec l'ouvrage. Admettons la réponse, parce qu'elle est naturelle et raisonnable; mais comment expliquera-t-on tous les autres passages qui se trouvent au corps du livre, et qui ne sont pas moins incompatibles avec l'hypothèse reçue? Par exemple, le premier chapitre du Deutéronome débute par ces mots: «Voici les paroles que Moïse adressa à tout Israël au delà du Jourdain45, dans le désert, etc.»

On sait que Moïse ne passa point cette rivière, et qu'il mourut dans le désert qui est à son orient46, par conséquent le mot au delà désigne, relativement à Moïse, la rive occidentale, le côté où est Jérusalem. Par inverse, la rive orientale où Moïse mourut, se trouve au delà du Jourdain, relativement au pays de Jérusalem. Donc cette phrase, Moïse mourut au delà, a été écrite du côté de Jérusalem; donc ce n'est point Moïse qui l'a écrite: l'expression au delà se trouve trois autres fois: 1° Deutéronome (chap. 3, vers. 8), l'on fait dire à Moïse: «En même temps que nous enlevâmes à deux rois amorrhéens leur pays situé au delà du Jourdain, entre le torrent Arnon et le mont Hermon.» Puisque Moïse parlait dans ce pays-là même, il était en deçà et non au delà; et la note qu'il joint immédiatement, ne lui convient pas davantage....

«Or, l'Hermon est appelé Chirin par les Sidoniens, et Chinir par les Amorrhéens.»

Une telle note ne convient qu'à un auteur posthume, qui explique la nomenclature du temps passé à ses contemporains, qui ne l'entendent plus. Il en est ainsi des versets suivans:

«4° Et nous prîmes toutes les villes d'Og, roi de Basan, qui était resté seul de la race des Raphaïm ou géans: son lit est encore dans la ville de Rabat-Amon; et je donnai à Jaïr, fils de Manassé, le pays de Basan, qu'il nomma villages de Iaïr, et on les appelle ainsi jusqu'à ce jour

Et (chap. IV, vers. 21), on lit: «Moïse marqua trois villes au delà du Jourdain, du côté du soleil levant

Et (idem, versets 45 et 46), «Voilà les lois et statuts que Moïse donna aux enfants d'Israël, après la sortie d'Égypte, dans la vallée de Bethphegor, au delà du Jourdain… Et les enfants d'Israël possédèrent au delà du Jourdain, les pays de, etc., etc.»

Ces versets, et en général tout ce chapitre, sont évidemment un récit historique écrit long-temps après Moïse, par un rédacteur qui a résidé du côté de Jérusalem, au soleil couchant du Jourdain, et pour qui le soleil levant était au delà; qui parlant des faits anciens, y a joint les explications nécessaires à ses contemporains: poursuivons.

Dans la Genèse (chap. XII, vers. 6), en décrivant la route d'Abraham, depuis la Mésopotamie jusqu'à Sichem et à la vallée de Moria, il est dit: «Or les Kananéens occupaient alors le pays47 donc ils ne l'occupaient plus au temps de l'historien; donc cet historien écrivait après Josué, qui chassa les Kananéens de ce pays. Donc Moïse n'est pas l'historien.

Même Genèse (ch. 21, vers. 14), en parlant du lieu où Abraham voulut sacrifier son fils, on lit:

«Abraham appela ce lieu Iahouh Ierah, c'est-à-dire, «Dieu verra;» d'où est venu ce mot usité jusqu'à ce jour: Sur la montagne Dieu verra.

Notez ce mot, jusqu'à ce jour; et de plus, comment Abraham a-t-il pu appeler Dieu du nom de Iahouh, quand il est dit (chap. 6 de l'Exode, vers. 3) «que Dieu ne s'était fait connaître à personne avant Moïse, sous le nom de Iahouh…? L'auteur posthume ne se décèle-t-il pas à chaque instant?

Même Genèse (chap. 14, vers. 14), «Abraham poursuivit ses ennemis jusqu'à Dan.»

Le Livre des Juges (chap. 18, vers. 29) nous apprend que jusqu'au temps des juges, on appela Laïs la ville sidonienne qui fut surprise par 600 hommes de la tribu de Dan, et que ce fut seulement alors qu'elle reçut le nom de Dan. Certainement Moïse n'a point écrit cela: l'auteur est postérieur aux juges.

Deutéronome (chap. 2, vers. 12), il est dit: «Nous tournâmes la montagne de Séir sans l'attaquer, parce qu'elle est habitée par nos frères, les enfants d'Ésaü. Or Séir était d'abord habitée par les Horiens, que chassèrent les enfants d'Ésaü, qui ont habité ce pays jusqu'à ce jour (verset 32), comme les enfants d'Israël ont habité celui que le Seigneur leur a donné

Ceci est manifestement postérieur à'ia conquête par Josué.

L'auteur des Rois (livre I, chap. 9, vers. 9), en parlant de Saül qui alla consulter le voyant, dit: «Autrefois, lorsqu'on allait consulter Dieu, l'usage était de dire, Allons au voyant; car, on appelait voyant ce qu'aujourd'hui on appelle prophète.» Or puisque l'usage durait encore du temps de David, qui appela Gad son voyant et non son prophète; et puisque dans tout le Pentateuque, Moïse est toujours appelé le prophète et non le voyant, il s'ensuit clairement que la rédaction du Pentateuque est postérieure au temps de David.

Enfin un passage frappant est celui du chapitre 36 de la Genèse, où, parlant de la postérité d'Ésaü, l'auteur dit (verset 31 et suivants): «Voici les rois qui régnèrent sur la terre d'Édon avant qu'Israël eût des Rois, etc.»

Or si, comme il est de fait, Israël n'eut de rois que depuis Saül, il est évident que l'auteur historique est postérieur à cette époque, et que cet auteur n'a pu être Moïse, par toutes les raisons ci-dessus. Ainsi nous avons une masse de preuves incontestables que le Pentateuque, tel qu'il est en nos mains, n'a point été rédigé par Moïse, mais par un écrivain anonyme dont l'époque n'a pu précéder le temps des rois David et Salomon; bientôt nous verrons encore d'autres preuves de cette posthumité, lorsque l'époque de cette rédaction nous sera connue: il s'agit maintenant de la connaître.

Quelques écrivains critiques,48 qui comme nous ont senti que le Pentateuque n'a pu être rédigé par Moïse, ont essayé d'en deviner l'auteur, et ils ont cru l'apercevoir dans le lévite Esdras, qui, au temps d'Artaxercès roi de Perse, ranima chez les Juifs attiédis l'observance et l'étude de la loi. Sur l'autorité accréditée de ces écrivains, nous avions d'abord admis cette opinion; mais l'intérêt qu'excite ce sujet nous ayant engagé à de nouvelles recherches, nous avons trouvé, dans une lecture attentive des livres hébreux, des raisons de penser différemment, et d'attribuer le Pentateuque à un autre auteur, indiqué par les textes mêmes avec plus d'évidence que le lévite Esdras.

D'abord on cherche vainement des indices quelconques de l'existence du Pentateuque, soit dans le livre de Josué, l'un des plus anciens, soit dans le livre dit des Juges, soit dans les deux livres intitulés Samuel, soit enfin dans l'histoire des premiers rois juifs. Ce silence, surtout au temps de Salomon, est d'autant plus remarquable, que l'auteur de la Chronique, en nous apprenant que les Tables de la Loi de Moïse furent déposées dans le temple bâti par ce prince, ne dit pas un mot des livres de Moïse; et cependant si le Pentateuque eût été l'ouvrage de Moïse, le manuscrit autographe devait encore exister, et il est inconcevable qu'un livre si précieux fût laissé dans un oubli absolu; surtout lorsqu'en cette inauguration du temple, une foule d'objets moins importants, moins appropriés au sujet, sont relatés et mentionnés.

Une autre circonstance encore digne de remarque, est que dans les livres de Salomon, dans les psaumes réellement de David,49 et même dans les prophéties d'Isaïe, l'on ne trouve presque aucune citation que l'on puisse rapporter avec évidence au Pentateuque. Il faut descendre jusqu'au règne de Josias, pour en découvrir une indication probable; le passage qui la contient mérite d'être cité en entier, pour en bien scruter les détails. (Voyez Reg., lib. 2, cap. 22.)

45

Plusieurs traductions latines altèrent ici et ailleurs le vrai sens des mots, et au lieu de dire ultrà, disent in transitu ou in ripâ; mais il est avoué, de tous les hébraïsans, que b'ăber signifie rigoureusement au delà, ultrà.

46

Deut., chap. 4, v. 22, Moïse dit: «Voici que je meurs dans cette terre, et je ne passerai point le Jourdain».

47

Cette phrase est repétée chap. 13, v. 7.

48

Voyez l'Histoire critique du Vieux-testament, par R. Simon, chap. 5 et 6, etc., et le Tractatus philos. polit., chap. 8, 9 et 10, traduit sous le nom de Recherches curieuses d'un esprit desintéressé, etc., Cologne, 1672, in-12.

49

On sait, et le texte hébreu déclare, qu'un grand nombre ne sont pas de David: plusieurs chapitres d'Isaïe sont évidemment dans le même cas. Au chap. 12, v. 2, on trouve un demi-verset tiré du cantique composé à l'occasion du passage de la mer Rouge (Exod., chap. 15, v. 2); mais ce cantique, qui nous est indiqué par le texte même comme devenu chant populaire, a pu et dû se conserver en d'autres livres.

Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome I

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