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CHAPITRE VIII
Suite des preuves

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MAIS que faut-il entendre par ce Livre de la Loi, découvert dans le temple et porté au roi? Les commentateurs qui veulent absolument que le Pentateuque soit l'ouvrage immédiat de Moïse, imaginent ici diverses hypothèses pour détourner l'idée qui s'offre d'abord: cependant tout esprit impartial qui voudra peser les circonstances accessoires, pensera probablement, comme nous, que ce livre ne saurait être autre que le Pentateuque tel que nous l'avons, et cela par plusieurs raisons qui se confirment réciproquement.

1° Parce que l'on n'aperçoit pas le moindre indice de l'existence du Pentateuque avant le roi Josiah, et que s'il eût été connu, un silence aussi absolu eût été une chose impossible.

2° Parce que depuis l'époque de Helqiah, nous trouvons le Pentateuque accrédité d'une manière imposante, et qu'il est habituellement désigné chez les Juifs sous le nom de Livre de la Loi. C'est ce livre qu'Esdras lut au peuple rassemblé aux portes du nouveau temple, et cette lecture, qui dura six matinées consécutives, nous donne précisément l'espace de temps qui convient à une lecture publique du Pentateuque.

Après Esdras, les docteurs l'appelèrent indifféremment Livre de la Loi ou Livre de Moïse, parce qu'il contient la loi de ce prophète; or il est facile de voir que ce fut cette expression qui introduisit l'usage de regarder Moïse comme son auteur: les Pharisiens consacrèrent cette opinion par bigoterie; puis, en haine des Saducéens, ils déclarèrent hérétiques quiconque la rejetterait.

3° Si le Pentateuque eût existé avant Josiah, il eût été connu du moins dans les hautes classes; et le jeune roi, élevé par le grand-prêtre, n'eût pu être surpris en entendant des préceptes qui s'y trouvent répétés cent fois. Au contraire, le Pentateuque n'ayant pas existé jusque-là, on conçoit l'épouvante vraie ou simulée de Josiah à la lecture des anathèmes terribles contenus dans les chapitres 27 et 28 du Deutéronome. Mais, nous dira-t-on, si le livre trouvé par Helqiah, fût le Pentateuque, et si, par toutes les raisons citées, Moïse ne put en être l'auteur, s'ensuivra-t-il que Helqiah l'ait composé de toutes pièces, et qu'on doive le regarder comme un livre entièrement supposé?

Nous n'admettons point cette conséquence exagérée; nous pensons seulement que ce grand-prêtre se proposant de ressusciter la loi de Moïse, généralement oubliée par les Juifs, a recherché tout ce qui a pu subsister d'écrits et de monuments relatifs à son but; qu'il a réellement pu trouver des écrits dont Moïse fut l'auteur mais plutôt en copie de seconde main qu'en original; qu'à raison des 800 ans écoulés depuis ce prophète, beaucoup de choses étant tombées en désuétude dans le langage, dans l'écriture, et dans les usages géographiques ou civils, il a fait de tous ces matériaux une refonte, une rédaction nouvelle, dans laquelle il a conservé beaucoup de fragments anciens, mais aussi dans laquelle il a introduit beaucoup de liaisons et d'explications de son propre chef. D'autre part nous rejetons aussi l'opinion de ceux qui veulent regarder tous les passages anachroniques comme des notes marginales introduites dans le texte par la succession des copistes; il suffit de lire avec attention ces passages et d'autres que nous ne citons pas, pour sentir qu'il font partie intégrante de la narration, et qu'il faudrait considérer des chapitres entiers comme des parenthèses. Les redites même, qui sont si nombreuses, prouvent cette rédaction par compilation telle que nous l'indiquons: il serait d'ailleurs trop commode de dire à chaque découverte d'un nouveau trait posthume, que c'est une note insérée; il vaut mieux convenir de bonne foi que Helqiah est réellement auteur dans le sens de rédacteur et ordonnateur de matériaux; mais il faut convenir aussi qu'à ce titre nous sommes livrés à sa discrétion, et qu'il a pu supprimer, réformer, introduire même une partie entière, inconnue ou du moins étrangère aux livres de Moïse, ainsi que nous croyons le pouvoir démontrer du livre de la Genèse.

A l'époque et dans les circonstances dont nous parlons, l'état politique et religieux des Juifs nous semble avoir été le même que celui des Parsis et des Hindous, qui pratiquent les lois de Brahma et de Zoroastre, sur des traditions, sur des commentaires et liturgies de prêtres, sans posséder les livres autographes de leur prophètes53. Maintenant supposons qu'un roi perse, tel que Darius Hystasp ou Ardchir-Babekan, eût concerté avec le grand Môbed, la découverte et la mise au jour de l'ouvrage de Zoroastre, n'est-il pas vrai que personne autre n'ayant en main ni l'original, ni une copie, n'eût pu démontrer la fausseté de leur opération, et que nous n'aurions de moyen d'en juger, que par l'examen du livre lui-même, questionné et interrogé dans tous ses détails: or ce cas est précisément celui de Josiah et de Helqiah, avec la différence que le grand-prêtre est ici l'auteur et le promoteur principal. Ils ont pu dire tout ce qui leur a convenu sur la découverte du livre: c'est à nous de n'admettre que ce qui est conforme au raisonnement et aux preuves ou indices fournis par ce livre lui-même. Déja nous y avons vu des preuves chronologiques d'une composition postérieure de plusieurs siècles à Moïse; maintenant si nous le questionnons encore, nous serons conduits à penser que les livres réels de Moïse ne sont point contenus dans le Pentateuque en original, mais par extraits et par citation; et que le rédacteur, en écartant tout ce qui ne marchait pas à son but, y a introduit des portions tout-à-fait étrangères et probablement inconnues à ce législateur.

On ne saurait douter que Moïse ait composé des livres et laissé des écrits. Son rôle de législateur lui en suppose la faculté, comme il lui en impose la nécessité. Il se trouva dans la même position que Mahomet, avec la différence que Mahomet feignit de ne savoir pas écrire. Aussi trouvons-nous la mention expresse de certains écrits de Moïse, dans plusieurs passages de l'Exode et du Deutéronome. Par exemple, au chapitre 24 de l'Exode, versets 3 à 7, il est dit que «Moïse étant descendu de la montagne d'Horeb vers le peuple, il lui répéta tout ce que (le Dieu) Iahouh lui avait dit: qu'il l'écrivit (ce jour-là) et que le matin (du lendemain) étant retourné au pied de la montagne avec le peuple, pour faire un sacrifice, il prit en main le volume ou rouleau qu'il avait écrit, il le lut au peuple, qui dit: Tout ce que vous nous ordonnez, nous l'observerons.»

Il est clair qu'un rouleau écrit dans un jour, et lu en préliminaire d'un sacrifice, n'est pas le Pentateuque, ni même le Deutéronome. Si nous confrontons ce qui précède et ce qui suit, nous trouvons que ce volume ou livre de l'Alliance dut être composé des 126 versets ou articles de la loi que nous lisons (chap. 20, vers. 2, jusqu'au chap. 24, vers. 1er), qui effectivement comprennent toute l'essence de la loi des Juifs. Or, ce livre de l'Alliance n'étant employé dans le Pentateuque que comme fragment, il est clair que nous n'avons pas les écrits originaux de Moïse dans leur état distinct et isolé.

En un autre endroit (Exode, chap. 17, verset 14), il est dit que Josué ayant battu les Amalékites qui étaient venus attaquer les Hébreux, peu après leur sortie d'Égypte, le dieu Iahouh ordonna à Moïse d'écrire ce premier fait d'armes dans le livre. Que peut avoir été ce livre, sinon le registre ou journal des opérations militaires des Hébreux, guidés par leur dieu Iahouh, et par son visir Moïse; opérations dont ce lieutenant voulut, comme tout chef militaire, avoir le tableau pour le consulter au besoin? Lorsque ensuite nous trouvons au livre des Nombres (chap, 21, vers. 14) la citation d'un livre intitulé livre des Guerres (du Dieu) Iahouh…, exprimée dans les termes suivants: «Les enfants d'Israël décampèrent du torrent de Zared et vinrent camper sur l'Arnon, qui est dans le désert, et sort de la montagne des Amrim. Or, l'Arnon est la frontière de Moab qui le sépare des Amrim: c'est pourquoi il est dit dans le livre des Guerres de Iahouh, ce qu'a fait Iahouh sur la mer Rouge, (il l'a fait) sur les torrents d'Arnon»; nous disons qu'un tel récit, une telle citation ne saurait être de Moïse, et qu'ils ne conviennent qu'à un interlocuteur posthume qui écrivait d'après des matériaux qu'il avait sous les yeux, et où il trouvait décrits les campements et les faits militaires des Hébreux. Or ce livre ancien et original semble devoir être celui-là même où Moïse écrivit la victoire sur Amaleq, l'an 1er, puis tout ce qui arriva pendant le séjour dans le désert, et enfin l'an 40, la victoire sur Sehoun et celle sur Og, qui furent les derniers exploits du législateur. Lorsqu' ensuite les livres que nous avons en main portent une lacune totale entre l'an 2 et l'an 40, et que tout leur récit de ce qui se passa pendant 37 ans, se borne à une stérile notice de campements54, c'est parce que le rédacteur posthume a supprimé, comme inutiles à son but, les détails du Journal de Moïse, de ce livre des Guerres du Dieu Iahouh, que nous n'avons pas.

Le Deutéronome55 parle encore plusieurs fois d'un livre de la Loi écrit par Moïse l'an 40, outre le livre de l'Alliance écrit au pied de l'Horeb, l'an 2..... Moïse remit ce livre peu avant sa mort, aux prêtres, enfants de Lévi, et aux anciens d'Israël (ch. 31, v. 9), pour être lu, tous les 7 ans, à la fête des Tabernacles, à l'époque du Jubilé: or, ce livre ne saurait être ni le Pentateuque, ni le Deutéronome entier, attendu que Moïse ordonna (ch. 27, v. 2), qu'après le passage du Jourdain, ledit livre serait écrit en entier sur les pierres du pourtour d'un autel dont la face aurait été enduite de chaux pour recevoir l'écriture. Il est déraisonnable et impossible de supposer qu'une masse d'écriture, telle que le Deutéronome, ait été écrite sur des pierres, surtout lorsqu'une partie contient des récits étrangers à la loi et postérieurs à Moïse..... Ce second livre de la Loi ne peut donc être qu'un nouvel exposé des lois, avec quelques développements, tels qu'on les trouve dans certains chapitres du Deutéronome; mais là encore, nous n'avons l'écrit de Moïse que par intermédiaire et non pas autographe, tel qu'il le produisit; et toujours nous sommes ramenés à l'idée d'un compilateur posthume, qui retranchant, ajoutant, choisissant ce qu'il a voulu, a composé l'ouvrage réellement confus et peu cohérent, que l'on appelle Pentateuque.

Ici revient se placer une remarque qui semble avoir échappé à nos prédécesseurs, et que nous avons indiquée plus haut56. Nous avons dit que l'oracle rendu par la prophétesse Holdah, désignait d'une manière spéciale les anathèmes des chapitres 27 et 28 du Deutéronome.

«Le dieu d'Israël, dit cette femme, va envoyer contre Jérusalem tous les maux écrits dans le livre dont le roi a ouï la lecture, et cela, parce que les Juifs ont abandonné leur Dieu et sacrifié à des dieux étrangers

On feuillette vainement l'Exode, le Lévitique, les Nombres, l'on n'aperçoit rien qui corresponde à ces paroles, ni qui remplisse l'idée de ces maux; mais lorsqu'on arrive au chapitre 27 du Deutéronome, on trouve une série de malédictions et d'anathèmes qui continue dans le chapitre 28, et qui réellement présente un tableau affreux.

«Si vous n'écoutez point la voix de Dieu, dit le verset 15, pour observer tous ses commandements et pratiquer ces cérémonies, une foule de maux viendra vous accabler. Vous serez maudits dans vos villes, maudits dans vos campagnes.....; Dieu vous enverra la disette et la famine.....; il vous enverra la peste qui vous consumera......; la pluie du ciel sera une poussière et une cendre brûlante, etc., etc.»

Maintenant, comment se fait-il que la suite de ces anathèmes ait pour le sens, et, qui plus est, pour l'expression, une analogie frappante avec les premiers chapitres de Jérémie, écrits depuis l'an 625 jusqu'à 621, c'est-à-dire pendant les 4 années où le grand-prêtre dut être occupé de la rédaction du Pentateuque. Les chapitres 4, 5 et 6 en offrent surtout des exemples frappants:


Le hasard ne produit pas d'aussi parfaites ressemblances,57 surtout lorsque les expressions des deux textes sont littéralement les mêmes. Il nous semble donc presque démontré que Jérémie a eu connaissance du travail que préparait le grand-prêtre; qu'il en est devenu, le confident, peut-être même le collaborateur; du moins est-il certain que son rôle et sa doctrine sont en accord parfait avec le Pentateuque; et quant à la composition matérielle de ce livre, nous trouvons, dans les difficultés de l'entreprise, de nouvelles raisons de l'attribuer à Helqiah; car quel individu autre que ce grand-prêtre, tout-puissant par sa place et ses récentes fonctions de régent, eût pu se faire ouvrir les archives du temple, les registres du royaume et les monuments des villes? Quel autre que lui eût pu réunir l'instruction varié, la connaissance des antiquités nécessaire à la compulsation des monuments et à la rédaction de l'ouvrage? Huit siècles s'étaient écoulés depuis la mort de Moïse; ce laps de temps avait introduit bien des changements dans le langage, dans les coutumes, dans le régime civil et même religieux, dans la forme même de l'écriture et l'usage des mots. Les 12 tribus, pendant 400 ans sous les juges, avaient vécu dans un état réciproque d'indépendance et d'isolement; c'étaient autant de peuples séparés comme les tribus arabes… Après Salomon 10 tribus firent schisme absolu, et de ces 10 tribus, 3 vivant au-delà du Jourdain, faisaient presque une autre confédération distincte… Le langage et les coutumes s'étaient ressentis de cette manière d'être: bien des choses anciennes étaient des énigmes pour le vulgaire; les vieux manuscrits étaient pénibles à déchiffrer, à comprendre; le concours de plusieurs hommes lettrés était nécessaire; de tels hommes étaient rares chez un peuple grossier, ignorant, déchiré de troubles; leur travail devenait dispendieux, et toute l'entreprise avait des obstacles qu'un homme puissant et tel que le grand-prêtre pouvait seul exécuter.

Après l'exposé que nous venons de faire des preuves positives fournies par divers passages du Pentateuque d'une part, et des présomptions et indices tirés des faits historiques et de leurs accessoires d'autre part, nous croyons pouvoir conclure impartialement:

1° Que le Pentateuque, tel qu'il est en nos mains, ne saurait être l'ouvrage immédiat, ni la composition autographe de Moïse;

2° Que le livre soi-disant trouvé par le grand-prêtre Helqiah, l'an 18 du roi Josiah, est réellement notre Pentateuque actuel;

3° Que la partie de ce livre lue devant Josiah, se rapporte aux chapitres 27 et 28 du Deutéronome;

4° Que le grand-prêtre Helqiah, qui dit avoir trouvé ce livre, et qui l'a possédé seul et sans témoins; qui en a été le maître absolu et sans contrôle, est fortement prévenu, par toutes les circonstances du fait, d'en être l'auteur, et de l'être en ce sens, qu'il a recueilli et rassemblé des matériaux dont quelques-uns paraissent venir directement de Moïse; mais qu'il les a fondus, rédigés et mis dans l'ordre qu'il lui a convenu, et que nous voyons aujourd'hui.

53

Depuis Alexandre on a peine à prouver l'existence des livres de Zerdoust. Quant aux Vedas, on a long-temps douté de la leur; et il a fallu toute la puissance des Anglais pour parvenir à compléter une copie de ces livres, réduits à un seul manuscrit dont rien ne garantit la parfaite pureté.

54

Voyez le chap. 33 et les précédents, livre des Nombres.

55

Deut., ch. 29, v. 1er.

56

Page 70.

57

Une autre identité a été remarquée par les critiques. On lit, au chap. 21 du livre des Nombres, v. 26, 27 et 28: «Or, la ville de Hesbon avait été enlevée aux Moabites par Séhon, roi amorrhéen; c'est pourquoi il est dit dans le livre des Moshalim: Venez bâtir Hesbon, la ville de Séhon..... Un feu est sorti de Hesbon, une flamme de la ville de Séhon, pour dévorer les villages de Moab sur les hauteurs de l'Arnoun: malheur à toi, ô Moab! il a péri le peuple de Kámôs…, il a livré ses enfants à la fuite, et ses filles à la captivité».

D'autre part, le chapitre 48 de Jérémie, v. 44, 45 et 46, porte: «A l'ombre de Hesbon se sont arrêtés les fuyards de Moab; un feu est sorti de Hesbon, une flamme du milieu de Séhon pour dévorer les pierres angulaires et les sommets des enfants de Châoun. Malheur à toi, Moab! Le peuple de Kámôs a péri; car ses enfants sont emmenés en esclavage, et ses filles en captivité.».—On objecte que le livre des Moshalim a pu être cité par l'auteur des Nombres, comme par Jérémie; mais dans un temps où un manuscrit était rare et souvent unique, sa citation par deux auteurs devient un indice de quelques relations habituelles entre eux, et appuie notre opinion sur celles de Jérémie avec le grand-prêtre Helqiah.

Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome I

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