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Gaston Maspero
L’ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE
Chapitre II. L’architecture religieuse
1. Matériaux et éléments de la construction

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C’est un préjugé de croire que les Égyptiens ne mettaient en œuvre que des blocs de dimensions considérables. La grosseur de leurs matériaux variait beaucoup selon l’usage auquel ils les destinaient. Les architraves, les fûts de colonnes, les linteaux et les montants de porte atteignaient quelquefois des dimensions considérables. Les architraves les plus longues que l’on connaisse, celles qui recouvrent l’allée centrale de la salle hypostyle à Karnak, ont en moyenne 9m,20 ; elles représentent chacune une masse de 31 mètres cubes et un poids de 65,000 kilogrammes environ. D’ordinaire, les blocs ne sont pas beaucoup plus forts que ceux dont on se sert aujourd’hui en France ; la hauteur en est de 0m,80 à 1m,20, la longueur de 1 mètre à 2m,50, l’épaisseur de 0m,50 à 1m,80.

Quelques temples sont en une seule sorte de pierre ; le plus souvent, les matériaux d’espèce différente sont juxtaposés à proportions inégales. Ainsi, le gros œuvre des temples d’Abydos est un calcaire très fin ; les colonnes, les architraves, les montants et les linteaux des portes, toutes les parties où l’on craignait que le calcaire n’eût pas une force de résistance suffisante, sont en grès dans l’édifice de Séti Ier, en grès, en granit ou en albâtre dans celui de Ramsès II. À Karnak, à Louxor, à Tanis, à Memphis, on remarque des mélanges analogues ; au Ramesséum et dans quelques temples de Nubie, les colonnes reposent sur des massifs de briques crues. La pierre à pied d’œuvre, les ouvriers la taillaient avec plus ou moins de soin, selon qu’elle devait occuper telle ou telle position. Quand les murs étaient de médiocre épaisseur, comme c’est généralement le cas des murs de refend, on la parait exactement sur toutes les faces. Lorsqu’ils étaient épais, les blocs du noyau étaient dégrossis de manière à rappeler le plus possible la forme cubique et à s’empiler les uns sur les autres sans trop de difficulté, sauf à combler les vides avec des éclats plus petits, du caillou, du ciment ; on coupait ceux du parement avec soin sur la face destinée à être vue, on dressait les joints aux deux tiers ou aux trois quarts de la longueur, et on piquait simplement le reste de la queue. Les pièces les plus fortes étaient réservées aux parties basses des édifices, et cette précaution était d’autant plus nécessaire que les architectes d’époque pharaonique ne descendaient pas les fondations des temples beaucoup plus qu’ils ne faisaient celles des maisons. À Karnak, elles ne s’enfoncent guère qu’à 2 ou 3 mètres ; à Louxor, dans la partie qui borde le fleuve, trois assises d’environ 0m,80 de haut chacune forment un patin gigantesque sur lequel reposent les murs ; au Ramesséum, la couche de briques sèches sur laquelle pose la colonnade ne paraît pas avoir plus de 2 mètres ; ce sont là des profondeurs insignifiantes, mais l’expérience des siècles a prouvé qu’elles suffisaient. L’humus compact et dur qui compose partout le sol de la vallée subit chaque année, au moment du retrait des eaux, une contraction qui le rend à peu près incompressible ; le poids des maçonneries, augmentant graduellement au cours de la construction, lui fait bientôt atteindre le maximum de tassement et achève d’assurer à l’édifice une assiette solide. Partout où j’ai mis au jour le pied des murs, j’ai constaté qu’ils n’avaient pas bougé. Le système de construction des anciens Égyptiens ressemble par bien des points à celui des Grecs. Les pierres y sont souvent posées à joint vif, sans lien d’aucune sorte, et le maçon se fie au poids propre des matériaux pour les tenir en place. Parfois elles sont attachées par des crampons en métal, ou, comme dans le temple de Séti Ier à Abydos, par des queues d’aronde en bois de sycomore au cartouche du roi fondateur. D’ordinaire, elles sont comme soudées les unes aux autres par des couches de mortier plus ou moins épaisses. Tous les mortiers dont j’ai recueilli les échantillons sont jusqu’à présent de trois sortes : les uns, blancs et réduits aisément en poudre impalpable, ne contiennent que de la chaux ; les autres, gris et rudes au toucher, sont mêlés de chaux et de sable ; les autres doivent leur aspect rougeâtre à la poudre de brique pilée dont ils sont pénétrés. Grâce à l’emploi judicieux de ces procédés divers, les Égyptiens ont su, quand ils le voulaient, appareiller aussi bien que les Grecs des assises régulières, à blocs égaux, à joints verticaux symétriquement alternés ; s’ils ne l’ont pas toujours fait, cela tient surtout à l’imperfection des moyens mécaniques dont ils disposaient. Les murs d’enceinte, les murs de refend, ceux des façades secondaires étaient perpendiculaires au sol ; on se servait pour élever les matériaux d’une chèvre grossière plantée sur la crête. Les murs des pylônes, ceux des façades principales, parfois même ceux des façades secondaires étaient en talus, selon des pentes variables au gré de l’architecte ; on établissait pour les construire des plans inclinés, dont les rampes s’allongeaient à mesure que montait le monument. Les deux méthodes étaient également dangereuses ; si soigneusement qu’on enveloppât les blocs, ils couraient le risque de perdre en chemin leurs arêtes et leurs angles, ou même de se briser en éclats. Il fallait presque toujours les retoucher, et le désir d’avoir le moins de déchet possible portait l’ouvrier à leur prêter des coupes anormales.

On retaillait en biseau une des faces latérales, et le joint, au lieu d’être vertical, s’inclinait sur le lit. Si la pierre n’avait plus la hauteur ou la largeur voulue, on rachetait la différence au moyen soigneusement qu’on enveloppât les blocs, ils couraient le risque de perdre en chemin leurs arêtes et leurs angles, ou même de se briser en éclats. Il fallait presque toujours les retoucher, et le désir d’avoir le moins de déchet possible portait l’ouvrier à leur prêter des coupes anormales. On retaillait en biseau une des faces latérales, et le joint, au lieu d’être vertical, s’inclinait sur le lit. Si la pierre n’avait plus la hauteur ou la largeur voulue, on rachetait la différence au moyen d’une dalle complémentaire. Parfois même, on laissait subsister une saillie, qui s’emboîtait, pour ainsi dire, dans un creux correspondant, ménagé à l’assise supérieure ou inférieure. Ce qui n’était d’abord qu’accident devenait bientôt négligence. Les maçons, qui avaient hissé par inadvertance un bloc trop gros, ne se souciaient pas de le redescendre, et se tiraient d’affaire avec l’un des expédients dont je viens de parler. L’architecte ne surveillait pas assez attentivement la taille et la pose des pierres. Il souffrait que les assises n’eussent pas toutes la même hauteur, et que les joints verticaux de deux ou trois d’entre elles fussent dans un même prolongement. Le gros œuvre achevé, on ravalait la pierre, on reprenait les joints, on les noyait sous une couche de ciment ou de stuc, coloré à la teinte de l’ensemble, et qui dissimulait les fautes du premier travail. Les murs ne se terminent presque jamais en arête vive. Ils sont comme cernés d’un tore autour duquel court un ruban sculpté, et couronnés soit de la gorge évasée que surmonte une bande plate, soit, comme à Semnéh, d’une corniche carrée, soit, comme à Médinét-Habou, d’une ligne de créneaux.

Ainsi encadrés, on dirait autant de panneaux unis, levés chacun sur un seul bloc, sans saillies et presque sans ouvertures. Les fenêtres, toujours très rares, ne sont que de simples soupiraux, destinés à éclairer des escaliers comme au second pylône d’Harmhabi, à Karnak, ou à recevoir des pièces de charpente décorative les jours de fête. Les portes ne présentent que peu de relief sur le corps de l’édifice, sauf le cas où le linteau est surhaussé de la gorge et de la plate-bande.

Seul, le pavillon de Médinét-Habou possède des fenêtres réelles ; mais il était construit sur le plan d’une forteresse et ne doit être rangé qu’à titre d’exception parmi les monuments religieux.

Le sol des cours et des salles était revêtu de dalles rectangulaires assez régulièrement ajustées, sauf dans l’intervalle des colonnes où, désespérant de raccorder à l’ensemble les lignes courbes de la base, les architectes ont accumulé des fragments de petite dimension sans ordre ni méthode.

Au contraire de ce qu’ils pratiquaient pour les maisons, ils n’ont presque jamais employé la voûte dans les temples. On ne la rencontre guère qu’à Déir-el-Baharî et dans les sept sanctuaires parallèles d’Abydos, encore est-elle obtenue par encorbellement. La courbe en est dessinée dans trois ou quatre assises horizontales, placées en porte à faux l’une au-dessus de l’autre, puis évidées au ciseau, suivant une ligne continue.

La couverture ordinaire consiste en dalles plates juxtaposées. Quand les vides entre les murs ne sont pas trop considérables, elle les franchit d’une seule volée ; sinon, on l’étayait de supports d’autant plus multipliés que l’espace à couvrir est plus étendu. Ils étaient alors reliés par d’immenses poutres en pierre, les architraves, sur lesquelles s’appuient les dalles dont le toit se compose.

Les supports sont de deux types différents : le pilier et la colonne. On en connaît d’un seul bloc. Les piliers du temple du Sphinx, les plus anciens qui aient été découverts jusqu’à présent, ont 5 mètres de hauteur sur 1m,40 de côté. Des colonnes en granit rose, éparses au milieu des ruines d’Alexandrie, de Bubaste, de Memphis, et qui remontent aux règnes d’Harmhabi et de Ramsès II, mesurent 6 et 8 mètres d’une même venue. Ce n’est là qu’une exception. Colonnes et piliers sont bâtis en assises souvent inégales et irrégulières, comme celles des murailles environnantes. Les grandes colonnes de Louxor ne sont pleines qu’au tiers du diamètre : elles ont un noyau de ciment jaunâtre, qui n’a plus de consistance et tombe en poudre sous les doigts. Le chapiteau de la colonne de Taharqou, à Karnak, contient trois assises hautes chacune d’environ 0m,123. La dernière, la plus saillante, se compose de vingt-six pierres, dont les joints verticaux tendent au centre, et qui ne sont maintenues en place que par le poids du dé superposé. Les mêmes négligences que nous avons signalées dans l’appareil des murs, on les retrouve toutes dans celui des colonnes. Le pilier quadrangulaire, à côtés parallèles ou légèrement inclinés, le plus souvent sans base ni chapiteau, est fréquent dans les tombes de l’ancien Empire. Il apparaît encore à Médinét-Habou, dans le temple de Thoutmos III, ou à Karnak, dans ce qu’on appelle le promenoir. Les faces en sont souvent habillées de tableaux peints ou de légendes, et la face extérieure reçoit un motif spécial de décoration : des tiges de lotus ou de papyrus en saillie, sur les piliers-stèles de Karnak, une tête d’Hathor coiffée du sistre, au petit spéos d’Ibsamboul, une figure debout, Osiris dans la première cour de Médinét-Habou, Bîsou à Dendérah et au Gebel-Barkal.

À Karnak, dans l’édifice construit probablement par Harmhabi avec les débris d’un sanctuaire d’Amenhotpou II, le pilier est surmonté d’une gorge qu’un mince abaque séparé de l’architrave.

Abattant les quatre angles, on le transforme en un prisme octogonal ; puis, abattant les huit angles nouveaux, en un prisme à seize pans. C’est le type de certains piliers des tombeaux d’Assouân et de Beni-Hassan ; du promenoir de Thoutmos III, à Karnak, et des chapelles de Déir-el-Baharî.

À côté de ces formes régulièrement déduites on en remarque dont la dérivation est irrégulière, à six pans, à douze, à quinze, à vingt, ou qui aboutissent presque au cercle parfait. Les piliers du portique d’Osiris à Abydos sont au terme de la série ; le corps en offre une section curviligne à peine interrompue par une bande lisse aux deux extrémités d’un même diamètre. Le plus souvent les pans se creusent légèrement en cannelures ; parfois, comme à Kalabshéh, les cannelures sont divisées en quatre groupes de cinq par autant de bandes.

Le pilier polygonal a toujours un socle large et bas, arrondi en disque. À El-Kab, il porte une tête d’Hathor appliquée à la face antérieure.

Presque partout ailleurs, il est surmonté d’un simple tailloir carré qui le réunit à l’architrave. Ainsi constitué, il présente un air de famille avec la colonne dorique, et l’on comprend que Jomard et Champollion ont pu lui donner, dans l’enthousiasme de la découverte, le nom peu justifié de dorique primitif.

La colonne ne repose pas immédiatement sur le sol. Elle est toujours pourvue d’un socle analogue à celui du pilier polygonal, au profil tantôt droit, tantôt légèrement arrondi, nu ou sans autre ornement qu’une ligne d’hiéroglyphes. Les formes principales se ramènent à trois types : 1° la colonne à chapiteau en campane ; 2° la colonne à chapiteau en bouton de lotus ; 3° la colonne hathorique.

1° Colonne à chapiteau campaniforme. – D’ordinaire, le fût est lisse ou simplement gravé d’écriture et de bas-reliefs. Quelquefois pourtant, ainsi à Médamout, il est composé de six grandes et de six petites colonnettes alternées. Aux temps pharaoniques, il s’arrondit, par le bas, en bulbe décoré de triangles curvilignes enchevêtrés, simulant de larges feuilles ; la courbe est alors calculée de telle sorte que le diamètre inférieur soit sensiblement égal au diamètre supérieur. À l’époque ptolémaïque, le bulbe disparaît souvent, probablement sous l’influence des idées grecques : les colonnes qui bordent la première cour du temple d’Edfou s’enlèvent d’aplomb sur leur socle. Le fût subit toujours une diminution de la base au sommet. Il se termine par trois ou cinq plates-bandes superposées. À Médamout, où il est fasciculé, l’architecte a pensé sans doute qu’une seule attache au sommet paraîtrait insuffisante à maintenir les douze colonnettes, et il a indiqué deux autres anneaux de plates-bandes à intervalles réguliers. Le chapiteau, évasé en forme de cloche, est garni à la naissance d’une rangée de feuilles, semblables à celles de la base, et sur lesquelles s’implantent des tiges de lotus et de papyrus en fleurs et en boutons. La hauteur et la saillie sur le nu de la colonne varient au gré de l’architecte.

À Louxor, les campanes ont 3m,50 de diamètre à la gorge, 5m,50 à la partie supérieure, et une hauteur de 3m,50 ; à Karnak, dans la salle hypostyle, la hauteur est de 3m,75 et le plus grand diamètre de 21 pieds. Un de cubique surmonte le tout. Il est assez peu élevé et presque entièrement masqué par la courbure du chapiteau ; rarement, comme au petit temple de Dendérah, il s’élève et reçoit sur chaque face une figure du dieu Bîsou.

La colonne à chapiteau campaniforme se rencontre de préférence dans la travée centrale des salles hypostyles, à Karnak, au Ramesséum, à Louxor ; mais elle n’est pas restreinte à cet emploi, et on la voit dans les portiques, à Médinét-Habou, à Edfou, à Philae.

Le promenoir de Thoutmos III, à Karnak, en renferme une variété des plus curieuses : la campane est retournée, et la partie amincie du fût s’enfonce dans le socle, tandis que la partie la plus large se soude à l’évasement du chapiteau.

Cet arrangement disgracieux n’eut pas de succès ; on n’en trouve aucune trace hors du promenoir. D’autres innovations furent plus heureuses, celles surtout qui permirent aux artistes de grouper autour de la campane des éléments empruntés à la flore du pays. C’est d’abord, à Soleb, à Sesébî, à Bubaste, à Memphis, une bordure de palmes plantées droites sur les bandes plates et dont la tête se courbe sous le poids de l’abaque.

Plus tard, aux approches de l’époque ptolémaïque, des régimes de dattes et des lotus entr’ouverts vinrent s’ajouter aux branches de palmier.

Sous les Ptolémées et sous les Césars, le chapiteau finit par devenir une véritable corbeille de fleurs et de feuilles étalées régulièrement et peintes des couleurs les plus vives.

À Edfou, à Ombos, à Philae, on dirait que le constructeur s’est juré de ne pas répéter deux fois une même coupe de chapiteau d’un même côté du portique.

2° Colonne à chapiteau lotiforme. – Elle représentait peut-être à l’origine un faisceau de tiges de lotus dont les boutons, serrés au cou par un lien, se réunissent en bouquet pour former le chapiteau. La colonne de Beni-Hassan comporte quatre tiges arrondies.

Celles du labyrinthe, celles du promenoir de Thoutmos III, celles de Médamout en ont huit qui présentent à la surface une arête saillante.

Le pied est bulbeux et paré de feuilles triangulaires. La gorge est entourée de trois ou de cinq anneaux. Une moulure, composée de trois bandes verticales accolées, descend du dernier de ces anneaux dans l’intervalle de deux tiges ; c’est comme une frange qui garnit le haut de la colonne. Une surface aussi accidentée ne prêtait guère à la décoration hiéroglyphique ; aussi en arriva-t-on progressivement à supprimer toutes les saillies et à lisser le pourtour du fût. Dans la salle hypostyle de Gournah, il est divisé en trois segments : celui du milieu est uni et chargé de sculptures, celui du haut et celui du bas sont encore fasciculés. Au temple de Khonsou, dans les bas côtés de la salle hypostyle de Karnak, sous le portique de Médinét-Habou, le fût est entièrement lisse ; seulement la frange subsiste sous les anneaux, et une arête légère ménagée de trois en trois bandes rappelle l’existence des tiges.

Le chapiteau se dégrade de la même manière. À Beni-Hassan, il est fasciculé nettement dans toute sa hauteur. Au promenoir de Thoutmos III, à Louxor, à Médamout, un cercle de petites feuilles pointues et de cannelures règne autour de la base et amoindrit l’effet : ce n’est plus guère qu’un cône tronqué et côtelé. Dans la salle hypostyle de Karnak, à Abydos, au Ramesséum, à Médinét-Habou, des ornements de nature diverse, feuilles triangulaires, légendes hiéroglyphiques, bandes de cartouches flanqués d’uraeus, remplacent les côtes et se partagent l’espace conquis. L’abaque ne se dissimule pas comme dans la colonne campaniforme : il déborde hardiment et reçoit la légende du roi fondateur.

3° La colonne hathorique. – On en a des exemples aux temps anciens, dans le temple de Déir-el-Baharî ; mais c’est par les monuments d’époque ptolémaïque, par Contra-Latopolis, par Philae, par Dendérah surtout, qu’on la connaît le mieux. Le fût et la base ne présentent aucun caractère spécial : c’est le fût et la base de la colonne campaniforme. Le chapiteau a deux étages. Au plus bas, un bloc carré, sur chaque face duquel une tête de femme, à oreilles pointues de génisse, se détache, en haut relief ; la coiffure, maintenue sur le front par trois bandelettes verticales, passe derrière les oreilles et tombe le long du cou. Chaque tête porte une corniche cannelée, sur laquelle s’élève un naos encadré entre deux volutes ; un mince dé carré couronne le tout.

La colonne a donc pour chapiteau quatre têtes d’Hathor. Aperçue de loin, elle rappelle immédiatement à l’esprit un des sistres que les bas-reliefs nous montrent entre les mains des reines et des déesses. C’est un sistre en effet, mais où les proportions normales des diverses parties ne sont pas observées : le manche est gigantesque, tandis que la moitié supérieure de l’instrument est réduite outre mesure. Ce motif plut tellement qu’on n’hésita pas à le combiner avec des éléments empruntés à d’autres ordres. Les quatre têtes d’Hathor, mises par-dessus un chapiteau campaniforme, fournirent le type composite que Nectanébo employa au pavillon de Philae.

Je ne saurais dire que le mélange soit très satisfaisant : vue en place, la colonne est moins disgracieuse qu’on ne serait tenté de le croire d’après les gravures. Les supports ne sont pas soumis à des règles fixes de proportions et d’agencement. L’architecte pouvait attribuer, si cela lui plaisait, une hauteur égale à des supports de diamètre très différent, et en dessiner chacun des éléments à l’échelle qui lui convenait le mieux, sans autre souci que d’une certaine harmonie générale : les dimensions du chapiteau n’étaient pas en rapport immuable avec celles du fût, et la hauteur du fût ne dépendait nullement du diamètre de la colonne. À Karnak, les colonnes campaniformes de la salle hypostyle ont 3 mètres de haut pour le chapiteau, un peu moins de 17 pour le fût, 3 m 57 de diamètre inférieur ; à Louxor, 3 m 50 pour le chapiteau, 15 pour le fût, 3 m 45 au bulbe ; au Ramesséum, 11 mètres pour le chapiteau et pour le fût et 2 mètres au bulbe. L’étude des colonnes lotiformes nous amène à des résultats semblables. À Karnak, sur les bas côtés de la salle hypostyle, elles ont 3 mètres de haut pour le chapiteau, 10 pour le fût, 2 m 08 de diamètre sur le socle ; au Ramesséum,1m,70 pour le chapiteau, 7m,50 pour le fût, 1m,78 de diamètre sur le socle.

Même irrégularité dans la disposition des architraves : rien n’en détermine l’élévation que le caprice du maître ou les nécessités de la construction. Même irrégularité dans les entre-colonnements : non seulement la largeur en diffère beaucoup de temple à temple et de chambre à chambre, mais parfois, comme dans la première cour de Médinét-Habou, ils sont inégaux pour un même portique. Voilà pour les types employés séparément. Quand on les associait dans un seul édifice, on ne s’astreignait pas à leur donner des proportions fixes par rapport l’un à l’autre. Dans la salle hypostyle de Karnak les colonnes à campanes soutiennent la travée la plus haute, et les colonnes en bouton de lotus sont reléguées aux bas côtés.

Il y a des salles du temple de Khonsou, où c’est la colonne lotiforme qui est la plus élevée, d’autres où c’est la colonne campaniforme. À Médamout, lotiformes et campaniformes ont partout la même hauteur dans ce qui subsiste de l’édifice. L’Égypte n’a jamais eu d’ordres définis comme en a possédé la Grèce. Elle a essayé toutes les combinaisons auxquelles se prêtaient les éléments de la colonne, sans jamais en chiffrer aucune avec assez de précision pour qu’étant donné un des membres, on puisse en déduire, même approximativement, les dimensions de tous les autres.

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