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Gaston Maspero
L’ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE
Chapitre II. L’architecture religieuse
2. Le temple

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La plupart des sanctuaires célèbres, Dendérah, Edfou, Abydos, avaient été fondés avant Minì par les serviteurs d’Hor ; mais, vieillis ou ruinés au cours des âges, ils avaient été restaurés, remaniés, reconstruits l’un après l’autre sur des devis nouveaux. Nul débris ne nous est resté de l’appareil primitif pour nous montrer ce que l’architecture égyptienne était à ses commencements. Les temples funéraires bâtis par les rois de la IVe dynastie ont laissé plus de traces. Celui de la seconde pyramide, à Gizéh, était assez bien conservé encore dans les premières années du XVIIIe siècle, pour que de Maillet y ait vu quatre gros piliers debout. La destruction est à peu près complète aujourd’hui ; mais cette perte a été compensée, vers 1853, par la découverte d’un temple situé à quarante mètres environ au sud du Sphinx.

La façade ne paraît pas, cachée qu’elle est sous le sable ; l’extérieur seul a été déblayé en partie. Le noyau de la maçonnerie est en calcaire fin de Tourah. Le revêtement, les piliers, les architraves, la couverture, étaient en blocs d’albâtre ou de granit gigantesques. Le plan est des plus simples. Au centre (À), une grande salle en forme de T, ornée de seize piliers carrés, hauts de cinq mètres ; à l’angle nord-ouest, un couloir étroit, en plan incliné (B) par lequel on pénètre aujourd’hui dans l’édifice ; à l’angle sud-ouest, un retrait qui contient six niches superposées deux à deux (C). Une galerie oblongue (D), ouverte à chaque extrémité sur un cabinet rectangulaire enseveli sous les décombres (E, E), complète cet ensemble. Point de porte monumentale, point de fenêtre, et le corridor d’entrée était trop long pour amener la lumière ; elle ne pénétrait que par des fentes obliques ménagées dans la couverture, et dont les traces sont visibles encore à la crête des murs (e, e), de chaque côté de la pièce principale. Inscriptions, bas-reliefs, peintures, ce qu’on est habitué à rencontrer partout en Égypte manque là, et pourtant ces murailles nues produisent sur le spectateur un effet aussi puissant que les temples les mieux décorés de Thèbes. L’architecte est arrivé à la grandeur et presque au sublime rien qu’avec des blocs de granit et d’albâtre ajustés, par la pureté des lignes et par l’exactitude des proportions.

Quelques ruines éparses en Nubie, au Fayoum, au Sinaï, ne nous permettent pas de décider si les temples de la XIIe dynastie méritaient les éloges que leur prodiguent les inscriptions contemporaines. Ceux des rois thébains, des Ptolémées, des Césars, subsistent encore, plusieurs intacts, presque tous faciles à rétablir, le jour où on les aura étudiés consciencieusement sur le terrain. Rien de plus varié, au premier abord, que les dispositions qu’ils présentent : quand on les regarde de près, ils se ramènent aisément au même type. D’abord, le sanctuaire. C’est une pièce rectangulaire, petite, basse, obscure, inaccessible à d’autres qu’aux Pharaons ou aux prêtres de service. On n’y trouvait ni statue ni emblème établis à demeure ; mais une barque sainte ou un tabernacle en bois peint posé sur un piédestal, une niche réservée dans l’épaisseur du mur ou dans un bloc de pierre isolé, recevaient à certains jours la figure ou le symbole inanimé du dieu, un animal vivant ou l’image de l’animal qui lui était consacré. Un temple pouvait ne renfermer que cette seule pièce et n’en être pas moins un temple, au même titre que les édifices les plus compliqués ; cependant il était rare, au moins dans les grandes villes, qu’on se contentât d’attribuer aux dieux ce strict nécessaire. Des chambres destinées au matériel de l’offrande ou du sacrifice, aux fleurs, aux parfums, aux étoffes, aux vases précieux, se groupaient autour de la maison divine ; puis on bâtissait, en avant du massif compact qu’elles formaient, une ou plusieurs salles à colonnes où les prêtres et les dévots s’assemblaient, une cour entourée de portiques, où la foule pénétrait en tout temps, une porte flanquée de deux tours et précédée de statues ou d’obélisques, une enceinte de briques, une avenue bordée de sphinx, où les processions manœuvraient à l’aise les jours de fête. Rien n’empêchait un Pharaon d’élever une salle plus somptueuse en avant de celles que ses prédécesseurs avaient édifiées, et ce qu’il faisait là, d’autres pouvaient le faire après lui. Des zones successives de chambres et de cours, de pylônes et de portiques, s’ajoutaient de règne en règne au noyau primitif. La vanité ou la piété aidant, le temple se développait en tous sens, jusqu’à ce que l’espace ou la richesse manquât pour l’agrandir encore.

Les temples les plus simples étaient parfois les plus élégants. C’était le cas pour ceux qu’Amenhotpou III consacra dans l’île d’Éléphantine, que les membres de l’expédition française dessinèrent à la fin du siècle dernier, et que le gouverneur turc d’Assouân détruisit en 1822. Le mieux conservé, celui du sud, n’avait qu’une seule chambre en grès, haute de 4m,25, large de 9m,50, longue de 12 mètres.

Les murs, droits et couronnés de la corniche ordinaire, reposaient sur un soubassement creux en maçonnerie, élevé de 2m,25 au-dessus du sol, et entouré d’un parapet à hauteur d’appui. Un portique régnait tout autour. Il était composé, sur chacun des côtés, de sept piliers carrés, sans chapiteau ni base, sur chacune des façades, de deux colonnes à chapiteau lotiforme. Piliers et colonnes s’appuyaient directement sur le parapet, sauf à l’est, où un perron de dix ou douze marches, resserré entre deux murs de même hauteur que le soubassement, donnait accès à la cella. Les deux colonnes qui encadraient le haut de l’escalier étaient plus espacées que celles de la face opposée, et la large baie qu’elles formaient laissait apercevoir une porte richement décorée. Une seconde porte ouvrait à l’autre extrémité, sous le portique. Plus tard, à l’époque romaine, on tira parti de cette ordonnance pour modifier l’aspect du monument. On remplit les entre-colonnements du fond et on obtint une salle nouvelle, grossière et sans ornements, mais suffisante aux besoins du culte. Les temples d’Éléphantine rappellent assez exactement le temple périptère des Grecs, et cette ressemblance avec une des formes de l’architecture classique à laquelle nous sommes le plus habitués, explique peut-être l’admiration sans bornes que les savants français ressentirent à les voir. Ceux de Méshéïkh, d’El-Kab, de Sharonnah, présentaient une disposition plus compliquée. Il y a trois pièces à El-Kab, une salle à quatre colonnes (À), une chambre (B), soutenue par quatre piliers hathoriques, et dans la muraille du fond, en face de la porte, une niche (C) à laquelle on montait par quatre marches.

Le modèle le plus complet qui nous soit parvenu de ces oratoires de petite ville appartient à l’époque ptolémaïque : c’est le temple d’Hathor, à Déir-el-Médinét.

Il est deux fois plus long qu’il n’est large. Les faces en sont inclinées et nues à l’extérieur, la porte exceptée, dont le cadre en saillie est chargé de tableaux finement sculptés. L’intérieur est divisé en trois parties : un portique (B) de deux colonnes campaniformes, un pronaos (C), auquel on arrive par un escalier de quatre marches, et qui est séparé du portique par un mur à hauteur d’homme, tracé entre deux colonnes campaniformes et deux piliers d’antes à chapiteaux hathoriques ; enfin, le sanctuaire (D), flanqué de deux cellules (E, E) éclairées par des lucarnes carrées, pratiquées dans le toit. On monte à la terrasse par un escalier (F) fort ingénieusement relégué dans l’angle sud du portique, et muni d’une jolie fenêtre à claire-voie. Ce n’est qu’un temple en miniature, mais les membres en sont si bien proportionnés dans leur petitesse qu’on ne saurait rien concevoir de plus fin et de plus gracieux.

On n’est point tenté d’en dire autant du temple que les Pharaons de la XXe dynastie construisirent au sud de Karnak, en l’honneur du dieu Khonsou ; mais si le style n’en est pas irréprochable, le plan en est si clair qu’on est porté à le prendre pour type du temple égyptien, de préférence à d’autres monuments plus élégants ou plus majestueux.

Il se résout, à l’analyse, en deux parties séparées par un mur épais (À, À). Au centre de la plus petite, le Saint des Saints (B), ouvert aux deux extrémités et entièrement isolé du reste de l’édifice par un couloir (C) large de 3 mètres ; à droite et à gauche, des cabinets obscurs (D, D) ; par derrière, une halle à quatre colonnes (E), où débouchent sept autres pièces (F, F). C’était la maison du dieu. Elle ne communiquait avec le dehors que par deux portes (G, G), percées dans le mur méridional (À, À), et qui donnaient sur une salle hypostyle (H) plus large que longue, divisée en trois nefs. La nef centrale repose sur quatre colonnes campaniformes de 7 mètres de haut ; les latérales ne renferment chacune que deux colonnes lotiformes de 5m,50 ; le plafond de la travée médiale est donc plus élevé de 1m,50 que celui des bas côtés. On en profita pour régler l’éclairage : l’intervalle entre la terrasse inférieure et la supérieure fut garni de claires-voies en pierre qui laissaient filtrer la lumière. La cour (I) était carrée, bordée d’un portique à deux rangs de colonnes. On y avait accès par quatre poternes latérales (J, J) et par un portail monumental, pris entre deux tours quadrangulaires à pans inclinés. Ce pylône (K) mesure 32 mètres de long, 10 de large, 18 de haut. Il ne contient aucune chambre, mais un escalier étroit, qui monte droit au couronnement de la porte, et de là, au sommet des tours. Quatre longues cavités prismatiques rayent la façade jusqu’au tiers de la hauteur, correspondant à autant de trous carrés qui traversent l’épaisseur de la construction. On y plantait de grands mâts en bois, formés de poutres entrées l’une sur l’autre, consolidées d’espace en espace par des espèces d’agrafes et saisies par des charpentes engagées dans les trous carrés : de longues banderoles de diverses couleurs flottaient au sommet.

Tel était le temple de Khonsou ; telles sont, dans leurs lignes principales, la plupart des grands monuments d’époque thébaine ou ptolémaïque, Louxor, le Ramesséum, Médinét-Habou, Philae, Edfou, Dendérah.

Même ruinés à demi, l’aspect en a quelque chose d’étouffé et d’inquiétant. Comme les dieux égyptiens aimaient à s’envelopper de mystère, le plan est conçu de manière à ménager insensiblement la transition entre le plein soleil du monde extérieur et l’obscurité de leur retraite. À l’entrée, ce sont encore de vastes espaces où l’air et la lumière descendent librement. La salle hypostyle est déjà noyée dans un demi-jour discret, le sanctuaire est plus qu’à moitié perdu sous un vague crépuscule, et au fond, dans les dernières salles, la nuit règne presque complète. L’effet de lointain que produit à l’œil cette dégradation successive de la lumière était augmenté par divers artifices de construction. Toutes les parties ne sont pas de plain-pied. Le sol se relève à mesure qu’on s’éloigne de l’entrée, et il faut toujours enjamber quelques marches pour passer d’un plan à l’autre.

La différence de niveau ne dépasse pas 1m,60 au temple de Khonsou, mais elle se combine avec un mouvement de descente de la toiture, qui est d’ordinaire accentué vigoureusement. Du pylône au mur de fond, la hauteur décroît progressivement : le péristyle est plus élevé que l’hypostyle, celui-ci domine le sanctuaire, la salle à colonnes et la dernière chambre sont de moins en moins hautes. Les architectes de l’époque ptolémaïque ont changé certains détails d’arrangement. Ils ont creusé dans les murs des couloirs secrets et des cryptes où cacher les trésors du Dieu.

Ils ont placé des chapelles et des reposoirs sur les terrasses. Ils n’ont introduit au plan primitif que deux modifications importantes. Le sanctuaire avait jadis deux portes opposées, ils ne lui en ont laissé qu’une. La colonnade qui garnissait le fond de la cour ou la façade du temple, quand la cour n’existait pas, est devenue une chambre nouvelle, le pronaos. Les colonnes de la rangée extérieure subsistent, mais reliées, jusqu’à mi-hauteur environ, par un mur couronné d’une corniche, qui forme écran et empêchait la foule d’apercevoir ce qui se passait au delà.

La salle est soutenue par deux, trois ou même quatre rangs de colonnes, selon la grandeur de l’édifice qui s’étend derrière elle. Pour le reste, comparez le plan du temple d’Edfou à celui du temple de Khonsou, et vous verrez combien peu ils diffèrent l’un de l’autre.

Ainsi conçu, l’édifice suffisait à tous les besoins du culte. Lorsqu’on voulait l’accroître, on ne s’attaquait pas d’ordinaire au sanctuaire ni aux chambres qui l’entouraient, mais bien aux parties d’apparat, hypostyles, cours ou pylônes. Rien n’est plus propre que l’histoire du grand temple de Karnak à illustrer le procédé des Égyptiens en pareille circonstance. Osirtasen Ier l’avait fondé, probablement sur le site d’un temple plus ancien.

C’était un édifice de petites dimensions, construit en calcaire et en grès avec portes en granit : des piliers à seize pans unis en décoraient l’intérieur. Amenemhat II et III y travaillèrent, les princes de la XIIIe et de la XIVe dynastie y consacrèrent des statues et des tables d’offrandes ; il était encore intact au XVIIIe siècle avant notre ère, lorsque Thoutmos Ier, enrichi par la guerre, résolut de l’agrandir. Il éleva en avant de ce qui existait déjà deux chambres, précédées d’une cour et flanquées de chapelles isolées, puis trois pylônes échelonnés l’un derrière l’autre. Le tout présentait l’aspect d’un vaste rectangle posé debout sur un autre rectangle allongé en travers. Thoutmos II et Hatshopsitou couvrirent de bas-reliefs les murs que leur père avait bâtis, mais n’ajoutèrent rien ; seulement, la régente, pour amener ses obélisques entre deux des pylônes, pratiqua une brèche dans le mur méridional et abattit seize des colonnes qui se trouvaient en cet endroit. Thoutmos III reprit d’abord certaines parties qui lui paraissaient sans doute indignes de son dieu, le double sanctuaire qu’il relit en granit de Syène, le premier pylône. Il réédifia, à l’est, d’anciennes chambres, dont la plus importante, celle qui porte le nom de Promenoir, servait de station et de reposoir lors des processions, enveloppa l’ensemble d’un mur de pierre, creusa le lac sur lequel on lançait les barques sacrées les jours de fête ; puis, changeant brusquement de direction, il érigea deux pylônes tournés vers le sud. Il rompit de la sorte la juste proportion qui avait existé jusqu’alors entre le corps et la façade : l’enceinte extérieure devint trop large pour les premiers pylônes et ne se raccorda plus exactement au dernier. Amenhotpou III corrigea ce défaut : il éleva un sixième pylône plus massif, partant, plus propre à servir de façade. Le temple en fût resté là, qu’il surpassait déjà tout ce qu’on avait entrepris jusqu’alors de plus audacieux ; les Pharaons de la XIXe dynastie réussirent à faire mieux encore.

Ils ne construisirent qu’une salle hypostyle et qu’un pylône, mais l’hypostyle a 50 mètres de long sur 100 de large.

Au milieu, une avenue de douze colonnes à chapiteau campaniforme, les plus hautes qu’on ait jamais employées à l’intérieur d’un édifice ; dans les bas côtés, 122 colonnes à chapiteau lotiforme, rangées en quinconce sur neuf files. Le plafond de la travée centrale était à 23 mètres au-dessus du sol, et le pylône le dominait d’environ 15 mètres. Trois rois peinèrent pendant un siècle avant d’amener l’hypostyle à perfection. Ramsès Ier conçut l’idée, Séti Ier termina le gros œuvre, Ramsès II acheva presque entièrement la décoration. Les Pharaons des dynasties suivantes se disputèrent quelques places vides le long des colonnes, pour y graver leur nom et participer à la gloire des trois fondateurs, mais ils n’allèrent pas plus loin. Pourtant le monument, arrêté à ce point, demeurait incomplet : il lui manquait un dernier pylône et une cour à portiques. Près de trois siècles s’écoulèrent avant qu’on songeât à reprendre les travaux. Enfin, les Bubastites se décidèrent à commencer les portiques, mais faiblement, comme il convenait à leurs faibles ressources. Un moment, l’Éthiopien Taharqou imagina qu’il était de taille à rivaliser avec les Pharaons thébains et devisa une salle hypostyle plus large que l’ancienne, mais ses mesures étaient mal prises. Les colonnes de la travée centrale, les seules qu’il eut le temps d’ériger, étaient trop éloignées pour qu’on pût y établir la couverture : elles ne portèrent jamais rien et ne subsistèrent que pour marquer son impuissance. Enfin les Ptolémées, se conformant à la tradition des rois indigènes, se mirent à l’ouvrage ; mais les révoltes de Thèbes interrompirent leurs projets, le tremblement de terre de l’an 27 détruisit une partie du temple, et le pylône resta à jamais inachevé. L’histoire de Karnak est celle de tous les grands temples égyptiens. À l’étudier de près, on comprend la raison des irrégularités qu’ils présentent pour la plupart. Le plan est partout sensiblement le même, et la croissance se produit de la même manière, mais les architectes ne prévoyaient pas toujours l’importance que leur œuvre acquerrait, et le terrain qu’ils lui avaient choisi ne se prêtait pas jusqu’au bout au développement normal. À Louxor, le progrès marcha méthodiquement sous Amenhotpou III et sous Séti Ier ; mais, quand Ramsès II voulut ajouter à ce qu’avaient fait ses prédécesseurs, un coude secondaire de la rivière l’obligea à se rejeter vers l’est.

Son pylône n’est point parallèle à celui d’Amenhotpou III, et ses portiques forment un angle marqué avec l’axe général des constructions antérieures. À Philae, la déviation est plus forte encore.

Non seulement le pylône le plus grand n’est pas dans l’alignement du plus petit, mais les deux colonnades ne sont point parallèles entre elles et ne se raccordent pas naturellement au pylône. Ce n’est point là, comme on l’a dit souvent, négligence ou parti pris. Le plan premier était aussi juste que peut l’exiger le dessinateur le plus entiché de symétrie ; mais il fallait le plier aux exigences du site, et les architectes n’eurent plus souci dès lors que de tirer le meilleur parti des irrégularités auxquelles la configuration du sol les condamnait. Cette contrainte les a souvent inspirés : Philae nous montre jusqu’à quel point ils savaient faire de ce désordre obligé un élément de grâce et de pittoresque. L’idée du temple-caverne dut venir de bonne heure aux Égyptiens ; ils taillaient la maison des morts dans la montagne, pourquoi n’y auraient-ils pas taillé la maison des dieux ? Pourtant, les spéos les plus anciens que nous possédions ne remontent qu’aux premiers règnes de la XVIIIe dynastie. On les rencontre de préférence dans les endroits où la bande de terre cultivable était le moins large, près de Beni-Hassan, au Gebel Silsiléh, en Nubie. Toutes les variantes du temple isolé se retrouvent dans le souterrain, plus ou moins modifiées par la nature du milieu. Le Spéos Artémidos s’annonce par un portique à piliers, mais ne renferme qu’un naos carré avec une niche de fond pour la statue de la déesse Pakhit. Kalaat-Addah présente au fleuve une façade (À) plane, étroite, où l’on accède par un escalier assez raide ; vient ensuite une salle hypostyle flanquée de deux réduits (C), puis un sanctuaire à deux étages superposés (D).

La chapelle d’Harmhabi, au Gebel Silsiléh, se compose d’une galerie parallèle au Nil, étayée de quatre piliers massifs réservés dans la roche vive, et sur laquelle la chambre débouche à angle droit.

À Ibsamboul, les deux temples sont entièrement dans la falaise. La face du plus grand simule un pylône en talus, couronné d’une corniche, et gardé, selon l’usage, par quatre colosses assis, accompagnés de statues plus petites ; seulement les colosses ont ici près de 20 mètres.

Au delà de la porte s’étend une salle de 40 mètres de long sur 18 de large, qui tient lieu du péristyle ordinaire. Huit Osiris, le dos à autant de piliers, semblent porter la montagne sur leur tête. Au delà, un hypostyle, une galerie transversale qui isole le sanctuaire, enfin le sanctuaire lui-même entre deux pièces plus petites. Huit cryptes, établies à un niveau plus bas que celui de l’excavation principale, se répartissent inégalement à droite et à gauche du péristyle. Le souterrain entier mesure 55 mètres du seuil au fond du sanctuaire. Le petit spéos d’Hathor, situé à quelque cent pas vers le nord, n’offre pas des dimensions aussi considérables ; mais la façade est ornée de colosses debout, dont quatre représentent Ramsès, et deux sa femme Nofritari. Le péristyle manque ainsi que les cryptes, et les chapelles sont placées aux deux extrémités du couloir transversal, au lieu d’être parallèles au sanctuaire ; en revanche, l’hypostyle a six piliers avec tête d’Hathor.

Où l’espace le permettait, on n’a fait entrer qu’une partie du temple dans le rocher ; les avancées ont été construites en plein air, de blocs rapportés, et le spéos devient une moitié de caverne, un hémi-spéos. Le péristyle seul à Derr, le pylône et la cour à Beit-el-Oualli, le pylône, la cour rectangulaire, l’hypostyle à Gerf Hosseïn et à Ouady-es-Seboua, sont au dehors de la montagne. Le plus célèbre et le plus original des hémi-spéos est à Déir-el-Bahari, dans la nécropole thébaine, et fut bâti par la reine Hatshopsitou.

Le sanctuaire et les deux chapelles qui l’accompagnent, selon la coutume, étaient creusés à 30 mètres environ au-dessus du niveau de la vallée. Pour y atteindre, on traça des rampes et on étagea des terrasses, dont l’insuffisance des fouilles entreprises jusqu’à présent ne permet pas de saisir l’agencement.

Les Égyptiens avaient encore quelque chose d’intermédiaire, le temple adossé à la montagne, mais qui n’y pénètre point. Le temple du Sphinx à Gizéh, celui de Séti Ier à Abydos sont deux bons exemples du genre. J’ai déjà parlé du premier ; l’aire du second a été découpée dans une bande de sable étroite et basse qui sépare la plaine du désert.

Il était enterré jusqu’au toit, la crête des murs sortait à peine du sol, et l’escalier qui montait aux terrasses conduisait également au sommet de la colline. L’avant-corps, qui se détachait en plein relief, n’annonçait rien d’extraordinaire : deux pylônes, deux cours, un portique droit à piliers carrés, les bizarreries ne commençaient qu’au delà. C’étaient d’abord deux hypostyles au lieu d’un seul. Ils sont séparés par un mur percé de sept portes, n’ont point de nef centrale, et le sanctuaire donne directement sur le second. C’est, comme d’ordinaire, une chambre oblongue percée aux deux extrémités ; mais les pièces qui, ailleurs, l’enveloppaient sans le toucher, sont ici placées côte à côte sur une même ligne, deux à droite, quatre à gauche ; de plus, elles sont surmontées de voûtes en encorbellement et ne reçoivent de jour que par la porte. Derrière le sanctuaire, même changement ; la salle hypostyle s’appuie au mur du fond, et ses dépendances sont distribuées inégalement à droite et à gauche. Et, comme si ce n’était pas assez, on a construit, sur le flanc gauche, une cour, des chambres à colonnes, des couloirs, des réduits obscurs, une aile entière, qui se détache en équerre du bâtiment principal et n’a pas de contrepoids sur la droite. L’examen des lieux explique ces irrégularités. La colline n’est pas large en cet endroit, et le petit hypostyle en touche presque le revers. Si on avait suivi le plan normal sans rien y changer, on l’aurait percée de part en part, et le temple n’aurait plus eu ce caractère de temple adossé, que le fondateur avait voulu lui donner. L’architecte répartit donc en largeur les membres qu’on disposait d’ordinaire en longueur, et même en rejeta une partie sur le côté. Quelques années plus tard, quand Ramsès II éleva, à une centaine de mètres vers le nord-ouest, un monument consacré à sa propre mémoire, il se garda bien d’agir comme son père. Son temple, assis au sommet de la colline, eut l’espace nécessaire à s’étendre librement, et le plan ordinaire s’y déploie dans toute sa rigueur.

L'archéologie égyptienne

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