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IV

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Ce n'était pas la première fois qu'on me parlait ce langage dans la famille Bédarrides, et déjà bien souvent on avait de différentes manières abordé avec moi ce sujet du mariage.

—Il faut que nous mariions M. de Saint-Nérée, disait madame Bédarrides mère chaque fois que je la voyais. Qu'est-ce que nous lui proposerions bien?

Et l'on cherchait parmi les jeunes filles qui étaient à marier. Je me défendais tant que je pouvais, en déclarant que je ne me sentais aucune disposition pour le mariage, mais cela n'arrêtait pas les projets qui continuaient leur course fantaisiste.

Les gens qui cherchent à vous convertir à leur foi religieuse ou à leurs idées politiques deviennent heureusement de plus en plus rares chaque jour, mais ceux qui veulent vous convertir à la pratique du mariage sont toujours nombreux et empressés.

Le plus souvent, ils vivent dans leur intérieur comme chien et chat; peu importe: ils vous vantent sérieusement les douceurs et les joies du mariage. Ils vous connaissent à peine, pourtant ils veulent vous marier, et il faudrait que vous eussiez vraiment bien mauvais caractère pour refuser celle à laquelle ils ont eu la complaisance de penser pour vous. C'est pour votre bonheur; acceptez les yeux fermés, quand ce ne serait que pour leur faire plaisir.

On rit des annonces de celui qui a fait sanctionner le courtage matrimonial et qui en a été «l'initiateur et le propagateur;» le monde cependant est plein de courtiers de ce genre qui font ce métier pour rien, pour le plaisir. Ayez mal à une dent, tous ceux que vous rencontrerez vous proposeront un remède excellent; soyez garçon, tous ceux qui vous connaissent vous proposeront une femme parfaite.

Ce fut là à peu près la réponse que je fis à Marius Bédarrides, au moins pour le fond; car pour la forme, je tâchai de l'adoucir et de la rendre à peu près polie. Les intentions de ce brave garçon étaient excellentes, et ce n'était pas sa faute si la manie matrimoniale était chez lui héréditaire.

—Je dois avouer, me dit-il d'un air légèrement dépité, que je ne sais comment concilier la répulsion que vous témoignez pour le mariage avec l'enthousiasme que vous ressentez pour mademoiselle Martory, car enfin vous ne comptez pas, n'est-ce pas, faire de cette jeune fille votre....

—Ne prononcez pas le mot qui est sur vos lèvres, je vous prie; il me blesserait. J'ai vu chez vous une jeune fille qui m'a paru admirable; j'ai désiré savoir qui elle était; voilà tout. Je n'ai pas été plus loin que ce simple désir, qui est bien innocent et en tous cas bien naturel. Mon enthousiasme est celui d'un artiste qui voit une oeuvre splendide et qui s'inquiète de son origine.

—Parfaitement. Mais enfin il n'en est pas moins vrai que la rencontre de mademoiselle Martory peut être pour vous la source de grands tourments.

—Et comment cela, je vous prie?

—Mais parce que si vous l'aimez, vous vous trouvez dans une situation sans issue.

—Je n'aime pas mademoiselle Martory!

—Aujourd'hui; mais demain? Si vous l'aimez demain, que ferez-vous? D'un côté, vous avez horreur du mariage; d'un autre, vous n'admettez pas la réalisation de la chose à laquelle vous n'avez pas voulu que je donne de nom tout à l'heure. C'est là une situation qui me paraît délicate. Vous aimez, vous n'épousez pas, et vous ne vous faites pas aimer. Alors, que devenez-vous? un amant platonique. A la longue, cet état doit être fatigant. Voilà pourquoi je vous répète: ne pensez pas à mademoiselle Martory.

—Je vous remercie du conseil, mais je vous engage à être sans inquiétude sur mon avenir. Il est vrai que j'ai peu de dispositions pour le mariage; cependant, si j'aimais mademoiselle Clotilde, il ne serait pas impossible que ces dispositions prissent naissance en moi.

—Faites-les naître tout de suite, alors, et écoutez mes propositions qui sont sérieuses, je vous en donne ma parole, et inspirées par une vive estime, une sincère amitié pour vous.

—Encore une fois merci, mais je ne puis accepter. Qu'on se marie parce qu'un amour tout-puissant a surgi dans votre coeur, cela je le comprends, c'est une fatalité qu'on subit; on épouse parce que l'on aime et que c'est le seul moyen d'obtenir celle qui tient votre vie entre ses mains. Mais qu'on se décide et qu'on s'engage à se marier, en se disant que l'amour viendra plus tard, cela je ne le comprends pas. On aime, on appartient à celle que l'on aime; on n'aime pas, on s'appartient. C'est là mon cas et je ne veux pas aliéner ma liberté; si je le fais un jour, c'est qu'il me sera impossible de m'échapper. En un mot, montrez-moi celle que vous avez la bonté de me destiner, que j'en devienne amoureux à en perdre la raison et je me marie; jusque-là ne me parlez jamais mariage, c'est exactement comme si vous me disiez: «Frère, il faut mourir.» Je le sais bien qu'il faut mourir, mais je n'aime pas à me l'entendre dire et encore moins à le croire.

L'entretien en resta là, et Marius Bédarrides s'en alla en secouent la tête.

—Je ne sais pas si vous devez mourir, dit-il en me serrant la main, mais je crois que vous commencez à être malade; si vous le permettez, je viendrai prendre de vos nouvelles.

—Ne vous dérangez pas trop souvent, cher ami, la maladie n'est pas dangereuse.

Nous nous séparâmes en riant, mais pour moi, je riais des lèvres seulement, car, dans ce que je venais d'entendre, il y avait un fond de vérité que je ne pouvais pas me cacher à moi-même, et qui n'était rien moins que rassurant. Oui, ce serait folie d'aimer Clotilde et, comme le disait Marius Bédarrides, ce serait s'engager dans une impasse. Où pouvait me conduire cet amour?

Pendant toute la nuit, j'examinai cette question, et, chaque fois que j'arrivai à une conclusion, ce fut toujours à la même: je ne devais plus penser à cette jeune fille, je n'y penserais plus. Après tout, cela ne devait être ni difficile ni pénible, puisque je la connaissais à peine; il n'y avait pas entre nous de liens solidement noués et je n'avais assurément qu'à vouloir ne plus penser à elle pour l'oublier. Ce serait une étoile filante qui aurait passé devant mes yeux,—le souvenir d'un éblouissement.

Mais les résolutions du matin ne sont pas toujours déterminées par les raisonnements de la nuit. Aussitôt habillé, je me décidai à aller à la mairie, où je demandai M. Lieutaud. On me répondit qu'il n'arrivait pas de si bonne heure et qu'il était encore chez lui. C'était ce que j'avais prévu. Je me montrai pressé de le voir et je me fis donner son adresse; il demeurait à une lieue de la ville, sur la route de la Rose,—la bastide était facile à trouver, au coin d'un chemin conduisant à Saint-Joseph.

Vers deux heures, je montai à cheval et m'allai promener sur la route de la Rose. Qui sait? Je pourrais peut-être apercevoir Clotilde dans le jardin de son cousin. Je ne lui parlerais pas; je la verrais seulement; à la lumière du jour elle n'était peut-être pas d'une beauté aussi resplendissante qu'à la clarté des bougies; le teint mat ne gagne pas à être éclairé par le soleil; et puis n'étant plus en toilette de bal elle serait peut-être très-ordinaire. Ah! que le coeur est habile à se tromper lui-même et à se faire d'hypocrites concessions! Ce n'était pas pour trouver Clotilde moins séduisante, ce n'était pas pour l'aimer moins et découvrir en elle quelque chose qui refroidît mon amour, que je cherchais à la revoir.

Il faisait une de ces journées de chaleur étouffante qui sont assez ordinaires sur le littoral de la Provence; on rôtissait au soleil, et, si les arbres et les vignes n'avaient point été couverts d'une couche de poussière blanche, ils auraient montré un feuillage roussi comme après un incendie. Mais cette poussière les avait enfarinés, du même qu'elle avait blanchi les toits des maisons, les chaperons des murs, les appuis, les corniches des fenêtres, et partout, dans les champs brûlés, dans les villages desséchés, le long des collines avides et pierreuses, on ne voyait qu'une teinte blanche qui, réfléchissant les rayons flamboyants du soleil, éblouissait les yeux.

Un Parisien, si amoureux qu'il eût été, eût sans doute renoncé à cette promenade; mais il n'y avait pas là de quoi arrêter un Africain comme moi. Je mis mon cheval au trot, et je soulevai des tourbillons de poussière, qui allèrent épaissir un peu plus la couche que quatre mois de sécheresse avait amassée, jour par jour, minute par minute, continuellement.

Les passants étaient rares sur la route; cependant, ayant aperçu un gamin étalé tout de son long sur le ventre à l'ombre d'un mur, j'allai à lui pour lui demander où se trouvait la bastide de M. Lieutaud.

—C'est celle devant laquelle un fiacre est arrêté, dit-il sans se lever.

Devant une bastide aux volets verts, un cocher était en train de charger sur l'impériale de la voiture une caisse de voyage.

Qui donc partait?

Au moment où je me posais cette question, Clotilde parut sur le seuil du jardin. Elle était en toilette de ville et son chapeau était caché par un voile gris.

C'était elle qui retournait à Cassis; cela était certain.

Sans chercher à en savoir davantage, je tournai bride et revins grand train à Marseille. En arrivant aux allées de Meilhan, je demandai à un commissionnaire de m'indiquer le bureau des voitures de Cassis.

En moins de cinq minutes, je trouvai ce bureau: un facteur était assis sur un petit banc, je lui donnai mon cheval à tenir et j'entrai.

Ma voix tremblait quand je demandai si je pouvais avoir une place pour Cassis.

—Coupé ou banquette?

Je restai un moment hésitant.

—Si M. le capitaine veut fumer, il ferait peut-être bien de prendre une place de banquette; il y aura une demoiselle dans le coupé.

Je n'hésitai plus.

—Je ne fume pas en voiture; inscrivez-moi pour le coupé.

—A quatre heures précises; nous n'attendrons pas.

Il était trois heures; j'avais une heure devant moi.


Clotilde Martory

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