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Dans l'invitation du général Martory je n'avais vu tout d'abord qu'une heureuse occasion de passer une journée avec Clotilde, mais la réflexion ne tarda pas à me montrer qu'il y avait autre chose.

Clotilde et son père ne seraient pas seuls à ce dîner, il s'y trouverait aussi le commandant de Solignac qui introduirait entre nous un élément étranger,—la politique.

Faire de la politique avec le général, c'était bien ou plutôt cela était indifférent; en réalité, il s'agissait tout simplement de le laisser parler et d'écouter sa glorification de Napoléon. Il avait vu des choses curieuses; sa vie était un long récit; il y avait intérêt et souvent même profit à le laisser aller sans l'interrompre. Qu'importaient ses opinions et ses sentiments? c'était le représentant d'un autre âge. Je ne suis point de ceux qui, en présence d'une foi sincère, haussent les épaules parce que cette foi leur paraît ridicule, ou bien qui partent en guerre pour la combattre. Tant que nous resterions dans les limites de la théorie de l'impérialisme et dans le domaine de la dévotion à saint Napoléon, je n'avais qu'à ouvrir les oreilles et à fermer les lèvres.

Mais avec le commandant de Solignac, me serait-il possible de rester toujours sur ce terrain et de m'y enfermer?

Instinctivement et sans trop savoir pourquoi, ce commandant de Solignac m'inquiétait.

Quel était cet homme?

Un ami du président de la République, disait le général Martory, un confident de ses idées; un conspirateur de Strasbourg et de Boulogne, m'avait dit Marius Bédarrides.

Il n'y avait pas là de quoi me rassurer.

Le président de la République, je ne le connais pas, mais ce que je sais de lui n'est pas de nature à m'inspirer estime ou sympathie pour ses amis et confidents. J'ai peur d'un prince qui, par sa naissance comme par son éducation, n'a appris que le dédain de la moralité et le mépris de l'humanité, et quand je vois qu'un tel homme trouve des amis, j'ai peur de ses amis.

Si à ce titre d'ami de ce prince on joint celui de conspirateur de Strasbourg et de Boulogne, ma peur et ma défiance augmentent, car pour s'être lancé dans de pareilles entreprises, il me semble qu'il fallait être le plus étourdi ou le moins scrupuleux des aventuriers.

Revenu à Marseille je voulus avoir le coeur net de mon inquiétude et savoir un peu mieux ce qu'était ce commandant de Solignac. Mais comme il ne me convenait pas d'interroger ceux de mes camarades qui pouvaient le connaître, je m'en allai à la bibliothèque de la ville. Je trouverais là sans doute des livres et des documents qui m'apprendraient le rôle qu'avait joué le commandant dans les deux conspirations de Louis-Napoléon. En faisant une sorte d'enquête parmi mes amis j'avais des chances de tomber sur quelqu'un qui aurait eu autrefois des relations avec le commandant de Solignac ou l'aurait approché d'assez près pour me dire qui il était; mais ce moyen pouvait éveiller la curiosité, et une fois la curiosité excitée on pouvait apprendre ma visite à Cassis; et je ne le voulais pas, autant par respect pour Clotilde que par jalousie, je ne voulais pas qu'on pût soupçonner mon amour.

Quand je fis ma demande au bibliothécaire, que j'avais rencontré chez un ami commun et qui me connaissait, il me regarda en souriant.

—Vous aussi, dit-il, vous voulez étudier les conspirations de Louis-Napoléon?

—Cela vous étonne?

—Pas le moins du monde, car depuis deux ans plus de cent officiers sont venus m'adresser la même demande que vous. C'est une bonne fortune pour notre bibliothèque qui n'était point habituée à voir MM. les officiers fréquenter la salle de lecture. On prend ses précautions.

—Croyez-vous que je veuille apprendre l'art de conspirer?

—Nous ne nous inquiétons des intentions de nos lecteurs, dit-il en remontant ses lunettes par un geste moqueur, que lorsque nous avons affaire à un collégien qui nous demande la Captivité de Saint-Malo de Lafontaine pour avoir les Contes, ou bien un Diderot complet pour lire les Bijoux indiscrets et la Religieuse en place de l'Essai sur le Mérite et la Vertu. Mais avec un officier, nous ne sommes pas si simples.

—Pour moi, cher monsieur, vous ne l'êtes point encore assez et vous cherchez beaucoup trop loin les raisons d'une demande toute naturelle.

—Je ne cherche rien, mon cher capitaine, je constate que vous êtes le cent unième officier qui veut connaître l'histoire des conspirations de Louis-Napoléon, et je vous assure qu'il n'y a aucune mauvaise pensée sous mes paroles. Pendant dix ans, les documents qui traitent de ces conspirations n'ont point eu de lecteurs, maintenant ils sont à la mode; voilà tout.

Blessé de voir qu'on pouvait me soupçonner de chercher à apprendre comment une conspiration militaire réussit ou échoue, je me départis de ma réserve.

—Les circonstances politiques, dis-je avec une certaine raideur, ont fait rentrer dans l'armée des officiers qui ont pris part aux affaires de Strasbourg et de Boulogne; nous sommes tous exposés à avoir un de ces officiers pour chef ou pour camarade; nous voulons savoir quel rôle il a joué dans cette affaire; voilà ce qui explique notre curiosité.

—Je n'ai jamais prétendu autre chose, dit le bibliothécaire en me faisant apporter les livres qui pouvaient m'être utiles.

La lecture confirma l'opinion qui m'était restée de ces équipées: rien ne pouvait être plus follement, plus maladroitement combiné, et le rôle que le prince Louis-Napoléon avait joué dans les deux me parut tout à fait misérable, sans un seul de ces actes de courage téméraire, sans un seul de ces sentiments romanesques, de ces mots chevaleresques qu'on trouve si souvent dans la vie des aventuriers les plus vulgaires.

D'un bout à l'autre la lecture de ces pièces révèle la platitude la plus absolue chez le chef de ces entreprises. Napoléon revenant de l'île d'Elbe a marché en triomphe sur Paris; comme il se dit l'héritier de Napoléon, il doit marcher en triomphe de Strasbourg à Paris la première fois, de Boulogne à Paris la seconde; son oncle avait un petit chapeau, il aura un petit chapeau sur lequel il portera un morceau de viande pour qu'un aigle, dressé à venir prendre là sa nourriture, vole au-dessus de sa tête.

Si tout cela n'avait pas le caractère de l'authenticité, on ne voudrait pas le croire, et l'on dirait qu'on a affaire à un monomane, non à un prétendant; et c'est ce monomane qu'on a accepté pour Président de la République, et dont on voudrait aujourd'hui faire un empereur! Pourquoi le parti royaliste et le parti républicain ne répandent-ils pas ces deux procès dans toute la France? il n'y a qu'à faire connaître cet homme pour qu'il devienne un sujet de risée: si les paysans veulent un Napoléon, ils ne voudront pas un faux Napoléon; s'ils acceptent un aigle, ils se moqueront d'un perroquet.

Mais ce n'est pas du chef que j'ai souci, c'est du comparse; ce n'est pas du prince Louis, c'est du commandant de Solignac. Et si nous n'étions pas dans des circonstances politiques qui menacent de nous conduire à une révolution militaire, je n'aurais bien certainement point passé mon temps à étudier les antécédents judiciaires du futur empereur.

Quant à ceux du commandant de Solignac, pour être d'un autre genre que ceux de son chef de troupe, ils n'en sont pas moins curieux et intéressants. Malheureusement, ils ne sont pas aussi complets qu'on pourrait le désirer, car, dans ces deux conspirations, il paraît n'avoir occupé qu'un rang très-secondaire.

A l'audience, ses explications sont des plus simples: il a servi la cause du prince Louis-Napoléon parce qu'il croit que c'est celle de la France; pour lui, ses croyances, ses espérances se résument dans un nom: «l'Empereur,» et le prince Louis est l'héritier de l'empereur. Il a été entraîné par la reconnaissance du souvenir et par la fidélité des convictions; il le serait encore. Il ne se défend donc pas; il se contente de répondre; on peut faire de lui ce qu'on voudra: une condamnation sera la confirmation du devoir accompli.

Une pareille attitude avait quelque chose de grand; il me semble que c'eût été celle du général Martory, s'il avait pris part à ces complots. Par malheur pour le commandant de Solignac, il y a dans ses réponses des inconséquences, et quand on les rapproche de celles de ses coaccusés, on trouve des contradictions qui font douter de sa sincérité.

Au lieu d'avoir été un simple soldat de la conspiration, comme il veut le faire croire, il paraît avoir été un de ses chefs; au lieu d'avoir été entraîné, il semble qu'il a entraîné les autres; au lieu d'avoir obéi à la voix de la France, il pourrait bien n'avoir écouté que celle de son intérêt et de son ambition.

Mais ce sont plutôt là des insinuations résultant de l'ensemble des deux procès que des accusations nettement formulées, tant la conduite du commandant a toujours été habile et prudente: jamais il ne s'est avancé, jamais il ne s'est compromis au premier rang, et bien que l'on sente partout son action, nulle part on ne peut le saisir en flagrant délit: c'est un Bertrand malin qui se sert des pattes de Raton pour tirer du feu les marrons qu'il doit croquer.

Une seule chose plaide fortement contre lui, c'est l'état de ses affaires au moment où il se fait le complice de son prince. Elles étaient au plus bas, ces affaires, et telles qu'elles ne pouvaient être relevées que par un coup désespéré.

Né en 1790, M. de Solignac fait les dernières campagnes de l'empire; à Waterloo il est capitaine. Bien que d'origine noble et apparenté à de bonnes familles, il avance difficilement sous la Restauration; et, en 1832, commandant la première circonscription de remonte, il donne sa démission. Il y a de graves irrégularités dans sa caisse, et un grand nombre de paysans du Calvados se plaignent de ne pas avoir touché le prix des chevaux qu'ils ont vendus, ces prix ayant été encaissés par le commandant. Il prend alors du service dans l'armée belge, mais pour peu de temps, car bientôt encore il donne sa démission.

J'en étais là de mon étude quand je m'entendis appeler par mon nom.

C'était Vimard, le capitaine d'état-major que tu as dû connaître quand il était à Oran; il s'était assis en face de moi sans que je le visse entrer.

—On me dit que vous avez le volume de l'Histoire de dix ans où se trouve le procès de Strasbourg; si vous ne vous en servez pas, voulez-vous me le prêter?

Je le lui tendis et me remis à ma lecture. Décidément le bibliothécaire ne m'avait pas trompé, ce procès était à la mode.

Jusqu'au moment de la fermeture de la bibliothèque, nous restâmes en face l'un de l'autre, lisant tous deux et ne nous parlant pas.

Mais en sortant Vimard me prit par le bras et cela me surprit jusqu'à un certain point, car si nous sommes bien ensemble, nous ne sommes pas cependant sur le pied de l'intimité.

—Êtes-vous pressé de rentrer? me dit-il.

—Nullement.

—Alors, voulez-vous que nous allions jusqu'au Prado?

—Et quoi faire au Prado?

—Causer.

—Il s'agit donc d'un complot?

—Pouvez-vous me dire cela, à moi surtout!

—Vous cherchez le silence et le mystère.

—C'est qu'il s'agit d'une chose sérieuse que je veux examiner avec vous, sans qu'on nous écoute et nous dérange.

—Allons, donc au Prado.


Clotilde Martory

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