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III

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DU MODÈLE DESTINÉ A LA FONTE

Toute fonte, quelle qu’elle soit, à quelque objet qu’elle s’applique, exige la préexistence d’un modèle. A plus forte raison ce modèle est-il indispensable quand il s’agit d’une œuvre d’art de haute valeur, d’un groupe, d’un buste ou d’une statue, ou même d’un candélabre ou d’un vase, etc. Nous ajouterons que, pour obtenir un résultat parfait, il importe que l’artiste créateur de cette statue, de ce buste, de ce groupe, se pénètre, dans l’exécution de son modèle, des exigences toutes spéciales de la matière dans laquelle son œuvre sera finalement traduite.

Ainsi que le disait fort judicieusement M. Barbedienne, «un modèle destiné au bronze ne doit pas être composé ni modelé de la même manière que s’il s’agissait de marbre, de bois, de pierre, etc.» Et cela est facile à comprendre. Dans la lutte que l’homme entreprend contre la matière pour imposer à celle-ci la réalisation évidente et concrète de sa pensée, s’il arrive, à force d’intelligence, à triompher de la substance toujours inerte et souvent rebelle, et à lui imprimer la marque de son génie, par un effet réflexe et en quelque sorte fatal, la matière à son tour influe sur l’œuvre de l’homme et, quoi qu’il en ait, modifie le caractère de celle-ci.

Voilà pourquoi, dans le domaine de la Statuaire, le métal constitue une sorte de monde particulier, qui a ses exigences, ses lois et son expression. Cela est si vrai, que les beaux bronzes: statuettes, médaillons, bustes, plaquettes même, reproduits en une autre matière par un nouveau moulage, sont toujours reconnaissables. Le plâtre, le soufre, la cire, n’arrivent pas à leur enlever leur caractère distinctif, et laissent toujours transparaître plus ou moins leur physionomie originelle. En dépit de cette transposition de matière, on retrouve non seulement le grain du métal, son épiderme à la fois lisse et résistant, sa contexture tenace, mais encore les conventions qui s’imposent à l’artiste travaillant le bronze, et qui particularisent la mise en œuvre de ce métal. Aussi, dans l’établissement de son modèle, l’artiste doit-il avoir constamment en vue l’exécution finale de son ouvrage et sa destination.

Il est clair, par exemple, que le modèle d’une statue en bronze n’a pas besoin, pour paraître solidement établi, de ces accessoires singuliers, rochers, troncs d’arbre, draperies inutiles, qui, remplissant dans les statues de marbre le rôle de tenons, sont nécessités par la nature même de la matière, et indispensables, aussi bien pour consolider les figures que pour rassurer l’œil du spectateur.

De la présence obligatoire de ces supports, la Statuaire en marbre conserve généralement un aspect de repos, d’immutabilité qui lui est tout spécial. Ses œuvres font toujours plus ou moins corps avec leur socle; elles participent forcément du bloc initial d’où le génie de l’artiste les a dégagées. Avec la Statuaire en bronze, c’est juste le contraire. On doit retrouver dans tous ses ouvrages, comme un souvenir de cette fusion du métal qui, devenu liquide, s’est élancé en bouillonnant hors de la chaudière, pour revêtir bruyamment la forme qu’on lui destinait. L’artiste peut donc, comme Jean de Bologne pour son Mercure, se permettre toutes les hardiesses, ou, s’il répugne aux poses outrées, donner à ses figures de bronze toutes les attitudes qui lui plaisent, leur imprimer une sorte de mouvement, d’activité, et, tout en respectant les aplombs et la pondération des formes, se priver de tous soutiens sans que l’esprit du spectateur songe à s’en alarmer.

Allez au Louvre, pénétrez dans la galerie Denon, contemplez les deux Centaures de bronze qu’on a surmoulés sur des statues de marbre appartenant au musée du Capitole. Il est certain que les énormes troncs d’arbre qui soutiennent leurs ventres vous choqueront. Et vous vous demanderez comment le bronzier chargé de cette traduction n’a pas supprimé des supports qui, nécessaires dans l’original, devenaient hors de propos dans leur reproduction en métal.

Ce n’est point tout. Le marbre offre à l’œil des douceurs exquises. Ses formes présentent un modelé pur, des dégradations délicates où l’ombre et la lumière se marient avec une souplesse et une transparence infinies. Sur cette surface blanche et lumineuse, tous les jeux du clair-obscur se fondent et s’harmonisent doucement. Dans le bronze il en va différemment. L’effet est violent, puissant, heurté, et, pour se dessiner sur le ton sombre, neutre et profond de la patine, les plans doivent être plus fermement indiqués, les détails simplifiés, les ombres accentuées par des creux plus ressentis. Le marbre, si l’on peut dire ainsi, se caractérise par ses masses qui rayonnent doucement la lumière; le bronze, par la silhouette qu’offre son contour.

Ce que nous disons de la différence qu’on doit observer entre les modèles destinés à être traduits en bronze ou en marbre, s’applique à plus forte raison aux autres matières d’un ordre inférieur, au plâtre, à la terre, à la pierre, au bois, etc. La densité supérieure du bronze donne à son épiderme une admirable finesse, en même temps qu’une extrême fermeté. Cette double qualité exige, dans l’exécution du modèle et en vue de la traduction finale, une facture particulièrement serrée, où rien ne doit sentir le vague, l’abandon, la mollesse. Elle nécessite en outre des évidements prononcés, pour faire dominer le contour, et une détermination très précise de la forme. Ne pas tenir compte de ces exigences, c’est s’exposer à de graves erreurs, c’est imiter ces sculpteurs inexpérimentés qui, livrant au fondeur un moulage en plâtre sur lequel se distinguent encore les coups de pouce, les boulettes ajoutées, les stigmates de l’ébauchoir, imposent à la rigide et rébarbative matière l’aspect d’un corps malléable qui aurait été pétri avec les doigts.

Cette erreur, on pourrait dire ce mensonge, est d’autant plus malséante, que — nous allons le voir dans un instant — en aucun moment la terre dont est fait le modèle n’est en contact, je ne dirai pas avec le bronze, mais même avec le moule dont celui-ci épousera la forme jusqu’en ses moindres détails. Et il est d’autant plus nécessaire d’insister sur ce point, que nombre de sculpteurs semblent ne prendre aucun souci de la matière dans laquelle leurs ouvrages seront finalement exécutés.

Fig. 7. — Mercure par Jean de Bologne.


Autrefois, cette absence de préoccupations, si préjudiciable au bel aspect de l’œuvre terminée, n’était pas à redouter: «Il est constant, d’après le témoignage des auteurs anciens, écrit M. Eugène Guillaume, il est certain que dans l’Antiquité les statuaires non seulement modelaient leurs statues, mais encore qu’ils les fondaient et leur donnaient, en les ciselant eux-mêmes, la dernière main. Les artistes du Moyen Age et ceux de la Renaissance continuaient ces errements. Quelques-uns même, et des plus illustres, se livraient par plaisir à des travaux que nous délaissons; car nous savons que Brunelleschi, le grand architecte florentin, qui était aussi un grand sculpteur, dans ses loisirs, aidait Ghiberti à ciseler les portes du Baptistère. Si l’admiration qu’excitent les beaux bronzes était raisonnée, les sculpteurs modernes essayeraient de suivre l’exemple de leurs devanciers. Mais aujourd’hui tout conspire à les détourner de ces pratiques salutaires. On ne peut pas dire que nous répugnions à travailler le métal, nous n’en avons pas l’idée. La division du travail, qui se justifie à bien des égards, produit dans les arts de regrettables effets. On entend quelquefois l’artiste se plaindre du fondeur ou du ciseleur. A qui donc s’en prendre des défauts de l’œuvre?»

On ne saurait mieux dire. En 1867, avec moins d’éloquence assurément, mais avec une franchise non moins hardie et aussi louable, M. Barbedienne constatait ce désintéressement déplorable des statuaires contemporains. «Autrefois, disait-il, l’artiste fondait et ciselait son œuvre lui-même, tandis que de nos jours l’œuvre de l’artiste doit passer par la main de l’ouvrier; et, si habile que soit ce dernier, il ne peut arriver que bien difficilement à donner un travail égal à celui du Maître.»

Quelles que puissent être, en effet, l’expérience et la dextérité de ces collaborateurs forcés, la personnalité de l’auteur, si elle ne disparaît pas complètement, du moins s’atténue dans les travaux collectifs. Il est même curieux qu’un artiste, après avoir conçu une œuvre, après l’avoir vue dans son imagination revêtue d’une perfection finale lui assignant son caractère définitif, se repose sur des étrangers qu’il ne connaîtra peut-être jamais, placés en tout cas hors de sa dépendance directe, du soin de réaliser ce qu’il y a de plus délicat, de plus fugitif, de plus insaisissable dans cette perfection.

Hâtons-nous d’ajouter que le mal dont nous signalons l’existence ne date pas d’hier. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, on se plaignait déjà que la plupart des artistes ne participassent pas, d’une façon suffisante, à la fonte de leurs bronzes. Nous verrons, dans la partie historique de ce livre, que le sculpteur Desjardins fondit lui-même la statue de la place des Victoires; que Girardon dirigea en personne la fonte de la statue colossale destinée à la place Vendôme, et Falconet celle de Pierre le Grand, érigée à Saint-Pétersbourg. Nous verrons aussi que Houdon ne s’en remettait à personne, du soin de traduire en métal ses belles créations. Mais, à côté de ces statuaires d’élite, combien d’autres artistes faisaient déjà preuve d’un fâcheux et coupable désintéressement!

C’est pourquoi Levesque, le continuateur du Dictionnaire des beaux-arts commencé par Watelet, n’hésitait pas à écrire: «Comme nos statuaires abandonnent à des ouvriers fondeurs le soin de jetter en bronze les ouvrages dont ils ont fait les modèles, il semble que l’article fonte devroit, dans l’Encyclopédie méthodique, appartenir au Dictionnaire des arts méchaniques. Mais il appartient en réalité au Dictionnaire des beaux-arts, parce qu’il est très nécessaire que les statuaires sachent diriger leurs fondeurs, et parce qu’ils peuvent se trouver dans des circonstances qui les engagent à fondre eux-mêmes.» Et, à l’appui de son dire, Levesque ajoute, un peu plus loin: «Si l’auteur de la statue équestre de Pétersbourg, M. Falconet, s’en étoit remis à la routine d’un fondeur, il se seroit vu contraint de renoncer à la composition de son ouvrage.»

Fig. 8. — Caïn par Dupré.


Il nous faut reconnaître toutefois que, depuis une cinquantaine d’années, un revirement heureux s’est produit. On a vu, en effet, quelques artistes d’un grand talent, Barye, Mène, Frémiet notamment, se faire eux-mêmes les éditeurs de leurs œuvres, et en diriger l’exécution avec un soin, une science, un talent, qui décuplaient le prix des épreuves sorties de leurs mains. On a vu, en outre, des fondeurs, auxquels on peut donner également la qualification d’artistes, M. Gonon d’abord, puis ses fils, et plus tard M. Bingen, essayer à leur tour de restituer les procédés de fonte à cire perdue, qui, d’un usage général dans l’Antiquité et à l’époque de la Renaissance, étaient peu, à peu tombés dans l’oubli. Or, cette fonte à cire perdue, ainsi que nous aurons occasion de le constater dans un instant, exige la coopération directe de l’artiste. Mais, alors que chez leurs glorieux devanciers, le statuaire conduisait l’opération jusqu’à son achèvement, et demeurait jusqu’au bout «maître de l’œuvre», avec les émules des Gonon et des Bingen, nos artistes s’arrêtent en route. Après avoir amené leur cire à la perfection voulue, ils se désistent de toute direction, de toute participation au reste de l’opération, et la confection de la chape, aussi bien que la fonte proprement dite, sont exécutées en dehors d’eux par d’habiles spécialistes.

Cette manière d’opérer, quoique incomplète, constitue toutefois un grand progrès, et l’on a pu voir, à nos Expositions annuelles, des épreuves de ces fontes à cire perdue, «jetées» d’après les modèles des statuaires éminents, — je citerai notamment la figure du tombeau de Guillaumet de M. E. Barrias et les bustes de Liouville et d’Albert Wolff de M. Dalou, — capables de supporter la comparaison avec les bronzes anciens.

En présence de cette «renaissance» il paraîtra sans doute intéressant de passer tout d’abord en revue les procédés employés au XVIe siècle pour exécuter les fontes à cire perdue, — procédés qui, du reste, ne diffèrent pas essentiellement de ceux pratiqués de nos jours. Mais, avant cela, quelques explications générales, relatives au matériel dont on fait usage dans les fonderies, nous paraissent indispensables.

Fig. 9. — Bas-relief en bronze (porte de Saint-Maclou à Rouen).


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