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III.

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S'il y a de la femme dans l'esprit de Mme de Longueville, son âme surtout est au plus haut point féminine, et, loin de l'en accuser, nous l'en louons. Oui, Mme de Longueville est de son sexe; elle en a les qualités adorables et les imperfections bien connues. Dans un monde où la galanterie était à l'ordre du jour, cette jeune et ravissante créature, mariée à un homme déjà vieux et même occupé ailleurs, suivit l'exemple universel. Naturellement tendre, les sens, elle-même le dit dans la confession la plus humble qui fut jamais, n'entraient pour rien dans les démarches de son cœur; mais entourée d'hommages, elle s'y complaisait. Aimable, elle mettait son bonheur à être aimée. Sœur du grand Condé, elle n'était pas insensible à l'idée de jouer un rôle et d'occuper l'attention; mais, loin de prétendre à la domination, elle était tellement femme qu'elle se laissait conduire à celui qu'elle aimait. Tandis qu'autour d'elle l'intérêt et l'ambition prenaient si souvent les couleurs de l'amour, elle n'écouta que son cœur, et se mit comme au service de l'ambition et de l'intérêt d'un autre. Tous les auteurs sont unanimes à cet égard; ses ennemis lui reprochent avec aigreur de n'avoir pas eu un but qui lui fût propre et d'avoir méconnu ses intérêts; ils ne se doutent pas qu'en croyant l'accabler par là, ils la relèvent, et prennent soin eux-mêmes de couvrir sa conduite et ses fautes qui, après tout, se réduisent à une seule.

Elle a dû être touchée de la passion et du dévouement de Coligny, qui donna son sang pour la venger des outrages de Mme de Montbazon[52]; elle a pu prêter un moment une oreille distraite aux galanteries du brave et spirituel Miossens, depuis le maréchal d'Albret[53]; plus tard, elle se compromit un peu avec le duc de Nemours; mais elle n'a aimé véritablement qu'une seule personne, La Rochefoucauld. Elle s'est donnée à lui tout entière; elle lui a tout sacrifié, ses devoirs, ses intérêts, son repos, sa réputation. Pour lui, elle est entrée dans les conduites les plus équivoques et les plus contraires. C'est La Rochefoucauld qui l'a jetée dans la Fronde, qui l'a fait, à son gré, avancer ou reculer, qui l'a rapprochée ou séparée de sa famille, qui l'a gouvernée absolument; elle a consenti à n'être entre ses mains qu'un instrument héroïque. Sans doute, la passion et l'orgueil ont pu trouver leur compte dans cette vie d'aventures et dans ces périls énergiquement bravés; mais de quelle trempe était l'âme qui mettait en cela sa consolation! Et, comme il arrive d'ordinaire, l'homme auquel elle faisait tant de sacrifices n'en était pas entièrement digne. Il avait infiniment d'esprit; mais il était fort égoïste et jugeant des autres sur lui-même, subtil dans le mal comme elle l'était dans le bien, plein de raffinement dans son amour-propre et dans la recherche de ses intérêts, le moins chevaleresque des hommes en réalité, quoiqu'il affectât toutes les apparences de la plus haute chevalerie. Aussi, dès qu'il croit que Mme de Longueville a un moment chancelé loin de lui et trop écouté le duc de Nemours, il se retourne contre elle et la poursuit du plus misérable ressentiment. Il la noircit auprès de son frère; il révèle les faiblesses dont il a profité; et quand elle est tout occupée à réparer les torts de sa vie, quand elle les expie par la plus dure pénitence, il fait imprimer à l'étranger des Mémoires où il la déchire et qu'il n'a pas même le courage d'avouer[54], comme un peu plus tard il fera faire à Mme de Sablé des articles de journal à sa gloire, qu'il corrigera de sa propre main, ôtant soigneusement les petites critiques qui avaient été mises pour donner du poids aux louanges[55]; en sorte que la pauvre femme, en revenant des Carmélites ou de Port-Royal, eût pu rencontrer, dans les rares salons où elle allait encore, l'histoire de ses amours et la peinture de ses défauts tracés de la main de celui qui eût dû mourir pour la défendre, fût-ce même contre la vérité. La Rochefoucauld, après la Fronde, arrangea très bien ses affaires avec la cour; il s'y ménagea et s'y soutint; il monta dans le carrosse de Mazarin en disant le mot fameux: tout arrive en France; il se fit donner une bonne pension[56]; il sollicita et obtint de grandes grâces pour son fils; il brigua pour lui-même la place de gouverneur du Dauphin, qui fut donnée à Montausier; il sut s'entourer de femmes aimables, qui toutes en étaient avec lui à l'admiration et aux petits soins, et dont l'une, Mme de La Fayette, lui consacra sa vie et remplaça Mme de Longueville. Combien la conduite d'Anne de Bourbon est différente! L'amour l'avait engagée dans la Fronde, l'amour l'y avait soutenue; aussitôt que l'amour lui manque, elle ne sait plus où elle en est. L'altière héroïne qui, pour faire la guerre à Mazarin, avait vendu ses pierreries, bravé l'Océan, tour à tour soulevé le Nord et le Midi, et tenu en échec la puissance royale, dès qu'il ne s'agit plus que d'elle, se retire de la scène, rentre dans l'ombre, se voue à la solitude à trente-cinq ans, dans toute sa beauté, ne retenant du passé de sa vie que le souvenir de ses fautes, comme Mlle de La Vallière. Ah! sans doute il eût mieux valu lutter contre son cœur, et à force de courage et de vigilance se sauver de toute faiblesse. Nous mettons un genou en terre devant celles qui n'ont jamais failli, devant Mme de Hautefort et Mlle de La Fayette; mais quand à Mlle de La Vallière ou à Mme de Longueville on ose comparer Mme de Maintenon, avec les calculs sans fin de sa prudence mondaine et les scrupules tardifs d'une piété qui vient toujours à l'appui de sa fortune, nous protestons de toute la puissance de notre âme; nous sommes hautement pour la sœur Louise de la Miséricorde et pour la pénitente de M. Singlin et de M. Marcel; nous préférons mille fois l'opprobre dont elles essaient en vain de se couvrir, à la vaine considération qui a entouré, dans une cour dégénérée, Mme Scarron devenue en secret la femme de Louis XIV. Deux choses seules nous touchent, la vertu vraie et la passion vraie: l'une, qui est au-dessus de tout et que Dieu seul peut dignement récompenser; l'autre, qu'il ne faut pas célébrer, mais qui a son excuse au moins et une sorte de grandeur dans ses élans désintéressés, dans ses sacrifices, dans ses souffrances, surtout dans ses expiations.

Comprenons donc bien Mme de Longueville, et ne l'accusons pas de n'avoir pas eu de consistance et de caractère propre: son vrai caractère et l'unité de sa vie doivent être cherchés où ils sont, dans son dévouement à celui qu'elle aimait. Elle est là tout entière et toujours la même, à la fois conséquente et absurde, et touchante jusque dans ses folies.

Nous mettons tous ses mouvements désordonnés sur le compte de l'esprit inquiet et mobile de La Rochefoucauld. C'est lui qui est l'ambitieux, c'est lui qui est l'intrigant; c'est lui qui erre de parti en parti, selon les circonstances, uniquement occupé de ses intérêts, et sans nul autre grand mérite qu'un esprit fertile en expédients de toute sorte et une bravoure brillante sans talent militaire. Et nous attribuons à Mme de Longueville, au sang des Condé, à ce grand cœur qui éclate partout en elle, nous lui attribuons l'audace dans le danger, un certain contentement secret dans l'excès du malheur, et après les revers, une fierté devant les victorieux qui ne le cède point à celle du cardinal de Retz. Mme de Longueville aussi ne baissa pas les yeux; elle les détourna sur un plus digne objet. Une fois frappée dans le point qui était tout pour elle, elle dit adieu aux affaires et au monde, sans demander grâce à la cour, et demandant pardon à Dieu seul.

Ainsi considérées, toutes les critiques qu'on a prodiguées à Mme de Longueville lui tournent en apologie.

La Rochefoucauld, après avoir fait de Mme de Longueville l'éloge que nous en avons cité, ajoute: «Mais ces belles qualités étoient moins brillantes à cause d'une tache qui ne s'est jamais vue en une princesse de ce mérite, qui est que bien loin de donner la loi à ceux qui avoient une particulière adoration pour elle, elle se transformoit si fort dans leurs sentiments, qu'elle ne reconnoissoit pas les siens propres. En ce temps-là, le prince de Marcillac avoit part dans son esprit, et comme il joignoit son ambition à son amour, il lui inspira le désir des affaires, encore qu'elle y eût une aversion naturelle.» Cette tache, que lui reproche ici La Rochefoucauld par la plus incroyable ingratitude, est précisément son auréole, celle de la femme aimante et dévouée.

Le futur auteur des Maximes ne fait pas difficulté d'avouer qu'il s'attacha à elle autant par intérêt que par affection. Après une telle déclaration, on n'est guère reçu à s'écrier chevaleresquement:

Madame de Longueville: La Jeunesse de Madame de Longueville

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