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CHAPITRE PREMIER.
ОглавлениеÉmigration des patriotes, — Témoignages d’intérêt que Paoli reçoit pendant sa route. — Rapprochement entre sa destinée et celle de l’Empereur. — Sa sollicitude pour ses compagnons d’exil. — Pouvoir militaire. — Ses erreurs. — Le comte de Vaux donne le premier l’exemple de la modération. — Ses vues d’amélioration sur la Corse. — Langage conciliant avec les notables. — Anecdote qui lui fait beaucoup d’honneur. — La douceur et la persuasion réussissent mieux que la force. — Modifications apportées à la forme du gouvernement adoptée par Paoli. — Rétablissement de l’ancienne noblesse. — Organisation du pouvoir judiciaire. — Désarmement général. — Examen de cette mesure de police intérieure. — Code des délits et des peines. Pouvoir municipal. — Impôts. — Commerce. — Industrie. — Agriculture. 1 — Procès d’Abbatucci. — Sa véritable cause. — Admission gratuite aux écoles royales, en faveur des enfants de quelques familles nobles.
Paoli pouvait se maintenir encore à l’aide de la guerre civile. Des milliers de montagnards s’étaient ralliés autour de leur ancien général. Il préféra les rigueurs de l’exil. A une distance de quarante-six ans, Napoléon suivra l’exemple de l’illustre exilé. En vain une armée vaillante et fidèle, que le malheur n’avait point déliée de ses serments, refusait-elle de se soumettre au roi de la coalition étrangère. Son nom n’avait rien perdu de son prestige; les alliés craignaient que le sol ne les dévorât; le plus léger succès pouvait entrainer leur retraite. Mais on exposait la France aux maux d’une guerre intestine. Eh bien! puisqu’ils n’en veulent qu’à moi, répondit l’Empereur, j’abdique et ne demande pour tout domaine qu’un rocher en face de mon berceau.
C’est ainsi que, dès le 13 juin 1769, Paoli..... alors sa gloire était pure encore, montrait à Napoléon le chemin de l’exil et lui apprenait à s’immoler pour le salut de la patrie.
Doué de cette rare prévision qui perce à jour le voile de l’avenir, et dont on ne veut rapporter l’honneur qu’à des philosophes dogmatiques et tranchants, Paoli entrevoyait déjà la grande régénération sociale de 89, et il se disait tout bas que l’orage révolutionnaire, en le ramenant un jour sur le sol natal, devait être pour lui une époque de jouissances et d’ovations. Aussi, en prenant congé de ses compatriotes sur le rivage de Portovecchio, ces vagues espérances d’un prochain retour se mêlaient-elles aux regrets de la séparation et en adoucissaient l’amertume. — Lycurgue s’exila pour consolider son œuvre législative et y mettre le sceau du temps; Paoli, pour épargner à sa patrie les déchirements des dissensions intestines.
Botta rapporte à ce sujet un fait d’autant plus invraisemblable que nul autre historien ne le mentionne. Selon lui, le port où mouillaient les deux navires anglais se trouvait en quelque sorte bloqué par deux bricks de la marine française. On craignait avec assez de fondement, qu’ils ne voulussent les soumettre au droit de visite que nul traité n’avait encore diplomatiquement consacré. Pour soustraire l’hôte de l’Angleterre à l’outrage et aux périls de ces recherches, on le cacha dans un tonneau au fond du navire, en conseillant à ceux qui s’étaient embarqués sur l’autre bord de s’effacer de manière à n’être pas aperçus. Cette appréhension se réalisa un instant après. Le navire britannique fut fouillé dans toutes ses parties, mais le précieux dépôt avait été dérobé avec tant de soin qu’il échappa à toutes les investigations.
Que les capitaines de la marine anglaise aient toléré que l’on vînt faire ainsi la police sur leur bord, au mépris du droit des gens et sans respect pour leur pavillon, ce n’est ni naturel ni croyable. Outre que la marine royale de France n’a guère l’habitude de poursuivre les exilés qu’abrite un pavillon ami ou neutre, il n’était assurément pas dans ses instructions d’empêcher cette expatriation volontaire. Nous persistons donc à douter de la sévérité de cette surveillance, de cette sorte d’embargo. N’aurait-elle pas pu devenir une cause immédiate de guerre ou tout au moins de froideur entre les deux nations? Peut-être ne s’écarterait-on pas beaucoup de la vérité en supposant que ce bruit ne fut répandu que dans le but de rendre le sort des fugitifs plus intéressant et la conquête des Français plus odieuse. On sait du reste, que cet historien recueille avec empressement et rélate avec plaisir tout ce qui peut jeter de la défaveur sur un peuple dont il semble redouter la manie guerroyante.
Peu de temps après, condamné à son tour par une lettre de cachet aux rigueurs de l’exil, le duc de Choiseul expiait, dans les chagrins d’une disgrâce de cour, tout le mal qu’il avait fait à la Corse . Ce souvenir le poursuivait dans la retraite comme un poignant remord, et quoiqu’il parlât de sa conquête avec toute la fatuité d’un grand seigneur, le manifeste grave et modéré des Corses n’en avait pas moins déconcerté sa légèreté spirituelle et railleuse. L’intérêt que Paoli avait su appeler sur cette nationalité naissante s’était bientôt changé en défaveur contre le ministre dirigeant.
Il reçut, sur la route de l’exil, des témoignages universels d’estime et de sympathie. Joseph II et le grand duc Léopold le consolèrent, par l’accueil le plus distingué, de tous le malheurs de l’expatriation. Il fut surtout vivement touché des attentions délicates de ce dernier, introduisant déjà dans la Toscane les institutions utiles, dont l’illustre exilé avait voulu doter son pays. Léopold, dirons-nous avec un historien , à qui on n’accordera jamais tant d’éloges qu’il n’en mérite encore davantage, réformateur progressif et modéré tout à la fois, qui, comme Paoli, montra ce que peuvent pour le bonheur des peuples, les qualités de l’esprit, les vertus de l’âme et l’amour constant de la liberté, reporta ensuite, sur les réfugiés corses, une partie du tendre intérêt qu’il avait témoigné au général.
A cette époque remonte l’admiration d’Alfieri pour cet illustre exilé. Étant à Florence il sollicita, comme un honneur, la permission de lui présenter ses hommages. Paoli en fut ému jusqu’aux larmes. Tant de respect pour le malheur était la marque certaine d’une âme élevée. A la vue de cette intéressante migration, il sentit croître cette haine énergique et cet ardent amour pour la liberté dont sa mâle poésie est si fortement empreinte. Le temps, ni la réflexion ne purent refroidir cet enthousiasme de sa jeunesse, pour une cause qu’il eût défendue au prix de son existence; témoin la dédicace de l’une de ses plus belles tragédies, conçue et écrite d’un bout à l’autre sous une inspiration toute patriotique . L’ambition d’Alfieri était de tenter par la puissance de ses vers ce que Paoli avait accompli par ses institutions. Mais la position des deux peuples était différente. Chez l’un, l’amour de la liberté avait plus besoin d’être contenu qu’éveillé ; chez l’autre, au contraire, et c’était une bien rude tâche, il fallait rendre la force et le sentiment des droits à des hommes engourdis depuis long-temps sous le poids d’un honteux esclavage.
L’Angleterre lui accorda, à son tour, une généreuse hospitalité. Nous le redisons, quarante-six ans après, un autre Corse proscrit et malheureux ira demander également une place au foyer britannique. L’un n’avait été que le premier magistrat d’une île presque inconnue; l’autre, le plus puissant monarque de l’Europe. Cependant, quelle différence dans leur sort! Tandis que le nom de Paoli est inscrit sur la liste des pensionnaires de l’État, Napoléon est obligé de vendre sa vaisselle pour suffire à ses besoins journaliers; Paoli loge dans un palais à Londres, et le grand Empereur n’a pour toute demeure, qu’une mauvaise masure, sur un roc de l’Océan. Ce souvenir réveille en nous des idées d’une nature bien opposée. Partagés entre la reconnaissance et la haine, ce dernier sentiment plus général, plus profond, devrait l’emporter sur l’autre; mais, le moyen de maudir une terre où reposent les cendres de nos grands hommes!..... La fureur d’Alexandre s’arrêta devant la maison d’un poète, pourquoi notre juste colère ne s’arrêterait-elle pas devant le tombeau de Paoli?....
Pendant les longues années de l’exil, son dévouement au pays ne se démentit jamais. Tous les moments qu’il ne consacrait point aux lettres étaient remplis par des pensées et des vœux patriotiques. L’école qui porte son nom en est une preuve éclatante. Admis et fêté dans les salons de la haute aristocratie, honoré de l’estime des hommes les plus marquants de l’opposition, il n’en regrettait pas moins le village de Rostino, cent fois plus heureux au milieu de l’agitation des assemblées électorales et des soucis du gouvernement, qu’il ne l’était dans sa tranquille et agréable retraite de Londres. Les relations et le commerce de ses compatriotes, il les préférait à tout ce que la capitale de l’Angleterre pouvait lui offrir de plaisirs et de distractions. Son active sollicitude s’étendait sur tous ses compagnons d’exil. C’était pour les mettre à l’abri du besoin et adoucir, autant que pouvait le permettre la modicité de ses ressources, les ennuis de l’expatriation, qu’il s’imposait sans regret des privations et des économies. Ces témoignages d’intérêt allaient les chercher au loin, à Naples, à Florence et jusque dans les retraites les plus solitaires. Ménageant avec délicatesse cette fierté naturelle, que les Corses savent conserver au sein du malheur, il distribuait ses épargnes, de façon à secourir sans humilier. Toujours présente à sa pensée et à son cœur, la Corse était le sujet de ses tendres préoccupations. On le comprend aisément; la conquête avait pu le séparer violemment de ses compatriotes, elle n’avait pu briser les liens qui l’attachaient au pays, encore moins le rendre indifférent à ses nouvelles destinées.
On sait que, dans les premiers temps de la conquête, un compression violente fut le système adopté par l’administration française. Le sourd mécontentement des patriotes était puni comme une sédition ouverte, et la possession d’une arme de guerre entraînait la mort. Aux termes de l’ordonnance du 13 août 1769, tout individu qui, sans une permission de M. de Vaux, était saisi avec des armes à feu encourait cette peine. Ces sortes de délits étaient jugés par des cours prévôtales cent fois plus redoutables, que ne l’avaient été les anciennes juntes de guerre. A défaut d’autres instruments de supplice, on pendait au premier arbre venu, tant on était pressé de punir! «Je ne connais que ce moyen, mandait Sionville au ministre de la guerre, pour subjuger l’indomptable âpreté de ces montagnards. Que ne peut-on arracher également le salpêtre qu’ils ont dans la tête?» Regretter Paoli, la liberté, les institutions qu’il avait établies, c’était conspirer contre la France. La découverte de quelques charges de poudre motiva, dans plus d’une commune, l’arrestation de familles entières et servit de prétexte aux vexations les plus cruelles.
La mesure du désarmement, mesure banale qui figure en tête de tous les programmes des diverses administrations depuis 1769 jusqu’à nos jours, fut exécutée avec des formes si brutales, que l’exaspération devint bientôt universelle. On se demandait avec douleur si la Corse n’était pas condamnée à subir un gouvernement plus odieux encore que celui de Gènes; on se demandait, si c’était bien à l’aide de ce système d’intimidation et la justice expéditive du sabre, que la France espérait de consolider sa conquête; on se demandait enfin si c’était en blessant tout ce qu’ils avaient d’instincts nobles, en méprisant tout ce qu’il fallait respecter, en foulant aux pieds tout ce qu’ils chérissaient le plus, que les nouveaux gouverneurs travaillaient à l’œuvre de la fusion et à l’affermissement de la domination française. Il est certain que dans le commencement on ne voulait reconnaître que la force pour arbitre et pour intermédiaire entre le vainqueur et le vaincu. Dans leur candide simplicité, des Corses osèrent demander à cette tyrannie nouvelle ses titres et on leur montra des milliers de baïonnettes et des potences. On poursuivit, sous le nom de brigands, tous ceux qui ne voulaient point aliéner leur souveraineté individuelle. Cette indépendance personnelle fut qualifiée de révolte. Pour contenir la Corse dans la soumission, on la livra à la merci du pouvoir militaire.
Nous ne rappellerons point ici tous les déplorables abus auxquels il se laissa entraîner, le mépris qu’il affichait pour les réclamations les plus légitimes et les droits les plus saints. Qui n’a pas entendu parler de l’effroi répandu par les exécutions militaires, signalant, sur plusieurs points de l’île, le féroce commandement des généraux Sionville et Narbonne? Leurs noms y sont encore en horreur. Ils eurent la triste gloire de surpasser en impopularité le plus mauvais gouverneur de Gènes. Incapables d’administrer une petite commune rurale, on les appelait à gouverner souverainement et sans responsabilité les deux tiers de la Corse. Il fallait ménager la chatouilleuse susceptibilité des habitants, et ils les traitaient avec un superbe dédain. Sionville prenait le silence de la terreur pour le signe d’une adhésion volontaire, et lorsque des patriotes suspects de regretter l’indépendance nationale se retiraient dans les montagnes, il écrivait que l’ordre était rétabli dans les villages. — D’autres généraux, pour conserver cette domination arbitraire, ne craignaient point de calomnier de paisibles populations, en leur prêtant gratuitement des projets de révolte. Après cela, ils déchaînaient contr’elles des régiments entiers, avec ordre de les poursuivre par le fer et le feu, de répandre, sur la moindre résistance, le sang de ces rebelles, de dévaster leurs champs, de détruire leurs chaumières. Témoin le canton de Niolo, où des arbres, transformés tout-à-coup en gibets, gardèrent long-temps les traces de ces sanglantes exécutions.
«En 1768 nous fûmes victimes des intrigues du cabinet
» de Versailles, M. de Choiseul crut qu’il était d’une bonne
» politique de s’emparer de la Corse, ce n’était qu’un jeu
» de cour auquel nous fûmes sacrifiés en dépit de la foi des
» traités, écrivait, en juin 1791, l’un des plus chauds, des
» plus enthousiastes partisans de la France. Les satellites du
» pouvoir ministériel, arrivés en Corse comme médiateurs,
» se conduisirent bientôt en ennemis acharnés. Pascal Paoli
» dont le génie, après avoir affranchi sa patrie, y avait établi
» une constitution fondée sur les droits de l’homme, s’en
» éloigna avec plusieurs de ses compatriotes, emportant sur
» la terre de l’exil le sublime espoir qui soutint Varon après
» la défaite de Cannes. Une fois maîtres de l’île, les Français
» ne purent y asseoir leur domination d’une manière stable,
» que par un désarmement général. Les délations, l’empri-
» sonnement, le fer et le feu furent tour-à-tour employés
» pour courber entièrement sous le joug du despotisme des
» hommes qui, dans leur altière indépendance osaient encore
» parler de liberté en face des suppôts du pouvoir absolu.
» Les vainqueurs appelaient cette noble passion fanatisme.
» Les esclaves dorés de Choiseul ne voyaient plus qu’une
» obstination insensée dans le dévouement patriotique des
» montagnards...... Ils ne prévoyaient point alors ce qui
» serait arrivé vingt ans plus tard — Paoli avait, peu de
» temps avant, plié un peuple guerrier au frein salutaire des
» lois sans qu’il lui en coûtât de grands efforts. Le gouver-
»nement Français ne put y réussir que difficilement et quoi-
» qu’il n’eût point ménagé les supplices...... C’est que l’un
» favorisait la pente de la nature, l’autre voulait arrêter la
» marche du siècle et se roidir contre la tendance des idées
» générales .»
Loin de nous la pensée de retracer, à notre tour, un tableau trop sombre de la situation du pays. Les malheurs et les cruautés qu’il avait le droit de reprocher à l’administration de cette époque, étaient une conséquence presque inévitable de son occupation forcée. Le temps seul pouvait détruire cette défiance mutuelle qui ne permettait point aux Corses de croire aux intentions bienveillantes des Français, et aux Français de croire à la soumission sincère des Corses. Mis en possession de l’île par la puissance des armes, ceux-là pensaient, de bonne foi peut-être, qu’il y aurait eu de l’imprudence à se relâcher de la rigueur de leurs instructions, et ceux-ci, qu’il fallait des actes rassurants avant de se rallier. Dans la suite, une opinion plus sage, plus conforme aux véritables intérêts de la domination française, prévalut dans le conseil du monarque. Les haines que la guerre avait fait naître n’étaient plus ni aussi vivaces, ni aussi communes. Insensiblement les ressorts trop tendus de l’autorité se relâchèrent, et sans rien perdre de son énergie, l’action gouvernementale dépouilla tout ce qu’elle avait eu d’abord de formes acerbes. Dès cet instant, la confiance s’établit entre les gouverneurs et les gouvernés, et avec elle, l’ordre et la sécurité.
Il y a, dans la conquête d’un pays, deux époques et deux systèmes. Pendant la première phase on ne s’occupe que des moyens de vaincre les résistances, de soumettre tout ce qui ne veut pas subir la loi du vainqueur; alors, c’est la force qui règne, c’est la terreur des armes qui domine. Vient ensuite le tour de la modération et des tempéraments d’humanité ; la force se retire, l’œuvre de la pacification commence. Le comte de Vaux avait été le premier à entrer franchement dans cette voie de rapprochement et de fusion. Il vit avec une agréable surprise que les antipathies qui les avaient séparés, étaient moins tenaces qu’on ne le supposait. On s’aperçut bientôt que s’il était dans la nature des insulaires de ressentir profondément les outrages, les moindres bienfaits les pénétraient aussi de la reconnaissance la plus durable.
L’arrivée de quelques ingénieurs civils et militaires semblait promettre des ouvrages utiles et des améliorations importantes. Cette espérance ne fut pas entièrement déçue. Entr’autres points, la ville de Corte fixa plus particulièrement l’attention du ministère. Il sut apprécier l’importance de sa position; la preuve en est dans la construction d’une vaste caserne et le plan d’une enceinte plus vaste encore. La solidité et le développement des travaux que l’on y acheva avec une rapidité étonnante, malgré le mauvais état des finances, présageaient à cette ville centrale le plus brillant avenir. On comprit, beaucoup mieux qu’on ne le comprend de nos jours, que là était le point de départ de toute civilisation et que son plus grand obstacle est dans la décentralisation de l’action gouvernementale. C’est l’opinion des plus habiles administrateurs, des économistes, et surtout de M. Blanqui. On lit à la page 8e de son rapport: «La situation » excentrique des deux capitales ( Ajaccio et Bastia) ne leur » permet d’exercer qu’une influence imparfaite sur la civili- » sation générale du pays .»
Le général de Vaux réunit, dans la ville de Corte, tout ce que le parti de l’indépendance comptait de notabilités influentes; entr’autres, Nicolô Paravicini d’Ajaccio, Laurent et Dominique Giubega de Calvi, Dominique Arrighi de Speloncato, Jean-Thomas Arrighi et Boerio de Corte enfin Thomas Cervoni de Soveria. Le but de cette réunion était de les rassurer sur les intentions du monarque et les projets ultérieurs du ministère. «Messieurs, leur dit-il, le sort de la
» Corse est décidé. Le général Paoli et son frère Clément sont
» déjà loin de l’île. Il m’arrive des soumissions de toutes les
» communes. La France renonce généralement à tous les
» droits de conquête sur votre pays, et ne se réserve que celui
» de vous associer à son sort. Vous acquerrez une nouvelle
» patrie qui mettra toute sa sollicitude à vous rendre heureux.
» Je ne doute point que vous ne lui soyez fidèles, autant que
» vous l’avez été à la cause de l’indépendance. Mon souve-
» rain apprécie et sait admirer les Corses qui l’ont défen-
» due. Désormais, la résistance n’aurait plus de motifs. Ainsi,
» l’obstination serait à la fois une folie et un crime. J’accor-
» derai des passeports pour vous et pour vos familles, afin
» que vous rentriez tranquillement dans vos demeures respec-
» tives et que les postes militaires disséminés sur divers
» points puissent, au besoin, vous protéger et vous prêter
» assistance.»
Il faisait remarquer, en outre, que l’occupation de Corte avait terminé la campagne et qu’il suffisait de deux régiments bien dirigés pour comprimer la révolte et assurer la soumission entière du pays. Dans un rapport adressé au ministère, il insista beaucoup pour que l’on fixât sur le point central le siège des autorités supérieures . Il faisait remarquer en même temps, que ce n’était pas sans de puissantes raisons que le général Paoli y avait concentré tous les pouvoirs, convoqué les assemblées, établi l’imprimerie, fondé l’Université, en un mot réuni tous les éléments d’une puissante organisation. Il pensait que si la république de Gènes fût parvenue à y asseoir solidement l’autorité d’un gouverneur-général, sa domination eût été moins précaire. La faiblesse de ce gouvernement venait en grande partie de ce qu’il n’avait jamais pu se maintenir, d’une manière ferme et durable, dans l’intérieur du pays.
Le comte de Vaux n’était pas seulement un homme de guerre; il était remarquable aussi par la justesse et la netteté de ses vues sur tout ce qui tenait à l’administration. Moins étranger aux mœurs et aux usages des habitants que bien d’autres généraux, il attendait beaucoup d’une modération éclairée et peu d’une force inintelligente. Étant au nombre des officiers distingués qu’avaient conduits au secours de Gènes les généraux Maillebois et Boissieux, il s’était dès-lors attaché à étudier le côté géographique et moral du pays. «Non moins observateur que brave, écrivait
» D. Giubega à un de ses amis en Italie, il m’a franche-
» ment avoué, que si la voie de la persuasion ne réussissait
» pas toujours, on obtenait bien moins encore par les me-
» naces.»
On raconte, à ce sujet, une anecdote qui lui fait le plus grand honneur. Dans sa première campagne, il fut blessé à Ghisoni d’un coup de feu. Tout le village connaissait l’auteur de la blessure, c’était un certain Carlotti. Craignant que le général en chef ne vengeât la blessure de l’ancien capitaine des grenadiers, il n’eut pas plus tôt appris qu’il s’avançait à la tête d’une division, qu’il s’éloigna prudemment du village. Le comte de Vaux menaça de le livrer au sac et aux flammes, si le fugitif ne rentrait pas dans les vingt-quatre heures. Les habitants prirent la menace au sérieux. Le temps pressait: il fallait opter entre un seul homme et une population entière. Touché de ces alarmes, Carlotti quitte soudain sa retraite et va s’offrir au courroux du général.
«Ah! te voilà, dit le comte, d’un ton sévère. N’est-il pas
» temps que je venge ma blessure? Pour le coup tu ne m’é-
» chappera pas. Vite qu’on le passe par les armes. — Quand
» il vous plaira, général, répondit sans s’émouvoir le brave
» Carlotti: ce n’est pas moi qu’il faut épargner, c’est le vil-
» lage; cependant un mot.... — Parle. — Je combattais pour
» mon pays, vous, au contraire.... — Quoi! tu oses encore
» m’insulter?..... Qu’on le saisisse» ajouta le général, en s’adressant à un poste de soldats..... Puis changeant subitement de ton et de langage, plus ému de tant de générosité, que Carlotti n’était effrayé de l’approche de la mort, il lui tendit affectueusement la main. «Rassure-toi, mon ami,
» la guerre était juste, vous la faisiez loyalement; mainte-
» nant la position a changé. Nous n’aurons plus à combat-
» tre les uns contre les autres, mais à marcher sous une
» bannière commune. Il n’y a plus ni Paolistes, ni rebelles
» nous sommes tous les sujets du roi de France. Je connais
» les intentions de mon maitre. Son amour ne fait aucune
» distinction entre vous et les Français d’outre-mer. Je ne
» doute pas que vous ne vous rendiez dignes, par votre fi-
» délité, de l’honneur et du bienfait de cette franche adop-
» tion.»
C’est ainsi que cet habile général disposait insensiblement les esprits les plus rebelles à la domination française. Rien n’était plus propre à les rallier sous le drapeau des lys, et c’était devant ses actes, plus encore que devant ses paroles, qu’ils déposaient entièrement cette défiance haineuse, obstacle permanent à la fusion des intérêts, et germe vivace de révoltes ultérieures. Toutefois, cet exemple de modération et de prudence, qu’il laissait à ses successeurs comme une excellente règle de conduite et une garantie de bonne intelligence entre les indigènes et les Français, fut complètement oublié par les uns, ou peu suivi par les autres. Il en résulta que l’on sévissait quand il fallait pardonner, et que l’on pardonnait quand il fallait sévir. Il y a des fautes qu’il est toujours prudent de dissimuler, parce qu’elles trouvent leur excuse dans les malheurs des temps, la puissance des préjugés, ou l’entraînement de l’opinion. Eh bien! c’était précisément contre celles-là que l’on déployait l’appareil de la force et la rigueur des cours prévôtales. Au lieu de s’en prendre à la maladresse des autorités, on n’accusait du malaise et des mutineries, éclatant de loin en loin dans les communes, que leur sauvage insociabilité. — C’est, du reste, ce que l’on a vu sous le Consulat et les premières années de l’Empire. Ne s’est-il pas rencontré des généraux gouverneurs qui, pour perpétuer leur dictature militaire, ne se lassaient point de représenter la Corse comme agitée d’un bout à l’autre par l’esprit de révolte, prête à se lever au moindre signal en faveur des Anglais, en hostilité permanente contre l’Empire, appelant enfin de tous ses vœux le moment où elle aurait pu se séparer avec éclat de la mère patrie? On n’a point oublié, et l’on verra ailleurs, que le général Morand forgeait des conspirations imaginaires pour faire croire à la nécessité d’un pouvoir démesuré. Il a été dans la destinée de la Corse de subir, par intervalles, l’humiliation et toutes les duretés du régime exceptionnel. L’arbitraire a toujours été dans les tendances et les goûts des hauts fonctionnaires. Il importe à son bonheur, disent-ils, qu’on laisse ici plus de latitude de pouvoir que la constitution ne le permet ailleurs. Nous ne le pensons pas. La légalité ne gêne que les médiocrités ambitieuses. Plus on témoignera de la confiance aux Corses et plus il y aura de facilité à les gouverner. Ce qui arriva à Ghisoni en est une preuve de plus. Tous ceux que la crainte avait éloignés rentrèrent bientôt dans leurs demeures; les plus exaltés déposèrent les armes; les communes par où passait le général de Vaux ne laissaient plus entrevoir ni crainte, ni aversion; les communications et les rapports s’établirent de tous côtés; enfin le pays en général perdait son aspect hostile, pour se préparer à une réconciliation sincère et durable. Si, dans la suite, des mesures imprudentes et d’une rigueur excessive faillirent ranimer des haines à demi éteintes, on en connaît la cause, c’est que le ministère ne fut pas toujours aussi heureux dans le choix des hommes qu’il appela successivement à la haute administration de l’île.
La conquête ne put renverser complètement les institutions que Paoli avait établies; du moins, leur esprit survécut. Le régime électoral fut modifié et non détruit. Il avait pénétré trop avant dans les idées et les mœurs, pour qu’il ne fût pas impolitique de l’abolir entièrement. Cette concession aux exigences de l’opinion les flatta beaucoup: c’était un compromis entre le passé et le présent, une sage limitation aux droits de la conquête et le gage certain d’une paix durable entre les deux peuples. La représentation nationale restreinte et non pas abolie, revit également sous le nom d’États généraux, composés de députés appartenant aux trois ordres. Leur élection avait lieu dans les assemblées provinciales. Il n’y avait de priviléges exclusifs que pour le haut clergé, en ce que les cinq évêques étaient députés de droit. La base électorale était encore assez large. En effet, dans les pièves, tout père de famille était électeur. Toutes les questions d’intérêt général étaient examinées et débattues dans les séances des États, mais les délibérations devaient être revêtues de l’approbation royale.
Ce droit de contrôle souverain n’était pas une simple prérogative d’honneur. Par le refus de sanction, la couronne paralysait l’effet des résolutions, quelle que fût leur nature, si avantageuses qu’elles pussent être au pays. Devant ce droit de véto, car c’en était un évidemment, que devenaient l’indépendance et la liberté des États? — La constitution de Paoli admettait aussi un droit de véto, mais conditionnel, mais borné dans sa durée. Subordonner les propositions des États à la volonté royale, c’était créer, au profit du gouverneur, cette délégation bornée du pouvoir souverain, un droit de révision et de censure; c’était transformer la représentation en un bureau d’examen et de discussion; c’était déplacer la souveraineté en la reportant du peuple au chef militaire. Là était le vice. Il suffisait d’un rapport, d’une simple lettre, pour écarter sans retour, ou ajourner indéfiniment l’effet des délibérations les plus importantes. Souvent le droit d’exclusion atteignait celles qui répondaient le mieux aux besoins de l’époque. Quelle différence entre ce simulacre de représentation et les consultes précédentes? C’est qu’alors on avait la réalité, maintenant la fiction dérisoire du système représentatif.
Une innovation que ne repoussaient pas moins les idées d’égalité absolue, si puissantes à cette époque, c’était la commission des douze nobles. Ses attributions consistaient à assurer, pendant l’intervalle des sessions, l’exécution des mesures adoptées par les États et revêtues de l’approbation royale. Elle était chargée, en outre, d’élaborer les matières sur lesquelles on devait délibérer dans l’assemblée suivante. Deux membres de cette commission résidaient à Bastia auprès des commissaires du roi. Nous ne dirons pas que c’était pour influencer leur opinion; mais il est évident que par là aussi, on transportait la prépondérance locale et politique, du peuple, source primitive de toute souveraineté, à l’élément aristocratique. On faisait du pouvoir législatif une attribution exclusive de la naissance. Rien n’était plus imprudent. Paoli s’était attaché à faire rentrer sous la loi commune la caste superbe des comtes et des barons, et on réveillait leurs prétentions surannées! Les juntes nationales n’avaient voulu reconnaître d’autre suprématie que celle du mérite personnel, d’autres supériorité, dans la sphère politique, que celle que donnait temporairement aux divers fonctionnaires le mandat de leurs concitoyens. Elle était bien imprudente la main qui, pour satisfaire de sottes vanités, jetait ainsi des semences de division sur un sol naturellement inflammable. Un antagonisme hostile, une jalousie haineuse, allaient remplacer l’unité de vues et cette parfaite harmonie d’ensemble d’où était sorti la véritable force de la nation.
Bientôt on vit se produire de tous côtés des tendances féodales. Tel, qui se fût accommodé fort bien de l’égalité des droits, sollicitait avec instance des titres de noblesse. Le conseil supérieur fut assailli de demandes de cette nature. Les uns exhumaient de vieux parchemins oubliés pendant des siècles, d’autres en fabriquaient de nouveaux, d’autant plus jaloux de ce qu’ils appelaient l’illustration de leur race, qu’elle était moins connue du pays. Les hommes sensés s’en moquèrent On ne concevait pas trop quel prix on pût attacher à ces vains titres. S’ils flattaient la vanité de certaines familles, ils étaient loin d’en accroître la considération. On sait d’ailleurs comment on vérifiait les titres de l’ancienne aristocratie, et quels étaient les fondements de la nouvelle. Cependant, en y attachant des droits politiques, on finit par lui donner une valeur réelle. Ceux qui n’avaient vu d’abord que son côté risible ne furent pas les moins empressés à entrer dans cet ordre privilégié. Pendant long-temps le conseil supérieur n’eut d’autre occupation que la reconnaissance et l’enregistrement de ces lettres de noblesse. Il ne restait plus qu’à nommer un corps de hérauts d’armes, pour y perfectionner la science du blason. Néanmoins, on vient de le voir, parmi les moyens imaginés pour affermir la domination française aucun ne parut plus efficace au général Marbœuf, que la création de cet ordre de noblesse ou plutôt son rétablissement. Il en résulta un incident qui fit une vive sensation dans toute la Corse. Botta se plaît à le rapporter, parce qu’il fait, dit-il, beaucoup d’honneur au caractère national.
«Au nombre des Ornano, qui demandaient à être inscrits sur le tableau des nobles, étaient les descendants de la branche de Michel-Ange, de celui-là même auquel la Corse indignée reprochait le lâche assassinat de Sampiero. L’intervalle de deux siècles n’avait pu rien ôter à l’horreur de ce crime. Aussi, un mouvement d’improbation éclata-t-il de tous côtés. Il fallait les exclure de la noblesse pour cause d’indignité. Dès l’instant où leur nom aurait été placé sur le tableau des gentilshommes, on pouvait être sûr que chacun d’entr’eux en effacerait le sien. On mit dans cette protestation tant d’unanimité et d’énergie que la commission’ des nobles dut s’arrêter. C’est que le souvenir de cet exécrable forfait, ajoute l’historien d’Italie, toujours vivant dans l’âme des Corses, y entretenait, et y entretiendra longtemps encore, un mélange de pitié et d’indignation; de pitié pour l’héroïque victime, d’indignation contre ses lâches assassins. »
De Londres, Paoli se moquait, dans ses lettres, du système français et de ce qu’il appelait la fabrique des nobles. De vieux parchemins lui semblaient, en effet, une base bien mince dans un siècle où beaucoup d’hommes s’étaient élevés aux premiers postes de l’État sans autre recommandation que leur mérite, et par la seule échelle des services rendus au pays. Rien n’était plus risible que de voir transformer en chancellerie le modeste greffe d’un tribunal de province. Une pareille noblesse est un embarras, beaucoup plus qu’elle n’est un appui pour les monarchies. Le ridicule la tue, car elle ne repose ni sur la fortune terrière, ni sur le respect des noms et le prestige de la naissance. S’il en était autrement, la royauté éphémère de Théodore ne l’eût cédé en gloire et en stabilité à aucune royauté de l’Europe. Ne sait-on pas que, proportionnellement au nombre des sujets, il créa à lui seul plus de marquis, de comtes et de barons que plusieurs princes ensemble?
Le conseil supérieur était une espèce de parlement au petit pied. Il se composait d’un premier et d’un second président et de dix conseillers, dont six français et quatre indigènes. Le ministère public y était exercé par un procureur général et par un adjoint ou soit avocat-général. Il y avait, indépendamment d’un greffier en chef, deux secrétaires interprètes et huit huissiers. Il est à remarquer que jusqu’à des temps bien rapprochés de nous, ces officiers ministériels étaient tous du continent. Les insulaires avaient trop de fierté naturelle, ils s’estimaient trop alors, pour ne pas se croire au-dessus de pareilles charges. Le général-gouverneur pouvait siéger au conseil avec voix délibérative. C’était le renversement de l’adage si connu, cedunt arma togæ, une sorte de monstruosité dans l’ordre judiciaire. Peu accoutumés à ce mélange de l’autorité civile et militaire, les Corses devaient s’en étonner. Ce n’était pourtant qu’une assimilation de plus entre la magistrature insulaire et l’organisation des parlements français où le gouverneur militaire de la province intervenait dans les décisions judiciaires. — Cette inégalité dans le nombre des conseillers blessa vivement les nationaux. Mais ce qui accrut davantage leur mécontentement, ce fut l’exclusion totale des indigènes des principales dignités et des emplois supérieurs. Cet interdit, à la fois injuste et humiliant, ne tomba que devant la révolution et l’Empire.
Parmi les mesures de sûreté générale, la plus essentielle, la plus urgente, celle qui, dans la pensée du nouveau gouverneur, devait ramener la sécurité dans toutes les communes et assurer des jours de bonheur à des populations agitées par la vengeance et décimées par le meurtre, était, on le devine, le désarmement en masse. Il fut ordonné sans délai et s’effectua avec une rigueur excessive. Cette mesure, on ne saurait trop le redire, est la panacée universelle de tous les administrateurs qui s’attaquent à l’instrument du mal et en laissent subsister la cause. Nous le demandons, n’est-ce pas prendre l’occasion pour le mobile; n’est-ce pas appliquer le remède avant de chercher le siège de l’affection morbide? Qu’on nous permette ici une petite digression.
Les malheurs du pays ne viennent point assurément de la détention, pas plus que du port des armes. Ce n’est pas que la possession actuelle d’un fusil, le port du pistolet, tranchons le mot, le maniement habituel des armes, n’amènent quelquefois à des rixes et à des collisions qui, dans l’absence d’un fer homicide, se fussent terminées sans effusion de sang. Sans doute, il serait à désirer, que l’on mît de côté cet appareil martial qui effraie souvent le voyageur, et personne ne le désire plus ardemment que nous. Au lieu de ces armes menaçantes, nous verrions volontiers entre leurs mains, la serpe et la cognée. Nous faisons des vœux pour que nos compatriotes emploient à cultiver leurs champs le temps qu’ils passent à soigner leurs armes. L’argent qu’ils dépensent dans l’achat du plomb et de la poudre pourrait recevoir une destination plus utile. Nous sommes les premiers à le reconnaitre. Mais il ne faut pas s’imaginer pour cela que le désarmement général soit la garantie la plus certaine de l’ordre et de la sûreté des personnes. Outre que cette mesure rencontrera toujours, dans son exécution, une foule de difficultés inévitables, elle n’exerce aucune influence décisive sur le caractère et les mœurs des habitants. Ce ne sont pas les armes, ce sont les passions violentes qu’il faut supprimer. Les gendarmes sont de mauvais civilisateurs. Désarmer le bras d’un Corse, ce n’est pas le rendre meilleur: on l’irrite, on ne le change point. La sécurité, quoiqu’on en dise, ne repose pas exclusivement sur l’activité et le zèle de la force armée. Quelques brigades de voltigeurs de plus ou de moins ne peuvent ni suspendre, ni accélérer la marche de la civilisation. C’est la direction des idées qu’il faut changer. Une réforme radicale dans les mœurs, dans les goûts, dans les tendances, rendra complètement inutile la suppression totale des armes, mesure, à notre avis, impraticable par sa nature, illégale dans son principe et nulle dans ses résultats.
«En 1715 les Génois prohibèrent le port d’armes et pu-
» blièrent un tableau exagéré des meurtres commis pendant
» les vingt-deux années précédentes: ils s’élevaient à plus de
» mille parannée. Après la conquête de l’île par la France,
» en 1769, une ordonnance interdisait sous peine de
» mort le port d’une arme à feu. Une nouvelle déclaration
» du roi, du 24 mars 1770, réitérait cette défense à laquelle
» M. de Marbœuf ajouta des procédés d’un caractère tout-à-
» fait prévôtal, pour l’extermination des bandits et de leurs
» adhérents.» Ainsi, on n’a pas manqué de prendre con-
tre le port des armes les mesures les plus énergiques. «La
» Corse, remarque encore M. Blanqui dans un autre passa-
» ge de son lumineux rapport, la Corse, pendant cette longue
» période s’est trouvée soumise soit au régime militaire,
» soit au régime des cours criminelles et la statistique ne
» prouve pas que cette répression impériale ait produit
» une diminution notable dans le chiffre des crimes.» Ce-
pendant il n’en pense pas moins que le désarmement, même
incomplet, porterait bientôt d’heureux fruits.
D’accord avec ce savant économiste sur toutes les excellentes idées qu’il a émises touchant le pays, nous sommes loin de partager son opinion sur l’efficacité de cette mesure devenue, depuis quelques années, une sorte de préoccupation d’esprit, l’idée fixe de quelques fonctionnaires haut placés . Ce qui se passe actuellement en démontrerait, au besoin, toute l’impuissance. Qu’a-t-on gagné dans cette violation de la loi commune? Les sessions de la cour d’assises ont toujours la même durée. Et après avoir placé ce département français en dehors du droit commun, après avoir assimilé ses habitants en masse à des repris de justice et à des vagabonds, à qui seuls le juge peut interdire exceptionnellement la faculté de porter des armes, on est obligé d’avouer que le nombre des homicides est toujours le même. Mais rentrons dans le système de la conquête.
L’édit sur les délits et les peines, publié immédiatement après l’occupation, était cent fois plus féroce que les mœurs des habitants. La peine de mort y était prodiguée dans chaque article avec un affligeant mépris de la raison et de l’humanité. Qu’on en juge par les dispositions suivantes.
Les crimes de lèse-majesté divine figuraient en première ligne. Les Génois les poursuivaient sous le nom de sacrilége. Si le nom avait changé, la peine était toujours la même, avec cette différence toutefois, que le profanateur était brûlé vif. Les blasphèmes énormes contre la religion emportaient les galères, ou des peines plus fortes, au choix du juge. Sur ce point on avait copié les statuts criminels de Gênes. C’était le fanatisme qui prêtait ses fureurs à la législation.
Après avoir vengé le Ciel, on pourvut à la sûreté du trône. Tout le monde sait quel était l’affreux supplice réservé pour les coupables de lèse-majesté humaine. Nous en supprimerons ici les tristes détails. Il est des mots qu’on n’écrit pas sans regret. Pourquoi faut-il que nous les trouvions à chaque page dans cet édit draconien? La torture et la roue sont de ce nombre.
Que dirons-nous maintenant de la pénalité à la fois absurde et féroce, atteignant les sorciers et les sorcières, dont les devinations excédaient les connaissances de l’astronomie? Ne fallait-il pas les plaindre au lieu de les tuer? Le peuple demandait à être éclairé et on l’abrutissait par le spectacle du dernier supplice. Était-elle plus sage la disposition qui livrait le cadavre du suicidé aux feux du bûcher, et ses biens au fisc? N’était-ce pas outrager les mœurs sous prétexte de les défendre, que de punir du supplice du feu l’inceste en ligne directe, et de la mort, l’inceste du frère avec la sœur, du beau-frère avec la belle-fille? Ranger ainsi, dans la catégorie des crimes punissables, des actes étrangers aux mœurs encore si pures, aux liens si chastes des familles, c’était en faire naître l’idée, c’était empoisonner tout ce qu’offrait de douceur le commerce intime des parents et des alliés! Il est des faits d’une nature telle, qu’il est cent fois plus dangereux de les punir que de les dissimuler. Voilà ce que l’humanité et la saine philosophie reprochent, de concert, au système pénal de 1769.
Ce n’est pas tout; cet édit accusait, en outre, l’intolérance religieuse du gouvernement. En veut-on la preuve? Elle est dans l’incapacité absolue, dont il frappait tous ceux qui n’appartenaient point à la communion catholique. Cette interdiction de toutes sortes de charges ne s’appliquait point, il est vrai, aux insulaires: les réformes religieuses du XVIe siècle n’ont jamais été introduites parmi eux. Mais supposons que des protestants fussent venus s’établir en Corse avec des capitaux et des procédés industriels, dont elle avait si grand besoin; eussent-ils accepté cet ilotisme politique? Quel avantage pouvaient-ils trouver à se fixer dans un pays où la législation leur interdisait jusqu’à la profession de libraire, de médecin, d’apothicaire, sous peine de se voir condamner à une amende et à la confiscation de l’office, au gré et selon le bon plaisir du magistrat?
Que l’on compare à présent cette législation à celle de Paoli. L’une devançait les réformes du siècle, l’autre faisait rétrograder le pays jusqu’aux plus mauvaises époques de superstition et de barbarie. Celle-là voulait arriver à l’unité morale par une répartition équitable de tous les droits politiques; celle-ci tendait à diviser la Corse en classes diverses, de condition civile, d’intérêts, d’influences; à les opposer les unes aux autres, à substituer la jalousie à un parfait accord de vœux et de sentiments, des luttes continuelles, à l’harmonie la plus constante. Ce partage inégal des droits, qui ne suffisait point pour fonder une aristocratie, dont les éléments n’existent point chez un peuple où la différence entre les fortunes est peu sensible, ne pouvait avoir d’autre résultat que d’agiter profondément le pays, que de séparer ce qu’il faut unir.
Nous regrettons d’être obligés de nous arrêter à ce court aperçu. Mais il suffit au but que nous nous proposons, celui de signaler l’esprit qui avait dominé dans la rédaction de ce nouveau code.
L’organisation judiciaire était meilleure que la législation. D’abord, par ce que les tribunaux de première instance étaient mieux rapprochés de la masse des justiciables; en second lieu, parce qu’il y avait plus de rapport entre le tarif des frais et la modicité de leur fortune. La Corse se divisait en neuf juridictions, relevant, comme nous l’avons vu, du conseil supérieur. Cette cour d’appel remplaçait, à Bastia, la Rote que Paoli avait établie au centre. Le choix de sa résidence n’est pas du tout indifférent au pays, car tous les intérêts y aboutissent. On balança long-temps avant d’opérer ce déplacement dans le siége de cette juridiction supérieure. Indépendamment des considérations d’utilité locale, on fit remarquer, qu’il entraînait une augmentation considérable dans les frais de justice. Cependant, ces considérations puissantes cédèrent devant les convenances personnelles du général gouverneur, appelé à l’honneur de présider le conseil. Ce fut le comte de Marbœuf qui eut l’excellente idée d’abaisser le tarif des frais judiciaires pour rendre plus facile l’accès des tribunaux. Empruntée à l’administration de Paoli, il est fâcheux que cette idée n’ait pu se réaliser qu’à demi. Nous aimons néanmoins à lui en rapporter tout l’honneur, regrettant seulement qu’il n’ait pas étendu aux tribunaux inférieurs l’arrêté qu’il publia touchant les justices de paix.
La constitution du pouvoir municipal n’avait subi que de légères modifications. C’était toujours un Podestà et deux Pères de commune qui géraient les intérêts de la localité, sous le contrôle de l’assemblée générale des pères de famille. La perception de l’impôt, la connaissance et le jugement des demandes personnelles, dont le taux n’excédait pas cinquante francs, entraient aussi dans le cercle de leurs attributions. Il est à remarquer que ces tribunaux n’avaient rien de commun avec les juridictions seigneuriales existant en France avant la Constituante. Au-dessus des Podestà et des Pères de commune, était un Podestà major élu dans chaque piève, et ses fonctions consistaient à contrôler les actes de leur administration et à en rendre compte à l’inspecteur de la province: celui-ci ne pouvait être choisi que dans l’ordre de la noblesse. Autorité intermédiaire, cet inspecteur de province correspondait, d’un côté avec le commandant de l’île et l’intendant, de l’autre, avec la commission des États pour tout ce qui touchait aux intérêts de la province.
Les impôts, mieux repartis qu’aux temps des Génois, pesaient indistinctement sur tous les biens, sur ceux du clergé comme sur ceux de la noblesse. C’était une inégalité de moins, et une différence de plus avec l’état de la Corse sous le régime de sa seigneurie. Il fallut encore un intervalle de dix-neuf ans et une révolution tout entière, pour que l’Assemblée Constituante décrétât l’égalité de l’impôt dans le reste de la monarchie. C’est que Paoli avait devancé d’un quart de siècle la fameuse déclaration des Droits de l’homme, ce programme de la grande réforme sociale et politique qui s’accomplit dans la nuit du 4 août 1789.
Après les soins donnés à l’organisation, on essaya de satisfaire, par quelques améliorations utiles, aux besoins les plus impérieux du commerce et de l’industrie. La marine française protégea le commerce extérieur, contre les corsaires barbaresques. Des marins corses, esclaves à Alger, furent rachetés par ordre du roi. L’industrie manufacturière ne fut pas non plus oubliée. Mais tout se borna néanmoins à de faibles essais. La fabrication de la toile et de la poterie fut la seule qui reçut des encouragements directs. On promit des métiers et des logements gratuits à ceux des tisserands qui seraient venus, les premiers, dans les chefs-lieux des diocèses ou dans les villes de Corte et de Bonifacio. On abandonnait, en outre, aux fabriquants les terrains domaniaux propres à la fabrication de la fayence, des tuiles et des briques. Les produits de cette industrie n’étaient soumis à aucun droit de sortie, et pour faciliter leur exportation à l’étranger, on accordait une prime du vingtième de leur valeur. Voilà pour l’industrie intérieure et le commerce maritime.
L’agriculture ne réclamait pas moins la sollicitude du nouveau gouvernement. L’arrêt du conseil d’État portait exemption absolue de tout impôt pendant une période de vingt ans, à l’égard des terrains incultes qui seraient livrés à l’industrie agricole. Cette exemption s’étendait également aux produits du sol ainsi cultivé.
L’introduction des mûriers, l’établissement de la pépinière de l’Arena destinée à servir de ferme modèle, datent de cette époque. Une opération plus importante encore était celle du cadastre qui, en donnant plus de stabilité à la propriété immobilière, avait imprimé, en même temps, une impulsion heureuse à l’agriculture. Commencée en 1770 elle fut poursuivie d’abord avec persévérance. Il est fâcheux qu’elle ait eu le sort de la plus part des innovations utiles.
«Cependant, dit M. Robiquet, la Corse était gouvernée
» au nom du roi absolu. Les députés de la nation n’avaient
» aucune part à la puissance législative. L’autorité du com-
» mandant de l’île était presque sans bornes. Les formes
» étaient celles du despotisme. Aucune opposition n’était
» permise.» Doit-on s’étonner si, malgré ces primes d’encouragement, l’industrie agricole et manufacturière sont encore à créer et si, au bout de quelques années, elles retombèrent dans une langueur mortelle? Quand le citoyen n’a pas la jouissance assurée de ses droits civils et politiques, il se soucie fort peu des intérêts matériels. D’ailleurs, le ministère français oublia ce qu’il y avait de plus urgent, de plus essentiel. Il fallait ouvrir et améliorer les voies de communication, et l’on se borna à tracer une route stratégique de Bastia à Ajaccio, c’est-à-dire, que l’on se préoccupa beaucoup de la défense militaire du pays, et pas assez de son commerce intérieur, comme si les voies de communication ne devaient pas précéder toutes les créations agricoles et manufacturières! Sans elles les produits territoriaux et industriels sont plus souvent une charge et un embarras, qu’une richesse réelle.
Les généraux qui vinrent en Corse à cette époque étaient dépourvus de toute idée d’économie politique. Ils ne voyaient le progrès que dans la terreur, et la civilisation que dans la la prééminence militaire sur l’autorité civile. Sans cela comment expliquer le déplorable procès qui faillit atteindre de la flétrissure juridique l’un des noms les plus respectables et les mieux respectés de l’autre côté des monts? Condamné à une peine afflictive et infamante, sur la fausse déclaration de témoins gagnés, une éclatante réhabilitation rendit bientôt au lieutenant-colonel Jacques-Pierre Abbatucci l’estime et le rang qu’il tenait dans l’armée du roi et l’opinion de ses concitoyens. Ce n’est pas dans des carrières aussi belles, aussi pures, qu’il peut y avoir place pour le déshonneur. Ce nom était fait pour être inscrit sur un monument de gloire, et non pas sur le poteau d’infamie. C’est en mourant sous le drapeau de la nouvelle patrie qu’un de ses descendants en prouvait la noblesse et en perpétuait l’éclat .
La honte de cette odieuse condamnation retomba tout entière sur ses accusateurs. Ce fut envain que le comte de Marbœuf se cacha derrière des juges faibles et égarés. La réhabilitation du condamné prouve l’erreur ou les passions du juge. Poursuivis à leur tour par l’opinion justement indignée, les membres de ce tribunal en rejetèrent la responsabilité sur le général-gouverneur ou plutôt sur les vices de cette institution. Nous avons lu les pièces de ce procès et la défense manuscrite prononcée devant cette juridiction supérieure. L’intrigue habilement conduite n’en perce pas moins à chaque page de cette information monstrueuse. Aussi, la défense, bien que timide, ne laissait-elle subsister de ce frêle échafaudage, que le mensonge et la calomnie. Il était aisé de voir que la prétendue subornation des témoins, reprochée au lieutenant-colonel Abbatucci, n’avait été imaginée que pour déguiser une vieille rancune. On chercha vainement à donner le change sur la véritable cause du procès. L’intérêt de la justice et de la vérité n’y entrait pour rien. Tout le monde comprit que ce n’était pas au curé de Guitera qu’il fallait demander compte de cet arrêt infamant. M. de Marbœuf ne pouvait pardonner à Abbatucci d’avoir courageusement accompli, en 1777, un devoir civique, en signalant aux États Généraux des actes empreints de tout ce que pouvait avoir de plus révoltant la dictature militaire.
Telle était, du moins, l’opinion commune. Dire qu’il n’était guère probable qu’un vieux guerrier, connu par tant d’actions honorables, eût souillé les dernières années de sa vie par un crime , ce n’est pas démontrer l’injustice des plaintes amères qui le poursuivirent depuis l’enceinte du tribunal jusqu’aux pieds du trône. Il pouvait être brave et abuser d’une autorité illimitée. Combien d’hommes, d’ailleurs fort respectables, ne pourrait-on pas nommer, qui se laissèrent entraîner à des actes de vengeance et à des excès de pouvoir? Et quand les juges se seraient rendus coupables, qui prouve, ajoute encore M. Robiquet, qu’ils aient agi par l’impulsion de M. de Marbœuf? Ce qui le prouve c’est la clameur universelle, c’est-à-dire, le cri de la conscience publique, qui, plus d’une fois troubla son sommeil et fit baisser le front à ceux des conseillers soupçonnés d’avoir faibli devant sa haute influence.
Ses partisans d’alors, et ses apologistes d’aujourd’hui, ont dit et répété tour-à-tour qu’il n’avait rien épargné pour mériter l’attachement des Corses. N’est-ce pas sur sa demande, ajoute-t-on, que le roi accorda des places à de jeunes insulaires, tant dans les écoles militaires que dans les colléges du continent? C’est possible; et nous n’avons, du reste, aucun intérêt à lui ravir le peu de droits qu’il pouvait avoir à la reconnaissance du pays, ni l’intention de méconnaître ce qu’il y eut d’utile dans son administration. Mais il faudra convenir aussi, que cette admission dans les écoles du continent était une faveur accordée exclusivement aux familles notables; inégalité blessante qui, ajoutée à tant d’autres, ne contribua pas peu à accroître et à maintenir, entre la majorité et un petit nombre de privilégiés, ce ferment de haine qui les avait déjà si profondément divisés. Nous ne nous en plaignons pas trop cependant, car ce fut à ce titre que le jeune Napoléon entra à l’école militaire de Brienne.
Un bienfait, qui toucha vivement les Corses, ce fut la délivrance de tous les malheureux qu’avaient capturés les corsaires barbaresques. Quel jour de bonheur que celui où plus de cent-cinquante insulaires, rendus à la liberté et à la religion de leurs pères, passaient de la côte africaine sur les vaisseaux du roi très-chrétien! Cette pacifique croisade rappelait, à la fin du XVIIIe siècle, les noms des Philippe-Auguste et des St-Louis. Il était digne de leurs successeurs de soustraire ces nouveaux sujets à ce rude esclavage. On vit, avec une joie mêlée d’orgueil, qu’inébranlables dans leur foi, ils l’avaient confessée au milieu des fers, et courageusement défendue de toutes les séductions de l’islamisme. — On ne doit pas s’en étonner. Il n’est point, dans toute la chrétienneté, un peuple plus sincèrement attaché à la religion de ses pères. Elle s’y est maintenue pure de l’alliage de toute communion dissidente. Ce que l’on y verrait avec plus de répugnance, après une invasion de Génois, ce seraient des calvinistes et des luthériens. Paoli eut beau prêcher la tolérance: des juifs débarqués à l’Ile-Rousse implorèrent vainement sa protection. Quelques jours s’étaient à peine écoulés qu’ils emportaient loin de nos rivages leurs capitaux et les symboles du judaïsme. Paoli reconnut son impuissance à lutter contre l’empire des idées religieuses. On en trouve une nouvelle preuve dans l’inébranlable fidélité de ces Corses esclaves, aux doctrines de l’évangile. «Vous voyez parmi nous bien des malheureux, dit l’un d’eux au curé de St-Jean de Bastia, au moment où ils débarquèrent entre le clergé et les confréries; mais vous n’avez pas à craindre d’y rencontrer un seul renégat. Les Turcs ne les trouvaient pas plus disposés à changer de religion, que les anciens Romains ne trouvaient leurs aïeux disposés à accepter le joug de la servitude. — Le souvenir de ces cent-cinquante insulaires ainsi rachetés de l’esclavage ne fut pas étranger, sans doute, au vif sentiment de douleur que fit éclater, dans toute la Corse, la condamnation de Louis XVI.