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CHAPITRE IV

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Table des matières

Milan, Hôtel de la Ville.

—Mesdames, un bel appartement, à deux lits, 12 francs... nous n'avons que cela delibre... pas de «chambre communiquante» pour Monsieur... et le gérant indique le Peintre.

—Môssieu? mais qu'est-ce qu'il peut bien nous faire! reprend Avertie, indignée.

—Alors, montons, Mesdames.

Il est trois heures, un sommelier—les prenait-on pour des barriques?—les précède; il marche comme un prétentieux tragopan. Tout en circulant dans les longs couloirs, Avertie lit les numéros des chambres, puis sur des étiquettes: Bains... Jardin...

—Jardin? Comment, garçon, sont-ce les jardins de l'hôtel qui se trouvent là?

—Oh! que non, Signora! Il y en a à tous les étages—et sa bouche voulait être spirituelle—ce sont tout simplement les lieux d'aisances.

—Ah! parfaitement.

Et elle aima davantage l'Italie d'appeler les cabinets «Jardins».

Arrivées dans leur chambre, Floche jette pèle-mêle ses paquets, gants et chapeau sur les lits. Puis sans même regarder:

—Ça! un bel appartement, pour 12 francs, avec vue sur les derrières! Être venue de Paris à Milan pour voir frire des soles dans la cour d'un hôtel.... J'en mourrai!

—Oh! Attendez quelques jours encore avant de vous détruire, voulez-vous? Et choisissez vite votre lit! lui répond Avertie.

—Hum, dans une étable pareille, que m'importe le choix d'une litière!

Et elle s'approprie le plus confortable.

Elles avaient déjà commencé à ranger leurs menus objets, lorsque Avertie jeta un regard circulaire, se demandant pourquoi la chambre lui paraissait si exiguë. Partout Floche avait marqué sa présence, éparpillant sur tous les meubles éponges, chapeaux, brosses et couvertures.

—Activez donc, chère amie, disait Floche dans sa hâte de sortir, tout cela c'est du temps perdu, du temps précieux, du temps qui nous coûte deux francs neuf centimes l'heure. J'en ai fait le calcul.

Vite, elles se donnèrent le petit retapage, grain de poudre, rouge aux lèvres, coup de brosse; et, dans leur crasse de voyage, pimpantes comme aux Champs-Elysées, elles descendirent le grand escalier du sympathique Hôtel de la Ville.

Le Peintre les attendait déjà; il leur avait retenu un fiacre et improvisé un «circulaire» de la première heure.

Dès la sortie de l'étroit et populeux Corso Emmanuel, le Dôme se dressa devant elles.

—Cachez-moi ça! Cachez-moi ça! hurla Floche en agitant—classique geste de l'horreur—les mains devant ses yeux.

Elle savait qu'il était de bon ton de dénigrer l'œuvre moderne. Avertie, au contraire, sans parti pris, regarda; l'ensemble lui parut beau, malgré quelques détails choquants, et la place, un joli plateau pour ce gâteau de noces.

Par les rues dédaignées, ils allèrent voir quelques vieilles maisons aux loggias de pierres dentelées et découpées en guipure, puis quelques églises où, pour les prochaines fêtes, pendaient aux piliers de grandes draperies de damas rouge. Les nefs en prenaient des allures intimes d'alcôve dans une lueur pourprée douce et tiède.

—J'ai faim, dit Floche tout à coup.

—Parfait, dit le Peintre.—Cocher, Café Baldi!

Avertie s'y crut à Vienne (Autriche): mêmes élégances un peu tapageuses de province riche; aucun de ces raffinements des Colombins et autres tea-rooms parisiens. Sur les tables de marbre sombre s'accoudaient des femmes empanachées d'autruche et de paradis.

Floche, aux yeux d'enfant plus grands que le ventre, commanda une orgie de thé, de glaces, de gâteaux.... Mais, une fois repue, elle trembla, puis pâlit. N'avait-elle pas oublié ses deux principes: économie et sobriété?

Ce fut le Peintre qui paya: deux francs vingt.

—Vous dites 2 fr. 20 pour nous tous! 2 fr. 20? Il s'est trompé, le brave homme! C'est impossible... c'est de la folie! On n'a jamais mangé 12 gâteaux, 3 glaces, 2 thés, de la bière pour 2 fr. 20! Mes amis, je suis parfaitement heureuse! Notre voyage ne nous coûtera pas un sou!

Ils se levèrent sur un «Allons, en route!» d'Avertie.

—Oui, oui, en route et un peu vite, reprit Floche. Il faut digérer tout cela, maintenant.

Et le Peintre dit au cocher:—«Hôtel Modrone

Le long du naviglio sordide, où baignait le derrière des maisons, les pampres d'avril pénétraient le désordre des arrière-offices et balançaient leurs longs serpents verts sur les oripeaux éclatants des lessives suspendues. Plus loin, Avertie, dépassant ces choses du regard, s'écria saisie:

—Ah! que c'est beau, Peintre! Qu'est-ce donc que ce balcon? Serait-ce déjà l'hôtel Modrone?

Sur le petit canal, une rampe de forte pierre avançait en rinceaux compliqués et un peu lourds. Entre de gros arbres pleureurs, les têtes renaissance et les arabesques sculptées se couronnaient de pousses tendres. Deux amours siégaient, en motif médian, sur des coussins de marbre. Ils embrassaient des cornes d'abondance aux fruits croûlants et dont ils inclinaient légèrement la chute au-dessus de leurs têtes bouclées. Sur la terrasse, un jet d'eau oublié animait la solitude. Le fond se perdait dans un décor à doubles rangées de colonnes sveltes et claires, où les plantes folles et les rosiers exaspérés s'écrasaient contre la pierre. Les volets mi-fermés emprisonnaient des vitraux jaunes et bleus que le soleil piquait ardemment.

La vie s'était arrêtée à l'hôtel Modrone depuis l'époque luxueuse. Et les deux vieux arbres qui assombrissaient la terrasse de leur masse pleureuse témoignaient seuls de la fidélité du printemps aux deux amours assis sur leur coussin de marbre.

Les Pèlerines étaient pénétrées. Elles refusèrent de «s'éparpiller» en d'autres plaisirs—même d'art—et rentrèrent à l'hôtel.

Le soir on s'en fut dîner au Gambrinus. Là, les trois amis retombèrent dans le brouhaha bourdonnant du restaurant universel: dames viennoises sur estrade dominant les consommés et les macaronis. Ceinturées de rose fané, l'air absent, fardées, ces filles tristes jouaient Coppelia.

Ils mangèrent à l'italienne. Sur le menu, soupe à la Corneille, ravioli, macaroni, rizotto et poletto.

—Que le beurre est donc bon ici! s'écria Floche, qui en faisait fondre un petit morceau dans la chaleur de ses coins de lèvres; notre cher Rumpelmeyer a tant hésité à venir habiter Paris, parce qu'il ne pouvait faire ses tartes qu'avec le beurre de Milan. C'est bien connu, du reste. Mais il y a encore autre chose de connu à Milan! Ah! oui, les mouches! Les mouches de Milan! Seigneur! c'est donc vrai... Heureusement que ce n'est pas encore la saison!

Et ainsi s'agrémentait le dîner, pendant que le Peintre sifflotait, entre les i terminaux et le filandreux réel des mets italiens, les airs joués par les dames viennoises.

Le Gambrinus était situé sous l'immense galerie de verre, d'un goût douteux, mais si prisée par les Milanais et qu'ils encombrent aux heures de loisir.

Avertie, en sortant du restaurant, bouscula une petite table maculée de bière et de limonade. Elle mit le désordre dans un groupe qui, dérangé, découvrit à la jeune femme un buveur solitaire, dont les yeux perdus dans l'espace semblaient suivre la fumée de sa petite pipe de bruyère. C'était Dick! Comment avait-elle pu si totalement l'oublier?

Avec la même nonchalance botticcellienne, le même complet home-spun, et sa cravate «œil de truite», on eût dit qu'il attendait le plaisir de bâiller. Sa main et son poignet, mince dans une manchette ridiculement évasée, pâlissaient sous la lueur des becs Auer. Ces détails frappèrent involontairement Avertie. Un peu troublée, elle voulait avancer, se montrer, lui faire comprendre au moins qu'elle était là et que, par un hasard inouï, elle l'avait vu. Elle n'eut pas le temps d'agir; déjà, ses deux co-pèlerins l'entraînaient, perdue dans ses pensées, à travers la fourmilière humaine.

Une ruelle sombre, au bout une lueur éclatante et le Dôme, gâteau de noce découpé, crayeux, sur un ciel de flamant-rose. Il était, vu de cette ruelle sordide, à la fois mystérieux et fantastique. Tous trois se regardèrent avec enthousiasme.

À ce moment, près d'eux, sur le même ciel rose, dans sa démarche longue et alerte, la silhouette de Dick se profila aussi. Avertie ne douta plus alors qu'il ne l'eût reconnue et suivie; elle mit instinctivement la main sur son cœur et, «la tête dans le ciel et les pieds sur la terre», elle heurta violemment une masse sombre.

—Oh! mais! s'écria Floche indignée, faites donc attention! Qu'avez-vous bousculé là? C'est noir... C'est mou... un enfant! Mes amis, c'est le petit Italien, le pauv' petit Italien qu'on rencontre toujours à Paris!... a-t-il sa marmotte?

Et elle lui jeta deux sous, déjà loin.

***

Cette nuit-là, Avertie rêva de Dick. Dans une pose de dieu antique, il l'avait embrassée, enlacée. Elle sentait presque encore, au réveil, le toucher des doigts longs, spatulés un peu, qui, pour attirer sa bouche, lui avaient soulevé le menton. Et son regard! Où avait-elle déjà vu cette intensité, cette expression de tristesse et de volupté si complète? Ce regard «qui contenait toute la guerre de Troie»!

Floche la tira de ces souvenirs. Elle sortait son nez des couvertures:

—Avez-vous bien dormi? Moi, excellemment. Je vous aime, chère amie—et elle déploya son mouchoir—parce que vous êtes décidément ado... Oh! là là! une puce! Avertie, une puce! (Floche sauta à bas du lit)... une grosse, une énorme, marron avec des cuisses longues! Quand je vous le disais! La sale Italie! Etre venue ici pour se faire mordre par des puces, vraiment ça n'a pas le sens commun! Je suis dégoûtée de tout, à présent... Je m'étais réveillée si heureuse près de vous, dans cette chambre d'hôtel! Et n'est-ce pas, quand on pense que ces sales bêtes vous sucent l'un après l'autre, ce n'est pas réjouissant. Si encore chacun avait sa puce qui vous pique et meure! Et vigoureuse, cette grosse fauve! D'ailleurs, c'est ainsi qu'on attrape toutes les maladies, c'est bien connu. Pour comble, ces Italiens, ça a le pompon pour vous les donner, jamais ils ne se lavent!

—Calmez-vous, dit Avertie, les seules puces dangereuses sont celles qui nous mordent à l'oreille.

—C'est vrai, ça? Vous êtes charmante! ma chère, vous m'épatez... Ce que vous savez de choses!

Avertie rit:—J'observe, simplement.

—Oh! ce n'est pas votre intelligence seule que j'admire. Ce qui, aussi, est charmant en vous, c'est que vous avez mes idées, mes manies, comme d'ouvrir les fenêtres le matin pour avoir de l'air, se désinfecter. (Elle jette un regard circulaire.) Moi aussi, j'observe avec mon petit cerveau. Ainsi, voyez-vous, ça, c'est un fronton du temps de Napoléon. J'imagine qu'il a dû descendre dans cette chambre.

—Sans doute, et le numéro 13 lui aura porté bonheur! 12 fr. par jour, sûrement, il y est descendu.

Et ainsi, elles devisèrent jusqu'au petit déjeuner, qu'elles dévorèrent au lit, en même temps que leur correspondance.

À dix heures, fraîches comme deux sources, elles retrouvèrent le Peintre au musée du Bréra.

Devant les fresques importantes, Avertie fut empoignée tout de suite. Concentrée et silencieuse, elle s'écarta de ses compagnons et s'en fut, seule, à travers les galeries, essayant de croquer sur son calepin un mouvement souple, une expression suggestive. À quoi son inhabileté d'artiste amateur pouvait-elle donc prétendre en face de ces beaux visages du xve, où les paupières alourdies et les bouches aux coins dubitatifs annonçaient déjà, la venue du Vinci? Le Saint Roch du Borgognone, à la bouche rassemblée et si pure, n'avait-il pas des lèvres d'amante délaissée, lèvres encore gonflées du dernier baiser?

Ah! pauvre Avertie! Devant Apollon et Daphné, obsédée par le souvenir, ne fut-ce pas le corps de Dick qu'elle se figura dans celui du jeune Dieu? L'Apollon, allongé, ses belles jambes nues sous une courte tunique, le cou découvert, appuyait, au creux de sa main languide, une tête charmante. Avertie regarda avidement cette bouche, dont les coins ironiques, légèrement remontés, corrigeaient la tristesse du regard fixé sur le corps de Daphné. La déesse, tandis que ses jambes déjà se nouaient en ormeau, offrait ses seins tendus aux lèvres de son amant, et Avertie l'entendait murmurer, l'amant:—«Je sais encore d'autres baisers!»

Eh! oui, pauvre, pauvre Avertie, de par le monde naissent «d'autres» baisers, trop tard pour pouvoir y goûter. Et Dick ne lui dirait-il pas aussi: «Je sais d'autres baisers?»

Avertie soupira.—«Le tout, se dit-elle enfin, est de conserver de jolies guibolles. Ah! Dieux de l'Olympe! Ne me jouez pas au bon moment le même tour qu'à Daphne. Ça doit être très dur d'être plantée là—comme un chou—par un Dieu et même par un homme.»

Néanmoins, ces pensées alanguissantes attristèrent la Pèlerine. Le cœur lourd, elle continua à parcourir le musée, attirée davantage encore par la volupté des regards et des corps.

Devant la Sposalizio de la Vierge et de Saint-Joseph, par Luini, elle retrouva ses compagnons. Ils s'égayaient bassement devant ce chef-d'œuvre si vif et si moderne. Saint Joseph, disaient-ils, prenait la Vierge par la main, comme un bon charpentier qui aurait oublié de se faire couper les cheveux. Il semblait lui dire en douceur: «Viens-tu à la campagne?» en lui coulant un œil de biais. Et les Saints Anges, derrière, y allaient d'un pas gaillard, à la campagne! Avertie trouva cette fresque particulièrement douce et attrayante. Comme Luini eût été étonné de les revoir si blanches et si diaphanes, ces créatures sorties robustes de sa palette, mais pâlies par les siècles au point qu'Avertie croyait leurs tons dérobés aux chairs nacrées et laiteuses d'Anglaises, ou encore aux délicatesses des pétales d'azalées.

Floche, en bonne humeur par «les œuvres d'art qu'elle avait pénétrées jusqu'en leurs moëlles d'huile»—du moins l'affirmait-elle ainsi, voulut finir la matinée chez un brocanteur.

—C'est, parfois, des imbéciles comme nous qui ont trouvé la «perle», vous savez, un Luini, un Vinci, un Bellini inconnus! Qui vous dit que, dans un coin de boutique, il ne traîne pas une «Piéta» ou un «Ex-homme»! (elle voulait dire Piéta et Ecce homo). Et pourquoi ne mettrais-je pas le doigt dessus?... On a bien vu des cantinières gagner le gros lot!

Ils entrèrent au bric-à-brac le plus proche. Le combat entre l'avarice et l'amour du lucre se reflétait dans l'œil indécis ou avide de Floche. La passion d'acquérir n'importe quoi, mais à marchand-volé, prévalut. D'une main crochue et fiévreuse, elle touchait à tout, jetant pêle-mêle les dentelles sur les poteries, les cadres, les brimborions dans les étoffes et les franges. En un instant, la boutique fut à sac. Avertie et le Peintre, gênés, regardaient d'un air inquiet la tête du marchand, qui, lui, dans l'espoir de la forte journée, offrait obséquieusement sa marchandise à pleines mains. Après de longues et infructueuses recherches, Floche, découragée, brandit un objet informe, quelque chose comme un tambour à dentelle, recouvert de soie verte, cerclé de marqueterie, et que l'homme appelait sa «Majoline».

Il en voulait quinze francs.

—Quinze francs! s'écria Floche, mais vous êtes fou, mon brave homme! Croyez-vous que j'aurais dérangé votre boutique, perdu une heure précieuse, au lieu de voir les chefs-d'œuvre de Milan, pour payer cette saleté quinze francs? Je vous en offre cent sous.

—Mais, Madame, je ne peux pas; il faut que je mange. J'ai cinq petits enfants. Vous ne savez pas le mal que j'ai moi-même à trouver du bibelot... Et «ma Majoline» est très belle...

—Non, non! Cent sous, vous dis-je! Ça fait dix-huit sous à donner à chacun de vos chérubins, dix-huit sous, vous m'entendez? Quant aux bibelots, il ne faut pas me coller de blagues. En Italie, ils sont pour rien, comme les marrons! Tout le monde sait ça.

Et mettant la majoline sous son bras, elle fit le geste de sortir.

—Pardon, Madame, excusez-moi. Je ne puis vous laisser ma boîte si bon marché. Donnez-moi, au moins, quelques sous de plus... pour m'acheter du tabac!

—Hum! (et Floche se tourna vers Avertie). Qu'en pensez-vous, chère amie? Cette affaire crasseuse vaut-elle un supplément? Le tiroir est-il intact? Regardez, vous qui avez l'œil... et le bouton? de l'époque?

—Le bouton? Il est charmant, tout ciselé, il vaut bien à lui seul les cinq francs.

—Bravo, bravo!

Alors, s'adressant au marchand:—Eh! bien, mon ami, votre boîte me plaît, je consens au supplément de tabac; emballez-la-moi et vous, Peintre... donnez quelques cigarettes à Môssieu.

Le peintre offrit un paquet et Floche, pendant que tous lui tournaient le dos, s'adjugea subrepticement un bout de galon qu'elle dissimula dans l'ouverture de son gant.

Rentrés à l'hôtel, il leur fallut refaire paquets et valises.

—Jamais, jamais, pleurnichait Floche, je ne viendrai à bout de ma pharmacie. Je vous le disais bien, on ne peut pas se passer de femme de chambre en voyage. Baptistine m'avait arrangé tout cela trop bien... une vraie mosaïque. Que voulez-vous que je devienne à présent? Je suis tellement empotée. Si, au moins, vous vouliez m'aider. Mais vous êtes une pure égoïste; comme toutes les femmes heureuses, vous ne pensez qu'à vous-même! Si vous ne m'aidez pas, je serai obligée d'emporter tout ça dans les mains.

—Dans les mains! Vous en avez donc une au bout de chaque doigt? Allons, un peu d'énergie. Faites appel à votre vieux sang de Louis le Gros, et recommencez-moi votre valise.

—Oh, ma chérie, ne me bousculez pas! Ne prenez pas ce genre. Quand on me choque, je fais comme le hérisson, je me mets en boule, la tête entre les jambes et on ne peut plus rien tirer de moi.

—Alors, sonnez le garçon.

—Ah! Quelle trouvaille!... Garçon!

Un grand dadais se présenta, les mains flasques. Il empila, bourra et ferma magistralement la valise... un chef-d'œuvre.

—Ma chère, ce blanc de poulet a fort bien travaillé. C'est comme pour les accouchements: un coup de pouce intelligent et «Pouf!» l'enfant sort... Sauf qu'ici, il fallait le faire rentrer.

Prêtes avant l'heure, désœuvrées, elles attendaient toutes deux dans le hall. Avertie demanda à Floche:

—Maintenant, expliquez-moi pourquoi vous emportez toute cette pharmacie pour dix jours? C'est un peu niquedouille.

—Vous parlez toujours sans savoir. D'abord, j'ai dû emporter des bouteilles de désinfectant, et le bain de bouche, l'Eau-mère, le pétrole Rinaldo, l'alcool à brûler...

—Qu'est-ce que c'est que ça, le bain de bouche et l'Eau-mère?

—Le bain de bouche? Mais c'est pour mon chicot. Tenez, cette dent-là, elle est superbe, n'est-ce pas? Eh bien, elle descend tous les jours... Là, sur le devant. Je dois lui donner continuellement des lotions astringentes; sans cela, elle tomberait dans mon potage, dans le téléphone, ou dans mon estomac, et de là dans l'intestin, qu'elle perforerait. Et je n'ai pas de quoi me payer Berger, moi.

—Et l'Eau-mère?

—Ça, ma chérie, c'est un coup de génie que j'ai eu à Biarritz cet été. J'ai soustrait dans les baignoires des Salins, petit à petit, 25 litres d'eau du Briscous. Vous riez? vous n'êtes qu'une bête. C'est merveilleux pour la peau et les rides... on en met une cuiller à café dans sa cuvette et on se lotionne les chairs. Mistress Tüff, cette splendeur américaine, ne se lave jamais autrement depuis vingt ans. Et, moi-même, depuis un mois, je me trouve tellement plus raffermie. (Elle tape sur ses seins qui tremblent.) Vous ne remarquez pas?

Avertie examina sincèrement.—N...on..., avoua-t-elle.

À ce moment, le Peintre fit irruption. L'omnibus était là, tout chargé.

—La note! cria Floche. Avez-vous vérifié la note? Vous savez, c'est tous des filous en Italie. Regardez de près et sacquez-moi tous ces voleurs.

De nouveau, après la bousculade de la gare, ils se trouvèrent assis dans un compartiment bondé.

Tout à coup, Floche cria au Peintre:

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