Читать книгу Un chalet dans les airs - Albert Robida - Страница 11
AFFAISSEMENT DES ALPES, MONTÉE DE VENISE ET AUTRES CHANGEMENTS.
ОглавлениеLa Villa Beauséjour filait à 5 ou 600 m., en allure modérée, dans un ciel d’un bleu léger parsemé de petits nuages qui s’enfuyaient vers le Nord en escadrilles plus ou moins pressées, coupées de longues traînes effilochées. Déjà les hautes constructions du Paris central se perdaient au loin, ainsi que les interminables lignes des faubourgs, dans les taches vertes des parcs ou les enchevêtrements de ferrailles, de pylônes et de tours des quartiers industriels.
Cela faisait un magnifique paysage, malheureusement déjà fortement touché par l’immense bouleversement de la reconstruction mondiale.
«Installez-vous, les enfants! dit Cabrol, qui montrait encore un peu de mauvaise humeur, sans doute causée par ce changement dans ses habitudes casanières.
— Mais c’est fait, mon oncle!» répondirent à la fois Andoche et Modéran en courant d’une fenêtre à l’autre, vers l’Est ou vers l’Ouest.
Et ce fut, pendant un quart d’heure, des: «Dis donc, c’est très beau, qu’est-ce que c’est que ça, là-bas? — Et ça dans tout ce bleu? Tiens, la Loire!... Et ces fumées? un volcan? non, une entrée de chantier, des travaux.
— Piquez un peu vers l’Est! dit M. Cabrol au pilote.
— Tiens, la Suisse!
— Et ses bains de mer! Modéran, tu reconnais? L’année dernière nous y étions, aux plages de la Jungfrau... Ce tassement du sous-sol au siècle dernier, qui a produit l’enfoncement de la Suisse et l’invasion de l’Adriatique par de larges couloirs, va-t-il être arrêté définitivement?
— Les travaux avancent dans ce secteur depuis une vingtaine d’années, c’est heureux, mais quel travail!»
Pauvre vieille Venise, elle ne descendait pas, elle! L’enfoncement du Quarnero la faisait, comme par un mouvement de bascule, remonter lentement, de 8 à 10 mètres par an, depuis une cinquantaine d’années, et elle était parvenue à une altitude de 460 mètres, je crois. Voyez-vous cela, les enfants, la place Saint-Marc perchée à 460 mètres. Et quel travail pour reprendre le sol en sous-œuvre! Combien de piliers de béton armé, de traverses glissées sous les pilotis du Palais ducal! Voyez donc ces modifications aux anciennes cartes, ce chapelet de stations balnéaires concurrentes du Lido, à la place des anciens lacs, sous les ex-Jungfrau, Cervin, Brunig ou Simplon.
Venise prend de l’altitude.
Maintenant, laissant le panorama de la Suisse trans formée, avec ses grands ports maritimes de Lucerne et Genève, la Villa Beauséjour, ayant pris de la hauteur, mettait cap à l’Ouest et marchait à bonne allure. Cabrol indiqua sur la gauche de lourds tourbillonnements de vapeurs sur lesquels passaient des lueurs soudaines.
«L’Auvergne! dit-il. Les volcans ont repris leur activité, heureusement régularisée par les merveilleux travaux de nos ingénieurs, et utilisée pour le chauffage central à eau chaude d’une bonne partie de notre ancien continent... Les travaux de réfection sont assez avancés de ce côté parce que commencés il y a longtemps, lorsque l’on eut l’idée de raidir le sol par des poutres gigantesques en ciment armé, vastes quadrillages à travers lesquels l’eau de la mer, lancée en de formidables conduites, descendait se chauffer aux volcans des Puys de Dôme et remontait bouillante aux usines du chauffage central.
«D’ici vous ne voyez pas la végétation nouvelle, quasi-tropicale, qui s’est développée dans cette région, devenue ainsi comme une immense et merveilleuse serre. Et ce travail a été imité par tous les pays ayant l’heureuse chance de posséder de vieux volcans engourdis ou bien des volcans en activité, que l’on a rendus ainsi inoffensifs, en dirigeant leurs expansions et explosions...
— Il fait un peu chaud, fit Modéran en se rendant au balcon.
— Oui, c’est l’haleine des Puys, dit M. Cabrol; voyez ces bouillonnements et ces jets de vapeurs là-bas; les chaudières naturelles du chauffage central nous soufflent au visage, mais nous allons trouver dans un instant la bonne brise fraîche de l’Atlantique. »
M. Cabrol alla parler au pilote, un vieux routier de l’air qui, habitué aux voyages, semblait ne plus rien regarder, indifférent à tout ce qui pouvait se passer en bas; l’œil mi-clos, une petite pipe à la bouche, ce vieil habitant des nuages somnolait en suivant les légères volutes de fumée de sa pipette. Il ne dormait pas tout à fait, puisque de temps à autre il glissait un demi-regard vers son tableau de direction et ses manettes.
«Eh bien, Barlotin? fit M. Cabrol.
— Bonne route, répondit Barlotin, sud-sud-ouest, altitude 745, direction Aéroport d’Arcachon.
— Dans combien de temps?
— Trente à trente-cinq minutes. Faut-il accélérer?...
— Non, inutile de se presser. Nous coucherons à l’aéroport.»
La pipette, qui n’avait cessé de fonctionner, projeta un large anneau de fumée et le pilote resomnola.
«Pas bavard, le père Barlotin, murmura Andoche se remettant au balcon.
— Un vieux pilote de confiance; votre père nous l’a garanti, l’ayant employé souvent.... Le père Barlotin, toujours en l’air, n’a pas vécu huit jours par an à terre depuis des années, il dit qu’il n’a plus l’habitude et que le vertige le prend dès qu’il met le pied sur le plancher des terriens... Il ne sait plus marcher. Quand, par hasard, il est à Paris, attendant quelque gros avion à conduire, il ne quitte pas l’envoloir, la plate-forme du Phare de 300 mètres... non, pas bavard, sa petite pipe est sa seule confidente.»
L’après-midi s’achevait. Déjà dans le ciel, à l’occident, des nuages couraient sur une large nappe jaune et la ligne d’horizon étincelait sur de légères bandes mauves.
«La mer! dit Andoche sautant d’un bord à l’autre.
— Le grand air nous a donné de l’appétit, dit M Cabrol; sitôt l’atterrissage, nous dînons, puis une petite promenade sous les pins, pour nous dérouiller les jambes, puis la chambre à coucher.»
Doucement, mollement, après avoir décrit deux ou trois spirales au-dessus de la longue plage et des bois de pins encadrant de nombreux châteaux balnéaires, la Villa Beauséjour atterrit sur les chardons bleus d’un mamelon sablonneux, à une dizaine de pas du flot qui venait langoureusement battre la chanson de la marée du soir.
Andoche et Modéran n’attendirent pas que la Villa fût calée et ancrée pour sauter à terre et courir s’allonger sur un sable dépourvu de chardons, sous un bouquet de pins superbes. Ils prenaient leur élan, se couchaient, se relevaient d’un bond, et recommençaient en se bousculant avec des cris joyeux.
M. Cabrol n’avait pas autant d’ardeur à dépenser; il descendit posément et se promena autour de la Villa, les bras croisés en se frottant le front du bout du doigt.
«Je ne comprends pas, monologuait-il; le poids de Beauséjour est plus fort que je ne pensais. Hier, avec nous tous à bord, l’aiguille marquait 2 647 kilos et 125 grammes, aujourd’hui nous avons 2 739 k. 858.... Que signifie cette erreur? Je sais bien que j’ai une tendance à engraisser, mais pas de 90 kilos par jour.... Alors? N’importe, je me surveillerai tout de même. Je ne prendrai que des demi-pilules.»
Il alla rejoindre ses neveux sous les pins et s’assit à côté d’eux pour admirer à l’aise le fulgurant soleil qui allongeait ses rayons dans le ciel comme pour se préparer à faire le plongeon dans la vague étincelante de l’autre côté.
«Tiens! on dirait qu’on entend Phanor, fit Modéran.
— C’est vrai, sa voix ressemble bien à celle de ce pauvre Phanor, dit M. Cabrol après avoir tendu l’oreille; c’est quelque chien du castel derrière nous, ou bien de ce petit avion-roulotte qui se balance au-dessus des premières vagues et qui chasse sur ses ancres.
— Ce pauvre Phanor, il avait l’air bien triste en voyant nos malles; il comprenait, nous partions et nous ne l’emmenions pas.
— Pauvre Phanor, nous avons eu tort de le laisser, mon oncle.
— Oui, nous avons eu tort, je le regrette maintenant.
— Est-ce qu’on ne peut pas se le faire envoyer?
— Si fait, mais pas avant que nous soyons installés quelque part.
— Alors, dépêchons-nous.
— Pas si vite... Ah! voilà Phœbus qui s’enfonce; nous allons rentrer dîner et puis, à 21 h. 35, un mot à la famille dans le Télé ; ensuite repos, sommeil, réveil demain à 6 heures.»
M. Cabrol se releva lentement, avec effort. Il faisait si bon sous les caresses de cette douce brise, dans le calme de cette belle soirée. Ah! qu’on était bien, loin de Paris et de l’infernale bousculade du ravalement mondial! Ce secteur de l’Aquitaine maritime n’était entamé qu’à peine du côté de Bordeaux.
Le repas sur le balcon de Beauséjour fut vite expédié. Une pilule et une goutte synthétique, c’est-à-dire deux pilules par personne à avaler, ou, quand on est un peu gourmand, à laisser fondre en buvant lentement un verre d’eau froide; cela ne prend tout de même pas grand temps. Les trois convives causaient, renversés dans de bons fauteuils d’osier.
«Mais oui, je suis un peu gourmand, disait M. Cabrol.
— Et moi, donc! dit Andoche.
— Aussi, dans notre provision de pilules et de cachets gustatifs, ai-je pris pour les dimanches et les grands jours de bons petits plats soignés: poulets rôtis, canards à la rouennaise, côtelettes d’agneau, chevreuil, civet dé lièvre, andouilles de Vire, truite saumonnée; des légumes: choux farcis, pommes sautées, petits pois, pâté de bécassine, etc., pour changer de la pilule de bouilli de bœuf ordinaire...».
Andoche et Modéran échangeaient des sourires de satisfaction.
«Très agréables et... très économiques les pilules, mes petits! Ainsi, avec un poulet consommé à grand renfort dé coups de dents... Est-ce qu’on a encore des dents, maintenant, autrement que pour la décoration?»
Andoche et Modéran sourirent en montrant des dents naturelles à l’ancienne mode, mais pas très brillantes, tandis que leur oncle laissait voir deux rangées de dents admirables, en or à la mâchoire supérieure et en émail argenté à l’inférieure.
«On n’a pas encore trouvé mieux pour compléter la figure... Oui, je disais donc, avec un poulet consommé brutalement, à la façon de nos grossiers aïeux, combien peut-on nourrir de personnes? Deux au plus. Eh bien! les usines, en le combinant avec quelques fucus, des essences, des condiments divers, en tirent 50 pilules, c’est-à-dire 50 repas complets. Vous voyez l’énorme avantage! Autrement, comment nourrirait-on la terre surpeuplée, je vous le demande? Aussi Paris a-t-il voulu payer le tribut de reconnaissance dû par la Terre entière, en élevant un grand monument aux quatre chimistes de génie qui inventèrent les pilules synthétiques! Groupe colossal, où ils sont figurés au milieu de leurs cornues, de leurs fourneaux et de leurs casseroles, recevant le long cortège de toutes les bêtes utilisées pour l’alimentation: bestiaux, gibier, volailles, poissons, etc., un pur chef-d’œuvre! Mais, attention! il est 21 heures. Vite, au Télé, pour aller dire bonsoir à votre papa si occupé, et à votre chère maman, si elle n’est pas retenue à la Commission du budget.»
Le Télé-parleur, merveilleux instrument qui supprime véritablement l’absence, même par sans fil, puisque, avec un relai sur un poste régulier, on peut retrouver n’importe où, sur la plaque de l’appareil, la présence et la voix des êtres chers laissés à des milliers de kilomètres.
Le premier soin de M. Cabrol, en atterrissant, avait été de planter dans le sol l’antenne terrienne pour se relier au poste d’Arcachon.
A l’heure fixée, M. et Mme des Ormettes devaient se trouver au rendez-vous devant leur plaque de Paris.
A peine sur le balcon de l’Aéro-Beauséjour, Cabrol entendit des éclats de voix dans sa chambre.
«Allons! voilà votre père qui s’impatiente. Voyant qu’on ne lui répondait pas, il a mis l’amplificateur.»
Andoche et Modéran étaient déjà en haut et répondaient à l’appel tonitruant.
«Eh bien! eh bien! dit M. des Ormettes, que faites-vous donc?
— Coucher de soleil admirable! Nous admirions, répondit Cabrol.
— C’est que je suis pressé !
— Et nous farnientions devant le panorama; mais nous voici.... Tout va bien, première journée parfaite...
— Et maman? demanda Modéran.
— Pas revenue de la Chambre. Tenez, voyez.» La plaque papillota brusquement. M. des Ormettes disparut, puis apparut une grande table verte chargée de papiers autour de laquelle discutaient une vingtaine de personnes, parmi lesquelles au moins sept ou huit dames. Mme des Ormettes était là, lisant un rapport... On entendit quelques mots, des chiffres! Puis l’appareil repapillota et M. des Ormettes reparut.
«Tout va bien, bon, parfait....
— Nous partons demain à 6 heures, dit M. Cabrol.
— Bonne nuit alors, à revoir, les enfants!»
La plaque redevint sombre.
«Maintenant, les petits, vous avez vu papa et maman, on va se coucher, dormez bien... Moi, je reste, j’ai un dernier mot à dire à Mélanie, une liste de recommandations importantes: pour plus de sûreté, je vais lui répéter mes instructions par écrit...»