Читать книгу Un chalet dans les airs - Albert Robida - Страница 8
RETROUVAILLES. — LE TRAIN PERDU IL Y A HUIT SIÈCLES.
ОглавлениеC’est le grand jour: pendaison de la crémaillère et départ. Une belle avionnette est venue s’amarrer à l’envoloir de Saint-Germain-en-Laye. Il en est descendu le propriétaire de la Villa Beauséjour et ses deux neveux, et les parents de ceux-ci: Mme des Ormettes, députée de la Seine, et M. des Ormettes, le directeur dé la célèbre agence de voyages interplanétaires, tous deux bien connus dans tous les milieux politiques et scientifiques; M. des Ormettes, un homme tout rond, une boule surmontée d’une autre boule plus petite; Mme des Ormettes, un peu... élancée, comme son frère M. Cabrol, tous deux avec un gros portefeuille bourre de paperasses sous le bras, tous deux arpentant le sol de l’envoloir d’une allure agitée, en gens pressés, l’œil vague et la tête surchargée de préoccupations et d’affaires.
«Ah! voyons, voilà donc cette aéro-villa! Bien, bien, je reconnais, c’est bien ça. J’ai vu toutes les épures. Je viens d’en commander six pour des clients... Attendez, une note à prendre pour ne pas oublier. — Là, je suis à vous...
— Entrez!» dit Cabrol.
Tandis qu’à la porte de la villa Mme des Ormettes, distraite, cherchait la sonnette, Andoche et Modéran étaient déjà au balcon du premier et riaient aux éclats.
«Montez, montez, ou nous levons l’ancre. et partons tout seuls. Maman! Papa! entrez vite!»
M. des Ormettes prit encore une petite note et, monta le dernier.
«Le tour du propriétaire! fit M. Cabrol: vestibule, chambre de service, magasins et salon, c’est assez grand, comme vous voyez... A l’avant, voici la logette de direction... Andoche, veux-tu bien ne pas toucher à la roue ni aux boutons de direction, tu vas nous faire faire un bond dans le ciel et enlever tes parents à 200 à l’heure!
— Malheureux! s’écria Mme des Ormettes en se levant précipitamment, je préside à cinq heures la Commission du budget aux Chambres mixtes.
— Pas de bêtises! s’écria M. des Ormettes, j’ai deux conseils d’administration pour ce soir...»
Andoche éclata de rire.
«Ce serait pourtant gentil, maman, fit Modéran, de venir avec nous. Nous avons des chambres d’amis au premier.
— Je voudrais bien, mes enfants, mais le temps? Où prendrais-je le temps?
— Vous avez de la chance, mon cher Cabrōl, de pouvoir esquiver tous les désagréments de cette bousculante période de reconstruction; cependant vous y perdez. Songez donc à toutes les découvertes archéologiques que l’on peut espérer au cours de ces immenses travaux qui vont retourner et mettre à nu presque toute la surface du globe! Découvertes de toutes sortes, géologiques, historiques, artistiques et autres. Qui peut dire ce que nous allons apprendre. C’est déjà commencé...
— Oui, oui, ces poteries gallo-romaines ou batignollaises.
— Non, non, mieux que ça. Hier on est tombé sur quelque chose de passionnant, du moins pour les gens du XXIIe siècle. Un vieux mystère éclairci! Ce matin, la Phonocinétélégazette nous a donné cela. A six heures j’ai été réveillé par le coup de sifflet des éditions sensationnelles, j’ai ouvert les yeux; la Phono fonctionnait déjà. Vous n’avez pas entendu?
— Si, mais j’ai tourné le bouton d’arrêt pour somnoler encore une demi-heure.... Qu’est-ce qu’il y avait?
— En deux mots, voici: vous devez savoir vaguement qu’au XXIIe siècle, vers 2123 ou 25, un train du Métropolitain deuxième réseau, dernier du soir, disparut totalement sur la ligne Châtelet-Longchamps, entre les stations Saint-Cloud-Puteaux. Le train était bondé ; c’était la sortie du Grand Opéra de Longchamps, où depuis environ quatre-vingts ans l’Opéra s’était transporté, dans les beaux quartiers de l’ancien Bois, en face d’une grande gare aérienne établie sur le mont Valérien. On fouilla le bois de Boulogne, on fouilla la Seine, on fouilla tous les embranchements du Métro, inutilement. Malgré toutes les recherches, on ne retrouva jamais aucun vestige, aucune trace de ce train, ni d’aucun des voyageurs. Énigme incompréhensible! Mystère effarant! On en parlait toujours, comme du Masque de fer ou de...
— Oui... oui...
— Si nous pendions cette crémaillère? glissa Mme des Ormettes consultant sa montre.
— C’est cela, asseyez-vous; en goûtant, notre ami nous débrouillera cette inquiétante énigme...»
Tout était préparé pour le goûter: des fleurs sur la nappe, quelques soucoupes et quelques petits flacons de pilules. M. Cabrol déposa une pilule dans une soucoupe devant chaque convive.
«Savourez! dit-il.
— Eh bien! reprit des Ormettes, voici l’affaire: Hier... Ah! vous savez qu’on s’est attaqué à la partie des Catacombes que le Métro n’utilisait pas. On déblaie, on refait des piliers de soutènement; or donc, dans le secteur Vaugirard, la fouille est tombée tout à coup sur ce train égaré depuis 800 ans. Stupéfaction d’abord, mais c’est bien lui. On a retrouvé des gazettes de l’époque: Mai 2124. Une fois le premier wagon rendu à la lumière, les ingénieurs ont fait presser le travail, on a pu se glisser jusqu’au bout du train à la machine motrice... Les wagons sont tous là.
— Et les voyageurs? demanda Modéran.
— Eux aussi!
— Diable!
— L’enquête commence. La justice et les journaux informent... Nous verrons les détails plus tard, cela va faire du bruit, un pareil crime, car il s’agit d’un crime énorme! Dès aujourd’hui on peut affirmer que le train, détourné de sa voie par d’audacieux malfaiteurs au croisement d’une ligne en construction, deuxième réseau, deuxième étage, à travers les Catacombes, s’enfonça dans les galeries jusque sous Vaugirard. Alors...
Le grand ravalement de Paris.
— Oh non! pas de détails impressionnants, dit Mme des Ormettes.
— Non, j’abrège. Leur besogne faite, les affreux bandits firent sauter une partie des voûtes, bloquant le malheureux train derrière et sous 150 mètres de débris en longueur et 15 mètres en épaisseur, plus quelques maisons tombées par-déssus. La voie du Métro longea pendant des siècles ce funèbre amas, et il a fallu le ravalement mondial pour avoir la clef du mystère. Brrr!»
M. des Ormettes mit solennellement une petite pilule rose dans une cuiller et leva la main:
«J’ai vu l’étiquette du flacon, c’est un extrait synthétique de Clos-Vougeot; je lève ma cuiller à votre. santé, Cabrol, et à la Villa Beauséjour, en vous souhaitant de paisibles et agréables randonnées à travers des ciels tranquilles! Je vous souhaite toutes les plus heureuses chances du monde! Bon travail à tous! Revenez, Andoche et Modéran, mes chers petits, tout prêts à réclamer vos diplômes en toutes matières, et vous, Cabrol, avec vos quarante-deux volumes terminés.
— Ah non! fit Cabrol en riant, pas tous, non, c’est trop. Je me contenterai de mes deux grands travaux, bien avancés déjà !
— Quels?
— Vous savez bien!
— Ceux que le monde savant attend si impatiemment depuis... faut-il le dire? depuis vingt-cinq ou trente ans? fit Mme des Omettes.
— L’œuvre conçue à la fleur de ma vie littéraire, creusée et caressée tout le long de mon âge mûr. Je m’y mets pour la parfaire et terminer... Chut! ne me reprochez pas l’excès de conscience de mes travaux! D’abord, et avant tout, c’est donc mon Histoire des civilisations lunatiques, d’après les documents rapportés par les voyageurs et les travaux des sélénites, et ensuite: Les Populations préhistoriques de notre globe et leurs institutions politiques...
— Très bien!
— Oui, comme on ne peut pas toujours voltiger, j’aurai de quoi m’occuper! Nous serons dérangés parfois, je ne m’en plains pas: des amis à recevoir, des visites à faire.. et puis n’ai-je pas à surveiller les études de mes neveux? Nous avons l’appareil complet de l’Universitaire Ciné-Phono; il fonctionnera régulièrement, je vous assure, et les garçons vous reviendront armés pour la vie, munis pour toute carrière à leur choix...
— Avec vous, nous sommes tranquilles, mon bon Cabrol.
— Notre programme est arrêté, revenons à notre pendaison de crémaillère: Encore une pilule de Ghambertin... Soyons gais!... Mais où donc est passée ma gouvernante, Mélanie? Elle était là tout à l’heure, je ne la vois ni ne l’entends plus. Mélanie! Mélanie!
— Délicieuse, cette pilule...
— Attendez que Mélanie nous apporte les cachets gustatifs.
— Mais ils sont là, devant vous. Mélanie a tout préparé.
— Ah! oui, j’aperçois la petite boîte aux cachets.»
En effet, un flacon et une boîte ovale, large de dix centimètres tenaient le milieu de la table sur un plateau d’argent encadré de fleurs. M. des Ormettes prit le flacon, lut: Sauterne... Champagne, et s’écria:
— Hé là ! Cabrol, vous allez nous faire faire des excès!
— Bah! ce n’est pas mauvais, un petit croc en jambes aux habitudes, de temps en temps.. la pilule de Sauterne est pour accompagner celle de faisan truffé, et ensuite le cachet de fruits glacés synthétiques pour le dessert, avec la pilule de Champagne, et c’est tout.
— Quel festin! dit Mme des Omettes; moi je ne prendrai pas de faisan truffé, je me contenterai d’une pilule de Champagne.
— Une spule? rien qu’une? Vous ne le trouvez donc pas bon, mon Champagne?
— Au contraire, il est merveilleux, c’est une flamme liquide. Cette pilule m’a monté à la tête; n’oubliez pas que j’ai ma commission des finances, ce soir, je m’embrouillerais dans les chiffres...
— Ce cher Cabrol a une réputation bien établie de fin gourmet; il est difficile pour ses pilules gustatives.... Vraiment, sa pendaison de crémaillère est réussie. Mais quelle bombance! On se croirait revenu aux temps de nos bons aïeux
— Nos grossiers aïeux, vous pourriez dire, fit Mme. des Ormettes. Comprend-on cela? Pendant tant de siècles ils mangèrent des viandes eux-mêmes, horreur! Ils engouffrèrent des viandes de toutes sortes. Animaux gras et dodus, gibiers de tout fumet et des légumes de toute espèce, qu’il fallait faire passer de force avec des vins généreux ou des liqueurs spéciales... Ils s’emplissaient de gâteaux et pâtisseries variées, j’en ai trouvé la liste dans une vieille histoire: babas, mokas, tartelettes... pouah! Et quelle incroyable perte de temps! Deux heures à table!... Étonnons-nous après cela de leur barbarie intellectuelle, de la faiblesse de leurs sciences....
— Nos pauvres aïeux! gémit M. Cabrol.
— Nous, au moins, nos plus longs festins durent une minute et demie; nous avons des synthèses alimentaires pures de tous ferments nuisibles; nous avons des essences concentrées en pilules qui caressent doucement les papilles sans alourdir notre intellect. Que demande notre organisme pour prospérer? Rien de plus. Et nous pouvons ainsi consacrer tout notre temps à nos travaux, à nos affaires. Réfléchissez! Voyez quels retards fabuleux les anciens modes d’alimentation ont infligés au Progrès et à la Civilisation?
— C’est fort triste, reprit M. Cabrol, j’en conviens; mais, enfin, il faut se nourrir, et je veux vous ramener vos deux gaillards solides et bien portants, replets même, si possible.... Voulez-vous voir la soute aux vivres? Venez, c’est là-bas, bien au frais, le grand placard à doubles parois.... Voyons, nous allons être quatre en comptant le pilote. Mais où est-elle donc, ma gouvernante? Serait-elle rentrée à la maison? J’ai encore une foule de recommandations à lui faire.
— Elle a vos instructions, et puis elle sait bien ce qu’elle a à faire, dit Mme des Ormettes.
— Ah, mais, je vais lui laisser dans le téléphone un savon de première classe.... Je sais bien, parbleu! elle est furieuse de ce que je ne l’emmène pas... Il faut bien qu’elle reste à la maison pour garder mon petit intérieur et veiller sur mes collections.
— Vous lui donnerez vos dernières instructions par sans-fil.
— Oui, oui, satanée Mélanie! grommela M. Cabrol. Nous disions donc: j’emporte dix ans de vivres pour quatre personnes. A deux repas par jour, cela fait 730 repas par personne et par an, c’est-à-dire 7300 repas pour dix ans. Multiplions par quatre, il me faut... 30000 pilules. J’en emporte 40000, cela fait. une petite marge pour quelques invités, à l’occasion.
— C’est prudent, dit M. des Ormettes.
— Vous approuvez? J’en suis charmé, vous avez l’expérience des voyages... Donc une tonne de pilules; cela, c’est l’aliment solide. Et les provisions liquides? Les pilules de liquides concentrés: cinq cents kilos de gouttes variées. Naturellement, toute la gamme des vins, hydromels, bières,... etc. De plus, il faut tout prévoir, une caissette de pilules pharmaceutiques pour tous les cas possibles, avec le manuel de l’Académie de Médecine.
— Parfait! dit Mme des Ormettes; avec cela, je suis tranquille! Je savais bien que je pouvais vous confier sans crainte mes chers petits!
— Je vous ramènerai des hommes!
— Oh! si je n’étais pas si occupée, si je ne me devais pas à mes engagements devant mes électeurs, je partirais avec vous.
— Outre l’Universitaire Ciné-Phono, nous avons une petite bibliothèque. Je veillerai à ce que mes neveux travaillent régulièrement.
— C’est si commode, cet Universitaire Ciné-Phono, dit Mme des Ormettes; mais comprend-on que l’on n’ait pas encore trouvé de machine à corriger les devoirs?»
Une sonnerie éclate. C’est un petit signal du pilote qui sort de sa logette. C’est le grand départ. L’Aéro-Pension de famille Beauséjour va partir.
«Monsieur, dit le pilote, quatre heures moins trois minutes et demie, c’est l’instant pour l’appareillage comme vous aviez dit.»
Tout le monde s’était levé. Andoche et Modéran avaient bondi, joyeux. Les autres ne semblaient pas trop émus.
«Oui, j’ai dit trois minutes pour les effusions, c’est suffisant, dit Cabrol, la vie est si courte! Allons, embrassons-nous. Pas d’émotions puisqu’on se reverra tous les soirs dans le Télé et que l’on pourra se raconter ses journées, tranquillement, bien à son aise.
— Quand votre aéro-villa sera installée quelque part, mais quand elle voyagera?...
— Eh bien, et la sans-fil? Allons, plus qu’une demi-minute. Au revoir, bonne santé à tous! A demain au Télé !
— Bonne santé à la Villa Beauséjour!».
M. et Mme des Ormettes étaient sur le sol de l’Envoloir, Andoche et Modéran au balcon de la villa agitaient leurs mouchoirs.
La Villa Beauséjour frémit dans toutes ses membrures, roula doucement sur l’Envoloir et prit l’air, presque sans secousse.
Le constructeur méritait sa réputation: la villa volante avait belle mine aussi bien en plein vol qu’à l’amarrage Elle brillait au soleil avec sa façade émaillée, sa toiture quadrillée de lignes roses rappelant les tuiles des constructions terriennes.
Au rez-de-chaussée, trois fenêtres de chaque côté, un grand balcon à l’avant qui se prolongeait en bec avec sa logette de direction à la pointe, un autre balcon à l’arrière arrondi. A l’étage, trois fenêtres encore sur chaque flanc. Élégance et simplicité.
L’aéro-villa décrivit un grand cercle au-dessus de l’Envoloir et piqua vers le Sud, pendant que M. et Mme des Ormettes, dans leur auto-volante, s’en allaient à leurs occupations.