Читать книгу La Confession d'un enfant du siècle; L'Anglais mangeur d'opium - Alfred de Musset - Страница 10
CHAPITRE VII
ОглавлениеEn rentrant chez moi, je trouvai au milieu de ma chambre une grande caisse de bois. Une de mes tantes était morte, et j’avais une part dans son héritage, qui n’était pas considérable. Cette caisse renfermait, entre autres objets indifférents, une quantité de vieux livres poudreux. Ne sachant que faire et rongé d’ennui, je pris le parti d’en lire quelques-uns. C’étaient pour la plupart des romans du siècle de Louis XV; ma tante, fort dévote, en avait probablement hérité elle-même, et les avait conservés sans les lire; car ils étaient de la plus grande licence, et, pour ainsi dire, comme autant de catéchismes de libertinage.
J’ai dans l’esprit une singulière propension à réfléchir à tout ce qui m’arrive, même aux moindres incidents, et à leur donner une sorte de raison conséquente et morale; j’en fais en quelque sorte comme des grains de chapelet, et je tâche malgré moi de les rattacher à un même fil.
Dussé-je paraître puéril en ceci, l’arrivée de ces livres me frappa dans la circonstance où je me trouvais. Je les dévorai avec une amertume et une tristesse sans bornes, le cœur brisé et le sourire sur les lèvres. «Oui, vous avez raison, leur disais-je, vous seuls savez les secrets de la vie; vous seuls osez dire que rien n’est vrai que la débauche, l’hypocrisie et la corruption. Soyez mes amis; posez sur la plaie de mon âme vos poisons corrosifs; apprenez-moi à croire en vous.»
Pendant que je m’enfonçais ainsi dans les ténèbres, mes poètes favoris et mes livres d’études restaient épars dans la poussière. Je les foulais aux pieds dans mes accès de colère. «Et vous, leur disais-je, rêveurs insensés qui n’apprenez qu’à souffrir, misérables arrangeurs de paroles, charlatans si vous saviez la vérité, niais si vous étiez de bonne foi, menteurs dans les deux cas, qui faites des contes de fée avec le cœur humain, je vous brûlerai tous jusqu’au dernier.
Au milieu de tout cela, les larmes venaient à mon aide, et je m’apercevais qu’il n’y avait de vrai que ma douleur. «Eh bien? criai-je alors dans mon délire, dites-moi, vous tous, bons et mauvais génies, esprits de vie et de mort assis à mon chevet, poètes et ruffians, conseillers du bien et du mal, dites-moi donc ce qu’il faut faire! Choisissez donc un arbitre entre vous!»
Je saisis une vieille Bible qui était sur ma table, et l’ouvris au hasard. «Réponds-moi, toi, livre de Dieu, lui dis-je! sachons un peu quel est ton avis.» Je tombai sur ces paroles de l’Ecclésiaste, chapitre IX:
«J’ai agité toutes ces choses dans mon cœur, et je me suis mis en peine d’en trouver l’intelligence. Il y a des justes et des sages, et leurs œuvres sont dans la main de Dieu; néanmoins l’homme ne sait s’il est digne d’amour ou de haine.
«Mais tout est réservé pour l’avenir et demeure incertain, parce que tout arrive également au juste et à l’injuste, au bon et au méchant, au pur et à l’impur, à celui qui immole des victimes et à celui qui méprise les sacrifices. L’innocent est traité comme le pécheur, et le parjure comme celui qui jure la vérité.
«C’est là ce qu’il y a de plus fâcheux dans tout ce qui se passe sous le soleil, que tout arrive de même à tous. De là vient que les cœurs des enfants des hommes sont remplis de malice et de mépris pendant leur vie, et après cela ils seront mis entre les morts.»
Je demeurai stupéfait après avoir lu ces paroles; je ne croyais pas qu’un sentiment pareil existât dans la Bible. «Ainsi donc, lui dis-je, et toi aussi, tu doutes, livre de l’espérance!»
Que pensent donc les astronomes lorsqu’ils prédisent à point nommé, à l’heure dite, le passage d’une comète, le plus irrégulier des promeneurs célestes? que pensent donc les naturalistes lorsqu’ils vous montrent à travers un microscope des animaux dans une goutte d’eau? croient-ils donc qu’ils inventent ce qu’ils aperçoivent, et que leurs microscopes et leurs lunettes fassent la loi à la nature? Que pensa donc le premier législateur des hommes, lorsque, cherchant quelle devait être la première pierre de l’édifice social, irrité sans doute par quelque parleur importun, il frappa sur ses tables de marbre, et sentit crier dans ses entrailles la loi du talion? avait-il donc inventé la justice? et celui qui le premier arracha de la terre le fruit planté par son voisin, et qui le mit sous son manteau, et qui s’enfuit en regardant çà et là, avait-il inventé la honte? Et celui qui, ayant trouvé ce même voleur qui l’avait dépouillé du produit de son travail, lui pardonna le premier sa faute, et, au lieu de lever la main sur lui, lui dit: «Assieds-toi là et prends encore ceci!» lorsque après avoir ainsi rendu le bien pour le mal il releva la tête vers le ciel, et sentit son cœur tressaillir, et ses yeux se mouiller de larmes, et ses genoux fléchir jusqu’à terre, avait-il donc inventé la vertu? O Dieu! ô Dieu! voilà une femme qui parle d’amour, et qui me trompe; voilà un homme qui parle d’amitié, et qui me conseille de me distraire dans la débauche; voilà une autre femme qui pleure, et qui veut me consoler avec les muscles de son jarret; voilà une Bible qui parle de Dieu, et qui répond: «Peut-être; tout cela est indifférent!»
Je me précipitai vers ma fenêtre ouverte. «Est-ce donc vrai que tu es vide? criai-je en regardant un grand ciel pâle qui se déployait sur ma tête. Réponds, réponds! Avant que je meure, me mettras-tu autre chose qu’un rêve entre ces deux bras que voici?»
Un profond silence régnait sur la place que dominaient mes croisées. Comme je restais les bras étendus et les yeux perdus dans l’espace, une hirondelle poussa un cri plaintif; je la suivis du regard malgré moi; tandis qu’elle disparaissait comme une flèche à perte de vue, une fillette passa en chantant.