Читать книгу La confession d'un enfant du siècle - Альфред де Мюссе - Страница 10

Première Partie
Chapitre IX

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Tout à coup, au milieu du plus noir chagrin, le désespoir, la jeunesse et le hasard me firent commettre une action qui décida de mon sort.

J’avais écrit à ma maîtresse que je ne voulais plus la revoir; je tenais en effet ma parole, mais je passais les nuits sous ses croisées, assis sur un banc à sa porte; je voyais ses fenêtres éclairées, j’entendais le bruit de son piano; parfois je l’apercevais comme une ombre derrière ses rideaux entrouverts.

Une certaine nuit que j’étais sur ce banc, plongé dans une affreuse tristesse, je vis passer un ouvrier attardé qui chancelait. Il balbutiait des mots sans suite, mêlés d’exclamations de joie; puis il s’interrompait pour chanter. Il était pris de vin, et ses jambes affaiblies le conduisaient tantôt d’un côté du ruisseau, tantôt de l’autre. Il vint tomber sur le banc d’une autre maison en face de moi. Là il se berça quelque temps sur ses coudes, puis s’endormit profondément. La rue était déserte; un vent sec balayait la poussière; la lune, au milieu d’un ciel sans nuages, éclairait la place où dormait l’homme. Je me trouvais donc tête à tête avec ce rustre qui ne se doutait pas de ma présence, et qui reposait sur cette pierre plus délicieusement peut-être que dans son lit.

Malgré moi, cet homme fit diversion à ma douleur; je me levai pour lui céder la place, puis je revins et me rassis.

Je ne pouvais quitter cette porte, où je n’aurais pas frappé pour un empire; enfin, après m’être promené dans tous les sens, je m’arrêtai machinalement devant le dormeur.

Quel sommeil! me disais-je, cet homme ne fait aucun rêve assurément; sa femme, à l’heure qu’il est, ouvre peut-être à son voisin la porte du grenier où il couche. Ses habits sont en haillons; ses joues sont creuses, ses mains ridées: c’est quelque malheureux qui n’a pas de pain tous les jours.

Mille soucis dévorants, mille angoisses mortelles l’attendent à son réveil; cependant il avait ce soir un écu dans sa poche; il est entré dans un cabaret où on lui a vendu l’oubli de ses maux; il a gagné dans sa semaine de quoi avoir une nuit de sommeil; il l’a prise peut-être sur le souper de ses enfants. Maintenant sa maîtresse peut le trahir, son ami peut se glisser comme un voleur dans son taudis; moi-même, je peux lui frapper sur l’épaule et lui crier qu’on l’assassine, que sa maison est en feu; il se retournera sur l’autre flanc et se rendormira.

Et moi, et moi, continuai-je en traversant à grands pas la rue, je ne dors pas, moi qui ai dans ma poche ce soir de quoi le faire dormir un an; je suis si fier et si insensé que je n’ose entrer dans un cabaret, et je ne m’aperçois pas que, si tous les malheureux y entrent, c’est parce qu’il en sort des heureux. O Dieu! une grappe de raisin écrasée sous la plante des pieds suffit pour disperser les soucis les plus noirs, et pour briser tous les fils invisibles que les génies du mal tendent sur notre chemin. Nous pleurons comme des femmes, nous souffrons comme des martyrs; il nous semble, dans notre désespoir, qu’un monde s’est écroulé sur notre tête, et nous nous asseyons dans nos larmes comme Adam aux portes d’Eden. Et pour guérir une blessure plus large que le monde, il suffit de faire un petit mouvement de la main et d’humecter notre poitrine.

Quelles misères sont donc nos chagrins, puisqu’on les console ainsi? Nous nous étonnons que la Providence, qui les voit, n’envoie pas ses anges nous exaucer dans nos prières; elle n’a pas besoin de se tant mettre en peine, elle a vu toutes nos souffrances, tous nos désirs, tout notre orgueil d’esprits déchus, et l’océan de maux qui nous environne; et elle s’est contentée de suspendre un petit fruit noir au bord de nos routes. Puisque cet homme dort si bien sur ce banc, pourquoi ne dormirais-je pas de même sur le mien? Mon rival passe peut-être la nuit chez ma maîtresse; il en sortira au point du jour; elle l’accompagnera demi-nue jusqu’à la porte, et ils me verront endormi.

Leurs baisers ne m’éveilleront pas; ils me frapperont sur l’épaule: je me retournerai sur l’autre flanc et me rendormirai.

Ainsi, plein d’une joie farouche, je me mis en quête d’un cabaret. Comme il était minuit passé, presque tous se trouvaient fermés; cela me mettait en fureur. Eh quoi!

pensais-je, cette consolation même me sera refusée? Je courais de tous côtés, frappant aux boutiques et criant: Du vin! du vin!

Enfin je trouvai un cabaret ouvert; je demandai une bouteille, et, sans regarder si elle était bonne ou mauvaise, je l’avalai coup sur coup; une seconde suivit, puis une troisième. Je me traitais comme un malade et je buvais par force, comme s’il se fût agi d’un remède ordonné par un médecin, sous peine de la vie.

Bientôt les vapeurs de la liqueur épaisse, qui sans doute était frelatée, m’environnèrent d’un nuage. Comme j’avais bu précipitamment, l’ivresse me prit tout à coup; je sentis mes idées se troubler, puis se calmer, puis se troubler encore. Enfin la réflexion m’abandonnant, je levai les yeux au ciel, comme pour me dire adieu à moi-même, et m’étendis les coudes sur la table.

Alors seulement je m’aperçus que je n’étais pas seul dans la salle. A l’autre extrémité du cabaret était un groupe d’hommes hideux, avec des figures hâves et des voix rauques. Leur costume annonçait qu’ils n’étaient pas du peuple, sans être des bourgeois; en un mot, ils appartenaient à cette classe ambiguë, la plus vile de toutes, qui n’a ni état, ni fortune, ni même une industrie, sinon une industrie ignoble, qui n’est ni le pauvre, ni le riche, et qui a les vices de l’un et la misère de l’autre.

Ils disputaient sourdement sur des cartes dégoûtantes; au milieu d’eux était une fille très jeune et très jolie, proprement mise, et qui ne paraissait leur ressembler en rien, si ce n’est par la voix, qu’elle avait aussi enrouée et aussi cassée, avec un visage de rose, que si elle avait été crieuse publique pendant soixante ans. Elle me regardait attentivement, étonnée sans doute de me voir dans un cabaret; car j’étais élégamment vêtu et presque recherché dans ma toilette. Peu à peu elle s’approcha; en passant devant ma table, elle souleva les bouteilles qui s’y trouvaient, et, les voyant toutes trois vides, elle sourit. Je vis qu’elle avait des dents superbes et d’une blancheur éclatante; je lui pris la main et la priai de s’asseoir près de moi; elle le fit de bonne grâce, et demanda, pour son compte, qu’on lui apportât à souper.

Je la regardais sans dire un mot et j’avais les yeux pleins de larmes; elle s’en aperçut et me demanda pourquoi. Mais je ne pouvais lui répondre; je secouais la tête, comme pour faire couler mes pleurs plus abondamment, car je les sentais ruisseler sur mes joues. Elle comprit que j’avais quelque chagrin secret, et ne chercha pas à en deviner la cause; elle tira son mouchoir, et, tout en soupant fort gaiement, elle m’essuyait de temps en temps le visage.

Il y avait dans cette fille je ne sais quoi de si horrible et de si doux, et une impudence si singulièrement mêlée de pitié, que je ne savais qu’en penser. Si elle m’eût pris la main dans la rue, elle m’eût fait horreur; mais il me paraissait si bizarre qu’une créature que je n’avais jamais vue, quelle qu’elle fût, vînt, sans me dire un mot, souper en face de moi et m’essuyer mes larmes avec son mouchoir, que je restais interdit, à la fois révolté et charmé. J’entendis que le cabaretier lui demandait si elle me connaissait; elle répondit qu’oui, et qu’on me laissât tranquille. Bientôt les joueurs s’en allèrent; et le cabaretier ayant passé dans son arrièreboutique après avoir fermé sa porte et ses volets au-dehors, je restai seul avec cette fille.

Tout ce que je venais de faire était venu si vite, et j’avais obéi à un mouvement de désespoir si étrange, que je croyais rêver et que mes pensées se débattaient dans un labyrinthe. Il me semblait, ou que j’étais fou, ou que j’avais obéi à une puissance surnaturelle.

Qui es-tu? m’écriai-je tout d’un coup, que me veux-tu? d’où me connais-tu? qui t’a dit d’essuyer mes larmes? Est-ce ton métier que tu fais et crois-tu que je veuille de toi? Je ne te toucherais pas seulement du bout du doigt. Que fais-tu là? réponds. Est-ce de l’argent qu’il te faut? Combien vends-tu cette pitié que tu as? Je me levai et voulus sortir; mais je sentis que je chancelais. En même temps, mes yeux se troublèrent, une faiblesse mortelle s’empara de moi, et je tombai sur un escabeau.

Vous souffrez, me dit cette fille en me prenant le bras; vous avez bu comme un enfant que vous êtes, sans savoir ce que vous faisiez. Restez sur cette chaise et attendez qu’il passe un fiacre dans la rue; vous me direz où demeure votre mère, et il vous mènera chez vous; puisque vraiment, ajouta-t-elle en riant, puisque vraiment vous me trouvez laide.

Comme elle parlait, je levai les yeux. Peut-être fut-ce l’ivresse qui me trompa; je ne sais si j’avais mal vu jusqu’alors ou si je vis mal en ce moment; mais je m’aperçus tout à coup que cette malheureuse portait sur son visage la ressemblance fatale de ma maîtresse. Je me sentis glacé à cette vue. Il y a un certain frisson qui prend l’homme aux cheveux; les gens du peuple disent que c’est la mort qui vous passe sur la tête, mais ce n’était pas la mort qui passait sur la mienne.

C’était la maladie du siècle, ou plutôt cette fille l’était ellemême, et ce fut elle qui, sous ces traits pâles et moqueurs, avec cette voix enrouée, vint s’asseoir devant moi au fond du cabaret.

La confession d'un enfant du siècle

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