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Première Partie
Chapitre VI

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Je fus le lendemain au bois de Boulogne, avant dîner; le temps était sombre. Arrivé à la porte Maillot, je laissai mon cheval aller où bon lui sembla, et m’abandonnant à une rêverie profonde, je repassai peu à peu dans ma tête tout ce que m’avait dit Desgenais.

Comme je traversais une allée, je m’entendis appeler par mon nom. Je me retournai, et vis, dans une voiture découverte, une des amies intimes de ma maîtresse. Elle cria d’arrêter, et, me tendant la main d’un air amical, me demanda, si je n’avais rien à faire, de venir dîner avec elle.

Cette femme, qui s’appelait madame Levasseur, était petite, grasse et très blonde; elle m’avait toujours déplu, je ne sais pourquoi, nos relations n’ayant jamais rien eu que d’agréable. Cependant je ne pus résister à l’envie d’accepter son invitation; je serrai sa main en la remerciant; je sentais que nous allions parler de ma maîtresse.

Elle me donna quelqu’un pour ramener mon cheval; je montai dans sa voiture; elle y était seule, et nous reprîmes aussitôt le chemin de Paris. La pluie commençait à tomber, on ferma la voiture; ainsi enfermés en tête à tête, nous demeurâmes d’abord silencieux. Je la regardais avec une tristesse inexprimable; non seulement elle était l’amie de mon infidèle, mais elle était sa confidente. Souvent, durant les jours heureux, elle avait été en tiers dans nos soirées. Avec quelle impatience je l’avais supportée alors! combien de fois j’avais compté les instants qu’elle passait avec nous!

De là sans doute mon aversion pour elle. J’avais beau savoir qu’elle approuvait nos amours, qu’elle me défendait même parfois auprès de ma maîtresse dans les jours de brouille, je ne pouvais, en faveur de toute son amitié, lui pardonner ses importunités. Malgré sa bonté et les services qu’elle nous rendait, elle me semblait laide, fatigante.

Hélas! maintenant que je la trouvais belle! Je regardais ses mains, ses vêtements; chacun de ses gestes m’allait au cœur; tout le passé y était écrit. Elle me voyait, elle sentait ce que j’éprouvais auprès d’elle et que de souvenirs m’oppressaient. Le chemin s’écoula ainsi, moi la regardant, elle me souriant. Enfin, quand nous entrâmes à Paris, elle me prit la main. Eh bien? dit-elle. Eh bien! répondisje en sanglotant, dites-le-lui, madame, si vous voulez. Et je versai un torrent de larmes.

Mais lorsqu’après dîner nous fûmes au coin du feu: Mais enfin, dit-elle, toute cette affaire est-elle irrévocable? n’y at-il plus aucun moyen?

Hélas! madame, lui répondis-je, il n’y a rien d’irrévocable que la douleur qui me tuera. Mon histoire n’est pas longue à dire: je ne puis ni l’aimer, ni en aimer une autre, ni me passer d’aimer.

Elle se renversa sur sa chaise, à ces paroles, et je vis sur son visage les marques de sa compassion. Longtemps elle parut réfléchir et se reporter sur elle-même, comme sentant dans son cœur un écho. Ses yeux se voilèrent, et elle restait enfermée comme dans un souvenir. Elle me tendit la main, je m’approchai d’elle. Et moi, murmura-t-elle, et moi aussi! voilà ce que j’ai connu en temps et lieu. Une vive émotion l’arrêta.

De toutes les sœurs de l’amour, l’une des plus belles est la pitié. Je tenais la main de madame Levasseur; elle était presque dans mes bras; elle commença à me dire tout ce qu’elle put imaginer en faveur de ma maîtresse, pour me plaindre autant que pour l’excuser. Ma tristesse s’en accrut; que répondre? Elle en vint à parler d’elle-même.

Il n’y avait pas longtemps, me dit-elle, qu’un homme qu’elle aimait l’avait quittée. Elle avait fait de grands sacrifices; sa fortune était compromise, aussi bien que l’honneur de son nom. De la part de son mari, qu’elle connaissait pour vindicatif, il y avait eu des menaces. Ce fut un récit mêlé de larmes, et qui m’intéressa au point que j’oubliai mes douleurs en écoutant les siennes. On l’avait mariée à contre-cœur, elle avait lutté pendant longtemps; mais elle ne regrettait rien, sinon de n’être plus aimée. Je crus même qu’elle s’accusait en quelque sorte, comme n’ayant pas su conserver le cœur de son amant, et ayant agi avec légèreté à son égard.

Lorsqu’après avoir soulagé son cœur, elle demeura peu à peu comme muette et incertaine: Non, madame, lui dis-je, ce n’est point le hasard qui m’a conduit aujourd’hui au bois de Boulogne. Laissez-moi croire que les douleurs humaines sont des sœurs égarées, mais qu’un bon ange est quelque part qui unit parfois à dessein ces faibles mains tremblantes, tendues vers Dieu. Puisque je vous ai revue, et que vous m’avez appelé, ne vous repentez donc point d’avoir parlé; et, qui que ce soit qui vous écoute, ne vous repentez jamais des larmes. Le secret que vous me confiez n’est qu’une larme tombée de vos yeux, mais elle est restée sur mon cœur. Permettez-moi de revenir, et souffrons quelquefois ensemble.

Une sympathie si vive s’empara de moi en parlant ainsi, que, sans y réfléchir, je l’embrassai; il ne me vint pas à l’esprit qu’elle s’en pût trouver offensée, et elle ne parut même pas s’en apercevoir.

Un silence profond régnait dans l’hôtel qu’habitait madame Levasseur. Quelque locataire y étant malade, on avait répandu de la paille dans la rue, en sorte que les voitures n’y faisaient aucun bruit. J’étais près d’elle, la tenant dans mes bras, et m’abandonnant à l’une des plus douces émotions du cœur, le sentiment d’une douleur partagée.

Notre entretien continua sur le ton de la plus expansive amitié. Elle me disait ses souffrances, je lui contais les miennes, et, entre ces deux douleurs qui se touchaient, je sentais s’élever je ne sais quelle douceur, je ne sais quelle voix consolante, comme un accord pur et céleste né du concert de deux voix gémissantes. Cependant, durant toutes ces larmes, comme je m’étais penché sur madame Levasseur, je ne voyais que son visage. Dans un moment de silence, m’étant relevé et éloigné quelque peu, je m’aperçus que, pendant que nous parlions, elle avait appuyé son pied assez haut sur le chambranle de la cheminée, en sorte que, sa robe ayant glissé, sa jambe se trouvait entièrement découverte. Il me parut singulier que, voyant ma confusion, elle ne se dérangeât point, et je fis quelques pas en tournant la tête pour lui donner le temps de s’ajuster; elle n’en fit rien. Revenant à la cheminée, j’y restai appuyé en silence, regardant ce désordre, dont l’apparence était trop révoltante pour se supporter. Enfin, fixant ses yeux, et voyant clairement qu’elle s’apercevait fort bien elle-même de ce qui en était, je me sentis frappé de la foudre; car je compris net que j’étais le jouet d’une effronterie tellement monstrueuse, que la douleur elle-même n’était pour elle qu’une séduction des sens. Je pris mon chapeau sans dire un mot; elle rabaissa lentement sa robe, et je sortis de la salle en lui faisant un grand salut.

La confession d'un enfant du siècle

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