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VIII

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Vilhem à MMM.

«Hélas! hélas! hélas! cher ange, puisque vous voulez bien être le mien, hélas! hélas! hélas! il y a dans la vie humaine une certaine quantité de prosaïsme, alliage dans l’or, qu’il faut nécessairement subir et auquel rien ne peut nous faire échapper. Le poëte trouve quelquefois moyen de dépenser son or pur; mais il lui faut tôt ou tard se servir de l’alliage pur à son tour; je me suis longtemps désespéré de cela; aujourd’hui, mon désespoir est devenu un rire sardonique. A quoi pensez-vous que votre lettre me trouve occupé? A des travaux de ménage!

»Oui, vous êtes mon ange, mon ange consolateur, mon ange sauveur. Depuis que je vous ai trouvée, ma vie a un but. Je sais pourquoi je me réveille le matin: pour songer à vous, pour attendre votre lettre. Quand je vois, le soir, ces beaux couchers du soleil, ces splendides reflets dont se pare le ciel, j’ai maintenant un ange, un dieu à placer dans ce ciel, sur ce trône de pourpre et de feu, si tristement vide pour moi jusqu’ici. Maintenant, je me réjouis de ce que le ciel m’a donné d’esprit, de force, de courage; semblable aux saints de la mythologie hébraïque, «je me réjouis de la belle moisson que je puis offrir à mon Dieu.»

»Non, je ne travaille pas, et, pour cela, je n’ai pas abandonné ma douce solitude dans laquelle, sans vous connaître, je vous ai toujours gardé une place à côté de moi. Je ne travaille plus pour la foule, dont, par une bizarrerie que je ne m’explique pas, les suffrages me laissent froid et le blâme me blesse profondément. Je vous écrirai, j’écrirai pour vous seule tout ce que vous voudrez.

»Cependant je me prends parfois à caresser dans mon cœur un amer regret. Je me rappelle ces quelques soirées de triomphe où, après la représentation de mon œuvre, mon nom jeté à la foule était répété par elle avec des cris d’enthousiasme presque furieux. Oh! que n’étiez-vous là! c’est si j’avais dû en parer votre front, que ces couronnes auraient eu du prix pour moi. Souvent, parmi toutes ces femmes parées, je cherchais vainement s’il y en avait une qui fût heureuse de mon triomphe, et mon orgueil, un moment satisfait, rentrait douloureusement en moi et retombait sur mon cœur.

»Vous voulez me connaître? J’attends un ami qui peint un peu; je ferai faire une sorte de portrait que je vous enverrai. J’espère que, plus tard, vous changerez d’idée sur le mystère qui vous dérobe à moi. Les anges ne se cachaient que pour le vulgaire et se manifestaient aux hommes vertueux qu’ils aimaient. Je suis, à ce prix, capable d’accaparer toutes les vertus.

»Tenez, je vous le disais bien, il faut expier tout bonheur: on m’arrache d’auprès de vous; mais, cher ange, je me promets bien d’être à l’avenir complétement nul et bête pour tout le monde; je serai si heureux de n’avoir de l’esprit et du cœur que pour vous, et de vous garder tout ce que j’en ai!»

Midi à quatorze heures

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