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III

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Table des matières

Le procès-verbal que l’on vient de lire a force de loi. Non-seulement il lève tous les doutes sur la véritable origine du Christ de Jean Guillermin, mais encore il l’affirme d’une manière si claire et si irrécusable, que les partisans du scepticisme quand même peuvent seuls la nier.

Nous allons offrir maintenant aux connaisseurs quelques extraits des principales opinions émises par des écrivains contemporains au sujet du célèbre ivoirier, et du Christ qu’il sculpta pour les pénitents de la Miséricorde:

«Guillermin (Jean), habile sculpteur du 17e siècle, habitait Avignon, où peut-être il était né, et où son atelier était situé place du Change dans la maison qu’occupait, en 1836, M. Rouvière. Le séjour qu’il y a fait est suffisamment attesté par un précieux monument, le seul qui reste de son talent dans cette ville que possèdent les confrères de la Miséricorde (Hospice des aliénés): je veux parler du Christ d’ivoire, véritable merveille de l’art réputé inimitable. Vers le commencement de l’empire, l’immortel Canova, passant à Avignon, resta plusieurs heures en extase devant ce rare travail; enfin il s’écria: Conservez-le avec soin; on ne vous en ferait plus un pareil. L’artiste a consigné lui-même, sur son propre ouvrage, son nom, celui d’Avignon et la date 1659. On a prétendu que ce Christ était l’œuvre d’un criminel destiné à périr. Voici le fait: un neveu de J. Guillermin allait, en vertu d’une sentence, subir la peine capitale, lorsque le sculpteur offrit pour racheter la vie de son parent, le Christ d’ivoire à la Confrérie des Pénitents de la Miséricorde, qui, chargée du soin des prisons, de la conduite des patients au lieu du supplice, jouissait, entre autres prérogatives, de celle d’obtenir chaque année, le 29 août (jour de la Décollation de saint Jean-Baptiste), la grâce d’un condamné à mort. La sublime production de l’artiste fut jugée digne de valoir la vie d’un homme, et l’échange fut accepté. Pendant la révolution de 1793, cette précieuse sculpture fut soustraite à la rage des destructeurs, et lorsque le calme fut rétabli, la crainte de la perdre fit qu’on ne la montrait qu’avec méfiance; on redoutait qu’elle fût réclamée par le gouvernement pour grossir les richesses du Musée impérial. M. Rastoul, écrivain de la chronique de Vaucluse, nous apprend qu’il existe à Vienne (Autriche), dans le cabinet de l’empereur, deux beaux-vases d’ivoire signés du nom de Guillermin et datés du 17e siècle; vraisemblablement ils ont été exécutés par l’auteur du Christ. On lit dans le Nouv. dictionn. hist. de Chaudon et Delandine, qu’un sculpteur, Baptiste Guillermin, né à Lyon, vint s’établir à Paris, où il se distingua par la délicatesse de ses ouvrages en ivoire et en coco, qu’il fit un Crucifix admirable pour le chœur du Val-de-Grâce, et qu’il mourut en 1699.»

Voici, de plus, quelques extraits tirés d’un article de M. Léon Lagrange sur Guillermin et son Christ. Ce travail, un des plus achevés et des plus savamment conçus que nous ayons encore lus sur ce sujet, contient, outre des appréciations fort judicieuses, le même procès-verbal que nos lecteurs viennent de lire, procès-verbal qu’il doit, comme nous, à la bienveillance de M. P. Achard:

«Et la légende? Voilà de quoi affriander la curiosité. Ici, au lieu d’une, il y en avait deux. D’après la première, l’auteur du Crucifix aurait été un assez triste sire, condamné à mort pour je ne sais quel méfait. Au fond de son cachot, il se procura un morceau d’ivoire, (quoi de plus facile, en effet, que de se procurer un morceau d’ivoire de vingt-six pouces?) et il s’amusa à le sculpter. Le jour venu de marcher à la mort, il n’eut qu’à montrer son œuvre: sa grâce lui fut accordée pleine et entière.

«L’autre version est encore plus poétique: le sculpteur avait un neveu, un jeune et beau neveu, qui s’éprit d’une aimable fille d’Avignon, et comme entre eux deux se trouvait un rival, il n’imagina rien de mieux, pour s’en débarrasser, que de l’occire à l’italienne. Arrêté et condamné, le beau neveu attendait la mort au fond d’un noir cachot, mais sans le moindre morceau d’ivoire, cette fois. Par bonheur, son oncle travaillait pour lui.

«La confrérie des Pénitents noirs de la Miséricorde, instituée en 1586, comptait parmi ses plus précieuses prérogatives le privilège concédé par Clément VIII et Paul V, de délivrer chaque année un condamné à mort, en mémoire de la décollation de saint Jean-Baptiste, leur patron. Le Crucifix achevé, l’oncle fit don de son œuvre aux Pénitents de la Miséricorde, et ceux-ci, en reconnaissance, délivrèrent le malheureux neveu.

«Ne rions pas de ces légendes. L’imagination méridionale les aime: elle en a besoin. Il lui faut la passion motif du crime, le noir cachot, les fers, les pleurs du repentir, et la religion miséricordieuse acceptant l’art pour rançon de la mort. Aussi, des deux légendes, c’est la dernière, la plus compliquée et la moins motivée, qui est devenue la plus populaire. Un artiste du pays y a puisé le sujet d’un tableau placé, depuis 1842, au Musée d’Avignon. On y voit l’oncle, dans l’attitude d’un Mélingue inspiré, remettant son Crucifix aux Pénitents, dont les yeux brillent sous leur cagoule noire, et qui s’empressent de briser les fers du neveu.

«Tant de titres à l’admiration publique, et surtout à l’admiration bourgeoise, ont rendu de tout temps célèbre le Christ de la Miséricorde. Le Voyage d’un Amateur des Arts (par M. de la R..., en 1775), le signale comme une fort belle pièce. Les Guides modernes, principalement les Guides anglais, n’ont garde de l’omettre. Quant aux livres d’érudition locale, ils ne tarissent pas sur ce chapitre. Le Tableau d’Avignon, par M. Rastoul. L’Avignon, de M. Joudou. Le Guide de l’Étranger, de M. Canron, embouchent à l’envi la trompette en l’honneur du fameux Crucifix.

«Le nom de l’auteur n’est pas un mystère, car lui-même a pris soin de l’inscrire sur son œuvre: «J. Guillermin 1659.» Or Florent le Comte, dans le Cabinet des singularités d’architecture, etc., parle d’un sculpteur de ce nom. — «Jean-Baptiste Guillermin, dit-il, naquit à Lyon en 1645. Il réussit dans la sculpture de petits Crucifix en ivoire, et en fit un particulièrement de cinq pieds de haut, placé dans le chœur des Dames de l’abbaye royale du Val-de-Grâce de Paris. Guillermin voyagea ensuite en France et en Allemagne. De retour à Paris, notre artiste, après avoir exercé plusieurs charges dans la communauté des sculpteurs, succomba à une attaque de paralysie, et mourut en novembre 1699, âgé de cinquante-six ans.»

«Nous voici loin de la légende. On ne peut cependant mettre en doute l’identité des deux Guillermin. Les auteurs locaux, M. Joudou, M. Canron, acceptent cette identité ; seulement ni l’un ni l’autre ne s’est aperçu que, si Jean Guillermin est né en 1645, ainsi que l’affirme Florent Lecomte, il avait en 1659, tout juste quatorze ans, et c’est un âge bien tendre pour une œuvre aussi virile. La suite de l’histoire, telle qu’ils la donnent, s’approcherait davantage de la vérité.» — «L’abbé de Crillon, mort en 1789, se plaisait à raconter, dit M. Joudou, que Guillermin, avant d’aller à Paris, était descendu à Avignon en 1659, que M. Jean Manne, chirurgien, rue Bonneterie, possédant une superbe dent d’éléphant, la livra à Guillermin pour en faire un Christ; que ledit Manne logea chez lui et nourrit le sculpteur pendant le temps du travail, et qu’ensuite M. Manne, émerveillé, donna pour salaire à son hôte la modique somme de 36 livres. M. Louis-François Manne, le fils, un des plus zélés recteurs de la Miséricorde, a dû laisser en mourant ce Christ à l’œuvre pour le soutien de laquelle il avait sacrifié toute sa fortune.»

«Un tel luxe de détails est bien propre à faire illusion. Rien n’y manque, ni les prénoms, ni la rue, tout au plus le numéro. Cependant, il n’y a là que des on dit reposant sur une base fragile. Légende pour légende, je préfère les fers et le cachot.»

Nous lisons plus loin, dans le même article:

«En 1659, nous venons de le voir, Guillermin, déjà maître en son art, se dirigeait vers l’Italie, quand Paul Guichard le saisit au passage. En 1660, il était encore à Avignon. Dans cette Rome au petit pied, toute peuplée d’églises, de chapelles et de confréries, il a certainement exécuté, tant pour des communautés que pour des particuliers, d’autres Crucifix; et c’est à ces travaux secondaires que s’appliqueraient les dires de l’abbé de Crillon, en les supposant vrais.

«Quant à la note de Florent Le Comte, en présence d’un texte aussi formel, elle ne peut subsister qu’avec une modification de dates. Acceptons pour certain que Jean ou Jean-Baptiste Guillermin (et ce prénom de Jean-Baptiste expliquerait son ardeur à servir les Pénitents Noirs, qui invoquaient le même patron), acceptons, dis-je, pour certain que Guillermin est né à Lyon et qu’il a vécu cinquante-six ans. Mais quant à naître en 1G45 et mourir en 1699, le cas est également impossible; puisque en 1659 l’auteur du Crucifix d’ivoire avait déjà la renommée d’un excellent sculpteur, ce ne sera pas trop d’admettre qu’il avait au moins passé la trentaine. Si donc il a vécu cinquante-six ans, on pourra, pour conserver une lointaine ressemblance avec les dates de Florent Le Comte, placer sa naissance en 1623 et sa mort en 1677.

«Telle est, jusqu’à de nouvelles découvertes, l’histoire du sculpteur Jean Guillermin.»

Le détail que le remarquable travail de M. Léon Lagrange ne donne pas, c’est celui que nous avons puisé dans une des vieilles archives du Musée, que nous n’acceptons, nous nous hâtons de le constater, que sous bénéfice d’inventaire, mais que nous transcrivons ici volontiers, voulant donner une idée très-complète des diverses légendes auxquelles donnèrent lieu les premiers enthousiasmes qui accueillirent le chef-d’œuvre de Jean Guillermin.

D’après cette légende, ce n’est plus un neveu, cette fois, que le Christ de l’artiste délivra, mais bien un propre frère du célèbre ivoirier.

«André Guillermin, le peintre, lisons-nous dans ce document, condamné à mort, revint des erreurs de sa jeunesse; peu de temps après avoir obtenu sa grâce, il alla à Florence, où il se convertit dans un couvent de Camaldules. Il se rappela toujours avec épouvante qu’il avait habité un cachot infect, dans lequel était cloué, au-dessus de sa tête, un énorme écriteau qui laissait lire en grosses lettres noires ces mots funèbres: CONDAMNÉ A MORT POUR CRIME DE MEURTRE, APRÈS UNE PARTIE DE JEU.

«Quant à Jean Guillermin, toujours entouré de la considération la plus éclatante, il renonça bientôt aux arts, pensant, avec raison, qu’après avoir fait son Christ, il n’avait plus rien à faire, et il mourut à Avignon en 1699.»

Nous ne savons si Guillermin pensa ou non qu’après avoir sculpté son Christ, il n’avait plus rien à faire pour les arts en ce bas monde; nous ne voulons pas approfondir le plus ou moins de vraisemblance de ce sublime cri: Exegi monumentum, que l’illustre ivoirier aurait poussé vers le ciel en signe de reconnaissance, mais ce que nous ne pouvons pas lire, et ce dont nous ne saurions, par conséquent, douter, ce sont les lignes suivantes que nous lisons au fol. 218 du reg. des délib. de la Confrérie de la Miséricorde:

Mars 1660. La Compagnie. par l’entremise de M. Pol Guichard a fait faire un Christ mort de buis par le même maître qui a fait celui d’ivoire l’année dernière ci-devant mentionnée aux dépends de la Compagnie et des épargnes procurées par ledit sieur Guichard.

Qu’est devenu ce travail, si clairement affirmé par les archives de la Compagnie? On l’ignore, et toutes recherches ultérieures à cet égard seraient, croyons-nous, pour le moins superflues. Il est permis de supposer toutefois, et, d’après nous, c’est l’opinion qui se rapproche le plus des faibles et lointains échos qui nous sont parvenus de sa disparition, qu’il fut la proie des hordes révolutionnaires qui s’abattirent, comme une nuée de farouches vautours, sur tout ce qui avait quelque valeur artistique ou métallique, qu’il disparut dans le sombre bûcher sur lequel ces vandales modernes, au nom d’une nation en deuil dont ils n’étaient pas même les mandataires, au nom de la France qu’ils traînaient dans un abîme sans fond de terreur et de sang, brûlèrent tout ce qui avait un souvenir noble ou poétique, tout ce qui possédait encore un rayon de cette brillante auréole dont Dieu couronne les chefs-d’œuvre de tous genres qui se rapprochent de lui, en lui empruntant quelque chose de son éternelle beauté...

Que dire maintenant de Jean Guillermin, si, après ce que l’on vient de lire, on a la bonne foi de ne plus accepter les légendes antérieures ou ultérieures à la vente de son Christ? Rien, sinon qu’à constater que ce beau travail est authentiquement sien, qu’il est régulièrement signé par l’auteur, qu’il a été réellement exécuté en l’année 1659, que nos murs ont eu l’honneur de donner l’hospitalité au vaillant artiste qui l’avait rêvé, qu’il a été bien et dûment commandé, acheté et payé par la Confrérie des Pénitents de la Miséricorde. — L’exécution et la possession de ce chef-d’œuvre n’a donc été uniquement que le résultat de la convention ordinaire que l’on passe, lorsqu’on prend dans un magasin un objet que l’on vivait commandé et dont on avait d’avance débattu le prix. — La poésie, nous en convenons, et certes nous le regrettons, perd beaucoup à cette nouvelle et seule manière d’envisager ce fait; le prisme à travers lequel on s’était habitué à admirer cette brillante expression du cerveau de l’artiste ivoirier, perd beaucoup aussi de la fraîcheur de ses nuances et de la vivacité multiple de ses couleurs; la muse légendaire y sacrifie un des beaux diamants de sa royale couronne, mais en revanche, la vérité y gagne tout ce que le reste y perd, et ce n’est certes pas peu de chose par le temps qui court. — On étouffe assez sa voix aujourd’hui sous les faux dehors des apologies matérialistes, sous les menteuses et soi-disant libérales révoltes de l’esprit; on tient assez enfermé sous un obscur boisseau ce flambeau lumineux que les grands et les intelligents de la terre devraient promener sans cesse d’un pôle à l’autre; on insulte assez à la majesté de son éternelle patience pour que nous ne soyons pas heureux de consoler la grande délaissée en lui restituant, quoi qu’il puisse en coûter aux illusions de nos concitoyens, une parcelle de ses droits. Elle est très-minime, il est vrai, et cette reconnaissance n’empêchera pas, nous le savons, la machine ronde de tourner autour de l’astre-roi, mais enfin elle est appréciable, et dans tous les cas solidement accentuée. C’est assez pour nous et pour le culte que nous vouons à la vérité. — Puisse-t-elle, chaque jour, en morale comme dans les autres sphères qu’elle devrait dominer, recouvrer ainsi une parcelle des droits dont on l’a si sauvagement dépossédée!

D’après les documents que. nous possédons sur J. Guillermin, documents que nous venons de citer, s’il est maintenant aisé d’établir d’une manière solide l’origine et les premières phases triomphales que traversa le Christ dont il dota l’ex-cité papale, il est malheureusement moins facile, ou plutôt il sera à peu près impossible désormais, à moins que de nouvelles découvertes se produisent, de fixer aussi clairement l’époque de la naissance et de la mort, pas plus que le nom de la ville où naquit et mourut l’habile artiste qui sculpta ce chef-d’œuvre.

D’après les judicieuses remarques de M. Léon Lagrange, les dates, que l’on avance à ce sujet, se détruisent en se contredisant. Ce n’est qu’à travers une multitude d’à-peu-près et d’on dit qu’il faut péniblement. marcher pour arriver à une conclusion boiteuse sur l’authenticité des documents qui nous occupent, et sur la foi que nous devons y ajouter. Or, comme les à-peu-près des derniers siècles, pas plus que ceux dont certains auteurs du jour émaillent trop cavalièrement leurs prétendues œuvres réhabilitrices, ne prouvent rien en logique historique, et qu’il est à notre parfaite connaissance qu’aucune autre archive relatant la vie de Jean Guillermin, antérieure ou postérieure à l’achèvement de son Christ, n’existe à Avignon, pas plus qu’à la bibliothèque impériale de la rue de Richelieu, nous croyons fort à propos de conseiller aux amateurs de dates contestées, aux chercheurs de papiers usés et illisibles, de renoncer à leurs pénibles fouilles à cet égard. Elles n’aboutiraient qu’à embrouiller davantage une question qui l’est déjà assez ainsi, ou qu’à couvrir d’un voile complètement noir un passé sur lequel plane déjà une teinte par trop demi-sombre.

A plusieurs points de vue, il serait certainement très-intéressant pour notre pays de savoir si Jean Guillermin est réellement né à Lyon où à Avignon; si c’est réellement en 1699 qu’il a terminé ses jours dans l’antique métropole de saint Irénée, ou dans la vieille capitale de Benoît XII; si ses jours ne se sont pas prolongés au-delà de cette date, qui, du reste, nous paraît bien hasardée; si les phases qui ont suivi l’achèvement de son Christ ont dignement couronné l’œuvre et ont été glorieuses pour le célèbre ivoirier. Ces détails, nous nous plaisons à le répéter, seraient certes, pour nous, du plus haut intérêt, car il est toujours bon de pouvoir suivre pas à pas la vie des hommes qui ont illustré, à n’importe quel titre, une ville ou un pays. Mais puisque, pour le moment, ces renseignements sont introuvables et introuvés, et qu’ils le seront probablement longtemps encore, nous pensons qu’il est plus prudent de se soumettre et d’en rester là, que de se lancer, tête baissée, dans des appréciations qui, le plus souvent, en définitive, ne sont qu’une suite d’anachronismes historiques, quand ils ne se présentent pas à notre raisonnement sous la forme de sophismes inacceptables. Que Jean Guillermin soit né à Avignon, ce qui est peu probable, ou à Lyon, ce qui l’est davantage, le Christ n’en existe pas moins, et n’en est pas moins l’orgueil des connaisseurs qui depuis deux siècles ont séjourné dans notre ville. — Ne sommes-nous pas depuis longtemps consolés d’ignorer le nom de l’heureuse ville qui donna le jour à Homère, ce prince des poètes de l’antiquité ? Ne lisons-nous pas avec autant d’intérêt les puissantes créations de l’Iliade, parce que les siècles écoulés n’ont pas su nous conserver les détails de la vie du chantre de l’Odyssée? Du reste, Homère n’a pas seul partagé ce sort: si nous jetons nos regards derrière nous, nous verrons les longues et magiques routes du passé peuplées de noms d’hommes à tout jamais illustres, et dont on ne pourrait pourtant nous transmettre aujourd’hui aucun souvenir.... Hommes injustement immolés, superbes ruines de soleils éteints dont on ne put jamais fixer la sphère, et qui pourtant gravitèrent un jour autour d’une vaste planète, étonnant l’espace de la beauté de leur lumière, de la puissance du chemin qu’ils dévoraient!

Guillermin a sculpté son célèbre Christ d’ivoire en 1659 dans nos murs, et c’est dans nos murs qu’il a conçu, rêvé et exécuté cet étonnant ouvrage. Il l’a vendu et remis à la Confrérie des Pénitents noirs, dits de la Miséricorde. — C’est tout ce qui nous reste de lui en fait d’histoire authentique. — Les deux siècles qui ont passé sur ce nom et ce travail ont dévoré le reste. Contentons-nous-en, car, il y a six mois, dans Avignon et ailleurs, personne n’en savait encore autant.

Essai historique sur le Christ d'ivoire de Jean Guillermin

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