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Chapitre 1
ОглавлениеCraven arpentait les rues de la ville, après avoir renvoyé Faucon-de-Nuit et Tiara rentrer avant lui à leur forteresse. Il avait appris le nom de la jeune femme par l'Indien. Il passait à présent par plusieurs fortes poussées d'adrénaline... l'une étant causée par le fait qu'il venait enfin d'avoir cet enfant qu'il avait toujours désiré. Craven repoussa l'urgence en sachant qu'elle ne se réveillerait pas avant un bon moment.
Il comptait sur Faucon-de-Nuit pour ne pas succomber à la tentation de lui faire du mal d'une façon ou d'une autre... il en avait lu tout autant dans les yeux de l'Indien et cela avait excité sa curiosité. Il cherchait à comprendre la raison pour laquelle ce Rôdeur transformé en zombie avait choisi de rester avec lui. Maintenant, il lui semblait que Faucon-de-Nuit attendait simplement quelque chose⦠ou quelqu'un.
Ils désiraient tous les deux protéger la belle petite nécromancienne... même si c'était pour de différentes raisons. Si elle ressemblait à sa mère dâune façon ou dâune autre, alors Craven ne pouvait en vouloir à Deth de donner un enfant à une telle humaine. Il ne pouvait pas ressentir la force vitale de son frère dans ce monde-ci, et cela le perturbait de penser qu'il venait d'abandonner son enfant.
Regarder souffrir Nile aux mains de ses propres enfants qui l'avaient attaqué lui avait procuré une immense satisfaction. Il serait rapidement devenu un problème s'il n'avait pas été arrêté à temps. Nile était un maître démon et avait déjà réuni beaucoup d'énergie en prenant ce grand cimetière sous sa responsabilité. Même un démon de classe inférieure pouvait devenir nuisible si son armée à lui, ou à elle, atteignait un tel nombre.
Bien que ce ne fût pas lui qui avait tué Nile en fin de compte, avoir pu assister à sa destruction avait rappelé à Craven les guerres de démons dâantan. Cela lui avait donné cette soif de sang qui était la sienne et ce besoin de lutter pour dominer. Il était rare qu'une émotion aussi irrépressible le possède ainsi, mais quand cela le prenait, il trouvait aussitôt sa cible.
Son temps dans la crevasse n'était plus qu'un souvenir fugace. Le temps l'avait condamné ici... ce qui ressemblait de beaucoup à une bonne nuit de repos. Il avait perçu l'écart de temps seulement lorsque la fissure entre les mondes s'était ouverte et qu'il s'était réveillé. Il en déduisait que c'était la même chose que d'arracher les âmes à leur après-vie⦠la même confusion sâensuivait.
La nuit avait cédé à l'aube à présent, mais contrairement à certains de ses subordonnés... Craven n'était pas prisonnier de la nuit. Alors qu'il était dans l'ambiance, abattre un ou deux maîtres plus faible que lui présenterait un passe-temps appréciable. Il pouvait déjà présager du chaos qu'ils répandaient dans la ville.
Craven s'adossa à un mur d'immeuble pour avoir une bonne vue d'ensemble. C'était le même monde dans lequel il avait vécu si longtemps, avant de se retrouver banni dans le silence de la crevasse, mais maintenant, tout était différent sur tant de points. Cette période était bien plus sophistiquée⦠et encore plus sauvage que dans son souvenir. Les rues qui se croisaient sur le terrain contenaient tellement de secrets⦠mais à chaque âme qu'il touchait⦠il en apprendrait bien plus sur cette époque, et ce grâce à leurs souvenirs.
Le nombre d'humains avait crû, tout comme le nombre d'âmes abandonnées en chemin pour hanter la ville elles-mêmes. Il pouvait les sentir errer dans les maisons, les hôpitaux... partout. Il observa un bus qui passait lentement devant lui et remarqua l'âme d'un homme qui le regardait à travers la vitre.
Ãtait-ce la raison pour laquelle les cimetières qu'il avait sortis de leur sommeil ne comptaient pas le même nombre d'âmes que celui des tombes ? De son point de vue, il apparaissait que comme les âmes reposaient à l'endroit où le corps était mort, s'efforcer de continuer une existence achevée n'avait aucun sens. La plupart des démons étaient seulement capables d'utiliser les mortels encore vivants... en possédant ou en contrôlant leurs corps. Avec si peu de nécromanciens en vie, son armée serait immense une fois complète.
Le passage du temps avait donné au moins une chose... le nombre de morts atteignait maintenant celui des vivants... s'il ne le dépassait pas à l'heure actuelle. Craven était assez certain que si les morts étaient tous invoqués sur-le-champ, ils domineraient aisément les vivants.
Pour tester, il laissa son pouvoir émaner de lui en vagues brûlantes, tout en plaignant ceux qui n'avaient pas de maître pour les réclamer. Les âmes qu'il touchait pouvaient se sentir cernées par les démons, incapables de se déplacer librement, et elles étaient nombreuses à être trop effrayées pour abandonner leur sécurité.
Craven était un collectionneur d'âmes... tout comme l'était Deth. Il instrumentalisait les démons les plus faibles ainsi que n'importe quelle autre créature de la nuit pour exécuter ses ordres, mais son sang était particulier. Quand lui ou l'un de ses ancêtres offrait à une âme un retour chez elle, c'était la preuve qu'un pacte avait été conclu entre eux.
Il pouvait utiliser son corps comme un intermédiaire pour renvoyer les âmes à la mort, mais s'il lui arrivait de les invoquer pour un combat, ils seraient tenus par leur pacte de retourner dans cette dimension et de faire ce qu'il désirait qu'ils fassent. En réveillant les âmes de la mort, Craven pouvait donc proposer de les ramener à cette condition⦠qu'ils restent à sa disposition s'il avait besoin d'eux.
Quand une âme passait à travers lui pour revenir dans l'autre monde, elles laissaient un résidu de leur énergie derrière elles⦠en lui, le rendant ainsi plus fort à chacun de leurs passages. Le même phénomène s'opérait chez Tiara, et il savait que Deth n'avait pas partagé ce secret avec sa mère. S'il se fiait à la naïveté de la fille, seul l'enseignement de sa mère lui avait été accordé.
Les secrets que Deth gardait n'avaient pas été partagés, et Craven ne partagerait pas non plus ces mêmes secrets avec Tiara. Il se servirait de son aptitude à guider les âmes dans l'autre monde et laisserait la jeune nécromancienne croire qu'il lui apportait son aide... il l'amènerait à s'attacher à lui en affectant de comprendre son « besoin » de tous les sauver. De telles notions mortelles provenaient du côté humain de la magicienne.
Il était inutile de laisser aller librement ces âmes qu'il percevait, pour qu'un autre nécromancien de classe inférieure du genre de Nile se nourrisse d'elles. En les appelant à lui, Craven formula son offre en silence. Son pacte tenait à cette clause⦠il les sauvait des griffes des autres démons, il était leur sanctuaire, et leur retour direct vers chez eux s'ils acceptaient le marché.
Une par une, les âmes se mirent à émerger lentement de leurs cachettes... passant devant les piétons qui suivaient leur routine matinale quotidienne. Certains humains pouvaient ressentir leur proximité et accéléraient l'allure, désireux de se débarrasser de cette sensation étrange qui les envahissait. Ces humains possédaient une conscience aiguë ; même s'ils ne pouvaient pas voir les fantômes dont ils percevaient l'énergie.
Les âmes qui avaient plus de courage que les autres se laissèrent absorber en lui, acceptant ainsi son offre de disparaître de ce plan de l'existence, pendant que de plus timorées se contentaient de l'observer à distance. Craven esquissa un petit sourire en libérant une vague de puissance vers elle pour les attirer à lui. Soudain, de nouvelles âmes délaissées s'amassèrent au gré des rues, fonçant sur lui à une allure effrénée.
Craven resta calme et décontracté, adossé au mur de l'immeuble tandis que les âmes des morts envahissaient sans attendre tout son corps. Si un quelconque spectateur avait prêté attention à la scène, il aurait vu les doux cheveux argentés de l'inconnu flotter autour de son visage sous le souffle d'une brise complètement inexistante. Cependant, à l'intérieur, son pouvoir s'élevait bien plus haut que les âmes neuves et simples avec lesquelles il s'amusait dans les cimetières.
Ces âmes étaient anciennes, et fatiguées d'errer en ce monde... les âmes fortes lui donnaient accès à leur énergie au cours de leur passage de l'autre côté. Il se servirait de ce pouvoir pour protéger ce que Deth avait abandonné dans le but qu'il le trouve⦠leur lignée. Une fois que le raz-de-marée d'âmes eut cessé, il reprit son inspection de la ville.
Un sourire sinistre orna ses lèvres quand il suivit certains chasseurs de démons de quartier en quartier, occupé à traquer leurs mouvements. Il faillit éclater de rire lorsque les chasseurs freinèrent des quatre fers une fois s'être avancés à un endroit précis, avant de repartir dans une autre direction sans se demander pourquoi ils avaient changé d'avis. C'était l'un des sorts les plus anciens utilisés par les démons contre leur ennemi, et qui remontait à l'époque des âges sombres⦠un sortilège répulsif, poussant l'indésirable à lui ôter l'envie de s'approcher.
Soit les chasseurs étaient extrêmement intelligents, soit ils étaient extrêmement stupides, considérant leur métier. Cependant, bien nombreux étaient les chasseurs qui s'avéraient être humains et dépourvus de la moindre perception extrasensorielle, donc c'était peut-être de la pure ignorance de leur part, tout simplement.
Il s'arrêta pour admirer la lutte de celui qui lui rappelait Faucon-de-Nuit⦠l'humain aurait pu être un descendant de cet Indien. Du sang de démon lui striait tout le visage comme des peintures de guerre et sa magie était d'une grande qualité. Celui-là , Craven s'en souviendrait, non par peur mais par curiosité.
Commençant à s'ennuyer, Craven retourna sur ses pas, vers l'endroit que les chasseurs évitaient inconsciemment. C'était un endroit rongé par les ténèbres qui fournissait un sanctuaire pour les rebuts de cette société, un refuge où ils pouvaient se cacher. Dans ces ténèbres, le pouvoir attendait et se nourrissait de la vie qui grandissait en son sein. Craven se tenait devant sa gueule, y plongeant le regard avant de traverser le brouillard qui avait dérivé le long de l'océan, se dirigeant vers la source dâénergie fanfaronne qu'il avait découverte.
Oui, le terme de « fanfaronne » était parfait pour définir ce pouvoir. Il semblait très confiant, sûr de son emprise sur les ténèbres et Craven s'en approchait presque joyeusement. Il arpenta le trottoir en percevant les cris silencieux d'agonie, ainsi que la douleur qui les accompagnait.
Les quelques femmes qu'il rencontra passèrent soigneusement à côté de lui, et lui décochèrent des regards languissants tout en gardant leurs distances... tombant presque du bord du trottoir sur la route, ou en allant presque jusqu'à coller le dos aux murs des immeubles.
L'attitude des hommes n'était guère différente, excepté que leur expression n'avait rien d'énamouré. La peur et l'hostilité semblaient suinter des pores de leur peau quand ils le regardaient. Il avait appris depuis longtemps que les femmes mortelles le trouvaient beau et que les hommes étaient jaloux de lui pour cela. Craven ne ressentait rien pour les vivants... les nécromanciens s'embarrassaient rarement d'une âme encore attachée à son corps initial, ou bien d'un corps encore plein de vie.
Aussi déplaisant cela fût-il, Craven détournait à présent son attention pour dénicher les maîtres démons qui contrôlaient les vivants. Il ne fallait pas les considérer à la légère puisque leurs armées pouvaient représenter également à l'avenir une menace pour son propre territoire.
Se rapprochant d'une intersection, Craven s'arrêta sur le bord du trottoir pour regarder un moment les lumières de la circulation. Un profond gargouillis attira son attention, étouffant au passage tous les bruits du trafic matinal, et il tourna la tête vers le bruit en question. Ses yeux pétillèrent d'excitation en découvrant l'affrontement qui s'annonçait. Il suivit ce gémissement de terreur humain, en sachant que cela le mènerait tout droit jusqu'à sa cible.
Quand il emprunta une petite allée entre deux immeubles, il arriva dans un parking, là où un brouillard dense s'était formé, piégé entre les tours. Des gens s'étaient rassemblés en un large cercle au milieu du parking pour assister à un combat du genre spécial.
Un seul coup dâÅil apprit à Craven que ces humains étaient possédés par des démons des ombres. Leurs âmes étaient toujours intactes mais les démons s'étaient emparés d'eux. De nouveau, Craven s'agaça intérieurement de la faiblesse humaine. Se frayant un chemin parmi les humains possédés, Craven s'arrêta juste au bord du cercle interne pour regarder un démon des ombres se forcer un passage dans la bouche d'une femme humaine.
La femme était vêtue d'une sorte de jupe de tailleur, ses affaires jonchant le sol tout autour d'elle. Le démon s'était avancé si loin en elle que seule l'extrémité du nuage noir et scintillant ressortait de son corps en se tortillant. Craven en avait conclu avec justesse que les démons des ombres travaillaient de pair pour se trouver des victimes⦠et d'après ce qu'il semblait, leur nombre croissait rapidement.
Il inclina la tête d'un air fasciné lorsque le corps de la femme se mit à se tordre violemment sous l'intrusion démoniaque. Alors que ses mouvements de protestation contre l'inévitable cessaient peu à peu, ses yeux roulèrent au fond de leurs orbites, ne laissant que leur blanc visible un instant avant de revenir à la normale... c'est-à -dire à une totale possession.
La bouche de Craven se plissa en un sourire entendu et il infirma complètement son pouvoir en percevant la menace réelle qui s'approchait avec célérité. Un long ruban d'ombre scintillante tourna au coin d'un immeuble en pleine lumière. C'était bien ce qu'il pensait. Ce démon était un maître des ombres... mais même les ombres avaient une faiblesse qu'il pouvait exploiter.
L'ombre se ramassa sur le sol, à côté des pieds de la femme, semblable à une flaque de goudron épais. Cette flaque fit de lourds clapotis pendant un instant avant qu'une silhouette humaine ne commence à s'en élever. L'ombre parut s'égoûter de la forme avant de finalement se stabiliser, pour très vite révéler un homme de grande taille et à la peau sombre. Il était presque chauve, et n'avait aucun poil sur tout le corps visible par Craven, à l'exception d'une moustache digne d'un Fu Manchu.
Le maître des ombres s'avança vers la femme, son Dashiki noir lui tombant jusqu'aux genoux et sur un pantalon sarwal flottant autour de ses jambes. Le col du Dashiki était richement décoré de fils rouges et or comblant le manque de bijoux, bien qu'un large médaillon doré pendait autour de son cou et que son oreille gauche était ornée d'un simple anneau d'or.
Il baissa le regard sur la femme et plissa ses yeux d'un sombre minuit.
« à qui appartiens-tu ? demanda le maître des ombres, d'une voix d'un profond baryton.
La bouche de la femme s'ouvrit et se referma à quelques reprises avant que sa voix ne se décide enfin à sortir correctement.
â Je t'appartiens⦠Maître, déclara-t-elle d'une voix confuse.
â Parfait, maintenant lève-toi et sers-moi.
La femme se remit lentement sur ses pieds avec des mouvements saccadés, comme si elle n'était pas habituée à ce corps qu'elle habitait. D'une certaine façon, c'était précisément le sujet. Lorsqu'un humain tombait sous la coupe d'un démon, ce dernier ne pouvait pas contrôler toutes les fonctions corporelles les plus basiques au début de sa possession.
â Que désires-tu de moi ? demanda la femme d'une voix presque normale, mais toujours un peu confuse.
Craven ricana d'un air sombre, se fatiguant déjà des préliminaires. D'une voix condescendante, il répondit à la question de la femme.
â Il veut que tu ailles trouver des hommes pas trop méfiants et que tu les ramènes ici afin qu'ils se fassent aussi posséder et qu'ils aillent grossir les rangs de son armée pathétique.
La femme et le démon tournèrent tous deux la tête dans la direction de Craven pour le regarder. Il inclina la tête lorsque les humains possédés se tournèrent également vers lui. Leurs yeux s'assombrirent brusquement, passant d'un gris terne à un noir plus profond en l'espace de quelques secondes.
Le maître des ombres le regardait comme s'il était une proie facile, et Craven se fit violence pour ne pas éclater de rire encore une fois. Ce qu'ils pouvaient être ignorants. Il attendit carrément pendant que les humains s'approchaient lentement de lui. Lorsque la première main lui empoigna l'épaule, Craven rejeta la tête en arrière et ouvrit grand les bras. Un raz-de-marée d'âmes s'écoula de son corps et tacla les humains de plein fouet... traversant le corps des possédés pour en émerger avec les démons des ombres emprisonnés dans leurs filets.
Craven n'éprouvait aucune sympathie pour ces humains qui avaient succombé à l'influence du maître des ombres... les relâcher de l'emprise de ceux qui essayaient finalement d'envahir son territoire n'était qu'un effet secondaire de leur délivrance. Il nota que le maître des ombres était assez intelligent pour rester sous sa forme humaine, grâce à laquelle les âmes ne pourraient pas l'atteindre.
â Voilà un nécromancien très impressionnant, murmura le maître des ombres de son accent prononcé. Mais tu ne feras que retarder l'inévitable.
Craven esquissa un petit sourire glacial.
â Tout à fait vrai, peut-être devrais-je simplement te tuer et en finir.
Un grondement rauque s'éleva du fond de la gorge du maître démon, puis il fondit sur Craven. Il se tourna sur un côté pour esquiver le poing qui lui était destiné, puis de l'autre côté pour éviter le suivant.
â Trop lent, se moqua Craven.
Lorsque le démon envoya sa jambe à la tête de Craven, ce dernier se pencha en arrière pour que le coup arrive directement au-dessus de lui. Se servant de l'élan de son mouvement de recul, Craven bascula sur ses mains et lança ses deux pieds en l'air dans une culbute, décochant un double coup de pied au menton du maître démon.
Craven se remit sur ses pieds au moment précis où le maître des ombres retrouvait son propre équilibre. Un petit filet noirâtre et épais s'écoula du coin de sa bouche jusque sur le devant de son Dashiki.
â Ainsi donc tu peux saigner, le nargua Craven.
Ce n'était pas de sa faute si le maître des ombres craignait de revenir à son autre apparence. Il vaincrait ce démon d'une façon ou d'une autre.
L'homme cracha par terre et le toisa avec une rage inimaginable. Il savait que ce nécromancien voulait son territoire et il refusait de céder. Il vivait selon ses propres lois⦠un démon qui reculait était un démon qui méritait de mourir.
â Je ne te laisserai pas faire ! gronda le maître démon en s'élançant de nouveau vers lui.
Seulement cette fois-ci, Craven ne l'esquiva pas. Lorsque le démon arriva à portée de main, le poing de Craven alla se ficher directement dans sa poitrine.
Ils restaient là à se dévisager, l'un avec surprise et l'autre avec une arrogance triomphante. Craven retira son poing de la poitrine de son adversaire et recula. Un trou perforait son corps à présent, dévoilant par ailleurs les ténèbres d'un noir d'encre cachées sous la façade humaine dont le démon s'était attifé.
Un hurlement humain s'échappa de l'une des femmes, aussitôt suivi par un bruit de pas sur le trottoir. Les humains ne pouvaient voir le maître des ombres pour ce qu'il était réellement, ni voir Craven comme le démon qu'il était. Ce qu'ils voyaient, c'était deux hommes en train de se battre en pleine rue, et que l'un avait troué la poitrine de l'autre d'un seul coup de poing.
Craven sourit d'un air sardonique.
â Tu es en train de perdre. »
Le maître des ombres recula de quelques pas en titubant et baissa les yeux sur le trou qui venait d'être fait dans sa poitrine. Un long et profond hurlement retentit dans tout le parking, et le démon leva les yeux juste à temps pour voir la première âme se faufiler par cette béance. Son corps se tendit brusquement en avant en un angle anormal, juste avant qu'une deuxième âme se fraye un passage à son tour par le même endroit. Suivies d'une multitude d'autres, qui volèrent jusqu'à lui pour pénétrer le corps humain qui abritait le démon, pour attaquer les ténèbres qui régnaient à l'intérieur.
Craven poussa un soupir de satisfaction lorsque la dernière âme lutta pour entrer dans le corps. Le démon se tenait droit comme un piquet, les bras grands ouverts. Sa peau se mit à se craqueler de part en part et des volutes de fumée noire s'élevèrent de ses fissures, aussitôt suivies d'une douce lumière blanche.
Faisant volte-face, le démon essaya de courir mais ses mouvements étaient raides et saccadés, presque semblables à ceux d'un zombie, détail qui amusa Craven dans une certaine mesure.
Le maître rejeta la tête en arrière et poussa un hurlement au moment précis où son corps se voyait complètement déchiré de l'intérieur. Le hurlement cessa brusquement et une fine fumée noire et grisâtre plana un instant dans les airs avant de se disperser avec la brume du matin, et de finalement disparaître dans un dernier sifflement de mépris.
Craven tendit les bras, comme pour réclamer une étreinte. Les âmes qui erraient sur le parking se tournèrent vers lui et replongèrent dans son corps. Une fois la dernière âme disparue de cette dimension, Craven laissa retomber les bras et s'approcha des lambeaux qui restaient des vêtements que le maître des ombres avait porté un peu plus tôt.
En se baissant, il ramassa le médaillon et sortit du parking. Alors qu'il reculait jusque sur le trottoir, Craven leva les yeux et vit de nouveaux mortels qui s'interrogeaient.
Dans les ombres jetées par les immeubles voisins, il repéra quelques démons des ombres qui se faufilaient en douce⦠désormais inutiles sans maître à qui obéir. Les démons des ombres, en temps normal, ne représentaient pas de menace une fois leur maître défait, donc Craven ne s'inquiétait pas sérieusement de l'endroit où ils se rendaient. Levant le médaillon dans la faible lumière diurne qui incendiait peu à peu le brouillard, il sourit de nouveau.
« Bonne journée ! » lança-t-il tranquillement avant de mettre le médaillon Aztèque dans sa poche et de se diriger vers son antre.
Peut-être qu'il allait s'amuser avec ce médaillon porté par le maître des ombres.
Il se mit à apparaître un peu partout à travers la ville à une telle vitesse que lorsqu'il vit la créature aux ailes argentées, ce ne fut qu'après coup. Ralentissant le pas, Craven se retourna et fit à nouveau face au centre-ville, en contemplation. Voilà qui était intéressant... il croyait que toutes les Déchues avaient été arrachées à ce monde à leur naissance.
*****
Carley avait suivi l'Indien, qui porta Tiara dans ses bras tout le temps de son trajet à travers la ville, avant qu'ils ne parviennent enfin au sombre manoir situé dans les collines des alentours. Cet endroit lui filait la frousse... peut-être était-ce à cause des gargouilles et démons qui rampaient sur toute sa façade. L'intérieur de la demeure ne valait pas mieux.
Une fois encore, elle fut soulagée que la plupart des monstres ne puissent la voir. Même s'ils en étaient capables, ils ne pourraient pas lui faire de mal, grâce au sort de Tiara. Cela ne l'empêcha pas de sursauter lorsqu'elle entendit des hurlements monter de la cave... du moins espérait-elle que c'était bien la cave, et non le rez-de-chaussée.
Tentant d'ignorer les cris d'agonie, Carley se dépêcha de suivre l'Indien qui montait au deuxième étage. S'il conduisait Tiara à une sorte de salle de torture, alors elle devait agir vite. Lorsqu'elle pénétra dans la pièce derrière lui, Carley s'arrêta pour regarder l'homme dont le regard était abaissé sur Tiara.
Faucon-de-Nuit affichait un visage soucieux, désireux d'éprouver quelque chose... ne serait-ce qu'une seule étincelle d'émotion tandis qu'il contemplait la belle jeune femme. Elle avait provoqué quelque chose en lui lorsqu'il l'avait rencontrée la première fois, mais cela avait été si bref qu'à présent, il se demandait si cela n'avait pas été qu'une simple illusion. Son regard fut attiré par la terre de cimetière qui salissait encore son corps et son visage.
Carley entra en panique lorsque l'Indien entreprit de déshabiller Tiara.
« Arrêtez ! hurla-t-elle en se glissant entre eux, mais Faucon-de-Nuit tendit un bras qui la traversa. Merde, où sont les héros quand on en a besoin ? » s'impatienta-t-elle.
Carley se rebiffa et fit pleuvoir des coups en rafale sur l'Indien pour tenter de détourner son attention de Tiara et la diriger vers elle. Elle cessa toute tentative quand il lui apparut que c'était inutile.
Elle devait retourner au QG de l'EEP et renseigner Jason et Guy sur la localisation de Tiara, mais elle ne pouvait se décider à partir avant d'être sûre que son amie serait encore vivante lorsqu'ils reviendraient la sauver.
Faucon-de-Nuit se redressa et retira ses propres atours jusque sur son tissu déchiré avant de soulever de nouveau la jeune femme dans ses bras. Une fois dans la salle de bain, il entra dans la grande baignoire à remous et s'agenouilla, attendant manifestement que la cuve se remplisse d'eau chaude pour pouvoir débarrasser le corps de Tiara de l'odeur de son amant. Il n'aimait pas non plus l'odeur du maître Arach qui imprégnait encore sa peau.
Sous l'effet de la détente, Faucon-de-Nuit laissa son esprit vagabonder tandis que le niveau d'eau chaude montait. Il méprisait les nécromanciens parce qu'ils l'avaient transformé en ce qu'il était aujourd'hui⦠il devait même se concentrer sur ce sentiment avant d'en sentir le léger tiraillement. Cette nécromancienne était différente des autres... elle ne voulait pas avoir le contrôle sur les âmes ... elle voulait les délivrer.
En baissant les yeux sur la jeune femme allongée dans ses bras, il n'eut pas à se demander pourquoi ce corps ne lui faisait aucun effet. Son âme était encore piégée dans la tombe et avec elle⦠l'essentiel de ses émotions. Il nâéprouvait aucun besoin d'être aimé ou haï⦠et encore moins de désirer qui que ce soit. Après avoir trouvé le shampoing sur une étagère dâangle, Faucon-de-Nuit savonna avec douceur ses longs cheveux argentés, faisant glisser comme de la soie les mèches entre ses doigts. Ne voyant aucune raison de se hâter, il prit le temps de la laver. Cela faisait longtemps quâil nâavait pas touché quelquâun sans être animé d'une intention malveillante.
Lorsquâil fut satisfait de l'odeur qu'elle dégageait, il rinça ses cheveux et sa peau avant de vider la baignoire. Passant quelques serviettes autour de son corps et de ses cheveux, il recula dans la chambre pour lâallonger sur le lit. Il avait fait ce quâil avait pu pour elle. Puisque lâeau ne lâavait pas réveillée, il savait quâelle était en cet instant plongée dans un profond sommeil et quâelle ne se réveillerait peut-être pas avant un certain temps. Sans la protection adéquate, cette guerre causerait sa perte.
Après avoir enlevé la serviette de ses cheveux, Faucon-de-Nuit souleva délicatement le haut de son corps et passa ses doigts sur la blessure située à lâarrière de sa tête. Il lâavait sentie en lui lavant les cheveux. Au cours de sa première vie, il avait été une sorte de guérisseur⦠un chaman⦠alors il savait que cette blessure ne menaçait pas la vie de la jeune magicienne.
Il laissa son esprit la pénétrer profondément, avec le désir de savoir si elle avait une autre raison de vouloir rester endormie⦠une autre raison dâabandonner ce monde pendant un petit moment. Il nâavait jamais rompu le lien quâelle avait établi avec lui dans ce cimetière plus modeste, et cela lui permettait de retourner cette connexion mentale vers elle. Par le passé, lorsquâun nécromancien avait souhaité se connecter à lui de cette manière, cela lui avait plutôt laissé l'effet d'une prise dâétranglement. Sa connexion avec la jeune femme lui avait semblé celle entre deux mains qui se rejoignaient.
Même dans son sommeil, il pouvait sentir son désir charnel incandescent⦠cette facette chez la nécromancienne n'était pas l'héritage du sang de Craven. Elle le gardait enfoui tout au fond dâelle⦠y enterrant son appel. Cet appétit charnel offrait la capacité dâaccélérer ses aptitudes de guérison naturelles. Câétait la seule chose quâil ne pouvait pas faire pour elle⦠lâénergie dont elle avait besoin émanait de lââme, et pour lâinstant⦠il nâen avait pas. Quâelle dormît pour le moment était une bonne chose, même si cela impliquait une guérison plus lente.
Faucon-de-Nuit caressa sa joue satinée du dos de sa main, là où Nile lâavait frappée et y avait laissé un hématome foncé. Craven avait dit que la caresse dâun amant pouvait la guérir. Fallait-il avoir une âme pour aimer ? Il le supposait, puisquâil nâavait éprouvé aucune émotion depuis sa véritable mort des décennies plus tôt. Très fréquemment, il lui fallait se concentrer très intensément pour ne serait-ce que ressentir la moindre parcelle dâémotion, par-delà son âpre insensibilité.
Lâabaissant doucement sur lâoreiller, Faucon-de-Nuit se redressa de toute sa taille et regarda par-dessus son épaule lââme qui le hantait depuis son retour à la maison.
« Tu lui appartiens⦠nâest-ce-pas ?
Carley fit un bond de surprise : elle n'avait pas réalisé que lâIndien avait décelé sa présence dès le début. Elle posa sur lui un regard méfiant. Il lâavait tout simplement ignorée pendant quâelle hurlait et fulminait contre lui... quel enfoiré. Son expression sâadoucit⦠elle avait cessé de crier après cela, en proie à une confusion grandissante en l'observant s'occuper de Tiara avec tant de délicatesse.
Cessant de flotter auprès de Tiara, elle se baissa lentement pour paraître sâasseoir sur le bord du matelas. Il nây avait aucune raison de se cacher de lui⦠ce nâétait pas comme sâil pouvait la blesser, quand bien même lâenvie lui en prendrait⦠ce dont elle doutait.
â On pourrait présumer que je lui appartiens⦠mais ce nâest pas le cas, répondit Carley avec honnêteté alors quâelle tendait une main pour toucher les longs cheveux propres de Tiara, et imaginait leur texture comme si elle était encore vivante pour la sentir.
Elle nâétait pas morte depuis assez longtemps pour avoir oublié la sensation du toucher.
â Alors pourquoi lâas-tu suivie ? demanda-t-il.
Carley leva les yeux et le menton d'un air de défi.
â Câest mon amie⦠je veux savoir si elle va bien.
Faucon-de-Nuit acquiesça, respectant cette réponse.
â Et la magie de Craven ne te touche pas, même si tu te trouves entre ses murs ?
Cela semblait être une question importante pour lâIndien, alors Carley secoua la tête et baissa les yeux sur son amie.
â Grâce à Tiara, la nécromancie ne peut plus mâaffecter ou me contrôler. Je lâaime pour cela, alors par pitié, ne lui faites pas de mal.
Faucon-de-Nuit sentit son cÅur se gonfler dâespoir. Cette émotion sâenvola aussitôt mais suffit à lui donner l'envie dâen éprouver davantage. Câest tout ce quâil avait jamais désiré⦠ne plus jamais être invoqué par un démon.
â Nous nâavons aucune intention de lui faire du mal. Câest elle qui souhaitait venir avec nous et nous avons honoré cette requête. Si tu ne me crois pas, alors tu es libre de rester jusquâà son réveil pour lui poser toi-même la question.
Il ne faisait que dire la vérité⦠la sincérité, seul trait de caractère qu'il ait conservé de son vivant.
â Alors, qui lui fait du mal ? demanda Carley en sachant que ce nâétait pas lâhomme qui se tenait à côté dâelle, mais les bleus guérissant rapidement sur le corps de Tiara, qui illustraient de bien mauvaises intentions.
â Le démon quâelle affrontait dans le cimetière en est à l'origine, répondit Faucon-de-Nuit en allant sâasseoir sur la fenêtre, là où le soleil pouvait le toucher.
C'était l'une des seules pièces de la maison où les fenêtres n'avaient pas été repeintes en noir. Faucon-de-Nuit tenta de se souvenir s'il avait un jour aimé la lumière du soleil ou non... il le supposait.
Le visage de Carley s'assombrit quand il tourna la tête vers la fenêtre comme pour les ignorer, elle et leur conversation.
â Et Craven serait ce démon qui t'accompagnait ? Serait-ce ce même homme qui a fait encercler la maison par tous ces monstres ? Honnêtement, je ne pense pas que Tiara approuverait.
Elle tendit le bras et posa sa main sur celle de Tiara, malgré le fait que l'une traversait complètement l'autre.
â Et pourquoi nous abandonnerait-elle⦠nous, ses amis, pour partir suivre un démon ?
â Elle et Craven sont parents. On peut dire que Craven est son oncle. Mais dans l'esprit de Craven, l'enfant de son frère est comme son propre enfant. C'est pourquoi il ne la menacera en rien. Elle n'est pas une prisonnière en ces lieux et on ne la forcera pas à rester. Une fois guérie... si elle décide de partir, je partirais avec elle en tant que son protecteur.
â Pourquoi ferais-tu cela ? interrogea Carley.
C'était Craven, le parent de la jeune nécromancienne⦠et non l'Indien. Elle continua de l'interroger :
â Craven te l'a-t-il ordonné ?
â Non, j'échappe entièrement au contrôle de Craven à ce jour, répondit-il sans se retourner pour la regarder. Je suis un Rôdeur de l'Ombre et elle est la seule à pouvoir me rendre mon âme.
Carley en fut bouche bée... un Rôdeur de l'Ombre ? Voilà qui demandait une bien puissante magie. Elle repensa aux mythes et légendes qu'elle avait étudiés par le passé, et même ces anciens écrits les mentionnaient rarement.
D'après ses souvenirs, un Rôdeur de l'Ombre naissait à la place d'un mortel qui avait possédé des pouvoirs mystiques au cours de sa vie humaine, et se voyait réveillé d'entre les morts par un puissant sorcier comme s'il était un zombie. Mais ce n'était que la première étape à franchir pour devenir un Rôdeur accompli.
Contrairement à la plupart des zombies, ils pouvaient utiliser leur propre pouvoir pour retrouver leur esprit et leur cÅur. On disait qu'ils n'avaient pas d'âme, mais elle ne se rappelait pas quels pouvoirs un Rôdeur de l'Ombre possédait, ou s'il existait même une limite à ces pouvoirs.
Elle se renfrogna en ne se rappelant pas avoir lu la moindre ligne parlant d'un Rôdeur de l'Ombre qui aurait récupéré son âme. Cela était-il seulement possible ?
â Ton âme ne se trouve-t-elle pas dans l'autre monde ? Carley avec curiosité.
â Non, elle est prisonnière au fond de ma tombe », répondit Faucon-de-Nuit, avant de disparaître dans le monde des esprits.
Carley s'assit dans un silence étonné. Prisonnière au fond de sa tombe ? Elle frissonna à l'idée d'être coincée sous terre au lieu d'aller et venir librement comme elle le faisait à l'heure actuelle. Baissant les yeux sur le sol, elle réalisa que Faucon-de-Nuit avait beau avoir disparu de sa vue, elle pouvait encore sentir sa présence dans la pièce.
En regardant de nouveau Tiara, Carley décida de ne pas insister sur le sujet avec cette conversation... lui accordant ainsi l'intimité qu'il lui demandait tacitement.