Читать книгу Alfred de Vigny - Anatole France - Страница 3

I

Оглавление

Table des matières

Le cœur a la forme d’une urne; c’est un vase sacré, rempli de secrets.

ALFRED DE VIGNY.

Sur le point de pénétrer dans l’intimité du comte Alfred de Vigny, nous sommes saisis d’une sorte de respect religieux. L’asile que nous voulons franchir est pieux et tranquille comme un sanctuaire. Nous y trouvons, dans toute sa gravité, l’homme qui eut entre tous la religion de la dignité humaine, et il nous apparaît, dans sa solitude, à peu près aussi impénétrable qu’on l’a pu voir au milieu de cette foule qu’il a d’ailleurs peu coudoyée. Le Gaulois, qui dans Rome envahie, tira la barbe d’un vieux sénateur immobile sur son banc, n’aurait peut-être pas osé toucher, de sa main curieuse, ce visage sérieux et impassible, dont l’œil, discret jusqu’au dédain, cache à tous le miroir d’une âme énigmatique.

Notre poète n’est pas assis sur le trépied sibyllin dont les effluves sacrées donnent un délire éloquent; il se tient muet sur sa chaise d’ivoire. Ne vous approchez pas pour écouter les battements de son cœur; autant vaudrait écarter des cuisses sacrées d’un Jupiter antique les plis de sa draperie de marbre. Pourtant cet homme calme n’était pas insensible: il eut ses souffrances, mais il garda toujours la suprême pudeur de les cacher ou du moins de n’en laisser voir que ce qu’il fallait pour s’en parer. C’est le poète des passions décentes. Sa muse, comme son âme, a le calme coutumier de tout ce qui est grand et beau. Car ce n’est pas une des moindres puissances du génie d’Alfred de Vigny, d’avoir mis jusque sur le front de la passion une inaltérable sérénité. Une telle vie et une telle œuvre nous déconcertent tout d’abord et peuvent même nous laisser froids; nous sommes habitués, enfants de ce siècle, à voir dans le sanctuaire des cœurs la flamme briser la lampe, les sentiments excessifs rompre, en éclatant, l’harmonie des lignes et des sons; nous avons vu la Muse de Byron se pâmer, se tordre, belle encore, et hurler, non sans charme, ses ivresses et ses douleurs. La poésie moderne, si souple et si vraie, n’en est pas moins excessive et violente. Sa force éclate dans l’effort, et non, comme voulaient les Grecs, dans la sérénité et dans le repos même. Cette beauté tranquille des anciens Hellènes, Alfred de Vigny l’a aimée et l’a connue: elle a visité le poète dans son recueillement et sa solitude.

Les esprits grossiers qui ne voient la passion qu’à travers les contorsions et les grimaces qu’elle arrache aux faibles, ces esprits que le poète dédaignait jusqu’à l’oubli, peuvent seuls prendre son calme pour de l’insensibilité. Les eaux les plus pures ne sont pas les plus froides. Dans son recueillement, le poète jeta un*profond regard, qui dura toute sa vie, sur la Destinée, sur cette fatalité nommée de tant de noms par les hommes, qu’elle entraîne également, ou dociles ou révoltés. Ce douloureux regard ne fut pas sans larmes, et, de ces larmes, comme Eloa la sœur des anges, sont nées les œuvres du poète.

Une foi profonde peut seule donner cette belle paix qui brillait sur son visage comme elle brille dans ses œuvres. Cette foi, Alfred de Vigny l’avait pour sa religion, la seule qu’il ait jamais connue et à laquelle il n’a jamais failli, la religion de l’honneur. Il l’avait apprise sous les armes; il s’en fit le prêtre et l’évangéliste, et il égala sa vie à cette haute parole qu’il prononça une fois et qu’on n’a pas placée sans raison au seuil de ses pensées intimes: «L’honneur est la poésie du devoir.»

Alfred de Vigny

Подняться наверх