Читать книгу Essai sur la fondation et l'histoire de la Banque d'Angleterre (1694-1844) - Andréas Andreádīs - Страница 4
INTRODUCTION
Оглавление«Les Banques, dans le sens moderne du mot, dit M. Macleod (), n’existaient pas en Angleterre avant l’année 1640».
Cette situation aurait pu se prolonger assez longtemps, car les marchands, ayant pris l’habitude de déposer leurs lingots et leurs espèces à la Tour, le besoin de simples banques de dépôts se faisait lui-même moins sentir. Mais un incident des luttes intestines prochaines hâta l’apparition des banquiers et des banques.
Pour mieux faire comprendre cet incident, il convient de rappeler en deux mots la situation politique. Charles Ier, alors roi d’Angleterre, était monté sur le trône non seulement avec les idées politiques de son père, mais aussi avec le ferme dessein de les appliquer. Pour appliquer ces idées, dont les principales étaient celles du droit divin, et partant d’un pouvoir absolu, il fallait une armée permanente. Pour maintenir cette armée, il fallait de l’argent. Cet argent, le roi était décidé à l’avoir et les Communes à ne pas l’accorder. La situation était sans issue. Charles ne tarda pas à le comprendre. Après avoir dissous deux Parlements et convoqué un troisième, il résolut de dissoudre celui-ci, à n’en pas convoquer un nouveau, et à faire en Angleterre ce que son beau-frère faisait en France, à établir un pouvoir absolu. Ce point de vue, étant donné l’état de choses au milieu du XVIIe siècle, pouvait se défendre. Charles–Quint n’avait pas agi autrement en Espagne; le même système triomphait en France; c’est grâce à lui aussi que Cromwell allait bientôt faire de l’Angleterre un État puissant et respecté. Le roi fut en outre particulièrement heureux dans le choix qu’il fit de son premier lieutenant. Wentworth, mieux connu sous le nom de comte de Strafford, était certainement alors l’homme le plus capable du royaume. Par la force et la fermeté de ses desseins, par son courage personnel, par ses qualités multiples, il m’apparaît comme le seul homme de son temps qui pût rivaliser avec Richelieu.
Ainsi les défenseurs de Charles Ier peuvent expliquer son idée suprême et louer le choix de son favori, mais les éloges doivent s’arrêter là. Non seulement il ne s’en remit pas à Strafford du soin de gouverner en son nom, mais il voulut, et c’est là la cause principale de sa ruine, donner à l’Eglise anglicane un pouvoir indiscuté, établir dans ses royaumes une espèce de papauté. L’idée n’était pas bonne, le choix de son lieutenant ecclésiastique fut déplorable. William Laud, archevêque de Canterbury, prélat obtus et intolérant, était un des hommes les plus impopulaires de son temps.
Bien des fautes furent commises encore. Cependant, grâce surtout aux talents de Strafford, l’Angleterre vécut 11 ans sous un pouvoir absolu. Le grand problème de ces onzes années fut de se procurer de l’argent. Ce problème n’était pas aisé à résoudre. Comme, le dit M. Cunningham (), Charles était plus cruellement pressé que son père, et ses besoins réclamaient beaucoup d’adresse et d’invention. Pendant les premières années de son règne, encore que les Communes tinssent serrés les cordons de la bourse, et n’accordassent plus à Charles des concessions sur la base de dîmes et quinzièmes, forme de taxation dès lors disparue, elles lui accordaient tout au moins de nombreux subsides selon une coutume qui datait des Tudors. Cette source de revenus allait se tarir d’elle-même sous le régime du pouvoir absolu. Et cependant les dépenses, loin de subir une diminution correspondante, allaient s’accroissant par la nécessité d’une armée permanente, qui seule pouvait consolider l’édifice laborieusement échafaudé de la monarchie absolue.
On recourut à l’art et à l’invention, c’est-à-dire aux expédients. Un des divers moyens par lesquels on se procura quelque argent fut celui des concessions de monopoles, accordés sous le prétexte de développer l’industrie nationale, et sur lesquels on prélevait des impôts pour compenser la Couronne des pertes que les douanes auraient subies (). Mais l’expédient qui procura le plus d’argent et qui eut les conséquences les plus funestes, fut la levée illégale d’un impôt destiné à des cas exceptionnels, et connu dans l’histoire des impôts anglais sous le nom de Ship-Money.
Du Ship-Money. — Voici en quoi consistait cet impôt. Les comtés maritimes anglais étaient tenus, en cas de guerre maritime, à fournir un certain nombre de navires pour la défense des côtes. A la place de ces navires, on avait quelquefois accepté des prestations en argent. Le garde des sceaux Finch s’avisa qu’on pouvait lever cet impôt en temps de paix: c’est ce qu’on fit par simple décret (), sous le prétexte des dangers que les pirates faisaient courir aux vaisseaux anglais qu’ils capturaient jusque dans le Canal, et qu’il était nécessaire de pourvoir «à la défense du royaume et à la sauvegarde de la mer». Cet impôt donna 100,000 livres la première année. Mis en appétit, le gouvernement en leva 200,000 l’année suivante, en frappant toutes les villes, maritimes ou non, sans distinction aucune (). On levait ainsi par tout le royaume et en temps ordinaire un impôt n’existant qu’en temps extraordinaire et ne devant être supporté que par un nombre de citoyens déterminé.
C’en était trop, et cette double illégalité fit déborder la coupe; une vive agitation se produisit. Un gentilhomme dont le nom allait devenir célèbre, John Hampden, prit sur lui de discuter la légalité de cet impôt. La Chambre de l’Échiquier le condamna à une très faible majorité il est vrai. Ce jugement ne fit qu’augmenter l’irritation publique, car chacun voyait avec Strafford que si on pouvait légalement lever sans autorisation des impôts destinés à la flotte, il n’y avait point de raison pour que la levée, dans des conditions analogues, d’impôts destinés à l’armée, ne fût légale également.
Ce fut ce moment que Charles choisit pour se mettre une nouvelle affaire sur les bras, en provoquant une crise religieuse en Ecosse. Cette crise religieuse dans les détails de laquelle nous n’entrerons pas (), aboutit à une guerre civile, et l’entretien d’une armée eut bientôt fait d’épuiser les coffres mal garnis de l’échiquier royal (). L’armée écossaise ne connaissait pas ces soucis, étant maintenue par des subventions de son gouvernement national et surtout par les confiscations des biens des adversaires. Charles n’avait aucun de ces moyens; il continua à recourir aux expédients. Il ne fut que trop heureux de trouver un prétexte pour convoquer le Parlement dans une lettre interceptée contenant selon lui des preuves d’intelligence entre le roi de France et les Ecossais (). La lettre en question avait été bel et bien écrite. Et en cela les adversaires du roi n’avaient fait que suivre la politique traditionelle de l’Ecosse, qui était de recourir à la France en cas de conflit avec l’Angleterre (). Il semble cependant que cette lettre n’a jamais été expédiée. C’est sur l’indignation causée par cette lettre que Charles comptait pour avoir un Parlement docile et peu parcimonieux.
Le Parlement se réunit au début du printemps de l’année 1640. La nouvelle assemblée était, au témoignage d’un écrivain fameux, plus modérée et plus respectueuse des droits de la Couronne qu’aucune des assemblées antérieures depuis la mort d’Elisabeth. Cependant elle ne l’était pas encore assez au gré du roi; à peine se rendit-il compte que la Chambre n’avait pas complètement oublié les droits et les souffrances du peuple, qu’il se hâta de la dissoudre, sans lui donner le temps de voter un seul act. Le Parlement fut en effet dissous trois mois après sa convocation.
Les besoins d’argent n’en étaient pas moins pressants. L’impôt ne pouvant suffire à maintenir une armée et à repousser une invasion imminente, on songea à un emprunt. Pour l’obtention de celui-ci le gouvernement s’adressa au roi d’Espagne, au Pape, à la Cité . de Londres. Le Roi d’Espagne refusa les 400,000 livres demandées. Le Pape n’était prêt à accorder à Charles une aide efficace qu’en cas de conversion au catholicisme. La Cité, définitivement hostile au roi, était décidée à ne rien faire pour le secourir ().
Le roi fut plus heureux auprès des particuliers. Des personnes occupant des situations officielles consentirent des emprunts dont le total atteignit 60,000 livres; les catholiques et l’administration des domaines avancèrent des sommes importantes. Mais ce qui était considérable pour des particuliers n’était rien pour un gouvernement aux abois.
Aussi la détente ne fut que de courte durée. Il fallait inventer de nouveaux moyens pour trouver de l’argent ().
Le premier moyen proposé n’était pas précisément neuf; jadis il avait été d’un usage courant; c’était tout simplement l’altération des monnaies. Il s’agissait de frapper pour 300,000 livres de shillings, contenant 3 pence d’argent pièce, avec la devise Exsurgat Deus, dissipentur inimici ().
Ce projet souleva une grande indignation. Il rencontra une opposition très chaleureuse de la part de Sir Thomas Rowe, dont les nobles paroles auraient pu d’après Macleod être encore étudiées presque deux siècles plus tard (). Malgré ces nobles paroles, la Monnaie reçut l’ordre de frapper les nouvelles monnaies et l’attorney général prépara une proclamation en ce sens. Cependant le roi qui avait déclaré ces altérations inévitables, envoya Cottington et Vane à la Cité, déclarant que si les marchands consentaient à l’emprunt si longtemps demandé de 200,000 livres, on ne parlerait plus de l’altération des monnaies. Le Common-Conseil, réuni pour la circonstance, répondit qu’il n’avait pas les pouvoirs de disposer de l’argent des citoyens. De nouveaux ordres furent donnés à la Monnaie. A cette nouvelle, le prix de toutes choses augmenta de 10 %, et Charles recula, ayant, dit M. Gardiner (), recueilli toute l’impopularité de cette mesure, sans les quelques avantages immédiats qu’elle pouvait aussi conférer.
Le roi, à bout de ressources, sentant tout crouler autour de lui, saisit 130,000 livres en lingots, déposées à la Tour par les marchands de la Cité. Ces lingots venaient en fait d’Espagne, et devaient être transportés à Dunkerque, alors port espagnol.
On se figure aisément la consternation des marchands. Cette saisie, outre la perte immédiate, ruinait le commerce métallique, alors florissant à Londres.
Ils se réunirent immédiatement et rédigèrent une vigoureuse protestation qu’ils remirent à Strafford. Celui-ci leur répondit que cette mesure n’avait été prise que par suite de leur refus de prêter au roi. Finalement, après une discussion qui dura une journée entière, Charles se décida à rendre les sommes saisies contre un emprunt de 40,000 livres, avec garantie pour le remboursement du capital et des intérêts sur les recettes des douanes.
Pour juger sainement les étranges procédés de notre monarque, il faut se rappeler la position dans laquelle il se trouvait. On l’a merveilleusement résumée en disant que «l’ennemi était orgueilleux et insolent, l’armée corrompue et découragée, le pays prêt à se révolter; la cour réunissait toutes ces qualités ». Les actes du roi ne s’expliquent que par la situation où il était tombé. Pareil à un noyé qui se raccroche à la première branche venue, sans s’occuper de sa solidité, Charles se livrait à une série d’actes plus insensés et plus infructueux les uns que les autres. Ce qui confirme ce point de vue, c’est que dans le cas de la saisie des lingots comme dans le cas précédent de l’altération des monnaies, Charles n’a pas même osé aller jusqu’au bout, et le déshonneur est tout ce qu’il a tiré de son action. Cette saisie était cependant un acte particulièrement grave, n’ayant pas même l’excuse d’un précédent. Comme le dit M. Francis (): «Si la politique à courte vue des premiers rois anglais avait dépouillé les Juifs et les Lombards, du moins épargnait-elle ses propres sujets. Il était réservé à l’aimable Stuart de souiller sa brillante mémoire en les dépouillant.» Il est vrai qu’en fait de sujets, l’aimable Stuart, comme l’appelle M. Francis dans son style imagé, n’en avait pas de moins fidèles ni de moins dévoués que nos marchands de la cité lesquels, avec raison d’ailleurs, l’accueillaient mal, se refusaient à lui prêter de l’argent, mettaient peu d’empressement à payer les impôts (), et allaient être dans la lutte prochaine le plus ferme soutien de ses ennemis.
Au surplus l’appréciation de la saisie des lingots n’est pas de notre ressort. Cette saisie ne nous touche que par ses conséquences, mais, à ce point de vue, cet acte est pour nous d’un intérêt capital. Il aboutit au résultat double et, semble-t-il, contradictoire:
1° De donner naissance aux opérations de banque.
2° De retarder l’éclosion d’une banque nationale.
Disons d’abord seulement quelques mots de ce second point, quitte à y revenir plus tard. Cette saisie produisit un tel effet sur le pays, que, pendant longtemps, le public ne put concevoir un établissement officiel de banque, vu la difficulté qu’il y aurait à mettre les capitaux métalliques de celui-ci à l’abri d’un coup de main royal. Les procédés de Charles II ne furent pas pour calmer ces appréhensions.
Il importe d’insister davantage sur la première conséquence, à savoir la naissance des opérations de banque. Par là, l’acte pratique du Roi eut des résultats tellement considérables que nous n’avons pas hésité à prendre la question dès son origine, ab ovo. Et ainsi s’explique le début de cette thèse, début qui ne semblait avoir avec le sujet que des rapports lointains.
Voici au surplus l’historique du développement des opérations de banque.
Naissance et développement des opérations de Banque. — Après une pareille aventure, les commerçants ne pouvaient songer à confier leur argent à la Tour. Ils furent donc réduits à le garder chez eux, sous la garde de leurs serviteurs et commis. Mais la guerre civile éclata, un esprit belliqueux enflammait tous les esprits, y compris ceux des caissiers, qui allaient rejoindre l’une ou l’autre des armées belligérantes, en emportant la caisse de leurs patrons. C’était jouer de malheur, d’autant plus que les caissiers plus pacifiques n’étaient pas plus scrupuleux, et prêtaient clandestinement aux orfèvres les sommes à eux confiées, à raison de quatre pence ou deniers () par jour. Les orfèvres inspiraient généralement confiance. Aussi les marchands se rendirent bientôt compte qu’il y aurait pour eux tout profit et toute sécurité à déposer directement leurs capitaux chez les orfèvres, leurs commis ne les ayant pas mieux traités que les rois.
L’exemple des commerçants fut bientôt suivie par les gentilhommes de province. Ces country gentlemen, voyant leurs châteaux exposés à tous les risques de la guerre civile, étaient trop heureux de confier leurs revenus aux orfèvres, même sans intérêt aucun.
Si bien que très rapidement et à très peu de frais, les orfèvres se trouvèrent à la tête de sommes considérables. Un champ nouveau d’opérations s’offrait à eux, et ils entrevirent les opérations de banque modernes.
Opérations des orfèvres (). — Ces opérations étaient diverses, mais toutes éminemment lucratives sinon scrupuleusement correctes.
A. — Tout d’abord, à côté de leur ancien commerce d’orfèvrerie, que beaucoup n’abandonnèrent pas de sitôt (), ils s’étaient assez vite, grâce à leur connaissance en matière de monnaies, adonnés au commerce essentiellement lucratif du change des monnaies (). Charles Ier qui n’était pas homme à perdre une occasion de gagner quelque argent, les en avait, il est vrai, privés, en s’en adjugeant le monopole, et en ressuscitant la charge de changeur Royal (). Mais cette charge disparut avec le Roi, et pendant toute la révolution, les orfèvres reprirent les opérations de change, d’autant plus lucratives que les monnaies frappées en ces temps de troubles étaient d’un poids très inégal. Elles différaient parfois de 3 pence par once. Et nombre de ces pièces étaient plus lourdes que les pièces étrangères de même valeur. Les orfèvres firent ce qu’on fait toujours en pareille occurrence. Ils mirent de côté toutes les bonnes pièces, et les destinèrent à l’exportation. Si l’on considère qu’à en croire l’auteur d’un pamphlet fort précieux, le Parlement fit frapper pour sept millions de demi-couronnes, on découvrira aisément quels ont pu être les bénéfices résultant seulement de ce chef. Ce n’était pas d’ailleurs là l’unique profit que les orfèvres retiraient de leurs connaissances en métaux; on les accusait fort explicitement et de toute part d’altérer les monnaies. Il se pourrait que ces accusations ne fussent pas sans fondements. «Si, dit l’un des fondateurs de la Banque d’Angleterre (), les sommes énormes de monnaie confiées aux orfèvres avaient été déposées à la Banque il y a 4 ou 5 ans, on aurait prévenu les scandaleuses altérations de monnaie, qui, un jour ou l’autre, coûteront à la nation de un demi million à 2 millions (delivres) sous forme de réparation ». — Et les fondateurs de la Banque d’Angleterre n’étaient pas les seuls à médire. Voici ce que dit l’un de leurs adversaires (): «En ce qui concerne les orfèvres, nul n’en attend quelque amendement, et la seule chose qui pourrait les rendre honnêtes serait la perspective d’un recors».
Mais quels qu’aient été les gains que les orfèvres tirèrent de leur métier de changeur, c’est à la suite d’autres opérations qu’ils firent des bénéfices plus considérables encore, et qu’ils inaugurèrent en Angleterre les opérations de Banque.
B. — Nous avons vu comment, grâce aux incertitudes de la guerre et aux infidélités de certains caissiers, des capitaux considérables s’étaient accumulés entre les mains des orfèvres. Ces capitaux, qu’ils se procuraient à un taux minime ou même gratuitement, ils les employèrent à l’escompte des billets et à des prêts à taux élevés. Comme ces opérations étaient fort profitables, les orfèvres s’efforcèrent d’attirer à eux tout l’argent disponible, en accordant aux déposants un bon intérêt, et en leur permettant de retirer leurs dépôts quand bon leur semblerait. Le succès dépassa toute prévision et au bout de quelques années tous les citoyens prirent l’habitude de déposer leurs économies chez les orfèvres ().
Contre ces dépôts ils délivraient des reçus, qui connus sous le nom de Goldsmiths’notes billets d’orfèvres, circulèrent bientôt de main en main, mieux que de l’argent comptant à quoi ils suppléeront souvent. Ces billets reçurent très rapidement une consécration officielle, le Long Parliament ayant accepté les billets de l’orfèvre Hall pour le paiement des Bishops Lands (). Et cette vogue ne fut pas passagère, car encore en 1696, pendant la crise que suscita la refonte des monnaies (), Davenant () nous apprend qu’à défaut de numéraire les transactions étaient effectuées par des tailles, billets de banque et notes d’orfèvres ().
Les billets d’orfèvres doivent donc être considérés comme la première espèce de billets de banque émis en Angleterre.
On ne s’étonnera pas, à la tête d’opérations aussi avantageuses, de voir les orfèvres prospérer avec une rapidité prodigieuse. Cinq ou six d’entre eux, dit Clarendon, acquirent une telle réputation sur la place de Londres (), qu’on aurait pu leur confier toute la monnaie du royaume. Et les premiers ils furent appelés banquiers ().
Cette prospérité prodigieuse n’alla pas sans faire des jaloux. Et les nouveaux banquiers prêtèrent par leur conduite à des attaques multipliées. On les accusait non seulement du crime d’altération (), mais aussi d’une série d’autres méfaits; surtout à partir du moment où ils se mirent à prêter au gouvernement. On trouvera ces attaques non seulement dans le Mystery of the new Fashioned Goldsmiths mais en général dans toutes les brochures économiques de l’époque.
On les accusait d’abord de prêter de l’argent à des taux exorbitants et alors que le taux légal était de six pour cent, ils en demandaient 33 et quelquefois davantage ().
On les accusait encore du peu de sécurité qu’ils offraient aux déposants. D’après Godfrey, 2 ou 3 millions () auraient été perdus grâce aux faillites des orfèvres et aux fuites de leurs commis.
Les orfèvres enfin recherchant moins les placements sûrs que les placements avantageux prêtaient à des gens de peu de consistance. Du moins c’est ce qu’affirme le Dr Lewis. Parlant de la Banque de Venise, cet auteur nous apprend () «que l’origine de celle-ci vient de la malhonnêteté des banquiers. Les banquiers de Venise firent exactement ce que font nos banquiers ici, ils recevaient l’argent des particuliers et s’efforçaient d’en tirer le meilleur profit possible. Pour que ce profit fût plus grand que l’intérêt qu’ils avaient eux-mêmes à payer, ils prêtaient, tout comme nos banquiers, à des personnes insolvables ou se trouvant dans des situations désespérées. Cette conduite rendit indispensable l’intervention du gouvernement vénitien».
Ces attaques ne semblent pas sans quelque consistance (). Et tout ceci explique pourquoi si les orfèvres inaugurèrent en Angleterre les opérations de banque, ils ne purent entièrement suppléer à une banque véritable, et plus tard succombèrent devant la Banque d’Angleterre; cet établissement, soutenu par l’État, ayant évité de tomber dans les errements de ses devanciers.
Nous avons ainsi assisté à la naissance des opérations de banque en Angleterre; nous allons maintenant les voir se développer sous les gouvernements successifs de Cromwell et de Charles II.
Ce développement fut favorisé par une série d’événements économiques et politiques dont nous parlerons immédiatement, et l’importance des orfèvres se trouva augmentée par ce fait qu’ils se mirent à prêter au gouvernement.
Nous allons examiner successivement la période républicaine, et celle de la monarchie restaurée, mais pour donner quelque unité au récit et éviter les redites nous réservons la question des prêts aux chefs de l’État pour le règne de Charles II. Aussi bien n’est-ce que sous ce règne que ces emprunts devinrent d’un usage courant.