Читать книгу Essai sur la fondation et l'histoire de la Banque d'Angleterre (1694-1844) - Andréas Andreádīs - Страница 6
§ 2. — Les Banques sous la Restauration.
ОглавлениеCe qui caractérise plus spécialement cette période, ce sont les transactions des banquiers avec le Gouvernement, transactions affectant la forme d’emprunts et d’avances sur les revenus. Ces opérations dataient déjà du protectorat. Cromwell, très gêné pécuniairement (), ayant à entretenir une grande armée, engageant sans cesse des guerres dont l’une, celle contre l’Espagne, était très impopulaire, se trouvant d’autre part en relations plutôt tendues avec une Chambre jalouse de ses pouvoirs, et n’osant par conséquent lui demander le vote de nouveaux impôts, fut réduit à recourir souvent aux bons offices des orfèvres.
Charles II, revenu sur le trône de ses pères, devait, à ce point de vue du moins, continuer, en l’accentuant, la politique de son prédécesseur. Il n’avait pas, il est vrai, à maintenir une armée aussi considérable que celle du protecteur, n’ayant pas à proprement parler d’armée régulière et permanente (). Il n’avait pas non plus un tempérament décidément belliqueux, n’ayant entrepris, pendant les 24 années de son règne, que deux guerres européennes, guerres qui d’ailleurs ne rapportèrent à l’Angleterre ni honneur ni profit. Ses Parlements furent de leur côté assez libéraux, et votèrent, surtout au début de la Restauration, les subsides avec un empressement inusité.
Mais les vices et les courtisans de Charles II suffisaient amplement à dévorer en un an plus d’argent que toutes les armées et toutes les guerres de Cromwell n’auraient coûté en deux lustres. D’autre part ses appétits pressants s’accommodaient mal des lenteurs et des délais, compagnons ordinaires de la perception des impôts. Il lui fallait de l’argent, et de l’argent tout de suite; les orfèvres se chargèrent de lui en procurer.
Il n’est que juste d’ailleurs d’indiquer que Charles fut réduit à s’adresser aux banquiers dès le début de son règne. Il s’agissait alors de dissoudre les armées permanentes de Cromwell qui étaient à la fois un objet de haine pour le peuple, un danger pour la couronne et un lourd fardeau pour le trésor. Or on devait à ces armées des sommes considérables. Il s’agissait de trouver 200 à 300 mille livres en quelques jours. Cette somme, la Chambre l’avait volontiers votée, mais on ne pouvait la demander à l’impôt d’un seul coup. Différer le licenciement des troupes, c’était s’exposer à accroître chaque mois les charges de la nation dans des proportions incroyables. «Nul, dit Clarendon (), ne pouvait suppléer à cette nécessité sauf les banquiers. Cette occasion mit ceux-ci en rapport avec les ministres du roi, et ils les satisfirent si bien qu’ils déclarèrent toujours désormais que «les banquiers étaient si nécessaires aux affaires du roi qu’ils ne savaient pas, comment ils les auraient conduites sans leur assistance.»
Cette satisfaction fut en effet si grande que bientôt la Couronne ne put plus se passer des banquiers, et elle entra en rapports constants avec eux.
Voici, selon Clarendon (), la méthode suivie pour ces opérations.
Les subsides une fois votés, le roi, après avoir consulté ses ministres sur les sommes immédiatement requises, faisait venir les banquiers devant lui, car jamais contrat ne fut conclu hors de sa présence. Chacun des banquiers était interrogé sur le montant des sommes qu’il pouvait avancer et les sûretés qu’il réclamerait le cas échéant. Chacun répondait selon ses moyens, car il n’y avait pas de société entre eux. Les banquiers désiraient avoir 8 % de leur argent, ce qui n’était pas déraisonable, et le roi était prêt à le donner; mais après une délibération ils se déterminèrent à laisser la fixation du montant de l’intérêt au bon vouloir du roi, de peur que cela ne tournât plus tard à leur désavantage, mentionnant en même temps, qu’ils payaient eux-mêmes 6 % à leurs propres créanciers, ce qui était connu pour être vrai ().
Ils reçurent alors transport de créances pour le paiement des premiers impôts votés par le Parlement et des tailles sur les branches du budget qui étaient les moins grevées. Mais même ceci n’était pas une sécurité suffisante, car le roi et le ministre des finances pouvaient consacrer les sommes ainsi perçues à d’autres objets. Par conséquent, ils n’avaient d’autre sûreté que leur indiscutable confiance dans la justice du roi et l’honneur et l’intégrité de son trésorier; c’étaient là les vrais fondements de ce crédit qui pourvoyait aux nécessités de la couronne. Le roi, d’ailleurs, les traitait toujours très gracieusement comme ses très bons serviteurs et les ministres les considéraient comme de très honnêtes gens.
Et de cette façon, et pour beaucoup d’années, même jusqu’au malheureux début de la guerre de Hollande, les dépenses publiques étaient menées avec peu de difficulté, mais avec peut-être quelques frais supplémentaires, et nul n’ouvrait la bouche contre les banquiers qui chaque jour augmentaient en crédit et réputation, et avaient l’argent de tout le monde à leur disposition.
Il est probable qu’au moment dont parle Clarendon, c’est-à-dire avant 1665, les orfèvres n’exigèrent pas plus de 8 0/0, mais cela ne dut pas durer longtemps et, à mesure que les besoins du roi grandissaient, leurs exigences grandirent proportionnellement, d’autant mieux qu’ils avançaient sur des revenus de plus en plus éloignés, et qu’ils avaient déjà accaparé tous les revenus prochains de la couronne. Ils demandaient bientôt, au dire des contemporains (), 20 et 30, 0/0. Pepys nous apprend () que, dès 1663, le trésor payait 15 et quelquefois 20 0/0, ce qui, dit-il, est une honte horrible (a most horrid shame) et ne doit pas être souffert, pas plus que le fait de voir l’orfèvre Maynell se faire de ce chef un revenu annuel de 10,000 livres.
Peut-être les auteurs contemporains exagèrent-ils un peu, mais il n’est pas douteux que les orfèvres recevaient du roi 12% de leur argent (). Si l’on considère qu’ils payaient à peine la moitié de cet intérêt à leurs déposants, on conçoit l’indignation du public. Indignation augmentée par le dépit de voir le roi entre les mains des usuriers (), et par la dureté, commune à tous les fermiers d’impôts, avec laquelle les orfèvres levaient ceux qui leur étaient concédés.
Mais si même les fermiers tiraient des vices du roi tous les bénéfices que prétendaient leurs adversaires, ils allaient bientôt, grâce à cette même immoralité royale, les expier cruellement.
Ici encore l’histoire des opérations de banque, se mêle étroitement à l’histoire générale de l’Angleterre. Nous allons prendre à tour de rôle les deux guerres européennes de Charles.
A) Guerre contre la Hollande. — La flotte hollandaise remonte la Tamise. — Premier «run» sur les banques. Charles s’était engagé en une guerre contre la Hollande. Après plusieurs péripéties, au moment même où on croyait la paix près de se conclure, Ruyter remonta la Tamise, prit Sheerness, brûla les bateaux qui se trouvaient à Chatam, et sembla menacer sérieusement Londres. On trouvera dans Clarendon le récit de cette aventure (). La consternation se répandit dans Londres, où la population se croyant à l’abri, le Parlement ayant voté () de grandes sommes pour la flotte et les fortifications du fleuve, fut épouvantée au delà de toute description () en entendant pour la première fois le bruit des canons ennemis. On crut que les Hollandais avaient pris Greenwich et, sans le sang-froid du roi et du duc d’York, on évacuait la Tour.
Tous ceux qui avaient quelque argent l’avaient déposé chez les orfèvres. Cet argent étant, on le savait, prêté à un gouvernement qui en ce moment ne semblait offrir aucune sûreté, chacun se précipita donc chez son banquier dans l’espoir qu’il arriverait à sauver quelques bribes de sa fortune, et Londres vit se produire un phénomène, qui, hélas! devait lui devenir familier, le premier afflux de demandes de remboursement, le premier «run» sur les banquiers ().
Ces craintes furent calmées par un édit du roi () proclamant que les paiements de l’Échiquier se feraient comme à l’ordinaire, et assurant qu’il ne souffrirait ni permettrait jamais qu’une atteinte fut portée aux droits de ses sujets ().
Nous allons voir maintenant comment Charles sut garder sa promesse et ce qu’il appelait «our royal word and declaration».
B) Nouvelle guerre contre la Hollande — Traité de Douvres — Suspensions des paiements de l’Echiquetier. — Un traité de paix suivit l’expédition de Ruyter. Dans les années postérieures à ce traité, Charles sembla décidé à s’entendre cordialement avec les Pays-Bas. Par les bons soins de sir William Temple (), ambassadeur en Hollande, une triple alliance protestante fut conclue entre les États Généraux, l’Angleterre et la Suède. Mais Charles II, en signant ce traité, ne voulut que donner une satisfaction temporaire à l’opinion publique anglaise, et surtout mettre définitivement en conflit la Hollande avec Louis XIV, jusque là son allié, tout au moins nominal. Bientôt il signait avec Louis XIV un second traité, en date du 20 mai 1670, le traité de Douvres (), du nom de la ville où le roi l’avait négocié en personne. Ce traité, auquel Madame prit une si grande part, Charles se garda bien de le rendre public, ne l’ayant pas même communiqué à tous ses ministres. Il s’engageait à s’allier avec Louis XIV dans une guerre contre la Hollande, à se convertir au catholicisme, et à quelques autres obligations. En revanche, Charles devait recevoir deux millions de francs en deux paiements, et trois millions par an pendant toute la durée de la guerre.
Les écrivains Anglais n’ont épargné au traité de Douvres aucune flétrissure. Et cependant une guerre contre la Hollande pouvait se justifier, l’Angleterre pouvant en tirer des bénéfices considérables, et prendre, dès 1670, l’hégémonie des mers. Une alliance avec la France n’était pas non plus un fait absolument nouveau, puisque dix ans ne s’étaient pas écoulés depuis que les armées réunies de Cromwell et de Mazarin avaient pris Dunkerque. Les paroles de M. Camille Rousset (): «Entre l’Angleterre et la Hollande, il n’y avait qu’un conflit d’intérêts; entre l’Angleterre et la France, il y avait une antipathie passionnée. Pour lutter contre un pareil courant d’opinion, qui n’avait cessé de grossir pendant tout son règne, il a fallu à Charles II une habileté qui touche presque au génie. Avec dix fois moins de ressources d’esprit et de talents politiques, en marchant avec son peuple, il aurait pu être un grand roi d’Angleterre, il a mieux aimé se faire le pensionnaire et l’obligé du roi de France», ces paroles, dis-je, ne sont absolument vraies qu’à partir du passage du Rhin (), à partir du moment où le peuple anglais découvrant la faiblesse extrême des Hollandais, que jusque là, il jalousait si fort, commença à prendre ombrage de la puissance de Louis XIV.
En théorie, le traité de Douvres se peut donc justifier.
Le malheur est que le principal souci de Charles II n’était ni la politique extérieure, ni la conversion des Anglais au catholicisme, mais bien de pouvoir satisfaire ses fantaisies et celles de son entourage, en un mot d’avoir de l’argent.
Sans doute il était porté vers le catholicisme, religion dans laquelle il est mort, et à laquelle il semble s’être converti assez vite (). Sans doute aussi, élevé par une mère française, subissant l’influence française de sa sœur, de Louis XIV son cousin, alors au zénith de sa gloire, et plus tard de la duchesse de Portsmouth, toutes ses sympathies étaient pour la France. Mais souple, intelligent, et sceptique comme il était, il n’était pas homme à risquer sa couronne pour le Pape ou le roi de France. Et il saura exploiter les terreurs qu’inspirait Louis XIV à son Parlement, et les appréhensions qu’inspirait celui-ci à Louis XIV, dans le but toujours unique d’en tirer quelques subsides.
Nous allons le voir à l’œuvre à l’instant. Le traité de Douvres n’était pas plutôt signé, que le garde des sceaux Bridgam () pressa le Parlement à voter des nouveaux fonds pour que la marine anglaise pût rivaliser avec les marines, sans cesse accrues, de la France et de la Hollande. Le Parlement vota 1,300,000 livres pour le paiement des dettes et 880,000 livres pour l’équipement de la flotte, en ajoutant un long rapport demandant au roi de prendre des mesures contre le papisme menaçant. Charles promit tout ce qu’on voulait, édicta une proclamation religieuse dans le sens demandé, prorogea le Parlement, dépensa les 800,000 livres votées à toute autre chose qu’à l’équipement de la flotte, et, à la fin de l’année, signa un nouveau traité avec Louis XIV, obtenant des conditions plus avantageuses que six mois auparavant ().
Charles continua par la suite un système qui lui avait si bien réussi ().
Cependant après une première remise (), Louis XIV décida d’entamer la guerre contre la Hollande. Le ministère de la Cabale () était aux affaires. Charles était toujours sans argent, il n’osait pas réunir le Parlement, et les subsides du roi de France étaient insuffisants. Il se décida donc à un acte arbitraire, injuste, et stupide, acte dû à Clifford, encore que l’invention en soit souvent attribuée à Shaftesbury. Celui-ci, ainsi que le démontre son historiographe, M. Christie, l’aurait au contraire, condamné et combattu ().
Voici en quoi consistait le remède inventé par Clifford.
Un ordre fut émis le 2 janvier 1672, juste deux mois avant le début de la guerre, prohibant tous paiements de l’Échiquier, sur tous warrants, ordres ou sécurités quelconques, pour une période de douze mois.
Quand cet ordre fut donné, le gouvernement devait aux orfèvres 1,300,000 livres dont 416,724 appartenaient à Sir Robert Wyne (). Cette mesure, qui n’était rien moins qu’un acte de banqueroute nationale, fut prise si soudainement, et était si peu escomptée par le public, qu’une confusion générale et inimaginable régna aussitôt dans la ville, et engendra des désastres financiers. Cette confusion se conçoit, car si le nombre des banquiers immédiatement lésés était relativement restreint, comme tous ceux qui avaient quelque argent avaient pris l’habitude de le confier à ces banquiers, il n’y avait pas moins de dix mille personnes acculées à la ruine.
Les banquiers en effet arrêtèrent immédiatement leurs paiements, et les marchands qui avaient des fonds chez les orfèvres laissèrent protester leurs effets (). Colbert, qui approuvait la mesure dans l’intérêt de la guerre, rapporte la grande opposition qu’elle excita et mentionne que des lettres de change de la valeur de 30,000 livres dûrent être renvoyées en Italie protestées ().
Quatre jours après, le 6 janvier, une déclaration explicative fut émise, promettant aux banquiers 6 0/0 d’intérêt, et constatant que la cessation des paiements ne dépasserait pas douze mois. Le jour suivant le roi mandait les orfèvres à la trésorerie. Il les tranquillisa et les persuada de payer aux marchands les sommes déposées par eux entre leurs mains. Ceci fut fait et diminua les troubles, mais les banquiers n’en furent pas plus payés pour cela. Il était probablement dans les idées du roi que le Parlement fournirait les moyens de payer les banquiers, à l’expiration des douze mois. Il n’en fut rien, la Chambre ayant repoussé des demandes réitérées en ce sens. On se contenta de payer un intérêt de 6 0/0. A partir de 1677 le roi inaugura sur son excise héréditaire un système d’amortissement. Mais les paiements d’un intérêt quelconque furent arrêtés en 1683, et ne furent pas repris après la révolution, en dépit d’un procès unique en son genre intenté par les orfèvres (). Finalement, en 1701, un acte fut passé chargeant l’excise héréditaire d’un intérêt annuel de 3 0/0, payable à partir de 1705, non pour le montant intégral de la dette, mais pour le capital primitif. Ce n’est pas tout, ces annuités de 3 0/0 comportaient amortissement et elles devaient cesser par le paiement de la moitié de ce capital primitif, c’est-à-dire de 664.263 livres. C’était là une filouterie pure et simple, car on devait aux banquiers six fois autant. On calcule que ceux-ci perdirent de ce chef 3 millions, sans compter les frais du procès. Mais ce qu’il y a de mieux dans l’affaire, c’est que cette dette, dite Banquers Debt, ne fut elle même jamais payée et fait encore partie de la dette anglaise, ayant été consolidée avec l’annuité de la mer du Sud.
C’est par cette aventure déplorable que nous en finirons avec notre Introduction.
Il est impossible de faire pour Charles II, ce que nous avons fait pour un acte analogue de son père, c’est-à-dire lui trouver quelque excuse. Mais en revanche on a pu voir combien la suspension des paiements de l’Échiquier cadrait bien avec le caractère et les idées politiques de ce prince, homme charmant, mais né avec des goûts au-dessus de sa position, et ne se souciant pas de sacrifier ces goûts aux intérêts de son pays. Voici cependant la défense qu’un économiste, juste— ment célèbre, a présentée pour lui. \ On a beaucoup blâmé Charles, dit M. Wilfredo Pareto (), pour un fait, qui ne diffère guère des opérations qu’ont faites, et que continuent de faire les gouvernements qui s’approprient les trésors des banques». Il est vrai également que le gouvernement de Guillaume III n’a pas mieux traité les banquiers que celui de Charles. Mais malgré tout ce sont là de pauvres excuses.