Читать книгу Essai sur la fondation et l'histoire de la Banque d'Angleterre (1694-1844) - Andréas Andreádīs - Страница 5
§ 1. — Les Banques sous la République et Cromwell.
ОглавлениеLa situation commerciale et industrielle de l’Angleterre s’améliora grandement sous la République et le gouvernement quasi-monarchique du protecteur.
Ceci d’abord par les progrès incessants de la civilisation, puis et plus particulièrement par le rétablissement de l’ordre à l’intérieur, par une politique extérieure changeante mais heureuse, par l’act de navigation et des guerres qui portèrent atteinte au monopole néerlandais du commerce des mers, enfin par des mesures libérales qui ouvrirent la porte de l’Angleterre à une race éminemment commerçante, qu’on avait ignominieusement dépouillée puis chassée quelques siècles auparavant.
Cette prospérité commerciale devait naturellement favoriser le développement des opérations de banque, et nous voyons, dès l’année 1651, apparaître le premier ouvrage préconisant la fondation d’une banque. Il est intitulé «Quelques considérations sur les deux grandes denrées commerciales de l’Angleterre» (), contient seulement 9 pages, et est dû à la plume de sir Balthazar Gerbier, auteur de plusieurs opuscules économiques.
Les deux denrées principales sont la pêche et les draps (), leur commerce est entre les mains des Hollandais, il s’agit de l’attirer en Angleterre. La question des pêcheries est étrangère à notre étude (). Pour le commerce et la manufacture des draps l’auteur propose l’exemple de la France, qui établit une manufacture à Sedan, et depuis fournit la moitié de l’Europe. En outre, afin de donner un plus grand crédit aux opérations anglaises, une Banque de paiements devait être créée dans la cité de Londres. Gerbier indique divers avantages qui découlent dans certains pays d’établissements analogues, et il considère notamment, car il est nettement mercantiliste, que les capitaux de divers commerçants étrangers pourront y être attirés, d’où il résultera un grand bénéfice pour l’État ().
Quelques années après, en 1658, une autre proposition plus caractéristique encore émane de Samuel Lamb, sous le titre de «Seasonables observations humbly offered to his highness the Lord Protector».
Cette fois, c’est bien une banque qui est le principal objet de l’auteur. Celui-ci examine les avantages que les Hollandais tirent de leur Banque. Il en trouve huit principaux, et montre que ces avantages, principalement l’augmentation du capital national et la baisse du taux de l’intérêt apparaîtront également en Angleterre, la Banque une fois établie.
Ce même Lamb soumettait bientôt un projet sous forme de pétition au Parlement. Un comité fut nommé pour l’examiner. Mais on ne sait ce qu’il en advint.
Il est superflu de faire ressortir les différences entre les deux brochures, et de faire valoir la supériorité de la seconde. Sept années s’étaient écoulées depuis leur publication respective, et pendant ce temps il se produisait un événement qui, à en juger par celle qu’il avait eue en d’autres pays, dut avoir, sur le développement des banques en Angleterre, une influence considérable. Je veux parler du retour des Juifs.
Retour des Juifs en Angleterre. — Son influence sur les Opérations de Banque. — On connaît l’influence de l’arrivée des Juifs espagnols sur le développement du commerce hollandais. L’influence des Israélites ne fut pas moindre à Venise (). Ce furent deux Juifs qui les premiers obtinrent du Sénat (en 1400) l’autorisation de fonder une maison de banque proprement dite. Leur succès fut tel, que de nombreux nobles Vénitiens fondèrent des maisons rivales. Il y eut alors des abus qui, joints à des difficultés monétaires, poussèrent le gouvernement à fonder la Banque de Venise en changeant le caractère d’une institution publique préexistante ().
La même influence dut se faire sentir en Angleterre. Mais à partir de quelle date? En d’autres termes, quand et comment le retour des Juifs en Angleterre fut-il autorisé ? C’est ce que nous allons rechercher, et ce qu’il n’est pas très facile de savoir ().
Il est certain que, dès la mort de Charles, les Israélites s’efforcèrent de rentrer en Angleterre.
L’opinion publique ne leur était pas défavorable. Devant le comité pour la propagation de l’Évangile, nommé par la Chambre le 18 février 1652, le major Butler, combattant le projet Owen comme insuffisamment libéral, s’écriait en concluant: «N’est-il pas aussi du devoir des magistrats de permettre aux juifs, à la conversion desquels nous. tendons, de vivre librement et paisiblement parmi nous». Le capitaine Norwood s’exprimait bientôt dans le même sens. Ce urent là les premières manifestations officielles.
M. Gardiner signale (), vers la même époque, l’apparition d’une brochure, où, pour montrer l’importance de Dunkerque, il est dit que si on tolère une synagogue pour les Juifs, ils sont prêts à donner 60 à 80,000 livres, et cette liberté amènera tous les marchands portugais d’Amsterdam, d’où il résultera un bénéfice plus grand encore ().
Les marchands d’Amsterdam n’avaient pas attendu ces manifestations de sympathie. Prenant les devants, deux habitants d’Amsterdam présentèrent dès 1649 une pétition à Fairfax et au Conseil de l’année, pour la révocation du banissement des Juifs ().
Une autre pétition est mentionnée par divers historiens. Divers israélites auraient demandé la révocation des lois passées contre eux, et pourvu que la Bodleian library leur fut cédée avec la permission additionnelle de transformer la cathédrale de Saint-Paul en synagogue, ils s’engageaient à payer six millions de livres françaises selon les uns, 500,000 livres selon les autres. On ajoute que les négociations furent rompues, les parties n’étant pas arrivées à s’entendre sur le prix, le gouvernement anglais demandant 8 millions ou 800,000 livres. Il est fâcheux pour l’authencité de cette histoire que les renvois de nos historiens () soient insuffisants ou erronés; nous ne la signalons donc qu’à titre de curiosité.
Ces négociations n’aboutirent à rien. Mais M. Wolf a prouvé que, malgré cet échec, de nombreux Juifs étaient secrètement établis à Londres pendant la durée du «Commonwealth» ().
La situation allait redevenir meilleure, avec la fondation du protectorat. Cromwell était en avance sur les idées de son temps, et ainsi que le dit () M. F. Harrison: c Nobles furent les efforts du Protecteur pour imprimer son propre esprit de tolérance sur l’intolérance de son âge; et il lutta avec persistance contre les Parlements et les conseils de Quakers, Juifs, Anabaptistes, Sociniens et même avec des blasphémateurs fous. Il protégea efficacement les Quakers, il admit les Juifs après une expulsion de trois siècles, et il prouva à Mazarin qu’il avait donné aux Catholiques toute la protection qu’il osait». Cromwell était plus spécialement bien disposé avec les Juifs avec lesquels il avait, dit M. Guizot (), d’assez fréquents rapports. Ceux-ci semblent lui avoir rendu de nombreux services. Ils n’ignoraient pas les sentiments que le Protecteur nourrissait à leur égard et s’efforcèrent d’en profiter.
Le Rabbi Manasseh Ben Israel prit l’initiative du mouvement. Ce Rabbi est une figure bien originale. Né en Portugal, vers 1604, il avait émigré encore enfant avec sa famille en Hollande. Là il fit des études des plus brillantes, écrivit des livres, et fonda même à Amsterdam la première typographie israélite. Mais sa principale préoccupation était l’amélioration du sort de ses coréligionnaires, et leur admission dans les différentes contrées d’Europe. Il s’efforça, plus particulièrement, par différents moyens, comme la dédicace de son ouvrage Spes Israelis, au Parlement britannique (), d’obtenir pour eux la permission de revenir en Angleterre, où il savait le Protecteur et une partie de l’opinion publique prédisposés en leur faveur ().
En 1655, pour obtenir gain de cause, Manasseh entreprit le voyage de Londres, accompagné de son fils et de plusieurs notables israélites d’Amsterdam. Le 31 octobre de la même année il publia une «humble adresse au protecteur» demandant pour les Juifs le droit de résider et d’avoir des synagogues dans toute l’étendue de la République. Il publia simultanément une déclaration au Commonwealth «montrant les motifs de son arrivée en Angleterre, combien est profitable la nation des Juifs et combien elle est fidèle». Quelques jours après il présenta une nouvelle pétition au protecteur, demandant une série de mesures tendant à sanctionner les vœux de sa première adresse ().
Une commission fut nommée pour examiner la question. Elle se composait de juristes, de prêtres et de commerçants (). Cromwell qui présidait posa deux questions: 1° Est-il légal d’admettre à nouveau les Juifs? 2o Sous quelles conditions, cette admission doit-elle prendre place?
Les débats furent des plus diffus. Les juristes étant favorables à ce retour, et les commerçants indécis. Les membres du clergé répondirent affirmativement quant au premier point. Mais cette admission qu’ils considéraient regrettable à six points de vue () ne devait avoir lieu qu’à des conditions excessivement sévères. Une longue discussion s’engagea là-dessus. Elle se prolongea pendant trois séances. Et finalement l’assemblée fut dissoute, Cromwell ayant déclaré que la question compliquée à plaisir était plus inextricable que jamais, et que, quoique il ne désirait plus entendre leurs raisonnements, il priait cependant les membres de l’assemblée de ne pas l’oublier dans leurs prières ().
Aucun résultat ne découla donc de cette conférence. Les espérances de Manasseh paraissaient déçues. En fait cependant les Juifs furent tacitement autorisés à résider en Angleterre. Manasseh, comme compensation de ses déboires, reçut une pension annuelle de 100 livres. Et 3 ans après, le 15 février 1658, à une réception à Witehall, Cromwell aurait donné à Carvajal et à ses coréligionnaires l’assurance de sa protection.
Peut-être Cromwell serait-il allé plus loin sans la conduite de Manasseh, que M. Wolf juge des plus extravagantes. Selon le témoignage de Sagredo, ambassadeur de Venise, il aurait véritablement adoré Cromwel, lui demandant s’il n’était pas un être surhumain. D’autre part, un ou plusieurs de ses compagnons ayant obtenu l’autorisation de visiter Cambridge se rendirent à Huntingdon, lieu de naissance de Cromwell. Le bruit se répandit qu’ils y étaient allés pour examiner les origines du Protecteur, lui retrouver une origine israélite, et prouver qu’il était le Messie (). Les ennemis de Cromwel exploitèrent ces rumeurs, et celui-ci, soucieux de s’épargner le ridicule et les sarcasmes, ordonna aux compagnons du Rabbi de retourner à Londres.
Quoiqu’il en soit de ce dernier point, il est probable que Cromwel ne prit aucune mesure législative à l’égard des israélites, mais il est certain qu’il toléra leur retour, et qu’à la fin du protectorat nombre d’israélites habitaient l’Angleterre. Ils durent prendre une part active au commerce, car de nombreux marchands signèrent bientôt une pétition se plaignant que les juifs, n’étant pas soumis au droit alien, il en résultait pour le Trésor une perte annuelle de dix mille livres ().