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III

Table des matières

Car figurez-vous qu’un matin je reçus une lettre. — Messieurs, je vois à l’absence de votre étonnement que je vous raconte mal mon histoire. J’aurais dû vous dire d’abord que, de lettres, je n’en attendais point. De lettres, j’en reçois trois par an: une de mon propriétaire pour me demander de payer mon terme; une de mon banquier pour m’indiquer que je peux le faire; une, au premier janvier, ...je ne peux pas vous dire de qui. L’adresse était d’une écriture inconnue. Le manque complet de caractère qu’elle m’a révélé dans la suite par l’entremise des graphologues consultés ne m’a permis de rien apprendre. Ils n’y trouvèrent d’autre indice que celui d’une grande bonté; encore certains y virent-ils plutôt de la faiblesse, lis ne purent rien préciser. L’écriture... je ne parle, remarquez bien, que de celle de l’enveloppe; car dans l’enveloppe il n’v en avait point; oui, point — pas une ligne, pas un mot. Dans l’enveloppe il n’y avait rien qu’un billet de cinq cents francs.

J’allais prendre mon chocolat.; mais mon étonnement fut si grand que je le laissai refroidir, .le cherchais... Personne ne me devait rien. J’ai des revenus fixes, Messieurs, et mes petites économies de chaque an compensent â peu près la baisse régulière de la rente. Je n’attendais rien, je l’ai dit. Je n’ai jamais rien demandé. L’habitude de ma très régulière existence m’empêchait même de rien souhaiter. Je réfléchis beaucoup, d’après la meilleureméthode: Car, unde, quo, qua? — D’où, pour où, par où, pourquoi? Et ce billet n’était réponse à rien, 'puisque j’interrogeais pour la première fois.

Je pensai: c’est sans douteune erreur; je vais pouvoir la réparer. A quelque autre de même nom était destiné cette somme. Je cherchai donc dans le Bottiu un homonyme, qui peut-être attendait déjà. Mais mon nom n’est plus très porté; je vis, en feuilletant l’énorme livre, qu’il ne désignait plus que moi seul. Je pensai, par la suscription de l’enveloppe, arriver à un résultat meilleur, et retrouver l’expéditeur à défaut du destinataire. C'est alors que j’eus recours aux graphologues. Mais rien — non, ils ne purent rien me dire; je ne parvins à rien qu’à grossir encore mon ennui. Ces cinq cents francs chaque jour plus me peinent; je voudrais m’en débarrasser et je ne sais pas comment faire. Car enfin... Ou si quelqu’un me les a donnés sans erreur, au moins mérite-t-il une reconnaissance. Reconnaissant, je voudrais l’être, — mais je ne sais pas envers qui. .

Dans l’espoir d’un nouveau hasard qui me tirerait de ma peine, je porte sur moi le billet. Ni jour ni nuit je ne le quitte. J’y suis acquis. — Avant j’étais banal mais libre. A présent j’appartiens à lui. Cette aventure me détermine; j’étais quelconque, je suis quelqu’un.

Depuis cette aventure, je me dérange; je cherche à qui pouvoir causer, et si, très souvent, pour manger c’est à ce restaurant que je m’attable, c’est que, par ces tables de trois, des deux compagnons proposés, j’espère un jour en trouver un qui reconnaîtra l'écriture de l’enveloppe que voici...

En achevant ces mots, Damoclès tira de sa poitrine un soupir et de sa redingote une enveloppe jaune et salie. Son nom s’y étalait en toutes lettres, écrit d’une médiocre écriture.

Alors il se passa ce fait étrange Codés, qui jusqu’alors était demeuré silencieux, continua de l'être, — mais brusquement leva sur Damoclès une main que le garçon n’eut que le temps d’arrêter au vol. Codés put donc se ressaisir et dire tristement ces paroles, qui ne furent comprises que dans la suite: — Au reste, Cela vaut mieux, car si je vous avais rendu la gifle vous eussiez cru devoir me rendre ce billet, et... il ne m’appartient pas. — Puis, comme Damoclès semblait attendre quelque explication de son geste: — C’est moi, ajouta-t-il en désignant l’enveloppe, qui écrivis ci-dessus votre adresse.

— Mais comment saviez-vous mon nom, dit Damoclès, qui voulait prendre mal l’aventure.

— Fortuitement — dit doucement Codés; — d’ailleurs cela n’a pas grande importance en cette histoire. La mienne est plus curieuse encore que la vôtre; souffrez que je la dise en quelques mots:

HISTOIRE DE COCLÈS

Je n’ai pas grandes relations sur la terre; et même, avant ce que je vais vous raconter, je ne m’en savais pas encore. Je ne sais qui m’a mis au monde et j’ai longtemps cherché quelque raison de continuer à ma vie. Je suis descendu dans la rue, quêtant une détermination du dehors. Je pensais que d’un premier apport devait dépendre ma destinée; car je ne me suis point fait moi-même, trop naturellement bon pour cela. Un premier acte, je le savais, allait me motiver l’existence. Naturellement bon, je l’ai dit, cet acte fut de ramassera terre un mouchoir. Celui qui le laissait tomber n’avait pu s’écarter que de trois pas encore; moi, courant après lui, le lui remis. II le prit sans paraître surpris; non — la surprise fut la mienne quand je le vis me tendre une enveloppe, celle-là même que voici. — Veuillez, dit-il en souriant, écrire ci-dessus une adresse. — Laquelle? dis-je. — Celle, reprit-il, de quelqu’un. — Ce disant il approcha de moi tout ce qu’il fallait pour écrire. — Mon désir n’étant point de me soustraire à une motivation extérieure, je me soumis. Mais, je vous l’ai bien dit, je n’ai pas grandes relations sur la terre. Le nom que j’inscrivis, et qui vint je ne sais comment dans ma tête, était pour moi celui d’un inconnu. Puis ceci fait je saluai,me croyant quitte, et j’allais m’écarter enfin, lorsque je reçus sur la joue un épouvantable soufflet.

L’étonnement qu’il me causa ne me laissa point voir ce que devenait mon gifleur. Quand je revins à moi,j’étais entouré d’une foule. Tous parlaient. Certains s’étant saisis de moi me voulaient emporter jusqu’à la pharmacie voisine. Je ne pus m’arracher de leurs soins qu’en affirmant que je n’avais aucun mal, bien que mon nez saignât et que je souffrisse cruellement de la mâchoire.

La tuméfaction de ma joue me retint huit jours à la chambre. Je les passai à méditer:

Pourquoi m’a-t-il donné cette gifle?

Sans doute ce sera par erreur. Pourquoi m’en voudrait-il? Je n'ai fait de mal à personne; personne ne m’en peut souhaiter; le mal est quelque chose qu’on rend.

Et si ce n’est pas par erreur — pensai-je, car pour la première fois je pensais. Si ce soufflet m’était bien destiné! D’ailleurs j’ajoutais: Eh! qu’importe! par erreur ou non je l’ai reçu, ce soufflet, et... et le rendrai-je? — Je vous l’ai dit, j’ai le naturel bon; et puis une chose me gêne: celui qui m’a giflé ôtait plus fort que moi.

Quand ma joue fut calmée et que je pus enfin sortir, je recherchai bien mon gifleur; oui, mais ce fut pour l’éviter. D’ailleurs je ne le rencontrai point, et si je l’évitai, ce fut sans le savoir.

Mais -- et ce disant il s’inclinait vers Prométhée. Voyez comme aujourd’hui tout s’enchaîne, tout se complique au lieu de s’expliquer: — J’apprends que, crrâee à mon soufflet, Monsieur a rem cinq cents francs...

— Ah! mais permettez! dit Damoclès.

— Je suis Coclès, Monsieur, dit-il saluant Damoclès; — Coclès! et je vous dis mon nom, Damocle, certain que vous serez heureux de savoir à qui vous devez votre aubaine.....

— Mais...

— Oui — Je sais: ne disons pas: à qui; disons: à la souffrance de qui... Car sachez et n’oubliez pas que votre gain prenait sur ma misère...

— Mais...

— N’ergotez pas, je vous en prie. Entre votre gain et ma peine il y a une relation; je ne sais pas laquelle, — mais il y a une relation...

— Mais, Monsieur...

— Ne m’appelez pas Monsieur.

— Mais, cher Coclès.

— Dites-moi: Code — simplement...

— Mais encore une fois, mon bon Code...

— Non,Monsieur—non,Damocle— et vous aurez beau dire,car je porte à la joue la marque du soufflet encore... c’est une cicatriceque je vaisaussitôtvous montrer.

— La conversation devenait désagréablement personnelle. C’est ici que le tact du garçon se fit jour.

André Gide: Oeuvres majeures

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