Читать книгу Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449 - Anonyme - Страница 6

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L'une des conditions essentielles que doit remplir l'auteur du Journal parisien est d'appartenir au corps universitaire, non à un titre infime, mais dans un rang éminent; c'est du reste ce que laisse entrevoir le passage bien connu où le narrateur se compte lui-même parmi les membres les plus considérables de l'Université. D'après le sentiment du président Fauchet, exprimé dans une note mise à la marge du manuscrit de Rome, l'auteur de notre journal devait être un homme d'église ou docteur de quelque faculté. Si tout chez notre chroniqueur annonce l'homme d'église, il ne s'ensuit pas nécessairement, comme l'ont supposé Étienne Pasquier et Denis Godefroy [43], qu'il doive être un théologien; on pourrait citer plus d'un chanoine de Notre-Dame n'ayant aucun grade en la faculté de théologie. Ceci posé, voyons si le chanoine-chancelier de Notre-Dame se trouve dans les conditions requises.

Lors de sa réception comme chanoine en 1420, Jean Chuffart prend le titre de maître ès-arts et licencié en décret. Dès cette époque il occupait dans le corps universitaire une situation considérable, car l'année suivante il était appelé au poste de recteur pour le quartier d'octobre à décembre (1421). A cette occasion, Jean Chuffart fit demander aux chanoines ses confrères la continuation des distributions capitulaires qu'il devait perdre en prenant possession de sa dignité, Jean Voignon et Nicolas Fraillon furent chargés le 15 octobre 1421 de conférer avec le nouveau recteur qui obtint gain de cause et vint le 30 octobre remercier le chapitre de la faveur qu'on voulait bien lui accorder [44]. Ce n'est que le 30 juillet 1437 que Jean Chuffart, depuis longtemps déjà chancelier de l'église de Paris [45] et jouissant en cette qualité du privilège de faire passer les examens de la maîtrise ès-arts [46] et de la licence en théologie [47], se fit recevoir docteur en décret. La veille du jour fixé pour la cérémonie, il pria ses confrères d'assister à la dispute scolastique ainsi qu'au dîner qui devait couronner la fête, le chapitre répondit évasivement que tous feraient de leur mieux pour se rendre à son invitation [48].

Une fois en possession du titre de docteur, Jean Chuffart ne borna point là son ambition et voulut entrer dans le corps enseignant. Après la mort de Jean Hubert, il devint régent en la faculté de décret; le 20 octobre 1437 il acquit des exécuteurs testamentaires de ce même Jean Hubert une maison située dans le haut de la rue du Clos Bruneau à l'enseigne de Saint-Eustache, et servant d'école de décret. C'est là qu'il ouvrit ses cours et qu'il professa jusqu'à sa mort, en 1451; par son testament il légua cette maison avec ses bancs et pupitres «à la venerable faculté de Decret en l'université de Paris» qui lui avait procuré «plusieurs prouffiz» et fait «grant courtoisie» lors de sa réception comme docteur.

Jean Chuffart appartenait à la nation de Picardie, qui l'aida dans sa carrière, et que notre chanoine, en fils reconnaissant, obligea plus d'une fois de ses deniers; dans l'expression de ses dernières volontés, il ne l'oublia pas et l'inscrivit pour un legs de 20 écus d'or [49].

On le voit, le chancelier Jean Chuffart répond à toutes les exigences de notre journal. Non seulement il occupait dans l'université un rang élevé, mais encore il faisait partie du corps enseignant; aussi pouvait-il, sans orgueil exagéré, se compter au nombre de ces parfaits clercs qui soutinrent au collège de Navarre une discussion publique contre Fernand de Cordoue. En rehaussant ainsi la valeur de sa personne, Jean Chuffart obéit probablement à un sentiment d'irritation motivé par les attaques dont il fut l'objet au sein de l'université. La faculté de théologie ne put jamais lui pardonner son élévation au poste de chancelier de l'église de Paris et ne cessa de demander que le chancelier de Notre-Dame fût choisi à l'avenir parmi les maîtres en théologie à l'exclusion de tous autres; elle finit par triompher et, le 4 mai 1444, fit présenter au chapitre les bulles d'Eugène IV faisant droit à cette réclamation [50].

e.L'AUTEUR DU JOURNAL EST L'UN DES CLERCS ATTACHÉS A LA MAISON D'ISABEAU DE BAVIÈRE.

Le Journal parisien renferme çà et là quelques mentions relatives à Isabeau de Bavière dans la dernière période de son existence, à un moment où, reléguée dans l'hôtel de Saint-Paul, cette reine était en quelque sorte oubliée de tous; il nous paraît difficile de croire que certaines de ces mentions soient un pur effet du hasard. A la rigueur on comprend qu'un chroniqueur, un chroniqueur parisien surtout, ait inséré dans son récit ce qui a trait aux funérailles de la reine déchue, qu'il se soit trouvé à même de remarquer les larmes versées par Isabeau de Bavière lors du passage de son petit-fils devant l'hôtel de Saint-Paul; mais il n'est guère admissible qu'une personne étrangère à son entourage ait pu écrire ce que rapporte l'auteur du Journal à l'année 1424, alors qu'Isabeau de Bavière se consumait dans la pauvreté et dans l'abandon.

Voici au reste en quels termes s'exprime notre chroniqueur:

En icellui temps, estoit la royne de France demourante à Paris, mais elle estoit si pouvrement gouvernée qu'elle n'avoit tous les jours que VIII sextiers de vin tout au plus pour elle et son tinel, ne le plus de Paris qui leur eust demandé: «Où est la royne?» ilz n'en eussent sceu parler.

Tant en tenoit on pou de compte, que à paine en challoit il au peuple, pour ce que on disoit qu'elle estoit cause des grans maulx et douleurs qui pour lors estoient sur terre.

Item, la royne de France ne se mouvoit de Paris, ne tant ne quant, et estoit aussi comme se ce feust une femme d'estrange païs enfermée tout temps en l'ostel de Sainct-Paul ..... et bien gardoit son lieu comme femme vefve doit faire.

Ce langage n'est pas celui d'un indifférent, c'est le langage que pouvait tenir l'un de ces clercs qui vivaient autour de la reine et qui formaient son conseil; quel autre pouvait savoir que la veuve de Charles VI était rationnée au point qu'on lui mesurait la quantité de vin nécessaire à la consommation de sa maison? Ces clercs honorés de la confiance d'Isabeau de Bavière, pendant cette domination anglaise qui pesait si lourdement sur elle, étaient Jean Chuffart, son chancelier, et Anselme Happart, son confesseur. Tous deux sont nommés dans le testament que fit la reine le 2 septembre 1431 et figurent au nombre de ses exécuteurs testamentaires [51]. De ces deux personnages, le premier seul se trouve en harmonie avec les données essentielles de notre Journal, car Anselme Happart, connu comme maître en théologie de l'université de Paris et gouverneur de l'hôpital Saint-Gervais, ne semble pas avoir rempli de fonctions curiales à Paris et surtout ne fit point partie du clergé de Notre-Dame. Reste donc la personne de Jean Chuffart, chancelier et principal conseiller d'Isabeau de Bavière, qu'il convient de soumettre à un examen sérieux.

Le chancelier de la reine Isabeau n'est pas un inconnu; sa personnalité a déjà été mise en lumière par notre regretté maître, feu Vallet de Viriville, qui, dans une notice servant d'éclaircissement à un mémoire politique intitulé: Advis à la reine Isabelle [52], s'est attaché à démontrer que cet intéressant document ne pouvait être attribué qu'à l'un des deux conseillers désignés plus haut. Le savant historien de Charles VII, basant son appréciation sur divers indices, notamment sur la connaissance familière des coutumes et pratiques de la chancellerie que dénote ce mémoire, n'est pas éloigné de croire que ce «traicté pour le gouvernement de la maison du roy et du royaulme de France» fut rédigé sous les auspices du chancelier d'Isabeau de Bavière. Cette attribution nous semble parfaitement justifiée; il est en effet naturel de supposer que celui qui vaquait tous les jours aux affaires de la reine et jouissait de toute sa confiance était mieux que personne en situation d'énoncer un ensemble de vues politiques et de faire goûter ses conseils. Sans nous arrêter davantage sur ce point difficile à éclaircir, voyons si l'époque de l'entrée en fonctions du chancelier d'Isabeau coïncide avec les détails que fournit l'auteur du Journal parisien sur l'aïeule du roi d'Angleterre et sur son genre de vie. Lors de l'élection de Nicolas Fraillon à l'évêché de Paris, c'est-à-dire vers la fin de 1426, Jean Chuffart est mentionné dans les registres capitulaires de Notre-Dame, avec le titre de chancelier de la reine [53]; mais il n'est pas douteux qu'il occupait déjà ce poste en 1425; à la date du 9 novembre, le chanoine Jean Chuffart présenta au chapitre un vase précieux au nom d'une personne qui voulut garder l'anonyme, mais qui très vraisemblablement était la reine Isabeau [54]. Il y a donc de fortes présomptions pour que notre chanoine fût en rapport avec Isabeau de Bavière dès l'année 1424, ce qui permettrait d'expliquer le profond respect et la déférence toute particulière que manifeste l'auteur de la chronique parisienne lorsqu'il est amené à parler de la reine déchue. Ajoutons que Jean Chuffart est désigné dans le testament d'Isabeau de Bavière parmi ses exécuteurs testamentaires, non à titre purement honorifique, comme les évêques de Thérouanne, de Paris, de Noyon et de Meaux, mais comme l'un de ceux dont le concours fut jugé indispensable. Aussi, plus de onze ans après la mort de la reine (le 28 février 1447), nous le voyons à titre d'exécuteur testamentaire demander au chapitre de Notre-Dame l'inscription de l'obit d'Isabeau de Bavière [55]. Constatons enfin que suivant le témoignage de Jean Chartier, l'historiographe officiel de Charles VII, lorsque la dépouille mortelle de la pauvre reine fut transportée à Saint-Denis sur un petit bateau, quatre personnes seulement l'accompagnèrent à sa dernière demeure, «comme se c'eust esté la plus petite bourgoise de Paris [56]» et que l'un de ceux qui conduisaient le deuil était précisément le chancelier Chuffart; aussi n'est-il pas sans intérêt de rappeler que dans le récit des obsèques d'Isabeau de Bavière inséré par notre anonyme dans sa chronique, cette circonstance du voyage funéraire à Saint-Denis par la Seine n'est pas oubliée. En présence de tous ces indices, il nous semble impossible que le prêtre de Notre-Dame, à qui nous attribuons le Journal parisien, ne soit pas en même temps sinon le chancelier, au moins l'un des conseillers les plus intimes de la reine Isabeau.

f. L'AUTEUR DU JOURNAL SE RATTACHE AU CLERGÉ DE SAINTE-OPPORTUNE, DE SAINT-GERMAIN-L'AUXERROIS, DE SAINT-LAURENT ET DE SAINT-EUSTACHE.

Peu de clercs parisiens au XVe siècle eurent le talent de réunir autant de prébendes et de bénéfices que vénérable et discrète personne, Me Jean Chuffart. Quoiqu'il fût chanoine et chancelier de Notre-Dame, son ambition ne se trouva point satisfaite, et pour ainsi dire jusqu'à la fin de sa carrière, il ne cessa d'aspirer à de nouvelles dignités. Le 3 février 1433, Jean Chuffart fit exprimer par son protecteur, le cardinal de Sainte-Croix (mentionné à cette époque dans le Journal parisien), ses réserves au sujet d'un canonicat vacant dans l'église de Sainte-Opportune; sept jours après, il fut reçu chanoine en remplacement de Jean des Prés qui échangea sa prébende contre la chapellenie de Saint-Éloi à Sainte-Geneviève, chapellenie dont Jean Chuffart était titulaire [57]. Jean Chuffart resta jusqu'à sa mort chanoine de Sainte-Opportune, et légua à cette collégiale la nue propriété de la maison qu'il possédait dans le cloître de Sainte-Opportune, avec 32 sous de rente sur un autre immeuble lui appartenant, sis rue Saint-Denis, à l'enseigne des Rats et de la Corne de Cerf [58].

Le canonicat de Sainte-Opportune, qui était des plus modestes, ne fut pour Jean Chuffart qu'un acheminement à de plus importants bénéfices. Un siège canonial s'étant trouvé vacant à Saint-Germain-l'Auxerrois par suite de la résignation d'Hervé Fresnoy, il l'obtint le 8 octobre 1438. Seulement ses visées étaient plus ambitieuses, il désirait non une simple prébende, mais la dignité de doyen que laissait libre la mort de Jean Vivien; ses efforts furent couronnés de succès. L'élection de Jean Chuffart comme doyen suivit de très près sa réception comme chanoine; nommé le 24 octobre 1438, il fut installé le 7 novembre suivant [59]. Ne s'estimant point satisfait, le même personnage, sur la fin de sa carrière, ajouta à ces nombreux bénéfices des fonctions pastorales à Saint-Laurent, où il remplaça Louis le Mercier le 3 janvier 1442 [60], et à Saint-Eustache, où nous le voyons prêter serment comme curé le 27 décembre 1448 [61].

Mais, nous objectera-t-on, l'accession de Jean Chuffart à toutes ces dignités n'a aucun rapport avec le Journal parisien ni son auteur; nous répondrons que l'ensemble de ces particularités nous paraît fournir un nouvel argument en faveur de l'attribution de cette chronique au chancelier de Notre-Dame. Une lecture attentive de la portion du Journal comprise entre les années 1437 et 1449 met en évidence ce fait curieux, que pour cette seule période de douze années les mentions relatives à l'église et au cimetière des Innocents sont en nombre infiniment plus considérable que dans tout le reste du récit. Comment s'expliquer le soin minutieux avec lequel notre anonyme a noté tout ce qui intéresse l'église des Innocents, et pourquoi à cette époque plutôt qu'à une autre? Pour quelle raison a-t-il inséré dans le journal de ces douze dernières années des détails d'un intérêt aussi restreint que l'inauguration d'une simple chapelle le 15 août 1437, tandis que pour une période bien plus étendue, il ne s'arrête qu'aux faits de nature à frapper l'attention de tout le monde, tels que la représentation picturale de la danse macabre, et le sermon prêché par le cordelier Richard? Pour qu'à un certain moment de son existence, le chroniqueur parisien ait pris intérêt à fixer le souvenir de tout ce qui pouvait concerner l'église et le cimetière des Innocents, il faut que le cercle quotidien de ses occupations l'y ait en quelque sorte amené. Or, Jean Chuffart, chanoine de Sainte-Opportune depuis 1433, se trouvait par ce fait mêlé à l'administration intérieure de la paroisse des Innocents, puisque le chapitre de Sainte-Opportune avait non seulement le droit de présentation à cette cure, mais encore droit de collation des différentes chapellenies. Les délibérations capitulaires conservées depuis l'année 1451 nous montrent le chapitre nommant les chapelains des autels de Notre-Dame, de Saint-Denis et Saint-Antoine, de Saint-Michel, de Saint-Louis, faisant réparer la maison presbytérale, recevant un nouveau vicaire perpétuel ou curé des Innocents, réglant en un mot toutes questions ayant trait au spirituel et au temporel de l'église [62]. De plus, le vicaire perpétuel n'exerçait aucun acte de son ministère sans le soumettre au contrôle du chapitre [63]. Ces points établis, devrons-nous nous étonner de rencontrer dans le Journal parisien à la date de juin 1437 un long paragraphe relatif à la profanation de l'église des Innocents par des mendiants et à l'interruption du service divin, paragraphe rédigé avec une précision de détails qu'on aurait droit de trouver extraordinaire dans la plume de tout autre qu'un habitué de la paroisse ou d'un chanoine de Sainte-Opportune?

Qu'on lise le récit de la «belle prédication» faite en 1449 aux Innocents par l'évêque Guillaume Chartier, et de la procession bien piteuse des enfants de toutes les écoles qui partirent des Innocents pour se rendre à Notre-Dame, et l'on nous dira si la personnalité du chanoine de Sainte-Opportune et de Notre-Dame ne semble pas s'y révéler à tous les yeux. Celle du chanoine et doyen de Saint-Germain-l'Auxerrois apparaît avec non moins de certitude dans d'autres circonstances dignes de remarque. Le chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois possédait d'ancienneté sur le cimetière des Innocents un droit de propriété foncière qui, souvent contesté, donna naissance à d'interminables procès; c'est en vertu de ce droit qu'il se prétendait fondé à instituer les fossoyeurs, à accorder ou refuser les permissions de sépulture, à octroyer les autorisations nécessaires pour l'érection de croix, tombes et épitaphes dans le cimetière, sous les charniers et entre les piliers des charniers.

En nous rappelant que Jean Chuffart était chanoine et doyen de Saint-Germain-l'Auxerrois dès 1438, n'y a-t-il point quelque chose de caractéristique dans l'intérêt particulier que manifeste l'auteur du Journal parisien pour certains faits d'une importance secondaire relatifs au cimetière des Innocents, notamment en 1441, lorsqu'il nous apprend que quatre mois durant les inhumations y furent suspendues par suite des prétentions exagérées de l'évêque de Paris qui réclamait une somme d'argent excédant les ressources de l'église? Si notre anonyme semble prendre à cœur cette affaire au point d'exprimer en termes amers tout le mécontentement qu'il en ressent, c'est qu'il est lui-même victime de la cupidité de l'évêque Denis du Moulin; au lieu de voir dans ce passage, comme le fait M. Longnon, le langage d'un des adversaires de l'évêque en cour de Parlement, nous avons une explication plus naturelle à proposer.

Jean Chuffart, en sa qualité de chanoine de Saint-Germain-l'Auxerrois, se trouvait, ainsi que ses confrères, directement intéressé au débat soulevé par l'évêque, et surtout ne devait être que médiocrement satisfait d'avoir à s'imposer un sacrifice pécuniaire. L'extrait suivant des délibérations capitulaires de Saint-Germain-l'Auxerrois prouve que les chanoines de cette collégiale durent payer une certaine somme d'argent pour obtenir la «réconciliation» ou bénédiction nouvelle des lieux profanés:

Anno 1440, penultima die decembris, capitulantibus dominis, concluserunt quod magister Nicasius predictus (Nicaise Joye, l'un des chanoines) tradat pro prosequcione reconciliacionis cimisterii Sanctorum Innocentium, prout ceteri ad quos pertinet, vi solidos Parisiensium [64].

Poursuivant l'analyse de notre Journal, nous arrivons à ce passage bien connu où le chroniqueur parisien raconte sous la date du 11 octobre 1442 l'installation d'une recluse dans sa logette du cimetière des Innocents. Ici encore se dévoile l'individualité du chanoine de Saint-Germain-l'Auxerrois. Il semble que l'auteur du Journal, lorsqu'il nous parle de la recluse, soit parfaitement au courant de ce qui la concerne.

Effectivement, la nouvelle recluse des Innocents n'était pas une étrangère pour le doyen de Saint-Germain-l'Auxerrois, puisque dans la séance capitulaire tenue le 2 août 1442, Jeannette la Verrière fit demander par Jean Boileau, curé de l'église de Sainte-Croix en la Cité, la permission de construire dans le cimetière des Innocents, près de l'église, un réduit où elle se proposait de finir ses jours dans la prière. Les chanoines appelés à délibérer sur cette requête prirent en considération le pieux dessein de Jeanne la Verrière et accordèrent l'autorisation nécessaire [65]. Il n'est donc pas étonnant que, dans son Journal, notre chanoine ait mentionné la cérémonie imposante par laquelle la recluse était retranchée du nombre des vivants.

Jean Chuffart, si l'on se place à un point de vue personnel, voyait d'un œil sympathique ces pauvres cloîtrées; il en donna un témoignage l'année même de sa mort. Dans l'expression de ses dernières volontés, il n'eut garde d'oublier les recluses de Paris qui étaient alors au nombre de trois, deux aux Innocents et une à Sainte-Marie l'Égyptienne, et laissa à chacune d'elles trois aunes de drap noir pour s'en faire une robe ou un manteau [66].

Le dépouillement attentif des registres capitulaires de Saint-Germain-l'Auxerrois nous révèle une particularité intéressante qui tendrait une fois de plus à confirmer l'attribution du Journal parisien au chanoine Jean Chuffart. Voici ce dont il s'agit. Le chroniqueur racontant l'entrée du connétable de Richemont à Paris en 1436 nous donne des détails d'une précision extraordinaire et que l'on ne rencontre nulle part ailleurs; ainsi aucun texte contemporain ne mentionne le passage de Jean l'Archer par la rue Saint-Martin, ni le meurtre de ces deux bourgeois inoffensifs, tres bons mesnagers et hommes d'honneur, qui furent massacrés devant Saint-Merry. Ne semble-t-il pas que le narrateur ait eu connaissance de ces menus faits par quelque témoin oculaire, car il tombe sous le sens que dans un moment aussi critique un homme d'église ne pouvait prendre plaisir à courir les rues sous les flèches des Anglais? Or, voici ce que nous apprennent les registres capitulaires cités plus haut. Trois ans après l'expulsion des Anglais, le 30 avril 1440, une pauvre femme, sœur Gillette, veuve de Jean le Prêtre, appartenant à la communauté de la Chapelle Haudry, se présente devant le chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois, et, ce qui ne laisse aucun doute sur son identité, elle vient pour solliciter des chanoines le dégrèvement de quatre livres de rente qu'elle devait au corps capitulaire pour sa maison sise devant Saint-Merry, maison qui tombait en ruine [67]. Ne peut-on admettre que notre chanoine, avide de se renseigner sur les incidents peu connus du départ des Anglais, ait profité de cette occasion pour recueillir de la bouche de cette malheureuse veuve la relation de la fin tragique de son mari et des circonstances au milieu desquelles cette fin s'était produite? Sans insister outre mesure sur une coïncidence qui n'est peut-être due qu'au hasard, nous ne croyons pas inutile de la signaler à l'attention des érudits.

g. L'AUTEUR DU JOURNAL APPARTIENT AU CLERGÉ DE LA COLLÉGIALE DE SAINT-MARCEL.

De toutes les prébendes que recueillit Jean Chuffart dans le cours de sa longue existence, celle de Saint-Marcel fut la première dans l'ordre chronologique. Reçu chanoine de cette collégiale le 26 janvier 1432 au lieu et place de Jean Perrin [68], il obtint en 1437 le premier rang dans le chapitre. La date de sa réception comme doyen de Saint-Marcel peut se préciser par un acte du 7 septembre 1437, où nous voyons Jean Chuffart résigner la chapellenie de Sainte-Catherine en l'église paroissiale de Boulogne pour le doyenné de Saint-Marcel [69].

Le Journal parisien ne renferme que peu d'indications qui puissent se référer au chanoine de Saint-Marcel. Cependant nous citerons le paragraphe relatant une course des Armagnacs à Saint-Marcel dans la nuit du 7 mai 1433, c'est-à-dire à une époque où Jean Chuffart était déjà membre de la collégiale; cette incursion, peu importante en elle-même, dut causer au chanoine des préoccupations d'autant plus vives qu'il possédait dans ce bourg une maison devant l'Hôtel-Dieu, au coin de la rue de Bièvre, avec terres labourables, jardin et vignes.

C'est en nous mettant au même point de vue que nous relèverons dans le Journal parisien une double mention concernant Vitry-sur-Seine; la première, de l'année 1432, est relative à l'effondrement de l'église, qui fut foudroyée le jour de la Saint-Jean-Baptiste, au moment des vêpres; la seconde, du commencement de l'année 1434, nous renseigne sur le pillage et l'incendie du village par les Armagnacs. Pour qu'un chroniqueur ait cru devoir conserver le souvenir d'accidents locaux relativement aussi peu importants, il faut que ses intérêts personnels ou ceux de la communauté à laquelle il appartenait se soient trouvés engagés. Or le chapitre de Saint-Marcel avait des possessions à Vitry, et lors de la répartition des gros revenus faite entre les chanoines le 22 février 1437 [70], Vitry et les grands cens de Saint-Marcel furent attribués à Jean Chuffart qui, aux termes d'un bail passé le 24 août 1431, exploitait déjà sur le territoire de l'Hay et de Chevilly des biens d'une certaine importance [71].

h. L'AUTEUR DU JOURNAL PARISIEN EXPLOITE DES VIGNES A SAINT-MARCEL.

Un fait que l'on ne saurait mettre en doute, c'est que l'homme d'église à qui doit être attribué le Journal parisien se livrait à la culture de la vigne dans de vastes proportions et que la majeure partie de ses vignobles se trouvaient situés du côté de Saint-Marcel; notre texte va nous permettre d'établir ces divers points.

Les nombreux lecteurs du Journal parisien savent avec quel soin minutieux l'auteur note les accidents climatériques, les variations de la valeur des denrées, l'abondance ou la rareté des plantes potagères et des fruits, le prix du vin et du blé; mais personne n'a remarqué jusqu'ici l'importance extrême que notre chroniqueur semble attacher à la culture des vignes, ainsi qu'à tous ces détails qui ne peuvent guère intéresser qu'un vigneron, tels que l'époque de la floraison des vignes (en 1421), les gelées désastreuses qui, par parenthèse, le désolent au-delà de toute expression, la quantité de vin produite par un arpent, l'époque et le prix des vendanges, les dévastations systématiques des gens de guerre dans les vignobles. Si l'auteur du Journal enregistre maintes et maintes fois dans ses éphémérides la «grant foison» des hannetons, ce n'est pas, comme on pourrait le croire, dans un but futile, mais parce que ces insectes dévastaient les arbres plantés dans les vignes et jardins, tels que les amandiers et noyers. Il n'est pas d'année où l'on ne rencontre quelques lignes relatives aux vignes et vendanges, et plusieurs pages ne suffiraient pas pour relever tout ce qui a trait à ce sujet; nous nous bornerons à citer en note les passages les plus caractéristiques [72].

De telles particularités, l'on est forcé d'en convenir, n'auraient point pris place dans le Journal parisien, si son auteur n'eût été directement intéressé dans la question; un propriétaire de vignes pouvait seul se préoccuper du prix de la journée des vendangeurs et vendangeuses, et de l'octroi payé aux portes de Paris pour l'entrée des cuves des vendanges. Nous dirons plus, les vignes en question étaient sur le territoire de Saint-Marcel; ce fait ressort d'une façon évidente d'un passage du journal où l'auteur parle des vendanges de l'année 1424, «les plus belles que oncques on eust veu d'aage de homme»; après s'être étendu sur l'abondance exceptionnelle de la récolte et le renchérissement des futailles, il ajoute: «Tout homme de quelque estat, senon les gouverneurs,» de tant de queues de vin qu'ilz cuillirent chascun paia très grant rançon, car tous ceulx qui avoient vin devers la porte Sainct-Jaques et celle de Bordelles, paoient de chascune queue IIII solz parisis, forte monnoye, et de poinsons, de caques, de barilz, au feur des queues.»

Il est clair que si le chroniqueur note le prix que devaient payer «tous ceulx qui avoient vin devers la porte Sainct-Jaques et de Bordelles», c'est que ses vignes à lui se trouvaient dans les parages de ces deux portes.

Il convient maintenant d'examiner si le chanoine Chuffart répond à ces données de la chronique parisienne.

Par décision du 26 mai 1427, le chapitre de Notre-Dame lui avait concédé à titre viager une maison dans le bourg de Saint-Marcel, moyennant une rente annuelle de six livres, et sous la réserve que toutes les terres que Jean Chuffart pourrait acquérir sur le territoire de Saint-Marcel seraient hypothéquées en garantie du revenu [73]; le domaine en question se composant de maison, cour et jardin, était situé dans la grande rue du bourg, vis-à-vis l'Hôtel-Dieu, et comprenait des vignes d'une étendue assez considérable pour nécessiter l'établissement d'un pressoir dans l'immeuble appartenant au chapitre de Notre-Dame; ce fait qui se produisit au début de l'année 1430 constituait une grave atteinte aux droits du chapitre de Saint-Marcel, lequel se réservait le pressurage de toutes les vignes comprises dans l'étendue de sa juridiction. Le 30 février 1430, Jean Chuffart annonça au chapitre de Notre-Dame son intention de tenir tête aux chanoines de Saint-Marcel qui exigeaient la démolition du pressoir nouvellement édifié [74], ajoutant qu'il n'avait agi de la sorte qu'en vue des intérêts de l'église de Paris, assertion qui s'écartait un peu de la vérité; en effet, Jean Chuffart, en parlant ainsi, ne se proposait d'autre but que de se ménager l'appui de ses confrères. Le chanoine de Notre-Dame opposa une résistance d'autant plus vive qu'en l'année 1430 il y eut une récolte des plus abondantes et que les vins furent d'excellente qualité. Le procès s'engagea au Châtelet; les chanoines de Saint-Marcel, dans leur séance du 21 septembre 1430, décidèrent qu'ils interjetteraient appel de tout jugement rendu au profit de Jean Chuffart qui l'autoriserait à faire usage pour sa vendange du pressoir litigieux [75]. Deux jours après, une sentence de la prévôté de Paris déclarait qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte du délai de produire requis par le chapitre de Saint-Marcel [76]. Jean Chuffart eut donc gain de cause en première instance, mais les chanoines de Saint-Marcel ayant interjeté appel au Parlement, leur adversaire voulut absolument utiliser son pressoir pour les vendanges de l'année et fit rendre par provision un arrêt en date du 30 septembre 1430, par lequel il obtint de faire pressurer la vendange de ses vignes pour l'année courante, le droit de chacune des parties étant pleinement réservé [77].

L'affaire suivit son cours, et un mandement d'Henri VI, roi d'Angleterre, rendu le 11 décembre 1430 à la requête du chapitre de Saint-Marcel, ordonna au Parlement de procéder au principal dans la cause pendante entre Jean Chuffart et les chanoines. Dès la fin de janvier 1431, les chanoines de Saint-Marcel proposèrent d'entrer en arrangement, ce qui fut accepté, et le procès se termina par un accord homologué au Parlement le 11 avril 1431 [78]. Les registres capitulaires de Saint-Marcel nous montrent comment intervint une transaction entre le chapitre et son adversaire; Jean Chuffart vint en personne à la séance du 20 mars 1431 et, en présence de l'évêque de Paris appelé pour la circonstance, sollicita à titre gracieux l'autorisation de construire dans sa maison du bourg Saint-Marcel un petit pressoir sans arbre, et d'en faire usage, sa vie durant, pour la vendange de ses vignes. Le chapitre accéda à cette demande le 4 mai suivant, à charge d'une redevance annuelle de 12 deniers parisis, et, pour couper court à toute contestation, s'empressa l'année suivante d'admettre Jean Chuffart parmi ses membres [79]. Voilà donc un ensemble de faits qui établit catégoriquement la possession de vignes par notre auteur du côté de la porte Bordelles.

Indépendamment de ses vignobles de Saint-Marcel, le chanoine Jean Chuffart exploitait encore à Fontenay, depuis le 22 novembre 1426, quatre arpents de vignes qu'il s'était fait concéder par le chapitre de Notre-Dame, avec un pressoir refait à neuf et deux masures adjacentes, moyennant 8 livres parisis de rente annuelle [80]; il possédait également des vignes sur le territoire de Villejuif. En 1430 le même chanoine récolta une partie des vins de Mons [81]. Au commencement d'octobre 1436, lors de la perception d'une taxe de quatre sols sur chaque queue de vin entrée à Paris, Jean Chuffart, qui remplissait alors les fonctions de chambrier clerc, saisit le chapitre de la question en ce qui concernait les vignes de Mons [82] et s'occupa avec ses confrères des voies et moyens à mettre en œuvre pour échapper à cet impôt. Ne peut-on rapprocher ce fait de ce passage du Journal relatif aux vendanges de 1436, où l'auteur se plaint longuement, et avec une certaine amertume, de la cherté de ces vendanges et des droits élevés que les gouverneurs de Paris faisaient percevoir aux portes de Paris sur chaque «hotteur» et sur chaque charrette amenant des cuves de vendange?

Jean Chuffart, avons-nous dit plus haut, fut investi par le chapitre de l'office de chambrier clerc, et pendant plus de vingt années ne cessa de veiller sur le temporel de Notre-Dame. Lorsqu'au mois d'octobre 1433 les chanoines jugèrent à propos de centraliser entre les mains de quelques-uns d'eux l'administration de leurs biens qui ne faisait que péricliter, ils choisirent Jean Chuffart avec deux de ses confrères. On voit par le règlement rédigé à cette époque que les trois chanoines délégués avaient pour mission de recevoir tout ce qui appartenait à Notre-Dame, tant des offices de la chambre, des anniversaires, des matines, des stations, que des rentes et revenus afférents aux enfants de chœur et aux prévôtés; ils devaient également faire déposer dans les greniers et celliers du chapitre les grains et vins amenés à Paris. Le 13 juillet 1444, Jean Chuffart, tant en son nom qu'au nom de ses collègues d'Orgemont et Moustardier, rendit compte de sa gestion et se fit délivrer quittance en règle.

La multiplicité et variété extrême des détails dans lesquels devaient entrer celui ou ceux des chanoines qui s'occupaient du temporel de Notre-Dame explique aisément pourquoi l'auteur du Journal, qui était, ne l'oublions pas, du corps de Notre-Dame, attache une si grande importance à toutes ces particularités relatives au prix du vin et du blé, à l'abondance ou à la rareté des biens de la terre, céréales, fruits et légumes; on comprend mieux le soin avec lequel le chroniqueur note les accidents de la température, tels que les gelées de mai, les pluies excessives, les chaleurs prolongées, les dégâts des hannetons, tout ce qui en un mot pouvait compromettre les récoltes. L'auteur du Journal, quoique s'intéressant d'une façon toute spéciale aux vignes, ne néglige point les autres cultures; aussi le voit-on s'apitoyer sur les malheurs des habitants des campagnes ruinés par les incursions des gens de guerre qui prenaient tout ce qui pouvait s'emporter et détruisaient le reste. Cette sollicitude n'est point une simple question d'humanité: Jean Chuffart faisait valoir des terres de labour aux environs de Paris, notamment à l'Hay et à Chevilly, au Bourget et à Blanc-Mesnil, il est tout naturel qu'il s'inquiète du sort des laboureurs.

i. L'AUTEUR DU JOURNAL APPARTIENT A PLUSIEURS CONFRÉRIES PARISIENNES.

Dans maintes occasions, l'auteur du Journal témoigne d'un certain intérêt pour les confréries parisiennes, il connaît leur situation morale et pécuniaire; il éprouve un réel chagrin lorsqu'il nous montre les confréries épuisant leurs ressources pour acquitter leur part des lourdes contributions imposées aux Parisiens. Ainsi, au mois de septembre 1437, notre chroniqueur ne manque pas de nous dire que les conseillers de Charles VII firent main basse sur l'argent monnayé «qui estoit ou tresor des confreries». En 1441, lors du siège de Pontoise et de la venue du roi à Saint-Denis, notre Journal nous apprend que les confréries parisiennes furent menacées dans leur existence. «Les faulx conseilliers» du roi projetèrent non seulement de s'emparer de tout l'argent possédé par les confréries, mais encore d'en réduire le nombre; ils réussirent à les diminuer de moitié et portèrent un coup funeste au service religieux. Notre chroniqueur ne se borne pas à nous entretenir des confréries à un point de vue général, il laisse parfois deviner ses préférences personnelles pour telle ou telle confrérie dont il devait être membre; on remarque notamment que dans la relation fort succincte des obsèques de la duchesse de Bedford, il consacre une mention spéciale à la Grande Confrérie aux Bourgeois. Or nous savons par le testament de Jean Chuffart que ce chanoine était membre de la Grande Confrérie aux Bourgeois et de la confrérie de Saint-Augustin qui avaient leur siège à Notre-Dame, et qu'il faisait également partie de celle des merciers en l'église des Innocents. En pensant à cette dernière confrérie, il est difficile de ne point se reporter au long paragraphe de notre journal relatif à la mise en interdit de l'église des Innocents en 1437; pendant vingt-deux jours, dit le chroniqueur, le service divin fut interrompu, et les confréries qui avaient leurs services assignés dans cette église se transportèrent en la chapelle Saint-Josse.

Voici, pour nous résumer, les résultats que nous avons obtenus par l'étude attentive du Journal parisien.

En premier lieu, l'auteur du Journal se désigne au nombre des prêtres qui participèrent à une procession du clergé de Notre-Dame, circonstance qui permet au président Fauchet d'émettre cette opinion que notre chroniqueur devait appartenir «au corps de Notre-Dame»; or, Jean Chuffart nous apparaît dès 1420 comme chanoine de cette église.

2o L'auteur du Journal, sympathique d'abord à la cause anglo-bourguignonne, abandonne cette cause et embrasse le parti de Charles VII après 1436; or nous voyons Jean Chuffart prêter serment aux Anglais en 1429, et se rallier ensuite au gouvernement français en acceptant dès 1437 un poste de conseiller au Parlement de Paris.

3o L'auteur du Journal s'occupe des moindres incidents du siège de Meaux et rapporte des particularités inconnues de tout autre chroniqueur; or Jean Chuffart se rendit, en janvier 1422, auprès du roi d'Angleterre, avec une mission officielle du chapitre de Notre-Dame.

4o L'auteur du Journal se met en scène parmi les plus parfaits clercs de l'Université et montre par là qu'il devait occuper dans le monde universitaire une situation importante; or nous constatons que Jean Chuffart fut recteur de l'Université en 1422 et qu'il fit partie du corps enseignant en qualité de docteur régent de la faculté de décret.

5o L'auteur du Journal se révèle dans plusieurs passages de sa chronique comme l'un des clercs attachés à la maison d'Isabeau de Bavière; or, Jean Chuffart remplit pendant nombre d'années les fonctions de chancelier de cette reine.

6o L'auteur du Journal témoigne à une certaine époque d'un intérêt particulier pour l'église et le cimetière des Innocents; or, à cette même époque, Jean Chuffart, soit comme chanoine de Sainte-Opportune, soit comme chanoine et doyen de Saint-Germain-l'Auxerrois, eut journellement à s'occuper de l'église et du cimetière des Innocents.

7o, 8o L'auteur du Journal parle souvent de Saint-Marcel et de la récolte des vins faite sur le territoire de Saint-Marcel; or, Jean Chuffart, chanoine et doyen de la collégiale de ce nom, possédait et exploitait dans ce bourg des vignes d'une certaine importance.

Enfin l'auteur note dans son Journal le prix des denrées, les variations atmosphériques de toute nature, les dégâts causés aux récoltes; or, Jean Chuffart, comme chambrier clerc de Notre-Dame, fut constamment chargé de veiller au temporel du chapitre et dut se préoccuper de tous ces accidents, de tous ces détails relatifs aux biens de la terre auxquels s'intéresse tout particulièrement l'auteur du Journal.

On voit que l'attribution du Journal parisien au chanoine Jean Chuffart peut se défendre par de nombreux et sérieux arguments.

Nous espérons donc que le public voudra bien accueillir nos conjectures sans défaveur, et que M. Longnon lui-même, si nous ne réussissons pas à le convaincre, reconnaîtra que ces conjectures s'appuient sur un ensemble de faits à tout le moins digne d'attention.

JOURNAL D'UN BOURGEOIS

DE PARIS

DE 1405 A 1449.

[1405]. [83]

1. ..... Et environ dix ou doze jours après, furent changées les serreures et clefs des portes de Paris, et furent faiz monseigneur de Berry et monseigneur de Bourbon cappitaines de la ville de Paris, et vint si grant foueson de gens d'armes à Paris que aux villaiges d'entour ne demeurerent aussi comme nulles gens; toutesvoies les gens du dessusdit duc de Bourgongne ne prenoient riens sans paier, et comptoient tous les soirs à leurs hostes et poioient tout sec en la ville de Paris [84]. Et estoient, ce temps durant, les portes de Paris fermées, ce non IIII, c'est assavoir la porte Sainct-Denis, Sainct-Anthoine, Sainct-Jacque et Sainct-Honoré. Et le dixiesme jour de septembre ensuivant furent murées de plastre la porte du Temple, la porte Sainct-Martin et celle de Montmartre [85].

2. Et le vendredi ensuivant, XIIe jour dudit moy, aryva à Paris l'evesque du Liege [86], et lui fist faire serement le prevost de Paris et autres, à l'entrée de la porte Sainct-Denis, que il ne seroit contre le roy, n'encontre la ville, ne lui, ne les siens, mais leur seroit garant de trestout son povair, et ainsi le promist-il par la foy de son corps et par son signeur, et après entra à Paris et fut logé en l'ostel de la Trimoullie [87]. Et icellui jour après sa venue, fut crié ce, que on mist des lanternes à bas les rues et de l'eaue aux huis, et aussi le fist-on. Et le XIXe jour dudit moys de septembre, fut crié et commandé que on estoupast les pertuys qui donnoient clarté dedens les celiers. Et le XXIIIIe jour ensuivant, fut commandé par trestous les [fevres [88]] et marechaux [89] de Paris et chauderonniers que on feist des chaisnes [90] comme autresfoiz avoient esté, et lesdiz ouvriers de fer commancerent le lendemain et ouvrerent festes et dimenches et par nuit et jour. Et le XXVIe jour dudit moys de septembre, fut crié [91] parmy Paris que, qui auroit puissance d'avoir armeure, si en achetast pour garder la bonne ville de Paris.

3. Et le Xe jour d'octobre ensuivant, jour de sabmedi, vint telle esmeute en la ville de Paris, comme on pouroit gueres veoir sans savoir pourquoy; mais on disoit que le duc d'Orleans estoit à la porte de Sainct-Anthoine à toute sa puissance, dont il n'estoit riens; et les gens du duc de Bourgongne s'armerent, car les gens de Paris furent si esmeuz, comme ce tout le monde feust contre eulx et les voulsist destruire, et si ne sceut on oncques pourquoy ce feust.

[1408.]

4. ..... dont il leur print mal, car il en mourut là plus de XXVI mil, et fut le XXIIIe jour de septembre cccc et huit, et en tant que la guerre dura, par feu, par fain, par froit, à l'espée plus de XIIIIm; or sont bien quarante mil [92].

5. Le XVIe jour de novembre ensuivant, à ung sabmedi, les davantdiz signeurs, c'est assavoir Navarre, Loys, etc., enmenerent le roy à Tours, dont le peuple fut moult troublé; et disoient bien que, ce le duc de Bourgogne eust (esté) icy, qu'ilz ne l'eussent pas fait, ainsi le firent; et là fut, que là que à Chartres, XVII sepmaines, et par plusieurs foys y fut le prevost des marchans [93] et des bourgois de Paris, qui y furent mandez, et si n'y arresterent oncques preu pour eulx ne pour le peuple.

[1409.]

6. Le neufviesme jour de mars ensuivant revint le duc de Bourgongne à tout noble gent, et le XVIIe jour dudit moys de mars à ung dymenche amenerent le roy à Paris, qui fut receu le tres plus honnorablement qu'on vit passé à deux cens ans, car tous les sergens, comme du guet, ceulx de la marchandise, ceulx à cheval, ceulx à verge, ceulx de la XIIne avoient diverses livrées toutes especialment de chapperons, et tous les bourgois allerent à l'encontre de lui. Devant lui avoit XII trompettes et grant foueson menestrées, et, partout où il passoit, on crioit [tres joieusement]: «Nouel!» et gectoit on viollettes et fleurs sur lui, et au soir soupoient les gens emmy les rues par tres joyeuse chere, et firent feus tout partout Paris, et bassynoient de bassins tout parmy Paris [94]. Et le lendemain vint la royne et le daulphin, si refust la joie si tres grande comme le jour de devant ou plus, car la royne vint le plus honnorablement qu'on l'avoit oncques veue entrer à Paris depuis qu'elle vint la premiere foys.

7. Le XXVIe jour de juing ensuivant, fut fait le Saint Pere, c'est assavoir Pierre de Candye [95], et le lundi VIIIe jour de juillet ensuivant fut sceu à Paris. On en fist moult noble feste, comme quant le roy vint de Tours, comme devant est dit, et par tous les moustiers de Paris on sonnoit moult fort et toute nuyt aassi.

8. L'an mil IIIIe et IX, le jour de la my aoust, fist tel tonnoyre, environ entre cinq ou six heures au matin, que une ymaige de Nostre Dame, qui estoit sur le moustier de Sainct-Ladre, de forte pierre et toute neufve, fut de tonnoyrre tempestée et rompue parmi le mylieu, et portée bien loing de là; et à l'entrée de la Villette Sainct-Ladre [96] au bout de devers Paris, furent deux hommes tempestez, dont l'un fut tué tout mort, et ses soulliers et ses chausses, son gippon furent touz dessirez, et si n'avoit point le corps entamé; et l'autre homme fut tout afollé.

9. Item, le lundi VIIe jour d'octobre ensuivant, assavoir IIIIe et IX, fut prins ung nommé Jehan de Montagu, grant maistre d'ostel du roy de France, emprès Sainct-Victor, et fut mis en Petit Chastellet; dont il avint telle esmeute à Paris à l'eure qu'on le print, comme ce tout Paris fust plain de Sarazins, et si ne savoit nul pourquoy ils s'esmouvoient [97]. Et le print ung nommé Pierre des Essars, qui pour lors estoit prevost de Paris; et furent les lanternes commandées à alumer, comme autresfois, et de l'eaue à l'uis, et toutes les nuys le plus bel guet à pié et à cheval qu'on vit gueres oncques à Paris, et le faisoient les mestiers l'un après l'autre.

10. Et le XVIIe jour dudit moys d'octobre, jeudy, fut le dessusdit grant maistre d'ostel mis en une charrette, vestu de sa livrée, d'une houppelande de blanc et de rouge, et chapperon de mesmes, une chauce rouge et l'autre blanche, ungs esperons dorez, les mains liées devant, une croix de boys entre ses mains, hault assis en la charrette, deux trompettes devant lui, et en cel estat mené es halles. Là lui on coupa la teste, et après fut porté le corps au gibet de Paris, et pendu au plus hault, en chemise, à toutes ses chausses et esperons dorés, dont la rumeur dura à aucun des signeurs de France, comme Berry, Bourbon, Alençon et plusieurs autres [98].

[1410.]

11. Dont il advint l'année ensuivant mil IIIIc et X, environ la fin d'aoust, que chascun en droit soy admena tant de gens d'armes autour de Paris, que à XX lieues environ estoit tout degasté; car le duc de Bourgongne et ses freres admenerent leur puissance de devers Flandres et Bourgongne, mais ilz ne prenoient que vivres ceulx au duc de Bourgongne ne à ses aidans, mais trop largement en prenoient. Et les gens de Berry et de ses aidans pilloient, roboient, tuoient en eglise et dehors eglise, especialment ceulx au conte d'Armignac et les Bretons [99] dont si grant charté s'ensuivy [de pain] [100], que plus d'un moys, le sextier de bonne farine valloit LIIII frans [ou LX], dont les pauvres gens de ville comme au desespoir, fuoient; et leur firent plusieurs escarmouches et en tuerent moult.

12. Et tout ce n'estoit que pour l'envie qu'ilz avoient, pour ce que les gens de Paris amoient tant le duc de Bourgongne et le prevost de Paris nommé Pierre des Essars, pour ce qu'il gardoit si bien la ville de Paris. Car toute nuyt et toute jour il alloit tout parmy la ville de Paris, tout armé, lui et grant foison de gens d'armes, et faisoit faire aux gens de Paris toutes les nuys le plus bel guet qu'ilz povoient, et ceux qui n'y povoient aller faisoient veiller davant leur maison, et faire grans feuz par toutes les rues jusques au jour, et y avoit quarteniers, cinquanteniers, diseniers qui ce ordonnoient. Dont ceulx de devers Berry tindrent si court ceulx de Paris par devers la porte Sainct-Jacques, Sainct-Marceau [101], Sainct-Michel, que les vignes demourerent à vendenger et les semailles, et plus, à quatre lieues entour de Paris devers lesdictes portes, jusques à la sainct Climent encore vendengeoit-on, et par la grace de Dieu il y avoit tres pou de pouris, car il fist tres bel temps, mays ilz ne se povoient eschaufer es cuves. Et si ne venoit pain à Paris qu'i ne couvenist aller querre à force de gens d'armes par eaue et par terre. Et y avoit ung chevalier logé à la Chappelle-St-Denis, nommé messire Morelet de Betencourt [102], qui alloit querre le pain à Sainct-Brice [103] et ailleurs, lui et ses gens, tant que ce contens dura, qui dura jusques à la Toussains.

13. Et ung pou devant, avoit presché devant le roy le ministre des Mathurins [104], tres bonne personne, et monstra la crualité que ilz faisoient par deffaulte de bon conseil, disant qu'il failloit qu'il y eust des traistres en ce royaulme; dont ung prelat, nommé le cardinal de Bar, qui estoit audit sermon, le desmenty et nomma «villain chien», dont il fut moult hay de l'Université et du commun, mais à pou lui en fu, car il praticoit grandement avecques les autres qui portoient chascun une bende, dont il estoit embassadeur par le duc de Berry, et portoit celle bende [105], et tous iceulx de par luy. Et ce tindrent tellement en celle bende qu'il couvint que ledit prevost fust desposé [106] pour l'envie qu'ilz avoient sur le commun de Paris qu'il gardoit si bien, car aucuns et le plus de la bende [107] cuidoient de certain que on deust piller Paris. Et tout le mal qui ce faisoit de delà, chascun disoit que ce faisoit le conte d'Armignac, tant estoit de malle voulenté plain, et pour certain on avoit autant de pitié de tuer ces gens comme de chiens; et quelconques estoit tué de delà, on disoit: «C'est un Armignac [108]», car ledit conte estoit tenu pour tres cruel homme et tirant et sans pitié. Et certain, ceulx de ladite bende eussent fait du mal plus largement, ce ne fust le froit et la famine qui les fist traictier comme une chose non achevée, comme pour en charger arbitres. Et fut fait environ le VIe jour de novembre mil IIIIc et X3 [109], et s'en alla chascun à sa terre jusques à ce que on les mandast, et qui a perdu si a perdu; mais le royaulme de France ne recouvra la perte et le dommaige qu'ilz firent en vingt ans ensuivant, tant viengne bien.

14. Et en ce temps fut la riviere de Saine si petite, car oncques on ne la vit à la sainct Jehan d'esté plus petite qu'elle estoit à la sainct Thomas devant Noel; et neantmoins, par la grace de Dieu, on avoit à Paris en ce temps, environ cinq sepmaines après l'allée des gens d'armes, tres bon blé pour XVIII ou pour vingt solz parisis le sextier.

[1411.]

15. Nota que le mardi darrain jour de juing IIIIc et XI, jour de sainct Paul, environ huit heures après disner, gresla, venta, tonna, espartit le plus fort que homme qui adonq fust eust oncques veu [110].

L'an mil CCCC et XI ensuivant, recommancerent ceulx de la bende à faire [111] leur mauvaise vie, car en aoust, vers la fin, vindrent devant Paris, du costé de devers Sainct-Denis, et deffierent le duc de Bourgongne, et fist chascun son assemblée vers Montdidyer. Mais que les bandez sceurent la belle compaignie que Bourgongne avoit, ilz ne l'oserent oncques assaillir, et si les attendit-il par cinq sepmaines. Quant le duc vit la chose, il dist que ilz n'avoient guerre que au roy et à la bonne ville de Paris, lors renvoya ses communes et les convoya [112] grant païs [113].

16. Et les faulx bendez Armignaz commencerent à faire tout le pis que ilz povoient, et vindrent au plus pres de Paris, en plaines vendenges, c'est assavoir, environ mynuit entre sabmedy et dimenche, IIIe jour d'octobre mil IIIIc et XI, furent à Pantin, à Sainct-Ouin, à la Chappelle-Sainct-Denis, à Monmartre, à Glinencourt et par tous les villaiges d'entour Paris dudit costé, et assegerent Sainct-Denis. Et firent tant de maulx, comme eussent fait Sarazins, car ilz pendoient les gens, [les uns] par les poulces, autres par les piez, les autres tuoient et rançonnoient, et efforçoient femmes, et boutoient feuz, et quiconcques ce feist, on disoit: «Ce font les Armignaz [114]», et ne demeuroit personne esdiz villaiges que eulx mesmes. Cependent vint Pierre des Essars à Paris, et fut prevost comme devant [115], et fist tant que on cria parmy Parys que on abandonnoit les Armignaz, et qui pouroit les tuer si les tuast et prinst leurs biens [116]. Si [y alla moult de gens qui plusieurs foys leur] firent dommaige et, par especial, compaignons de villaige, que on nommoit brigans [117], qui s'assemblerent et firent du mal assez soubz l'ombre de tuer les Armignaz.

17. En ce temps prindrent ceulx de Paris chapperons de drap pers et la croix Saint Andrieu, ou millieu ung escu à la fleur de lis [118]; et en maint de quinze jours avoit à Paris cent milliers, que hommes que enfens, signez devant et derriere de ladicte croix, car nul n'yssoit de Paris qui ne l'avoit.

18. Item, le XIIIe jour d'octobre, prindrent les Arminaz le pont de Sainct-Cloud par ung faulx traistre qui en estoit cappitaine, que on nommoit Colinet de Pisex [119], qui leur vendy et livra, et furent tuez moult de bonnes gens qui estoient dedens, et tous les biens perduz, dont il y avoit grant foison, car tous les villaiges d'entour y avoient leurs biens, qui furent tous perduz par le faulx traistre.

19. Item, le XXIIIIe [120] jour d'octobre, prindrent Sainct-Denis, comme Sainct-Cloud par traïson d'aucuns qui estoient dedens, si comme on disoit que le signeur de Chaalons [121] en estoit consentent, lequel estoit au duc de Bourgongne.

20. Quant les bendez furent maistres des deux, de Sainct-Cloud et Sainct-Denis, ilz s'enorgueillirent tellement qu'ilz venoient jusques aux portes de Paris, car leurs signeurs estoient logez à Monmartre [122] et veoient [123] jusques dedens Paris, et qui y entroit et yssoit, dont ceulx de Paris avoient grant doubte. En ce temps avoit à Paris ung escuier nommé Enguerren de Bournonville [124] et ung nommé Amé de Vrey [125] qui moult leur firent d'escarmouches et de jour et de nuit, car les Arminaz doubtoient plus ces deux hommes que le conte de Sainct-Paul et toute sa puissance, qui lors estoit comme cappitaine de Paris, et portait en sa baniere fleur de bourache.

21. Item, le XVIe jour d'octobre, estoient les Arminaz emprès le moullin à vent au-dessus de Sainct-Ladre. Adong yssirent ceulx de Paris sans gouverneur [126] et allerent sur eulx tous nuds d'armes, fors que de trait et de picques de Flandres, et les autres estoient bien armez et vindrent sur la chaussée à eulx, et tantost en tuerent bien de LX à IIIIxx, et leur osterent quant qu'ilz avoient jusques aux brayes, et plus en eussent tué largement, ce ne fust le chemin qui estoit estroit et la nuyt qui venoit, car non pourtant moult de ceulx de Paris furent navrez, ainsi advint [127].......

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22. Adong estoient ceulx de Paris moult esbahiz, car on ne savoit nulle nouvelle du duc de Bourgongne, et cuidoit-on qu'il fust mort, et il estoit allé traicter aux Englois en Engleterre, et revint à Paris le plus tost qu'il pot, et y entra le XXIIIe jour d'octobre oudit an [128], et amena en sa compaignie bien de VII à VIIIm Englois avec ses gens [129]. Et le XXVe jour dudit moys allerent les Angloys escarmoucher au moulin à vent, et tuerent moult des Arminaz et de leurs chevaulx par force de traict.

23. Item, le VIIIe jour de novembre ensuivant oudit an, fist chascune disenne selon sa puissance de compaignons vestus de jacques et armez, et firent leur monstre cedit jour, et furent bien XVI ou XVII cens, tretous fors hommes. Et ce jour, environ dix heures de nuit, party de Paris le duc de Bourgongne, avec lui les compaignons dessusdiz et les Anglois, et alla toute nuyt à Sainct-Cloud, et party par la porte Sainct-Jacques et, quant il fut devant le pont de Sainct-Cloud, il fut le point du jour [130]. Adong il fist assaillir ledit pont et la ville qui estoit toute plaine de tres puissans gens d'armes Arminaz qui moult se deffendirent, mais pou leur valut, car tantost furent desconfiz et tous mis à l'espée, et furent bien VIc tués. Et le faulx traistre qui avoit vendu ledit pont fut prins en l'eglise de Sainct-Cloud, au plus hault du clocher, vestu en habit d'un prestre. Il fut admené à Paris en prinson, et le duc de Bourgongne fist mettre le feu dedens le pont leveys, dont il s'en noya bien iiic [de paour et] de haste d'entrer en la tour. Et dit on que ce fut ung des beaux assaulx que on eust point veu passé a long temps [131], car une partie de la plus grant force des Arminaz estoient en la tour, si que on ne la peust avoir si legierement, et aussi tous les Arminaz de Sainct-Denis y vindrent de l'autre costé de l'eaue, si ne porent riens faire l'un à l'autre que gaster leur traict. Lors fist le duc de Bourgongne retraire ses gens, et s'en revint à Paris pour aller assaillir ceulx de Sainct-Denis. [Et le lendemain allerent à Sainct-Denis] le prevost, et Enguerren et ceulx de Paris, mais ilz n'y en trouverent nulz: tous s'en estoient fuiz la nuyt de devant, et passé la rivyere par ung pont de boys qu'ilz avoient fait en ladicte ville de Sainct-Denys.

24. Et ce jour que noz gens furent à Sainct-Denys estoit la vigille sainct Martin d'yver, et fut ce jour faicte procession generalle à Nostre-Dame de Paris, et là, devant tout le peuple, fut maudicte et excommuniée toute la compaignie des Arminaz, et tous leurs aidans [132] et confortans [133], et furent nommez par nom tous les grans signeurs de la maldicte bande, c'est assavoir: le duc de Berry, le duc de Bourbon, le conte d'Alençon, le faulx conte d'Arminac, le connestable [134], l'archevesque de Sens [135] frere du devantdit Montaigu, Robert de Tuillieres lieutenant du prevost de Paris, frere Jacques le Grant [136] augustin, qui le pis conseilloit de tous; et furent excommuniez de la bouche du Sainct Pere, tellement qu'ilz ne povoient estre absoulz par prestre nul, ne prelat, que du Sainct Pere et en article de mort. Et ii ou iii foys devant avoit [esté] faicte à Paris telle procession et tel excommuniement sur la faulce bande.

25. Item, le jeudi XIIe jour de novembre, oudit an, fut mené le faulx traistre Colinet de Pisex, lui VIIe, es halles de Paris, lui estant en la charrette sur ung aiz plus hault que les autres, une croix de fust en ses mains, vestu comme il fut prins, comme ung prestre. En telle maniere fut mis en l'eschauffaust et despoullié tout nu, et lui coppa on la teste à lui VIe, et le VIIe fut pendu, car il n'estoit pas de leur faulce bande. Et ledit Colinet, faulx traistre, fut despecé les quatre membres, et à chascune des maistres portes de Paris l'un de ses menbres pandu, et son corps en ung sac au gibet, et leurs testes es halles sur six lances, comme faulx traistres qu'ilz estoient; car on disoit tout certainement [137] que ledit Colinet, par sa faulce et desloyaute traïson, fist dommaige de plus de IIm lyons [138] en France, sans plusieurs bonnes gens qui estoient avec lui, qu'il fist tuer les uns, les autres rançonner, les autres emmener en tel lieu que en ouy puis nouvelles, puis fist-on maintes justices.

Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449

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