Читать книгу Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449 - Anonyme - Страница 8

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116. Item, les festes de Nouel ensuivant, c'est assavoir, IIIIc et XIIII, fut fait par le roy le conte d'Alençon duc d'Alençon, et fut faicte duchié qui n'estoit que conté, ne oncques mais n'avoit esté duchié jusques à cellui jour; ainsi en fut [273].

[1415.]

117. Item, à l'entrée de fevrier ensuivant, jouxterent le roy et les grans [274] signeurs en la grant rue Sainct-Anthoine, entre Sainct-Anthoine et Saincte-Katherine du Val des Escolliers, et y avoit barrieres. En ces jouctes [275] vint le duc de Breban pour traicter la paix, et jouxta et gaigna le prix.

118. Ad ce temps estoient les Anglois à Paris pour traicter d'ung mariaige à une des filles du roy de France [276].

119. Item, le mardi XIXe jour, (fut) depposé de la prevosté de Paris Andry Marchant, qui autresfois avoit été depposé par ses desmerites, mais il finoit [277] touzjours par argent, fors que à celle foys en ladicte prevosté fut remis sire Tenneguy du Chastel la IIe ou la IIIe foys.

120. Mais en ce temps aussi estoient chevaliers d'Espaigne et de Portingal, dont trois du Portingal [278], bien renommez de chevallerie prindrent par ne sçay quelle folle entreprinse champ de bataille encontre trois chevaliers de France, c'est assavoir, François de Gringnos, la Rocque, Morigon [279]; et fut à oultrance ordonné au XXIe jour de fevrier, vigille Sainct Pere, à Sainct-Ouyn, et fut avant soleil resconcé qu'ilz entrassent en champ, mais en bonne vérité de Dieu, ilz ne mirent pas tant que on mettroit à aller de la porte Sainct-Martin à celle de Sainct-Anthoine, à cheval, que les Portingalloys ne fussent desconfiz par les trois Françoys, dont la Roque fut le meilleur.

121. Item, le sabmedi ensuivant, vigille Sainct Mathieu, fut la paix criée parmy Paris à trompettes [280] et disoit chascun que ce avoit fait le duc de Breban; et fist on à ce sabmedy plus de feuz parmy Paris que toutes les autres foys devant dictes, et si estoit les IIII temps des Brandons.

122. Item, environ sept ou huit jours en mars, fut Saine si cruelle à Paris que ung moulle de buche valloit IX ou X solz parisis, et ung cent de costeretz, qui les voulloit avoir bons, XXVIII ou XXXII solz p.; le sac de charbon, XII s. p.; bourrées, foing, semblablement [281]; tuylle, plastre, en la maniere. Et si sachez que depuis la Toussaint jusques à Pasques, ne fut oncques jour qu'il ne cheist (eaue) de jour ou de nuyt, et dura la grant eaue jusques en my-avril [282] que on ne povoit aller es marez entre Sainct-Anthoine et le Temple, ne dedens la ville, ne dehors.

123. Item, le XVIIe jour d'avril [283] fut monseigneur de Guienne en l'ostel de la ville, et ordonna trois eschevins nouveaulx, c'est assavoir, Pierre de Grant-Rue [284], Andriet d'Esparnon et Jehan de Louviers [285], et depposa Pierre Oger, Jehan Marcel [286], Guillaume Cirasse.

124. Item, le jour Sainct Marc ensuivant, fut criée parmy Paris la paix à trompettes, sur peine de perdre corps et biens qui la contrediroit.

125. Item, le moys d'aoust ensuivant, au commencement aryva le roy d'Engleterre à toute sa puissance en Normendie, et print port emprès Harefleu, et assegea Harefleu et les bonnes villes d'entour.

126. Item, monsieur de Guienne, filz ainsné du roy, se party de Paris le premier jour de septembre, à ung dimenche au soir, à trompes, et n'avoit que jeunes gens avec lui, et party pour aller contre [287] les Angloys [288]; et le roy de France, son pere, se parti le IXe jour ensuivant pour aller après son filx, et alla à Sainct-Denis au giste. Et tantost après fut cueillie à Paris la plus grant taille qu'on eust vu cueillir d'aage de homme, qui nul bien ne fist pour le prouffit du royaulme de France [289], ains estoit tout gouverné par lesdiz bandez, car Harefleu fut prins par les Engloys oudit moys de septembre, le XIIIIe jour [290], et tout le pais gasté et robbé, et faisoient autant de mal les gens d'armes de France aux pouvres gens, comme faisoient les Angloys, et nul autre bien n'y firent.

127. Et si fist [291] bien, VII ou VIII sepmaines puis que les Angloys furent arivez, aussi bel temps comme on vit oncques point faire en aoust et en vendenges, jour de vie de homme, et aussi bonne année de tous les biens, mais neantmoins, pour ce, ne s'avanssa oncques nulz [292] des signeurs de France de combatre les Anglois qui là furent.

128. Item, les dessusdiz bandez, le Xe jour d'octobre, l'an mil IIIIc et XV, firent à leur posté ung prevost des marchans nouvel et quatre eschevyns, c'est assavoir, le prevost des marchans, Philippe de Breban [293], filx d'un impositeur; les eschevins, Jehan du Pré, espicier [294], Estienne de Bonpuis, pelletier [295], Regnault Pidoye, changeur [296], Guillaume d'Ausserre, drappyer. Et si estoient le roy et monseigneur de Guienne à ce jour en Normendie, l'un à Rouen, et l'autre à Vernon [297]; ne oncques ceulx de Paris n'en sceurent rien, tant que ce fut fait, et furent moult esbahiz le prevost des marchans et les eschevins qui devant estoient, quant on les depposa sans autre [298] mandement du roy ne du duc de Guienne, ne sans le sceu des bourgoys de Paris [299].

129. Item, le XXe jour dudit moys ensuivant, les signeurs de France ouïrent dire que les Anglois s'en alloient par la Picardie, si les tint monseigneur de Charrollays si court et de si près qu'ilz ne porent passer par où ilz cuidoyent. Adonq allerent après tous les princes de France, sinon vi ou vii, et les trouverent en ung lieu nommé Agincourt, près de Rousseauville; et en ladicte place, le jour Sainct Crespin et Crespinien, se combatirent à eulx; et estoient les Françoys plus la moictié que Angloys, et si furent Françoys desconfys et tuez, et prins des plus grans de France.

130. Item, tout premierement, le duc de Breban [300], le conte de Nevers [301], freres du duc de Bourgongne, le duc d'Alençon [302], le duc de Bar [303], le connestable de France Charles de Labrait [304], le conte de Marle [305], le conte de Roussy [306], le conte de Psalmes [307], le conte de Vaudesmons [308], le conte de Dampmartin [309], le marquis du Pont. Ceulx cy nommez furent tous mors en la bataille, et bien trois mil esperons dorez sur les autres; mais de ceulx qui furent prins et menez en Angleterre, le duc d'Orleans, le duc de Bourbon, le conte d'Eu [310], le conte de Richemont [311], le conte de Vendosme [312], le mareschal Boussiquault [313], le filx du roy d'Ermenie [314], le sire de Torsy, le sire de Helly [315], le sire de Mouy, [monseigneur de Savoysi] et plusieurs autres chevaliers et escuiers dont on ne scet les noms. Oncques, puis que Dieu fut né, ne fut fait telle prinse en France par Sarazins ne par autres, car avec eulx furent mors plusieurs bailliz de France [316], qui avoient avecques eulx admenez les communes de leurs bailliaiges, qui tous furent mis à l'espée, comme le bailly de Vermendoys et ses gens, le bailly de Mascon et ses gens, celuy de Sens et ses gens, celuy de Senliz et ses gens, celuy de Caen et ses gens, le bailly de Meaulx et ses gens; et disoit on communement que ceulx qui prins estoient n'avoient pas esté bons ne loyaulx à ceulx qui moururent en bataille.

131. Environ trois sepmaines après, vint le duc de Bourgongne assez près de Paris, moult troublé de la mort de ses freres et de ses hommes, pour cuider parler au roy ou au duc de Guienne, mais on lui manda qu'il ne fust si hardy de venir à Paris. Et fist on tantost murer les portes, comme autresfois, et se logerent plusieurs cappitaines au Temple, à Sainct-(Martin) [317] et es places devant dictes, par deffaulte de signeurs; et furent toutes les ruelles d'entour les lieux devant diz prinses desdiz cappitaines ou de leurs gens, et les pouvres gens boutez hors de leurs maisons, et à grant priere et à [grant peine] avoient ilz le couvert de leur hostel, et ceste larronnaille couchoit en leurs lictz, comme ilz feissent à xi ou à xii lieues de Paris; et n'estoit homme qui en osast parler ne porter coustel, qui ne fust mis en diverses prinsons [comme au Temple, à Sainct-Martin, à Sainct-Magloire [318], en Tyron et en autres diverses prinsons].

132. Item, environ la fin de novembre, l'an mil IIIIc et XV, le duc de Guienne, ainsné filx du roy de France, moult plain de sa voulenté plus que de raison, acoucha malade et trespassa le XVIIIe jour de decembre oudit [an], jour mercredi des IIII Temps [319]. Et furent faictes ses vigilles le dimenche ensuivant à Nostre-Dame de Paris, et fu aporté du Louvre sur les espaulles de quatre hommes, et n'y avoit que six hommes à cheval, c'est assavoir devant; après, les quatre ordres mendians et les autres colleges [de Paris]; après sur ung grant cheval, lui et son paige; sur ung autre fut le chevalier du guet [320], après grant piece le prevost de Paris; après le corps, fut le duc de Berry, le conte d'Eu et ung autre. En ce point fut porté à Nostre-Dame de Paris, et là fut enterré le lendemain.

133. Item, en ce temps fut le pain tres cher, car le pain que on avoit devant pour viii blans valloit v solz parisis, et bon vin pour ii deniers parisis la pinte. En ce temps furent les portes murées, comme autresfoys, pour le duc de Bourgongne qui estoit pres de Paris, et grant foison de gens d'armes; par quoy fromaiges et œufz [furent si chers] que on n'avoit que trois oefz pour ung blanc, et ung fromaige commun (pour) III ou IIII solz parisis.

134. Et Paris estoit gardé par gens estranges, et estoient leurs cappitaines ung nommé Remonnet de la Guerre [321], Barbasan [322] et autres, tous mauvais et sans pitié. Et pour mieulx faire leur voulenté manderent le conte d'Armignac, personne escommeniée, comme devant est dit, nommé Bernart, et de celui firent connestable de France à ung lundi en la fin de decembre [323]. Et le prevost de Paris, ou moys ensuivant, fut fait admiral de France, gouverneur de la Rochelle; et fut depposé d'estre admiral une mauvaise personne nommée Clignet de Breban [324], qui moult fist de mal en France, tant [325] comme il fut admiral.

135. Item, le duc de Bourgongne estoit touzjours en la Brie, ne ne povoit parler au roy, ne le roy à luy, pour puissance qu'ilz eussent eulx deux; car les traistres de France disoient au roy, quant il demandoit, qui moult le demandoit souvent, que plusieurs foys on l'avoit mandé, mais il ne daignoit venir; et d'autre part mandoient [326] au duc de Bourgongne, qui estoit à Laingny, que le roy lui deffendoit sa terre, sur peine d'estre repputé [pour] traistre faulx [327].

[1416.]

136. Item, le XIIe jour [du moys] de fevrier, fut fait par les dessusdiz bandez ledit conte d'Armignac seul [328] de tout le royaulme de France, à qui qu'il en despleust, car le roy estoit tousjours mal dispousé. En celui temps, s'en alla le duc de Bourgongne en son païs.

137. Item, le premier jour de mars IIIIc et XV ensuivant, jour Sainct Aulbin, entra l'empereur roy de Hongrie à Paris, à ung dimenche [329], et vint par la porte Sainct-Jacques et fut logé au Louvre; et le IIe mardi ensuivant, furent envoiées semondre les damoiselles de Paris et des bourgoises les plus honnestes, et leur donna à disner en l'ostel de Bourbon, le Xe jour ensuivant après sa venue, et à chascune aucun jouel.

138. Item, il fut à Paris environ trois sepmaines, et puis s'en alla devers Engleterre [330] pour avoir les prinsonniers du sang de France, qui là estoient de la prinse d'Egincourt.

139. Item, [commençant] la sepmaine penneuse ensuivant, qui fut [entrant] le XIIIe [331] jour d'avril IIIIc XV, entreprindrent aucuns des bourgois de Paris [332] de prendre ceulx qui ainsi tenoient Paris en subgection, et devoient ce faire le jour de Pasques, qui furent le XIXe jour d'avril, mais ilz ne le firent point par sens [333], car il fut sceu par ceulx de la bande, qui les prindrent et les misdrent en prinson.

140. Et le XXIIIIe jour dudit moys d'avril IIIIc XVI, fut [mené] en ung tumberel à boue, le doyen de Tours, chanoyne de Paris, frere de l'evesque de Paris de devant cellui qui pour lors estoit, nommé Nicole d'Orgemont, filx de feu Pierre d'Orgemont [334]. En ce point, vestu d'un grant mantel [de] viollet, et chapperon de mesmes, fut mené es halles de Paris, [et] en une charrette devant estoient deux hommes de honneur sur deux aiz, chascun une croix de boys en sa main; et avoit l'un esté eschevin de Paris, et l'autre estoit homme de honneur et estoit en ars nommé maistre Regnault [335], et l'eschevin Robert de Belloy [336]. Et à ces deux on coppa les testes, voyant ledit d'Orgemont, lequel n'avoit que ung pié, et après la justice fut ramené [sans oster dudit tumberel] en prinson ou chastel de Sainct-Anthoine, et environ quatre jours après, fut presché ou parviz Nostre-Dame et condampné en chartre perpetuelle au pain et à l'eaue.

141. Item, le premier sabmedi de may ensuivant furent decollez pour ce fait trois moult honnestes hommes, et de moult bonne renommée, c'est assavoir, le signeur de l'Ours [337], de la porte Baudet, ung tainturier nommé Durant de Bry [338], ung marchant de laton et espinglier nommé Jehan Perquin; et estoit ledit tainturier maistre de la soixantaine des arbalestiers de Paris.

142. Item, le VIIe jour de may, fut crié parmy Paris, que nul ne fust si hardy de faire assemblée à corps, ne à nopces, ne en quelque maniere sans le congié du prevost de Paris. En ce temps avoit, quant on faisoit nopces, certains commissaires et sergens aux despens de l'espousé, pour garder que homme ne murmurast de rien.

143. Item, le VIIIe jour de may, vendredi, furent ostées les chaisnes de fer qui estoient à Paris et furent portées à la porte Sainct-Anthoine [339]. En ce temps estoit [touzjours] le pain si cher que petiz mesnaiges n'en povoient avoir leur saoul, car la charté dura moult longuement, et coustoit bien la XIIne, que on avoit devant pour XVIII deniers, IIII solz parisis.

144. Item, le sabmedi ensuivant, IXe jour dudit moys, furent ostées les armeures aux bouchers en leurs maisons, tant de Sainct-Germain, de Sainct-Marcel, de Saincte-Geneviefve [et] de Paris.

145. Item, le lundi ensuivant, fut crié parmy Paris, sur peine d'estre repputé vray [340] traistre, que tout homme, prestre, clerc ou lay, portast ou envoiast toutes ses armeures, quelles qu'elles fussent, ou espées, ou badelaires, ou hachetes, ou quelque armeure qu'il eust, au chastel de Sainct-Anthoine.

146. Item, le vendredi, XVe jour dudit moys, firent lesdiz commencer à abatre la grant boucherie de Paris [341], et le dimenche ensuivant vendirent les bouchers de ladicte boucherie leurs chars sur le pont Nostre-Dame, moult esbahiz pour les franchises qu'ilz avoient en la boucherie, qui leur furent toutes ostées [342]; et sembloit ce dimenche que les[diz] bouchers eussent [eu] quinze jours ou trois sepmaines [de temps] à faire leurs estaulx, tant furent bien ordonnez du vendredi jusques au dimenche.

147. Item, le vendredi ensuivant, furent commencées à murer les portes comme autresfoys.

148. Item, le lendemain de la Sainct Laurens ensuivant, firent crier lesdiz bandez parmy Paris, que nul ne fust si hardy d'avoir à sa fenestre coffre ne pot, ne hotte, ne coste en jardin, ne bouteille à vin aigre à sa fenestre qui fust sur rue, sur peine de perdre corps et biens, ne que nulz ne se baingnast en la riviere sur peine d'estre pendu par la gorge.

149. Item, le jour de Sainct Laurens ensuivant, firent chanter lesdiz bandez aux Quinze-Vingt, fust tort ou droit, et y avoit commissaires et sergens qui faisoient chanter devant eulx telz prebstres qu'ilz vouloient, malgré ceulx dudit lieu, lesquelx vouloient que on leur fist droit de certains prinsonniers qui estoient à Graville [343], lesquelx furent prins en la franchise par l'oultraige du prevost de Paris; et furent prins le XXVe jour de may, vigille de l'Ascencion Nostre-Seigneur [344], et fut avant la Sainct Laurens ensuivant que on chantast ne messe ne vespres en ladicte eglise.

150. Item, la premiere sepmaine de septembre ensuivant, fist on deffense aux bouchiers que plus ne vendissent leur char sur le pont Nostre-Dame, et en celle dicte sepmaine commencerent à vendre en la halle de Beauvays [345], à Petit-Pont, à la porte Baudays, et environ xv jours après commencerent à vendre devant Sainct-Lieufray [346] au Trou-Pugnais [347].

151. Item, en celle sepmaine fut crié que nul sergent à cheval ne demourast hors de la ville de Paris, sur peine de perdre son office.

152. Item, fut crié celle dicte sepmaine que lesdiz estaulx de boucherie seroient baillez au prouffit du roy au plus offrant [348], et que lesdiz bouchiers n'y auroient quelque franchise.

153. Item, le mois d'octobre ensuivant, fut commencée la boucherie du cymetiere Sainct-Jehan, et fut achevée, et [y] vindrent vendre ceulx de derriere Sainct-Gervais, le premier dimenche de febvrier oudit an.

[1417.]

154. Item, le XXe jour de febvrier [349] oudit an, fut crié que on ne prinst nulle monnoye à Paris que celle du roy [350], qui moult fist grant dommaige aux gens de Paris, car la monnoye du duc de Bretagne et du duc de Bourgongne estoient prinses comme celles du roy, dont plusieurs marchans, riches et pouvres, et autres gens qui en avoient perdirent moult, car pour la deffence homme n'en eust eu quelque neccessité senon au buillon; mais environ ung moys après, on reprint les dessusdictes monnoyes [351], et deffendues comme davant furent.

155. Item, le IIIe jour d'avril oudit an, trespassa monseigneur de Guienne, ainsné filx du roy de France, à Compigne [352], qui avoit esté xv moys ou environ Dalphin [353].

156. Item, ledit roy Louys, l'an mil IIIIc [XVII], trespassa environ trois jours en la fin [354].

157. Item, en icelluy temps, on avoit vin sain et net pour ung denier la pinte, mais de grosses tailles [trois ou quatre] tous les ans; et n'osoit nul parler du duc de Bourgongne, qu'il ne fust en peril [355] de perdre le corps ou la chevance, ou d'estre banny.

158. Item, le XXIXe jour de may ensuivant, vigille de la Penthecoste, fut crié que nul ne prinst quelque monnoie que celle du coing du roy seullement, et que on ne marchandast que à solz et à livres [356]; et furent aussi criez à prendre petiz moutons d'or pour XVI solz parisis, qui n'en valloient pas plus de XI solz parisis [357].

159. Et le lundi ensuivant, premier jour des festes de Penthecoste, commencerent les gens de Paris, c'est assavoir, de quelque estat qu'ilz fussent, prebstres ou clercs, ou autres, à curer les voiries [358] ou à faire curer à leur argent; et fut celle queullecte si aspre, qu'il falloit que chascun, de quelque estat qu'il fust, de v jours en v jours en baillast argent, et quant on poyoit pour cent on ny en mettoit mie XL, et avoient les gouverneurs le remenant [359].

160. Item, celle dicte sepmaine, fut fait le pont leveys à la porte Sainct-Anthoine, et celle année furent faictes les maisons entre les bastilles et l'escorcherie aux Tuilleries [360].

161. Item, en cellui temps, fut prins de par le prevost de Paris ung nommé Loys Bourdon, chevalier, qui tant fit de peine au chastel d'Estampes, comme devant est dit, et fut noyé pour ses demerites. Et fut la royne privée du tout, que plus ne seroit au conseil, et lui fut son estat amendry. Et demourerent les choses en ce point, sinon que tousjours prenoient lesdiz gouverneurs desquelx vouloient et les bannissoient; et si failloit qu'ilz allassent où lesdiz gouverneurs vouloient, et en mains de trois sepmaines en bannirent plus de VIIIc [361], sans ceulx qui demourerent en prinson.

162. Item, en ce temps, à l'issue d'aoust, s'esmeut [362] le duc de Bourgongne pour venir à Paris, et vint en conquestant villes, cités, chasteaulx, et partout faisoit crier, de par le roy et le daulphin, et de par luy que on n'y paiast nulles subsides; dont les gouverneurs de Paris prinrent si grant haine contre lui qu'ilz faisoient [faire processions [363] et faisoient] prescher qu'ilz savoient bien de vray qu'il voulloit estre roy de France, et que par lui et que par son conseil estoient les Engloys en Normendie. Et par toutes les rues de Paris avoit espies, qui estoient residans et demourans à Paris, qui leurs propres voisins faisoient prendre et emprinsonner; et nul homme, après ce qu'ilz estoient prins, n'en osoit parler aucunement, qu'il ne fust en peril de sa chevance ou de sa vie.

163. Item, à l'entrée de septembre [mil] IIIIc XVII, aproucha le duc de Bourgongne de Paris [364], et gaigna l'Isle Adam, Pons Sainte-Messent, Senliz, Beaumont. Adonq fut la porte Sainct-Denis fermée, et furent abatues les arches pour faire ung pont leveys, et fut deux moys fermée en la droicte saison de vendanges.

164. Item, environ VIII ou IX jours en septembre, fut depposé Breban devantdit de la prevosté des marchans [365], et fut fait prevost Estienne de Bonpuis, lequel ne le fut que cinq jours, et fut mis en la prevosté ung faiseur de cofres [et de bans], nommé Guillaume Syrasse, le XIIe jour de septembre oudit an.

165. En ce temps vindrent les Bourguignons devant Sainct-Cloud, et lors fut le pont rompu, et les Bourguignons assaillirent la tour à engins [366] et l'endommaigerent moult, mais point ne fut prinse à celle foys, ains la laisserent, mais ilz tindrent si [367] le païs autour de Paris, que quelque marée ne venoit à Paris de nulle part.

166. Item, la livre de beurre sallé valloit II solz parisis, et vendoit on II œufs ou III au plus IIII deniers parisis; ung petit haren caqué vi den. parisis; le freys haren vint environ les octabes Sainct-Denis III ou IIII pennyers, et vendoit on la piece III ou IIII blans tout lavé [368], et le pouldré II blans rien mains; et le vin que on avoit en aoust pour ii deniers coustoit en septembre ensuivant IIII ou VI deniers parisis.

167. Item, en ce temps avoit si pesme douleur à Paris, que nul n'osoit aller vendenger hors Paris, devers la porte Sainct-Jaques, de toutes pars, comme à Chastillon, à Banuex, à Fontenay, Vanves [369], Icy, [Clamart], Montrouge [370]; car les Bourgongnons hayoient moult les bourgoys de Paris, et ilz venoient fourrer jusques aux forsbourgs de Paris, et quelque personne qu'ilz trouvoient estoit prins et emmené en leur ost. Et avecques eulx avoit moult de gens de Paris qui avoient esté banniz, qui tous les congnoissoient par enquerir ou autrement; et s'ilz estoient de quelque renon, ilz estoient cruellement traictez et mis à si grant rançon, comme on les povoit mettre, et s'ilz eschappoient par aucune aventure et venoient à Paris, et on le savoit, on leur mettoit sur [371] qu'ilz s'estoient fait prendre de leur bon gré, et estoient mis en prinson.

168. Item, en ce temps fut fait cappitaine de la porte du Temple ung nommé Symonnet du Boys [372], qui estoit clerc Jaquot l'Empereur [373] garde des coffres du roy, et de la porte Sainct-Martin ung nommé Jehannin Nepveu, chauderonnier, filz d'un chauderonnier nommé Colin [Nepveu].

169. Item, en cestuy mois d'octobre, fut faicte une grosse taille de sel; car [pou] fu de gens qui fussent de nulle renommée, à qui on ne envoiast II sextiers ou III, au gros [374] ung muy ou demy muy; et [si] le couvenoit paier tantost et le porteur, ou avoir sergens en garnison, ou estre mis en prinson au Palays, et coustoit le sextier IIII escus de XVIII solz parisis pour piece.

170. Item, la plus grant partie des cappitaines qui estoient dans Paris, on les paioit des advoynes que on avoit amenées à Paris pour estre bien [375] salvement [376], et avoient congié de prendre ce qu'ilz povoient [piller] [377] autour de Paris, à II ou III lieues environ, et ilz ne s'en faignoient pas [378]. En ce temps firent les bouchiers de Sainct-Germain-des-Prez leur boucherie en une rue qui est entre les Cordeliers et la porte Sainct-Germain [379], en ung lieu en maniere de celier où on descendoit à degrez qui avoient dix marches.

171. Item, en ce temps valloit le caque de haren XVI livres [380] parisis. Item, que autour de Paris, de quelque part que ce feust, n'osoit homme aller qu'il ne fust desrobé, et, s'il se revenchoit ou deffendoit, il estoit tué des gens d'armes de Paris mesmes, qui yssoient toutesfois qu'ilz vouloient hors de Paris pour piller; car quant ilz revenoient, ilz estoient aussi troussez de biens que fait le heriçon de pommes; et nul n'en osoit parler, car ainsi plaisoit aux gouverneurs de Paris.

172. Item, en icellui temps, allerent les Bourguignons [devant Corbeil [381], et] fourerent le païz [382] tout entour et firent plusieurs assaulx, mais pas ne le prindrent à celle foys, car ilz se retrairent vers Chartres, mais la nuyt Sainct Climent ariverent devant Paris si soudainement que merveilles [383], et les gens d'armes de Paris les allerent sovent escarmoucher, mais touzjours y perdoient grant [foison de] soudayers de Paris, et ceulx qui eschappoient s'en revenoient par les villaiges d'entour Paris, et pilloient, roboient, rançonnoient, et avec ce admenoient tout le bestail qu'i povoient trouver, comme beufs, vaches, chevaux, asnes, asnesses, jumens, porcs, brebis, moutons, [chevres], chevreaulx et toute autre chose dont ilz povoient avoir argent; et en eglise prenoient ilz livres et toute autre chose qu'ilz povoient happer, et en abbayes de dames autour de Parys prindrent ilz messel, brevieres et toutes autres choses qu'ilz povoient piller; et quelque personne qui s'en plaignoit à justice ou au connestable, ou aux cappitaines, tout bel luy estoit de soy tayre. Et vray est que les gens aucuns qui venoient de Normendie à Paris, qui estoient eschappez des Angloys par rançon ou autrement, après et avoient esté prins des Bourguignons, et puis à demie lieue ou environ, estoient reprins des François et traictez si cruellement et par tyrannie comme Sarazins; mais ilz par leurs seremenz [384], c'est assavoir, aucuns bons marchans, hommes de honneur, qui avoient esté prinsonniers à tous les trois devant diz, dont ilz estoient eschappez par argent, juroient et affermoient que plus amoureux leur avoient esté les Angloys que les Bourguignons, et les Bourguignons plus amoureux cent foyz que ceulx de Paris, et de pitance et de rançon, et de paine [385] de corps et de prison, qui moult leur estoit esbahissant chose, et à tout bon chrestien doit estre.

173. Item, [ung pou] après la Toussains, enchery tellement la buche que le cent de bons costeretz valloit II frans, et XXIIII solz moyenne buche, et celle de Bondiz XX solz parisis.

174. Item, la buche de molle valloit X solz parisis le molle, et dura celle charté tout l'yver.

175. Item, en ce temps fut la char si chere, que ung petit quartier de mouton valloit VII ou VIII solz parisis, et ung petit morsel de beuf de bon androit II [solz parisis] qu'on avoit en octobre pour VI deniers parisis, une froissure de mouton II ou III blans, une teste de mouton VI deniers parisis, la livre de beurre sallé VIII blans [386].

176. Item, ung bien petit porc coustoit LX solz ou IIII frans.

[1418.]

177. Item, ou moys de janvier oudit an, fut le prevost de Paris devant Montlehery [387], et lui rendirent ceulx [de] dedens de par traictié d'argent.

178. Item, de là s'en alla à Chevreuse [388], et gaigna la ville et fist tout piller, quant que homme povoit apporter à charroy ou autrement, comme ilz firent à Soissons, et moult y ot des bonnes gens du païs tuez sans pitié.

179. Item, la darraine sepmaine de janvier oudit an, alla le roy devant Senliz pour le prendre par force ou autrement, et fut la cité habandonnée avant qu'elle fust assaillie.

180. Item, en icellui temps [389] toutes les bonnes villes de Normendie, comme Rouen, Montivillier, Dyeppe, et plusieurs autres, quant ilz virent comment Caen, Harefleu, Falaise et plusieurs bonnes villes du païs avoient esté prinses des Angloys, sans avoir secours du roy de France pour messaige qu'ilz envoiassent, se rendirent au duc de Bourgongne [390].

181. Item, que le jour Sainct-Martin d'yver IIIIc XVII fut fait pappe ung cardinal nommé Martin [391] par l'acort [392] et consentement de tous les roys chrestiens, et en fist on feste par toute chrestienté, senon à Paris, ne on n'en osoit parler; car le IIIIe sabmedi de karesme oudit an, pour ce que le recteur toucha au conseil, que ce lui sembloit bon que on feist solempnité du Sainct-Pere, qui tant avoit cousté à faire, et si y avoit on mis plus de II ans et demy, pour tant fut mis en prinson, et X ou XII maistres avecques lui [393].

182. Item, estoit touzjours le siege devant Senliz de par le roy, et saichez que pou de gens dedens Senliz avoit [394], mais touzjours yssoient [ou] par nuyt ou par jour, et souvent firent si grant dommaige à l'ost du roy que le connestable jura la destruction de ladicte cité à feu et à sang, et fist crier à trompes, le XIIe jour d'avril, que tous les gens d'armes qui à Paris estoient, de quelque estat qu'ilz fussent, allassent devant Senliz, sur peine de perdre harnoys et chevaulx. Et tant en y alla et tant en y avoit sur les champs de toutes pars, que la sepmaine peneuse Paris fut si desgarny de buche, que, qui eust donné en Greve XX solz parisis d'un costeret, on n'en eust peu finer. Et à Pasques ensuivant, coustoit le quarteron d'œufs VIII blans, et ung tres petit fromaige blanc [VI ou VII blans, la livre de viel beurre sallé] VII ou VIII blans, une petite piece de beuf ou mouton V ou VI blans, et tout par le mauvais gouvernement du prevost de Paris et des marchans.

183. Item, celle année, le jour des grans Pasques, nega toute jour, aussi fort qu'on veist oncques faire à Nouel, et si n'eust-on finé en Greve [de buche], qui eust donné ung franc d'ung quarteron.

184. Item, le XIIIIe jour d'avril IIIIc XVIII, fut faicte la solempnité du pappe Martin par les eglises à Paris et environ, tres simplement [395].

185. Item, le XXIIIIe jour d'avril oudit an, revint le roy et son ost de devant Senliz, où il avoit esté depuis le moys de janvier [396], et ne la pot oncques prendre, et si lui cousta que en cannons que [en] autre artillerie, avec autre despence plus de IIc mil frans; et si furent souvent ses gens tuez, rançonnez de ceulx de la cité, et ses tentes arses et prinse son artillerie. Et au derrenier s'en parti le roy et le connestable [à tres petit honneur, dont les gens d'armes qui avec le connestable] estoient furent si enragez de ce qu'ilz orent failly à leur intencion de piller Senliz, qu'ilz se tindrent si près de Paris de toutes pars, que homme n'osoit aller plus loing de Paris que Sainct-Laurens tout au plus qu'il ne fust desrobé ou tué.

186. Et vray fut que l'année de may [397], les gens de l'ostel du roy allerent, comme acoustumé est, au boys de Boulongne, pour apporter du may pour l'ostel du roy, les gens d'armes de Montmartre, [à] la Ville-l'Evesque, à l'entrée de Paris vindrent sur eulx à force, et les navrerent de plusieurs plaies, et puis les desroberent de tout ce qu'ilz porent, et fut bien eureux desdiz serviteurs du roy qui se pot sauver en gippon ou en chemise tout à pié. En celluy temps alloient femmes d'onneur bien acompaignées veoir leurs [398] heritaiges pres de Paris, à demie lieue, qui furent efforcées, et leur compaignie bastue, navrée et desrobbée.

187. Item, vray fut que les aucuns desdiz gens d'armes furent plains de si grant cruaulté et tyrannye qu'ilz rostirent hommes et enfans au feu quant ilz ne povoient paier leur rançon, et quant on s'en plaignoit au connestable [ou au prevost], leur responce estoit: «S'ilz n'y fussent pas allées, ce se feussent les Bourguignons, vous n'en parlissiez pas [399].»

188. Ainsi commença tout à encherir à Paris, car deux œufs coustoient IIII deniers parisis, ung petit fromaige blanc VII ou VIII blans, la livre de beurre XI ou XII blans, ung petit haren sor de Flandres III deniers ou IIII deniers parisis, et ne venoit quelque chose de dehors à Paris, pour les gens d'armes dessusdiz.

189. Ainsi estoit [400] Paris gouverné faulcement, et tant hayoient ceulx qui gouvernoient ceulx qui n'estoient de leur bande, qu'ilz proposerent que par toutes les rues ilz les prendroient [401] et tueroient sans mercy, et les femmes ilz noieroient; et avoient prinses par leurs forces les toilles de Paris aux marchans et à autres sans paier, disant que c'estoit pour [faire des tantes et des pavillons pour le roy, et c'estoit pour faire] les sacs pour noyer lesdictes femmes. Et encore plus, ilz proposerent que, avant les Bourguignons venissent à Paris, ne que la paix se feist, ilz rendroient Paris au roy d'Engleterre, et [touz] ceulx qui pas ne devoient mourir devoient avoir ung escu noir [à] une croix rouge, et en firent faire plus de XVI mil, qui depuis furent trouvées en leurs maisons. Mais Dieu qui scet les choses abscondées [402], regarda en pitié son peuple et esveilla Fortune, qui en soursault [403] se leva comme chose estourdie, et mist les pans à la saincture, et donna hardement à aucuns de Paris [404] de faire assavoir aux Bourguignons que ilz, tout hardiement, venissent le dimenche ensuivant, qui estoit XXIXe jour de may, à heure de mynuyt, et ilz les mettroient dedens Paris par la porte Sainct-Germain, et que point n'y eust de faulte, et que pas ne leur fauldroient pour mourir, et que point ne doubtassent fortune, car bien sceussent que [toute] la plus grant partie du peuple estoit des leurs.

190. En icelle sepmaine s'esmeurent les Bourguignons de Pontoise, et vindrent au jour dit [et] à l'eure en Garnelles, et là compterent leurs gens, et ne se trouverent que environ VI ou VIIc chevaulx [405], quant Fortune leur dist que avec eulx seroit [la] journée. Adonc prindrent cuer et hardement, et vindrent à la porte Sainct-Germain entre une heure et deux devant le jour, et en estoit chef le signeur de l'Isle-Adam [406] et le beau sire de Bar [407], et entrerent dedens Paris, le XXIXe jour de may, criant: «Nostre Dame! la paix! Vive le roy et le dalphin et la paix!» Et tantost Fortune, qui tant avoit nourry lesdiz bandez, vit que nul gré ne lui savoient de son bien, vint avecques lesdiz Bourguignons [408] à toutes manieres d'armes et des communes [409] de Paris, et leur fist rompre leurs portes, et effundrer leurs tresors et piller, et tourna sa roe si despitement en soy vengent de leurs ingratitudes, pour ce que de paix n'avoient cure; [quar tout joyeulx estoit qui se povoit mucer en cave, ou] en celier, ou en quelque destour.

191. Et quant le prevost de Paris, nommé Tenneguy du Chastel, vit Fortune ainsi contre luy, et que les Bourguignons taschoient à emprinsonner les autres en plusieurs prinsons diverses, et le commun à piller, vint à Sainct-Paul, et print le daulphin ainsné filx du roy et s'en fouy atout droit à Meleun, qui moult troubla la ville de Paris. Et plusieurs autres des plus gros de la bande, comme maistre Robert le Maçon [410], chancelier du dalphin, l'evesque de Clermont, le grant presidant de Provence [411], l'un des maulvais chrestiens du monde, et plusieurs autres de leur bande, se bouterent [412] dedens le chasteau de la porte Sainct-Anthoine, et par ce furent sauvez et par le dalphin qu'ilz avoient, et firent moult d'assaulx à ceulx qui par là passoient, de traict dont foison avoient.

192. Le dimenche au soir, le lundi, le mardi ensuivant, convint faire grant guet et feus parmy Paris pour paour de eulx. Et en icelluy temps se fournirent de gens d'armes des fuyans de leur bande, et le mercredi ensuivant, environ VIII heures du matin, yssirent du chastel et allerent ouvrir la porte par dedens la ville, qui que le voulsist veoir, et avecques eulx entra grant foison de gens d'armes, et entrerent en la grant rue Sainct-Anthoine, criant: «A mort! à mort! Ville gaingnée! Vive le roy et le dalphin et le roy d'Engleterre! Tuez tout! tuez tout [413]!»

193. Item, vray est que dimenche XXIXe jour de may, à l'entrée des Bourguignons [414], avant qu'il fust nonne de jour, on [eust] trouvé à Paris gens de tous estatz, comme moynes, ordres mendiens, femmes, hommes, portans la croix de Sainct-Andry ou de Troye ou d'autre matiere, plus de deux cens mille, sans les enffans. Lors fut Paris moult esmeu, et se arma le peuple moult plustost que les gens d'armes, et avant que les gens d'armes fussent venus, estoient [tant aprouchez lesdiz bandez par force qu'ilz estoient] à l'endroit de Tyron [415]. Adonq vint le nouveau prevost de Paris à force de gent, et tantost à l'aide de la commune respoussa fort, abatant et occiant à grans tas jusque dehors la porte Sainct-Anthoine, et tantost le peuple, moult eschauffé contre lesdiz bandez, vindrent par toutes les hostelleries de Paris querant les gens de ladicte bande, et quant [416] qu'ilz en porent trouver, de quelque estat qu'il feust, [fust] prinsonnier ou non, aux gens d'armes estoit [amené] en my la rue, et tantost tué sans pitié de grosses haches et d'autres armes; et n'estoit homme [nul], à celui jour, qui ne portast quelque armeure dont ilz feroient lesdiz bandez en passant par emprès, depuis qu'ilz estoient tous mors estanduz; [et] femmes et enfens, et gens sans puissance, qui ne leur povoient pis faire, les maudisoient en passant par emprès, disans: «Chiens traistres, vous estes mieulx que à vous n'appartient, encore en y a il, que pleust à Dieu que tous feussent en tel estat.» Et si n'eussiez trouvé à Paris rue de nom, où n'eust aucune occision, et en mains que on yroit cent pas de terre depuis que mors estoient, ne leur demouroit que leurs brayes; et estoient en tas comme porcs ou millieu de la boe, qui moult grant pitié estoit, car pou fu celle sepmaine jour [417] qu'il ne pleust moult fort. Et furent celle journée [418] à Paris mors à l'espée ou d'aultres armes, en my les rues, sans aucuns qui furent tuez es maisons, cinq cens vingt deux hommes, et plut tant fort celle nuyt que oncques ne sentirent nulle malle odeur, mais furent lavez par force de la pluie leurs plaies, que au matin n'y avoit que sang bete, ne ordure sur leurs plaies.

194. Item, en ces jours devant diz prenoit on les Arminalx par tout Paris et hors Paris. Entre lesquelx furent prins plusieurs grans de renom et tres mauvais couraige, comme Bernard d'Armignac [419], connestable de France, aussi cruel homme que fut oncques Noyron [420]; Henry de Marle [421], chancelier de France; Jehan Gaude [422], maistre de l'artillerie, le pire de tous;—quant les pouvres ouvriers lui demandoient leur salaire de leur besongne, il leur disoit: «Avez-vous point chascun ung [423] petit blanc, pour à chascun ung chevestre avoir pour vous aller pandre? Senglante chenaille, c'est pour vostre preu!»; et n'en avoient autre chose, et par ainsi espargna si tres grant trésor plus que le roy n'avoit;—maistre Robert de Tuillieres [424]; maistre Oudart Baillet [425]; l'abbé de Sainct-Denys en France [426], tres faulx papelart; Remonnet de la Guerre, cappitaine des plus fors larrons que on peust trouver en place, car ilz faisoient pis que Sarazins; maistre Pierre de l'Esclat [427]; maistre Pierre le Gaiant [428], personne sismatique, herite contre la foy, et avoit esté presché en Greve, digne d'ardoir.

195. Item, il alla après ce à court de Romme, et quant il revint, il fut plus maistre en Chastellet que devant, et les lettres dont il se mesloit, c'on avoit avant pour VIII solz parisis, il en failloit bailler XXIIII solz parisis, et si failloit il paier par sa main.

196. Item, l'evesque de Clermont [429], qui estoit tout le pire contre la paix, et plusieurs autres [430]. Et tant en avoit au Palays, au Chastellet, Petit et Grant, à Sainct-Martin, à Sainct-Anthoine, à Tyron, au Temple, que on ne les savoit où mettre.

197. Item, [ce pendent] estoient touzjours les Arminaz à la porte Sainct-Anthoine, pour quoy on faisoit toutes les nuys tres grans feuz, et n'estoit nuyt que on ne criast alarme, et faisoit-on cris à trompe à mynuit, après mynuit, davant mynuit, et neantmoins tout ce plaisoit au peuple, pour ce que de bon cuer le faisoient.

198. Item, le peuple s'advisa de faire en la parroisse Sainct-Huitasse la confrarie Sainct-Andry [431], et la firent à ung jeudy, IXe jour de juing, et chascun qui s'y mettoit avoit ung chappeau de roses vermeilles. Et tant s'i mist de gens de Paris, que les maistres de la confrarie disoient et affermoient qu'ilz avoient fait faire plus de LX douzaines de chappeaulx, mais avant qu'il fust doze heures, les chappeaulx furent failliz; mais le moustyer de Sainct-Huistace estoit tout plain de gens [432], mais pou y avoit homme, prebstre ne autre, qui n'eust en sa teste chappeau de roses vermeilles, et sentoit tant bon au moustier, comme s'il fust lavé d'eau rose.

199. Item, en celle sepmaine, ceulx de Rouen demanderent à ceulx de Paris aide [433], et [on] leur envoya IIIc lances et IIIc hommes de traict pour ovier [434] aux Engloys.

200. Item, le dimenche ensuivant, XIIe jour de juing, environ XI heures de nuyt, on cria alarme, [comme on faisoit souvent alarme] à la porte Sainct-Germain; les autres crioient à la porte [de] Bordelles. Lors s'esmut le peuple vers la place Maubert et environ, puis après ceulx de deçà les pons, [comme] des Halles et de Greve et de tout Paris, et coururent vers les portes dessusdictes, mais nulle part ne trouverent [nulle] cause de crier alarme. Lors se leva [435] la deesse de Discorde, qui estoit en la tour de Mau-Conseil, [et esveilla] Ire la forcenée [436] et Convoitise et Enragerie et Vengence, et prindrent armes de toutes manieres et bouterent hors d'avec eulx Raison, Justice, Memoyre de Dieu et Atrempance [437], moult honteusement. Et quant Ire et Convoitise virent le commun de leur accort, si les eschauffa plus et plus, et vindrent au Palays du roy. Lors Ire la desvée leur gecta sa semence tout ardant sur leurs testes; lors furent eschauffez oultre mesure, et rompirent portes et barres, et entrerent es prinsons dudit Pallays à mynuit, heure moult esbahissant à homme sourprins; et Convoitise qui estoit leur cappitaine, et portoit la baniere devant, qui avec lui menoit Traïson et Vengence qui commencerent à crier haultement: «Tuez, tuez ces faulx [438] traistres Arminaz! Je reny bieu, se ja pié en eschappe en ceste nuyt.» Lors Forcenerie la desvée, et Murtre [439] et Occision occirent, abatirent, tuerent, murtrirent tout ce qu'ilz trouverent es prinsons, sans mercy, fut de tort ou de droit, sans cause ou à cause; et Convoitise avoit les pans à la saincture, avec Rapine sa fille et son filx Larrecin, qui, tost après qu'ilz estoient mors ou avant, leur ostoient tout ce qu'ilz avoient, et ne volut pas Convoitise que on leur laissast neis leurs brayes, pour tant qu'ilz vaulsissent iiii deniers [440], qui estoit un des plus grans cruaultés et inhumanité chrestienne [à aultre de quoy on peust parler. Quant Murtre et] Occision avoit fait ce, revenoit tout le jour Convoitise, Ire, Vengence, qui, dedens les corps humains qui mors estoient, boutoient toutes manieres d'armes, et en tous lieux et tant que, avant que prime fust de jour, orent de coupz de taille et d'estoc ou visaige, tant que en n'y povoit homme congnoistre quel qu'il fust, ce ne fut le connestable et le chancelier qui furent cogneuz ou lict où tuez estoient. Après, allerent cedit peuple par l'ennortement de leurs deesses qui les menoient, c'est assavoir, Ire, Convoitise et Vengence, par toutes les prinsons publicques de Paris, c'est assavoir, à Sainct-Eloy, au Petit Chastellet, au Grant Chastellet, au Four l'Evesque, à Sainct-Magloire, à Sainct-Martin-des-Champs, au Temple, et partout firent comme devant est dit du Pallays. Et n'estoit homme [nul] qui en celle nuyt ou jour, eust osé parler de Raison ou de Justice, ne demander où elle estoit enfermée, car Ire les avoit mises en si profonde fosse, que on ne les pot oncques trouver [toute] celle nuyt, ne la journée ensuivant. Si en parla le prevost de Paris au peuple, et le seigneur de l'Isle-Adam, en leur admonestant [Pitié], Justice et Raison; mais Ire et Forcenerie respondit par la bouche du peuple: «Maulgré bieu, sire, de vostre Justice, de vostre Pitié [et] de vostre Raison! mauldit soit de Dieu qui aura ja pitié de ces faulx traistres Arminaz Angloys ne que [de] chiens! car par eulx est le royaulme de France tout destruit et gasté, et si l'avoient vendu aux Engloys.»

201. Item, est [vray] que devant chascune desdictes prinsons, avant qu'il fust dix heures de jour, estoient tous entassez comme se feussent chiens ou moutons, et n'en avoit nulle pitié disant: «Aussi ont ilz fait sacs pour nous noyer et noz femmes et noz enfens, et ont fait faire estandars pour le roy d'Engleterre et pour ses chevaliers, pour mettre sur les portes de Paris, quant ilz l'auront livré aux Englois. Item, ilz ont fait escussons à une rouge croix, plus de XXX milliers, dont ilz avoient proposé de seigner les huys de ceulx qui devoient estre tuez ou non. Si ne nous en parlez plus de par le diable, que pour vous n'en laisserons riens à faire par le sang Dieu!» Quant le prevost vit qu'ilz estoient ainsi eschauffez de la faulce Ire qui les menoit, si n'osa plus parler [de Raison], de Pitié, ne de Justice, et leur dist: «Mes amys, faictes ce qu'il vous plaira.» Ainsi s'en allerent es prinsons dessusdictes, et quant ilz trouvoient trop fortes prinsons où ilz ne povoient entrer, si boutoient dedens force [de] feu, et ceulx qui dedens estoient n'avoient riens de quoy leur aider, si estraingnoient [441] et ardoient là dedens à grant martire. Et ne laisserent en prinson de Paris, sinon au Louvre, pour ce que le roy y estoit [442], quelque prinsonnier qu'ilz ne tuassent ou par feu ou par glayve [443]. Et tant tuerent de gens à Paris, que hommes que femmes, depuis celle heure de mynuit jusques au lendemain XII heures, qui furent nombrez à mille cinq cens dix huit; et furent le connestable, le chancelier, ung cappitaine nommé Remonnet de la Guerre, maistre Pierre de l'Esclat, maistre Pierre Gaiant, maistre Guillaume Paris [444], l'evesque de Coustances, filx du chancelier de France [445], en la court de darriere devers la Cousture, et furent deux jours entiers au pié du degré du Palays sur la pierre de marbre, et puis furent enterrez ces VII [446] à Sainct-Martin en ladicte court de derriere la Cousture, et tous les autres à la Trinité [447]; entre lesquelx mors furent trouvez tuez IIII evesques du faulx et dampnable conseil [448], et deux des presidens de Parlement [449].

Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449

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