Читать книгу Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449 - Anonyme - Страница 7

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26. Ce pendent, alla monseigneur de Guienne et de Bourgongne devant Estampes [139] qui estoit de la bande, et y furent par plusieurs jours, tant que par miner, que par assault, ilz se rendirent au roy à sa voulenté. Et fut prins le cappitaine nommé Bourdon, lequel fut mené en prinson en Flandres, et depuis ot sa paix. Puis refut prins ung autre chevalier de la bande, nommé messire Manssart du Bois [140], ung des beaux chevaliers que on peust veoir, lequel ot la teste couppée es halles de Paris, et de sa force de ses espaulles, depuis qu'il ot la teste couppée, bouta le tronchet si fort qu'à pou tint qu'il ne l'abaty, dont le bourreau ot telle freour, car il en mouru tantost après six jours, et estoit nommé maistre Guieffroy. Après fut bourrel Cappeluche, son varlet.

[1412.]

27. Et en cedit an fut fait connestable de France le conte de Sainct-Paul, nommé messire Galleren [141], et alla en la conté d'Alençon; et là estoit messire Anthoine de Craon, lequel devoit avoir journée au conte d'Alençon, lequel n'osa oncques venir, si s'en revint ledit connestable. Et en revenant le cuida ruyner et [142] destruire le signeur de Gaucourt qui avoit bien en sa compaignie mil hommes d'armes, mais par la grace de Dieu ledit Gaucourt et ses gens furent desconffys honteusement; et en furent tuez bien vic, et bien cent noyez, et bien cinquante des plus gros prins, mais Gaucourt eschappa par bon cheval [143]. En icellui temps se firent plusieurs escarmouches, dont on ne fait nulle mencion, car on ne faisoit rien à droit, pour les traistres dont le roy estoit tout advironné [144].

28. En l'an IIIIc et XII, VIe jour de may, ce mist le roy sur les champs, avecques lui son aisné filx le duc de Guienne, le duc de Bourgongne et plusieurs autres, et allerent droit en Ausserre, là furent aucuns jours. De là se departirent et allerent assegier la cité de Bourges en Berry, où estoit le duc de Berry, anxien de bien pres de IIIIxx ans, oncle dudit roy de France, maistre et menistre de toute traïson de ladite bande, cruel contre le menu peuple autant que fut oncques tirant sarasin, et aux siens comme aux autres; pourquoy il estoit assiégé.

29. Et sitost que ceulx de Paris sceurent que le roy estoit en la terre de ses ennemis, par commun conseil ilz ordonnerent les plus piteuses processions qui oncques eussent esté veues de aage de homme: c'est assavoir, le penultime jour de may oudit an, jour de lundi, firent procession ceulx du Palais de Paris, les ordres mendians et autres [145], tous nuds piez, portans plusieurs sainctu[ai]res moult dignes, portant la saincte vraye croix du Pallays, ceulx de Parlement, de quelque estat qu'ilz fussent; tous deux et deux, quelques xxxm personnes après avecques, tous nuds piez.

30. Le mardy derrenier jour de may, oudit an, partie des parroisses de Paris firent procession, et leurs parroissiens autour de leurs parroisses: tous les prestres revestuz de chappe ou de sourpeliz, chascun portant ung sierge en sa main et reliques, tous piez nudz; la chasse sainct Blanchart, de sainct Magloire, avecques [bien] iic petiz enfens devant, tous piez nudz, chascun cierge ou chandelle en sa main; tous les parroissiens qui avoient puissance, une torche en leur main, tous piez nudz, femmes et hommes.

31. Le mercredi ensuivant, premier jour de juing, oudit an, en la forme et maniere du mardi, fut faite la procession.

32. Le jeudy ensuivant fut le jour du Sainct Sacrement; la procession fut faicte comme on a accoustumé.

33. Le vendredi ensuivant, IIIe jour de juing, oudit an, fut faicte la plus belle procession [146] qui oncques fut gueres veue; car toutes les parroisses et ordres, de quelque estat qu'ilz fussent, allerent tous nuds piez, portant, comme devant est dit, saintu[ai]re ou cierge en habit de devocion, du commun plus de XLm personnes avecques, tous nuds piez et à jeun, sans autres secrettes abstinances, bien plus de IIIIm torches allumées. En ce point allerent portant les sainctes reliques à Sainct-Jehan en Greve; là prindrent le precieulx corps Nostre Seigneur, que les faulx juifs boullirent [147], en grant pleur, en grans lermes, en grant devocion, et fut livré à IIII evesques, lesquelx le porterent dudit moustier à Saincte-Geneviefve, à telle compaignie du peuple commun, car on affirmoit que ilz estoient plus de LII mil; là chanterent la grant messe moult devottement, puis rapporterent les sainctes reliques où ilz les avoient prinses, à jeun.

34. Le sabmedi ensuivant IIIIe jour dudit moys, oudit an, toute l'Université, de quelque estat qu'il fust, sur peine de privacion, furent à la procession, et les petiz enffens des escolles, tous nuds piez, chascun ung cierge allumé en sa main, aussi bien le plus grant que le plus petit, et assemblerent en celle humilité aux Mathurins [148], de là s'en vindrent à Saincte-Katherine-du-Val-des-Escolliers, portant tant de sainctes reliques que sans nombre; là chanterent la grant messe, puis revindrent à cueur jeun.

35. Le dimenche ensuivant, Ve jour dudit moys, oudit an, vindrent ceulx de Sainct-Denis en France à Paris, tous piez nudz, et apporterent sept corps saints, la saincte oriflamble, celle qui fut portée en Flandres, le sainct clou, la saincte couronne que deux abbez portoient, acompaignez de XIII banieres de procession; et à l'encontre d'eulx alla la parroisse Sainct-Huitace pour le corps sainct Huitace, qui estoit en l'une desdictes chasses, et s'en allerent droit au Palays de Paris [tous]; là dirent la grant messe en grant devocion, puis s'en allerent.

36. La sepmaine ensuivant, tous les jours [firent] moult piteuses processions chascun à son tour, et les villaiges d'entour Paris semblablement venoient moult devottement, tous nuds piez, priant Dieu que par sa saincte grace paix fust refourmée entre le roy et les signeurs de France, car par la guerre tout France estoit moult empirée d'amis et de chevance, car on ne trouvoit rien au plain païs qui ne lui portoit.

37. Item, le lundy ensuivant, VIe jour dudit moys de juing [149], oudit an, allerent ceulx de Sainct-Martin-des-Champs, avecques eulx plusieurs parroisses [150] de Paris et du villaige (sic), tous nudz piez, acompaignez comme devant de luminaire et de reliques, à Sainct-Germain-des-Prez. Là dirent la grant messe en grant devocion, et les autres parroisses allerent aux Martirs et là chanterent la grant messe, et ceulx de Saincte-Katherine-du-Val-des-Escolliers vindrent chanter la grant messe à Sainct-Martin-des-Champs.

38. Item, les mardi et mercredi, VIIe et VIIIe jours dudit moys, oudit an, fist on procession, les parroissiens autour de leurs parroisses.

39. Item, le jeudi IXe jour dudit moys, oudit an, furent plusieurs parroisses, acompaignées de tres grant peuple d'eglise et de commun, tous nuds piez, à grant reliquiaire et luminaire, et en ce point allerent à Boullongne-la-Petite; là firent leur devocion et dirent la grant messe, puis s'en revindrent.

40. Item, le vendredi ensuivant, Xe jour dudit moys, oudit an, fut faicte une procession generalle, une des plus honnourables que on eust oncques veue: car toutes les eglises, colleges et parroisses y furent tous, nudz piez, et tant de peuple que sans nombre, car le jour de devant avoit esté commandé que de chascun hostel y fust une personne. Et pour celle devote procession plusieurs parroisses des villaiges d'entour Paris y vindrent en grant devocion et de moult loing, comme de plus de quatre grosses lieues, comme de par delà Villeneufve-Sainct-George, de Mongisson [151] et d'autres villes voisines, et vindrent à toutes les reliques dont ilz porent finer, tous nuds piez, tres anxiens hommes, femmes grosses et petiz enfens, chascun cierge ou chandelle en sa main.

41. Les sabmedi et dimenche, XIe et XIIe jours dudit moys, oudit an, on fist procession commune autour des parroisses.

42. Le lundi, XIIIe jour dudit moys, oudit an, vindrent ceulx de Sainct-Mor-des-Fossez acompaignez de XVIII banieres, des reliques tres grant foison, vingt croix, tous piez nudz, à Nostre-Dame de Paris chanterent la grant messe.

43. Le mardi ensuivant, le XIIIIe jour dudit moys, oudit an, allerent ceulx de Paris en procession à Sainct-Anthoine-des-Champs, là dirent la grant messe.

44. Le mercredi ensuivant, XVe jour dudit moys, oudit an, fut faicte [une] procession autour des parroisses.

45. Le jeudi ensuivant, XVIe jour dudit moys, oudit an, firent les parroisses de Paris les processions aux Martirs et à Montmartre; là chanterent la grant messe.

46. Le vendredi ensuivant, allerent à Sainct-Denis en France, c'est assavoir Sainct-Paul et Sainct-Huytasse, les gens tous nudz piez; là dirent la grant messe [152].

47. Et tant comme on fist ces processions, ne fist jour qu'il ne pleust tres fort [153], que les trois premiers jours. Pour vray ceulx de Meaulx vindrent à Sainct-Denis, et de Pontoise et de Gonnesse, et de par delà vindrent à Paris en procession.

48. Le sabmedi ensuivant firent ceulx de Chastellet, tous grans et petiz, procession.

49. Le dimenche ensuivant, procession aux parroisses.

50. Le lundi ensuivant, Sainct-Nicolas, Sainct-Saulveur, Sainct-Laurens allerent à Nostre-Dame de Boulongne-la-Petite, en la maniere que dit est devant, le jeudi IXe jour de moys.

51. Tretout le temps que le roy fut hors de Paris, firent ceulx de Paris et ceulx des villaiges d'entour procession [154], comme devant est dit, et alloient chascun jour par ordre en procession aux pellerinaiges de Nostre-Dame entour Paris, comme au Blanc-Mesnil [155], comme au Mesche [156] et aux lieux plus renommez de devocion.

52. Et fut vray que le sabmedi, XIe jour dudit moys de juing [157], ariva le roy de France, avec son oust devant la cité de Bourges en Berry, et quant ilz furent devant, ilz assaillirent la ville moult asprement, et les Arminaz se deffendirent moult fort, mais moult furent agrevez; si demanderent triefves [158], si furent données deux heures non plus. Ung pou avant que les treves furent faillies, yssirent hors les faulx traistres à grant compaignie, cuidant trayr et sourprendre noz gens qui point ne s'en gardoient; mais l'avangarde les reculla moult asprement, et si ferirent en eulx si cruelment que tous les firent flatir jusques aux portes, et là furent de si pres hastez les traistres que le sire de Gaucourt conduisoit, que en la place en demoura plus de VII{XX} hommes de nom, tous mors, et foison prins [159], lesquelx recognurent qu'ilz cuidoient emmener le roy par force et tuer le duc de Bourgongne, mais Dieu les en garda celle foys; puis passèrent plusieurs jours sans aucun assault.

53. Ce pendent eulx rendirent ceulx du chastel de Sansserre, lesquelx avoient fait moult de grief en l'ost, car au commencement du siege, par ceulx là et par autres, pain y estoit si cher que ung homme n'eust pas esté saoul de pain à ung repas pour III solz p., mais tantost après, [par] la grace de Dieu, il vint assez de vivres; et si estoient bien en l'ost plus de L mil hommes à cheval, sans ceulx de pié qui estoient grant foison.

54. Item, vers la fin de juillet, quant tout le pauvre commun, et de bonnes villes et de plat païs furent tous mengez, les ungs par tailles, les autres par pillaige, ilz firent tant que ilz firent traicter au jeune duc de Guienne, qui aisné filx du roy estoit et qui avoit espousée la fille au duc de Bourgongne, tant qu'il leur accorda par faulx traistres privez [160] qui estoient entour le roy, qu'ilz les feroit [tous] estre en la bonne paix du roy, et ainsi le fist il, qui [que] le voulsist veoir; car chascun estoit moult agrevé de la guerre pour le grant chault qu'il faisoit; [car on disoit que de aage de homme qui fust, n'avoit on veu faire si grant chault [161] comme il faisoit], et si ne plut point [depuis la sainct Jehan Baptiste], qu'il ne fust deux jours en septembre. Si furent les Arminaz si grevez qu'ilz estoient comme tous desconfiz par tout le royaulme de France [162], quant ce faulx conseil traicté fut ainsi machiné, et fut ordonné qu'ilz vendroient tous en la cité d'Aussoirre.

55. En ce temps furent plusieurs communes, comme de Paris, de Rouen et de plusieurs autres bonnes villes [163] ........................ devant eulx et gaingnerent tantost la ville, et moult tuerent de gens du plain païs, que tous se rebellerent en tout le païs de Beausse, car ilz avoient tant de paine et de charge de gens d'armes, qu'ilz ne savoient ausquelz obeir. Si se tindrent [aux] Arminaz qui là estoient les plus fors, pour le temps que la malle guerre commença. Et quant lesdictes communes vindrent à Dreux, ilz les trouverent si rebelles qu'ilz les tuerent tous, et les faulx traistres Arminaz gens d'armes [164], qui les devoient secourir, s'enfouirent au chastel de ladicte ville et laisserent tuer les pauvres gens. Et puis furent assegez de noz gens de commun si asprement qu'ilz ne se poaient plus tenir, quant ung chevalier, qui estoit [maistre] gouverneur desdictes communes, comme faulx traistre, fist laisser l'assault, et print grant argent des Arminaz, et fut du tout de la bande. Et si disoit on que c'estoit ung des bons de France, et ne se savoit on en qui fier, car il mist noz gens en tel estat qu'i leur convint partir à mynuyt pour eulx en venir à Paris, ou autrement eussent esté touz tuez par les faulx traistres et autres gentilzhommes, qui tant les hayoient qui ne les povoient souffrir, pour ce qu'ilz besongnoient si bien; car qui les eust creuz, ilz eussent nettoié le royaulme de France des faulx traistres en mains d'ung an, mais aultrement ne pot estre, car nul proudomme ne fust escouté en ce temps. Et pour ce fust faicte paix du tout à leur gré, qui que le voulsist voir, car le roy estoit touzjours malade, et son aisné filz ouvroit à sa voulenté plus que de raison, et creoit les jeunes et les folz; si en faisoient lesdiz bandez tout à leur guise. Et fist on par [165] la joie d'icelle paix les feuz avau Paris. Le premier sabmedi d'aoust mil iiiic et xii et le premier mardi de septembre, fut criée parmi Paris à trompettes [166].....

56. Mais il fut autrement, car il fut mis es carrieres de Nostre-Dame-des-Champs [167]..... Et le penultieme jour dudit moys, oudit an, vint le roy au Boys de Vincennes [168], et le duc de Bourgongne à Paris [169], et allerent les bourgoys au devant par commandement.

57. Item, le mardi XXVIIe jour de septembre, jour sainct Cosme et sainct Damien, fut despendu par nuyt du gibet [de Paris Jehan] de Montaigu, jadis grant maistre d'ostel du roy, lequel avoit eu la teste couppée pour ses demerites, et fut porté à Marcoussis [170], aux Celestins, lesquelz il avoit fondez en sa vie.

58. Item, le dimenche XXIIIe jour d'octobre ensuivant, entra le roy à Paris, et fut faicte à sa venue la plus grant feste et joye du commun, qu'on avoit veue passé avoit XII ans, [car petiz et grans] bassinoient; et vint avecques le roy le duc de Bourbon, et le conte de Vertus, nepveu, et plusieurs autres, et furent avec le roy à Paris, moult amez du roy et du commun qui avoit grant joie de la paix que on cuidoit qu'ilz tenissent bonnement, et ilz ne tendoient que à la destrucion du roy et especialment de la bonne ville de Paris et des bons habitans.

[1413.]

59. Et firent tant par leur maulvais malice, pour mieulx venir à leur maleureuse intencion, que plusieurs qui bonnement amoient et avoient amé le roy et le prouffit commun, furent du tout de leur malvaise et faulce intencion, comme le frere de la royne de France, Pierre des Essars prevost de Paris, et plusieurs autres, et par especial ledit prevost qui ce povoit venter que prevost de Paris, puis cent ans devant, n'avoit eu aussi grant grace que ledit prevost avoit et du roy et du commun. Mais si mal se porta qu'il convint qu'il s'en fouist [171], lui et plusieurs des autres des plus grans, comme le frere de la royne, duc de Baviere, le duc de Bar Edouart, Jaques de la Riviere, et plusieurs autres chevaliers et escuiers; et fut en la fin de fevrier mil IIIIc et XII, et demoura la chose plusieurs jours, aussi comme se on les eust oubliez.

60. Et ce pendant l'Université, qui moult amoit le roy et le commun, fist tant par grant diligence et grant sens qu'ilz orent tous ceulx, par escript, de la maldicte et faulce traïson, et la greigneur partie de tous les grans en estoient, tant gentilz comme villains. Et quant l'Université, par grant cure, orent mis en escript especialment tous ceulx qui povoient nuire, ce pendent revindrent les dessusdiz qui fuiz s'en estoient, et firent les bons varletz, et brasserent ung mariaige de la femme au conte de Mortaing [172], qui mort estoit, au frere de la royne, duc de Baviere, et estoit leur maleureuse intencion de faire leurs nopces loing et de emmener le roy, pour estre maistres de Paris et en faire toute leur voulenté qui moult estoit malvaise. Et l'Université qui tout savoit ce, le fist savoir au duc de Bourgongne et au prevost des marchans [173] qui avoit nom Andriet d'Espernon [174], né de Quinquenpoit, et aux eschevins [175]. Si firent tantost armer la bonne ville et clercs devantdiz, comme parurent [176], et ceux s'enfuirent ou chastel de Sainct-Anthoine et là se bouterent par force. Et le frere de la royne fist le bon varlet, et servoit le roy aussi comme s'il n'en sceust rien, et ne se mut oncques d'avec le roy.

61. Tantost après fut la ville armée, et assegerent [ledit chastel] et jurerent que jamais ne s'en partiroient tant que les eussent prins par force; et quant ceulx qui dedens le chastel estoient virent tant de gens et si esmeus, si se rendirent vers le soir au duc de Guienne et de Bourgongne, qui en respondirent, ou les gens de Paris les eussent tous despeciez, car ilz estoient bien xxiiii mil. Lors furent prins bien et estroictement et menez au Louvre, et fut le Ve jour de may mil IIIIc et XIII, jour de vendredi. Et ledit prevost demoura dedens Sainct-Anthoine encore IIII ou VI jours après, et fut allé querre et admené au Louvre environ l'eure de mynuit, et là fut emprinsonné.

62. Et la sepmaine de devant l'Ascencion fut la ville de rechief armée, et allerent en l'ostel de Sainct-Paul, où le frere de la royne estoit, et là le prindrent, voulsist ou non, et rompirent l'uys de la chambre où il estoit, et prindrent avecques lui XIII ou XIIII, que dames, que damoiselles, qui bien savoient la malvaistié [177], et furent tous menez au Louvre [178] pelle melle. Et si cuidoit ledit frere de la royne le lendemain espouser sa femme, mais sa chance tourna contre sa voulenté.

63. Le mercredi, vigille de l'Ascencion, derrain jour de may, oudit an IIIIc et XIII, fut amené ledit prevost, du Louvre au Palais, en prinson.

64. Et cedit jour, fut nommé le pont de la Planche de Mibray le pont de Nostre-Dame [179], et le nomma le roy de France Charles, et frappa de la hie sur le premier pieu, et le duc de Guienne, son aisné filz après, et le duc de Berry et de Bourgongne, et le sire de la Trimoullie [180], et estoit heure de dix heures de jour au matin.

65. Et en cedit moys de may print la ville chapperons blancs, et en firent bien faire de III à IIII mil, et en print le roy ung, et Guyenne et Berry et Bourgongne, et avant que la fin du moys fust, tant en avoit à Paris, que tout partout vous ne veissez gueres autres chapperons, et en prindrent hommes d'eglise et femmes d'onneur marchandes qui atout vendoient les denrées.

66. Item, le Xe jour du moys de juing mil IIIIc et XIII, jour sainct Landry, vigille de la Penthecoste, fut mené messire Jaques de la Riviere [181], chevalier, et Symonnet Petit-Meny [182], escuier; eulx deux furent prins au Palais du roy, et de là trainez [jusques] es halles de Parys, c'est assavoir Jaques de la Riviere, car il estoit mort et ce estoit tué d'une pinte plaine de vin, dont il s'estoit feru sur la teste si grant cop qu'il ce cassa le test et la cervelle. Et ledit Symonnet fut trainé jusques à la Heaumerie [183] et là mis en la charrette sur ung ais assis, une croix en sa main, le mort trainé jusques es halles, et là orent les testes couppées. Et dirent à la mort que de eulx deux ce avoit esté la plus belle prinse qui eust esté faicte pour le royaulme, passé avoit xx ans, et iceulx avoient esté prins au chastel de Sainct-Anthoine, comme devant est dit.

67. Item, le jeudi ensuivant, ung autre nommé Colin de Brie [184], escuier, fut prins oudit lieu comme devant est dit, et prins au Palays, trayné comme Symonnet devant dit, et couppé sa teste es halles, de ladicte bande, tres plain de tyrannie, tres laide et cruelle personne, et recognut plusieurs traïsons, car il avoit eu pencée de faire [de par] le prevost de Paris [185]; car il cuida trahir ceulx du pont de Charenton, et là fut prins, à tout finance qu'il cuidoit faire passer pour ledit prevost, qui cuidoit passer par ledit pont celle nuyt.

68. Item, le premier jour de juillet mil IIIIc et XIII, fut ledit prevost prins dedens le Palays, trayné sur une claye jusques à la Heaumerie ou environ [186], et puis assis sur ung ais en la charrette, tenant [187] une croix de boys en sa main, vestu d'une houppelande noire dechicquetée [188] fourrée de martres, unes chausses blanches, ungs escafinons noirs en ses piez, en ce point mené es halles de Paris, et là on lui couppa la teste, et fut mise plus hault que les autres [plus] de trois piez. Et si est vray que, depuis qu'il fut mis sur la claie jusques à sa mort, il ne faisoit touzjours que rire, comme il faisoit en sa grant majesté, dont le plus des gens le tenoient pour vray foul; car tous ceulx qui le veoient plouroient si piteusement que vous ne ouyssiez oncques parler de plus grans pleurs pour mort de homme, et lui tout seul rioit, et estoit sa pencée que le commun le gardast de mourir. Mais il avoit en sa voulenté, s'il eust plus vesqu, de trahir la ville et de la livrer es mains de ses ennemis, et de faire lui mesmes tres grans et cruelles occisions, et piller et rober les bons habitans de la bonne ville de Paris, qui tant l'aymoient loyaulment; car il ne commandoit rien qu'ilz ne feissent à leur povoir, comme il apparoit qu'il avoit prins si grant orgueil en soy, car il avoit assez offices pour six ou pour huit [189] filx de contes ou de bannerez. Premierement, il estoit prevost de Paris, il estoit grant bouteillier [190], maistre des eaues et des forestz; grant general cappitaine de Paris, de Cherebourgs, de Montargis; grant fauconnier, et plusieurs autres offices, dont il cuillyt si grant orgueil et laissa raison, et tantost fortune le fist mener à celle honteuse fin. Et saichez que, quant il vit qu'il convenoit qu'il mourust, il s'agenoulla devant le bourel, et baisa ung petit ymaige d'argent que le bourel avoit en sa poictrine, et lui pardonna sa mort moult doulcement, et pria à tous les signeurs que son fait ne fust point crié tant qu'il fust décollé, [et on lui octroya.]

69. [Ainsi fut décollé] Pierre des Essars, et son corps mené au gibet et pendu au plus hault. Et devant environ deux ans, le duc de Breban, frere du duc de Bourgongne, qui veoit bien son oultraigeux gouvernement, lui dist en l'ostel du roy: «Prevost de Paris, Jehan de Montagu a mis XXII ans à soy faire coupper la teste, mais vrayement vous n'y en mettrez pas trois»; et non fist il, car il n'y mist que deux et demy despuis le mot, et disoit on par esbatement parmy Paris que ledit duc estoit prophete vray disant.

70. Item, vers la fin dudit moys, recommencerent ceulx de la maldicte bande à venir pres de Paris, comme autresfois avoient esté, et vuyderent ceulx des villaiges d'entour Paris tout ce qu'ilz avoient et l'amenerent à Paris. Et lors fut fait ung traité pour faire la paix [191] et devoit estre fait à Pontoise, et y alla le duc de Berry le XXe jour dudit moys, jour saincte Marguerite, et le duc de Bourgongne le lendemain vigille de la Magdeleine. Et là furent environ dix jours pour cuider faire la paix, et firent tant qu'elle fut oncques faicte, ne eust esté aucunes demandes que lesdiz bandez demanderent, qui estoient inraisonnables, car ilz demandoient aucuns de ceulx de Paris pour en faire leur plaine voulenté, et autres choses touchans vengence tres cruelle, laquelle chose ne leur fut point accordée. Mais à celle fin que la paix ne teinst, ceulx qui de par le roy y estoient allez firent tant que lesdiz bandez envoyerent à sauf-conduit leurs embassadeurs avecques la compaignie de Berry et Bourgongne, et ceulx de Paris, pour parler au roy à bouche, et entrerent le jour sainct Pierre, premier jour [du moys] d'aoust ensuivant, qui [fut] au mardi, et parlerent au roy à bouche tout à leur volenté, qui leur fist faire tres bonne chere [192]. Quant est des demandes et des responces, je me tays, car trop longue chose seroit, mais bien scay que ilz demandoient touzjours à leur povoir la destrucion de la bonne ville de Paris et des habitans.

71. Item, le jeudi IIIe jour dudit moys d'aoust, fut l'Université de Paris à Sainct-Paul demander congié au roy de proposer le lendemain certaines choses qui moult estoient proufitables pour la paix du royaulme; laquelle chose leur fut octroiée [193]. Et le lendemain, jour de vendredi, quatriesme jour d'aoust, comme se le dyable les eust conseillez, proposerent tout au contraire de ce qu'ilz avoient devant conseillé par plusieurs foys, car leur premiere demande fut que on meist hors tous les prisonniers qui de la traïson, dont Pierre des Essars et messire Jaques de la Riviere et Petit-Menil avoient eu les testes coppées [194], estoient droit maistres et menistres,—et estoient le duc de Baviere, frere de la royne de France, messire Edouart, duc [195] de Bar, le sire de Boyssay et deux de ses filz [196], Anthoine des Essars [197] frere dudit Pierre des Essars, et plusieurs autres, lesquelx estoient emprinsonnez au Louvre, au Palays et au Petit-Chastellet,—en après, que [tous ceulx] qui contrediroient leurs demandes touchant la paix, fussent tous habandonnez, leurs corps et leurs biens. Après, assés autres demandes firent ilz, et ne proposerent point [pour] la paix de ceulx qui avoient gardé à leur povoir la ville de Paris et qui avoient esté consentans d'emprinsonner les devantdiz prinsonniers pour leurs demerites. Et si savoient ilz bien que tous les bandez les hayoient jusques à la mort. Iceulx hayz estoient maistre Jehan de Troyes [198], mire juré de la ville de Paris, concierge du Palays, deux de ses filx, ung nommé Jehan le Gouayz et ses deux filx [199], bouchers, Denisot Caboche [200], Denisot de Saint-Yon [201], tous deux bouchers, ledit Caboche cappitaine du pont de Charenton, ledit de Saint-Yon cappitaine de Sainct-Cloud. Iceulx estoient en la presence, quant le propos fut octroié, qui leur sembla moult dure chose, et s'en vindrent tantost en l'ostel de la ville, et là assemblerent gens, et leur monstrerent comment la paix qui estoit traictée n'estoit point à l'onneur du roy, ne du duc de Bourgongne, ne au prouffit de la bonne ville ne des habitans, mais à l'onneur desdiz bandez, qui tant de foys avoient menty leur foy. Mais, jà pour ce, le menu commun qui ja estoit assemblé en la place de Greve, armez touz à leur povoir, qui moult desiroient la paix, ne vouldrent oncques recevoir leurs parolles, mais ilz commencerent touz à une voix à crier: «La paix! la paix! et qui ne la vieult, si se traie au lieu senestre, et qui la vieult se traie au costé dextre.» Lors se trairent tous au costé dextre, car nul n'osa contredire à tel peuple.

72. Cependent le duc de Guienne et le duc de Berry ce misdrent au chemin pour venir en Greve; mais, quant ilz furent devant l'ostel d'Anjou [202], on ne les osa oncques laisser entrer en Greve pour paour que aucune mocion de peuple ne se feist, et s'en allerent au Louvre, et en osterent le duc de Bar et le duc de Baviere à trompettes, et à aussi grant honneur furent admenez, comme s'ilz venissent de faire le plus bel fait c'om puist faire en ce monde de sarazinesmie ou d'autre part. Et en venant querre les prinsonniers dessusdiz, c'est assavoir, le duc de Baviere, le duc de Bar et autres qui estoient au Louvre, ilz encontrerent le duc de Bourgongne qui s'en alloit à Sainct-Paoul et de ce ne savoit riens. Si fut moult esbahy quant on lui dist la chose; toutesvoyes il dissimula celle foys, et alla avecques eulx au Louvre, regardant faire l'exploit devantdit. Après ce fait ilz revindrent au Palays et crioit-on: «Nouel!» partout où ilz passoient. Audit Palays estoit le sire de Boyssay, deux de ses enfans (et) Anthoine des Essars, qui furent tous delivrez plainement, qui que le voulsist veoir, fust tort ou droit. Et tantost le duc de Guienne, qui ouvroit à voulenté, habandonna le corps et les biens de tous ceulx qui savoit bien qui avoient causé de les emprinsonner. Pour lors estoit concierge du Palays [203] maistre Jehan de Troyes devant nommé, et là demouroit; mais après l'abandonnement, en mains de heure que on ne seroit allé de Sainct-Nicolas à Sainct-Laurens, l'ostel dudit de Troyes fut tout pillié et desnué de tous biens, ses serviteurs prins, menez en diverses prinsons. Le bonhomme soy sauva le mieulx qu'il pot, et tous les autres par tel party, c'est assavoir, les Gouais, les enffens dudit de Troyes, les enfans Sainct-Yon [204] et Caboche, et plusieurs autres, qui la bonne ville s'estoient avancez de garder à leur povoir; mais fortune leur fut si perverse à celle heure que, se ilz eussent esté trouvez, fut des gentilz ou du commun [205], ilz eussent esté tous despeciez, et si ne savoit on pourquoy, fors que on disoit qu'ilz estoient trop couvoiteux. Or voy on com peu de fiance partout, car le jour de devant ilz eussent peu, s'ilz eussent voulu, faire assembler la ville de Paris en une place. Ainsi leur advint par fureur de prince, par murmure de peuple, et furent tous leurs biens mis en la main du roy; ainsi fust.

73. Advint après, que le duc de Guienne et les autres vindrent à Sainct-Paoul, et changerent, ce propre jour de vendredi, le prevost de Paris, qui estoit allé en Picardie pour le roy, [et] estoit nommé le Borgne de la Heuse, et la baillerent à ung des serviteurs au duc d'Orleans mort, qui estoit breton, et estoit nommé Tanneguy du Chastel [206]. Ilz changerent deux des eschevins [207] et misdrent deux autres, c'est assavoir, Perrin Oger [208], changeur, Guillaume Cirasse [209], charpentier, qui avoient renommée d'estre de la bande; ilz laisserent Andry d'Espernon prevost des marchans, pour sa tres bonne renommée.

74. Item, ilz firent les deux ducz devantdiz, de Baviere et de Bar, cappitaines, l'un de Sainct-Anthoine et l'autre du Louvre; et autres, de Sainct-Cloud, du pont de Charenton firent cappitaines, tous haynneux [210] du commun.

75. Item, le sabmedi ensuivant, fist cerchier autour de Paris pour trouver aucuns [des gouverneurs] devantdiz, mais nul n'en trouva; et ce jour fut [crié] que on meist [211] des lanternes par nuyt.

76. Item, le dimenche ensuivant, vie jour d'aoust mil IIIIc XIII, fut criée la paix par tous les carrefours de Paris [212], et que nul ne se meslast de chose que les signeurs feissent, et que nul ne feist armée, si non par le commandement des quaterniers, et cinquanteniers ou diseniers.

77. Item, le mercredi ensuivant, fut fait sire Henry de Marle [213] chancelier de France, et fut [depposé] maistre Huystace de l'Estre [214] qui l'avoit esté environ deux moys, et l'avoit esté fait par les bouchers devant diz, et avoient depposé messire Ernault de Corbye [215], qui bien avoit maintenu l'office plus de trente ans.

78. Et fut cappitaine de Paris [216] le duc de Berry le vendredy ensuivant. Et ce jour revint le prevost, c'est assavoir le Borgne de la Heuse, et fut remis en sa prevosté, et l'autre, voulsist ou non, depposé. Et ainsi ouvroit fortune à la vollée en ce royaulme, [et] qu'il n'y avoit ne gentil, ne autre qui sceust quel [estat] estoit le meilleur: les grans s'entrehayoient [217], les moyens estoient grevés par sussides, les tres pouvres ne trouvoient où gaigner.

79. Item, le XVIe jour d'aoust oudit an, furent murées la porte Sainct-Martin [et celle du Temple], et fist si chault que les raisins d'entour Paris estoient presque bons à vendenger [218] en icellui temps.

80. Item, le XXIIIe jour dudit moys d'aoust, fut despendu le devantdit prevost et Jaques de la Riviere, et furent mis en terre benoiste par nuyt, et n'y avoit que deux torches, car on le fist tres celéement pour le commun, et furent mis aux Maturins.

81. Item, la IIIe [219] sepmaine d'aoust ou environ, furent commencez hucquez [220] par ceulx qui gouvernoient, où il avoit foison feulles d'argent, et en escript d'argent: «le droit chemin», et estoient de drap vyollet, et avant que la fin d'aoust fust, tant en avoit à Paris que sans nombre, et especialment ceulx de la bande, qui estoient revenus, à cens et à milliers la portoient. Et lors commencerent à gouverner, et misdrent en tel estat tous ceulx qui s'estoient meslez du gouvernement du roy et de la bonne ville de Paris, et qui y avoient mis tout le leur, que les ungs s'enfuyoient en Flandres, autres en l'Empire ou oultre mer, ne leur challoit où, mais se tenoient moult eureux quant ilz povoient eschapper comme truans, [ou comme] paiges, ou comme porteurs d'afeutreure [221], ou en autre maniere, quelle que ce fust, et nul si hardy d'oser parler contre eulx [222].

82. Item, celle dicte sepmaine, s'en alla le duc de Bourgongne hors de Paris [223] et fist le mariaige de une de ses filles, comme on disoit, mais de ce n'en estoit.

83. Item, le vendredi XVe jour de septembre mil IIIIc et XIII, fut osté le corps du faulx traistre Colinet de Pisieux du gibet, et ses iiii menbres des portes, qui devant avoit vendu le pont de Sainct-Cloud; et neantmoins [il] estoit mieulx digne d'estre [ars ou] baillé aux chiens que d'estre mis en terre benoiste, sauf la chrestienté [224], mais ainsi faisoient à leur voulenté les faulx bandez.

84. Item, le jour sainct Mathieu ensuivant, [fut] deffermée la porte Sainct-Martin qui avoit esté murée par commandement des bandez, et par eulx fut faicte desmurer, qui ainsi gouvernoient tout, ne nul n'en osoit parler. Et environ X ou XII jours [devant] fut desposé le prevost des marchans, c'est assavoir Andriet d'Espernon, et y fut remis Pierre Gencien [225], qui moult avoit esté contraire au menu commun, et s'en estoit fouy par ses faiz avecques les bandez, qui le remirent en son office, fut tort ou droit.

85. Item, le XXVe jour de septembre mil IIIIc et XIII, demistrent le Borgne de la Heuse de la prevosté de Paris, et firent [226] prevost de Paris ung de leur bande nommé Andri Marchant [227]. En conclusion, il ne demoura [oncques] nul officier du roy que le duc de Bourgongne eust ordonné, qui ne fust osté ne depposé, sans leur faire aucun bien; et faisoient crier la paix aux sabmediz es halles, et tout le plat païs estoit plain de gens d'armes de par eulx. Et firent tant par placebo qu'ilz orent tous les greigneurs [228] bourgoiz de la ville de Paris de leur bande, qui par semblant avant avoient moult amé le duc de Bourgongne pour le temps qu'il estoit à Paris, mais ilz se tournerent [229] tellement contre lui qu'ilz eussent mis corps et chevance pour le destruire lui et les siens; ne personne, tant fust grant, n'osoit de lui parler que on le sceust, qu'il ne fust tantost prins et mis en diverses prinsons, ou mis à grant finance ou banny. Et mesmes les petiz enfans qui chantoient aucunes foiz une chançon [230] qu'on avoit faicte de lui; où on disoit:

Duc de Bourgongne,

Dieu te ramaint à joye.

estoient foullez en la boue et navrez villaynement desdiz bandez; ne nulz n'osoit les regarder ne parler ensemble en my les rues, tant les doubtoit-on pour leur cruaulté, et à chascun mot: «Faulx traistre, chien bourgoignon, je regny Deu, ce vous ne serez pilliez.»

86. Et en ce temps estoit touzjours le roy mallade et enferme, et ilz tenoient son ainsné filx, qui estoit duc de Guienne et avoit espousé la fille du duc de Bourgongne, dedens le Louvre de si pres, que homme ne pooit parler à lui, ne nuyt ne jour, que eulx; dont le povre commun de Paris avoit moult de destrece au cuer, qu'ilz n'avoient aucun chef qui pour eulx parlast, mais autre chose [231] n'en povoient faire. Ainsi gouvernerent lesdiz bandez tout octembre, novembre, [decembre], janvier mil IIIIc et XIII.

[1414.]

87. Item, à l'entrée de fevrier oudit an, vint le duc de Bourgongne à Sainct-Denis, et fut le IXe jour dudit moys [232], et le sabmedi ensuivant il cuidoit entrer à Paris pour parler au roy, mais on lui ferma les portes, et furent murées comme autres foiz avoient esté; avecques ce tres grant foison de gens d'armes les gardoient jour et nuyt, et nulle de deçà les pons n'estoit ouverte que celle de Sainct-Anthoine, et (de) delà celle de Sainct-Jaques [233]. Et estoit garde [de la porte] de Sainct-Denis le sire de Gaule [234], et [de] celle de Sainct-Martin Louys Bourdon qui donna tant de peine à Estampes, et le duc de Berry gardoit le Temple, Orleans Sainct-Martin des Champs, Arminac [l'ostel] d'Arthoys qui estoit le droit chief d'eulx, Alençon Behaingne [235]; brief tous estoient deça les pons, et si n'avoient hardement d'ouvrir nulles des portes, tant fut pou.

88. Et couvint ce sabmedi devant, que ceulx qui admenoient les biens à Paris, comme le pain de Sainct-Brice, comme autres biens et vivres, plusieurs furent jusques à une heure sonnée pour attendre que on ouvrist la porte, mais oncques ne fut en leur hardement de l'ouvrir, tant ilz avoient grant paour du duc de Bourgongne; [et couvint que lesdictes bonnes gens si remenassent leurs denrées, et les menerent en l'ost du duc de Bourgongne] qui fist crier sur la hart, que on ne prinst riens sans poier, et là vendirent leurs denrées bien.

89. Et fut ainsi Paris fermé bien XIIII jours, que homme n'osoit ne ne povoit besongner aux champs, et si n'y avoit nulz gens d'armes sur les champs plus pres que Sainct-Denis [236] où estoit le duc de Bourgongne et ses gens, qui nul mal ne faisoient à creature nulle. Et disoit-on qu'il ne vouloit rien à homme nul que au roy Loys, duc d'Anjou, pour ce que ledit Loys avoit ung filx, lequel avoit espousé une des filles audit duc de Bourgongne; et sans savoir [cause] pour quoy, ledit Loys fist despartir son filx de ladicte fille dudit duc de Bourgongne, et la renvoya comme une bien povre ou simple dame à son pere ledit duc [237]. Et plus fort, avoit tant fait au duc de Bretaingne, qu'il donna en mariaige une sienne fille qui n'avoit mie encores III ans à cedit filx du roy Loys, qui estoit mary à la fille devant dicte, fille du duc de Bourgongne.

90. Et en celle dicte sepmaine, firent crier sur la hart que nul du commun ne se armast, et que on obeist au duc de Baviere et au conte d'Arminac, qui estoient deux des hommes du monde qui plus hayoient les bonnes gens de Paris. Ainsi estoit tout gouverné, comme vous avez ouy.

91. Item, le sabmedi ensuivant, XVIIe jour de fevrier oudit an, fut crié ledit de Bourgongne [à trompettes] parmy les carrefours de Paris, banny comme faulx traistre, murdrier, lui et tous les siens, [et habandonnez corps et biens], sans pitié ne sans mercy [238].

92. Item, en icelluy temps, chantoient les petiz enfans au soir, en allant au vin ou à la moustarde, tous communement:

Vostre c.n [239] a la toux, commere, Vostre c.n a la toux, la toux.

93. Si advint par le plaisir Dieu que ung mauvais eir corrumpu chut sur le monde, qui plus de cent mil personnes à Paris mit en tel (estat) [240] qu'ilz perdirent le boire et le menger, le repouser, et avoient tres forte fievre deux ou trois foys [le jour], et especialment toutes foys qu'ilz mengeoient, et leur sembloient toutes choses quelxconques ameres et tres maulvaises et puantes; touzjours trembloient où qu'ilz fussent. Et avecques ce, qui pis estoit, on perdoit tout le povoir de son corps, que on n'osoit toucher à soy de nulle part que ce fust, tant estoient grevez ceulx qui de ce mal estoient attains; et dura bien sans cesser trois sepmaines ou plus, et commença à bon escient à l'entrée du moys de mars oudit an, et le nommoit-on le tac ou le horion [241]. Et ceulx qui [point n']en avoient ou qui [en] estoient gueriz, disoient par esbatement: «En as tu? Par ma foy! tu as chanté:

Vostre c.n a la toux, commere.»

Car avec tout le mal devant dit, on avoit la toux si fort et la rume et l'enroueure, que on ne chantoit qui rien fust de haultes messes à Paris. Mais sur tous les maulx la toux estoit si cruelle à tous, jour et nuyt, que aucuns hommes par force de toussir furent rompus par les genitoires toute leur vie; et aucunes femmes qui estoient grosses, qui n'estoient pas à terme, orent leurs enfans sans compaignie de personne, par force de tousser, qu'il convenoit mourir à grant martire et mere et enfant. Et quant ce venoit sur la garison, [ilz] gectoient grant foison sanc [bete] par la bouche et par le nez et par dessoubz, qui moult les esbahissoit, et neantmoins personne n'en mouroit; mais à peine en povoit personne estre guery, car depuis que l'apetiz de menger fut aux personnes revenu, si fut il plus de six sepmaines après, avant que on feust nettement guery; ne fisissien nul ne savoit dire quel mal c'estoit.

94. Item, le derrenier jour de mars oudit an, vigille de Pasques flouries, menerent les devantdiz bandez le roy et son ainsné filx ostoier [242] contre le duc de Bourgongne et lui firent assegier Compingne. Aussi lui firent passer la sepmaine peneuse et les Pasques en celle bonne besongne.

95. Et ce pendant ceulx qui devoient garder la ville, comme le roy Loys, le prevost de Paris et leurs bandez, firent et ordonnerent une tres grosse taille, et firent crier parmy Paris que chascun portast la bande, et tantost plusieurs la prindrent tout à plain, et fut ou moys d'avril après Pasques.

96. Et en cedit moys fut ars le pont à Choisy [243] tretout; et si ne pot homme savoir qui ce avoit fait, mais moult de bonnes gens y perdirent tout le leur entierement.

97. Item, ou moys d'avril IIIIc XIIII, la darraine sepmaine, fut prinse Compigne [244], par ainsi que ceulx qui dedens estoient ne se armeront jamais contre le roy pour quelque homme du monde, sur peine de perdre corps et biens sans mercy, et de estre reputez pour traistres à touzjours.

98. Item, de là eulx en allerent à Soissons, et assegerent la ville et y firent plusieurs assaulx où ilz gaignerent pou; car dedens estoit Enguerren de Bournonville, ung homme moult prisié en armes, qui en estoit cappitaine. Si la gardoit si songneusement jour et nuyt que oncques n'y porent riens gaigner [en] ycellui temps, car ledit Enguerran ne laissoit reposer ceulx de l'ost ne par nuyt ne par jour, et en prenoit souvent et menu [245] de bons prinsonniers. Et advint à ung assault où il estoit, que le bastard de Bourbon [246] y sourvint et se mist en la meslée tres asprement, et Enguerran le navra à mort. Si laisserent ceulx de l'ost l'assault, et Enguerran s'en alla en la cité, lui et ses gens.

99. Item, le XXe jour de may, oudit an, [advint] [247] que fortune, qui avoit tant amé Enguerran, le fist troubler aux gens de ladicte ville, par quoy une tres grant murmure s'esmut contre luy, et machinerent que, quant il yroit à la monstre pour veoir ses gens, ilz livreroient la ville à ceulx de l'ost et sauveroient leurs vies, s'ilz povoient. Si avint que Enguerren sceut leur voulenté, et se meslerent l'un à l'autre de parolle, et les autres de fait. Adong yssit ung homme en larrecin hors de la ville, qui dist en l'ost: «Se vous voullez assaillir la cité, vous l'aurez en present, car ceulx de la ville se sont meslez aux gens Enguerran, et ne trouverez personne qui la deffende, car tous sont couruz à la meslée.» Tantost la ville fut assaillie tres asprement [248] et fut tantost prinse et habandonnée à tous, et tous [les] biens et les corps. Là fut prins Enguerren, qui bien se deffendit, et plusieurs autres gentilz hommes de sa compaignie [249]; mais rien ne leur valut, car tous furent prins, et liez et admenez par charrettées à Paris [250], et en moururent tous par le jugement des bandez qui faisoient du tout à leur vouloir.

100. Et fut la ville prinse le XXIe jour de may IIIIc et XIIII, à ung lundi après digner [251], et Enguerran ot la teste couppée en ladicte ville le XXVIe jour dudit moys, et plusieurs autres, et plusieurs en furent penduz, et les femmes de religion et autres prudes femmes et bonnes pucelles efforcées, et tous les hommes [252] rançonnez, et les petiz enffans, et les eglises et reliques pillées, et livres [253] et vestemens; et avant qu'il fut dix jours après la prinse de la ville, elle fut si pillée au net qu'i n'y demoura chose que on peust emporter. Et dit on que on n'ouyt oncques parler que les Sarazins feissent pis que firent ceulx de l'ost en ladicte ville par le mauvais conseil qui [pour] lors estoit entour le bon roy, dont homme n'osoit parler.

101. Item, quant ilz eurent fait du pis qu'ilz porent en ladicte ville, ilz menerent le bon roy [254] à Laon, et entra dedens sans noise et sans tançon [255], car ilz prindrent exemple à ceulx de Soissons.

102. Item, il est vray que ceulx de la bande, qui pour lors gouvernoient le royaulme à Paris et ailleurs, firent faire les feus comme on fait à la Sainct Jehan, aussitost que ilz sceurent la nouvelle de la destruction de la ville, comme se [ce] eussent esté Sarazins ou mescreans que on eust destruis, ne il n'estoit nul qui de ce osast parler ne [en] avoir pitié devant les bandez [et bandées], dont vous eussiez veu à cesdiz feuz et à la vigille Sainct Jehan et Sainct Pere [256] plus de IIII mil femmes, toutes d'estat, non pas d'onneur, toutes bandées, et des hommes sans nombre; et estoient si obstinez à celle faulce bande qu'il ne leur estoit pas advis qu'il fust digne de vivre qui ne la portoit. Et s'aucun homme en parlast par aventure, se on le povoit savoir, il estoit mis à grant finance ou banny, ou longue peine de prinson sans mercy.

103. Item, de Laon s'en alla le roy à Peronne [257] et là vindrent ceulx de Gant, et de Bruges [258] et du Franc, et des autres bonnes villes de Flandres parlemanter [259], et aussy y vint la dame de Houllende [260] et ne firent rien.

104. Item, de là s'en alla le roy devant la cité d'Arras, et y fut moult longuement le siege [261].

105. Item, en cedit an IIIIc et XIIII fut commencée par lesdiz bandez une confrairie de sainct Laurent aux Blans Manteaux, le jour de l'Invencion Sainct Estienne, IIIe jour d'aoust, et disoient que ce estoit la confrarie des vrays et bons catholiques envers Dieu et leur droit signeur, et fut la Sainct Laurens au vendredy. Et le dimenche ensuivant firent leur feste à Sainct Laurens, et furent plus de IIIIc tous bandez, [et n'osoit] homme ne femme estre ou moustier ne à leur feste, s'il n'avoit la bande, et aucunes personnes d'onneur qui y estoient alés veoir leurs amis pour la feste Sainct Laurens qui se faisoit au dimenche, en furent en tres grant danger de leur bien, pour ce qu'ilz n'avoient point de bande.

106. Item, en ce temps estoient guerres par toute France, et si y avoit si grant marché de vivre [à Paris], de pain et de vin; car on avoit une pinte de bon vin sain et net pour ung denier parisis, blanc et vermoil en C lieux à Paris, et pain à la vallue, et en toute celle année ne fut trouvé du creu d'icelle vin qui devenist gras, ne bouté, ne puant.

107. Item, ceulx de l'ost en avoient grant charté [262], car ilz furent moult devant Arras sans riens faire.

108. Item, quant ilz virent que tretout encherissoit, leurs biens et tretout, et leurs chevaulx mouroient de fain partout, si firent crier la paix le XIe jour de septembre [263] environ trois heures après mynuit à ung mardi, et quant ilz partirent des tentes après le cry qui avoit esté tel: que homme nul, sur peine de la hart, ne mist feu en son logeys. Mais les Gascons, qui estoient en l'aide [264] de la bande, firent le contraire, car ilz mirent le feu partout où ilz peurent, en despit [de ce] que on s'en alloit ainsi; et fut le feu si grant que couru au pavillon du roy par darriere, et eust esté le roy ars qui ne l'eust mis hors par devers le meilleur. Et dient ceulx qui se salverent, que ou feu demoura plus de Vc hommes qui furent ars, qui estoient malades dedens les tentes.

109. Item, le jeudi ensuivant, fut sceu à Paris, et ne vistes [265], ne ouistes oncques plus belle sonnerie à Paris que on y fist cellui jour, que depuis le matin jusques au soir en tous les moustiers de Paris on sonnoit, et faisoit on grant joye pour l'amour de la paix.

110. Item, ce jeudi XIIIe jour de septembre, ung jeune homme osta la bande à l'ymage [de] sainct Huistace [266] que on lui avoit baillée, [et la deschica en despit de ceulx qui lui avoient baillée]. Et tantost fut prins, fust tort ou droit, lui fut le poing coppé sur le pont Allaiz [267] devant Sainct Huistace, et fut banny à touzjours mais; et si ne fust oncques homme qui osast dire le contraire, tant estoit tout mal gouverné et de maulvaises gens.

111. Et si sachez que tous ceulx qui devant Arras avoient esté, ou la plus grant partie, quant ilz venoient, estoient si descharnez, si palles, si empirez qu'il sembloit qu'ilz eussent esté en prinson VI ou VIII moys au pain et à l'eaue, et n'en apporterent que pesché, et en mourut plus de XI mil quant ilz vindrent à leur aise [268].

112. Item, le XIe jour d'octobre ensuivant, ung jeudi, fut fait ung champ de bataille à Sainct-Ouyn, d'un Breton [269] et d'un Portingalois, et estoit l'un au duc de Berry et l'autre au duc de Bourgongne; et furent mis ou champ à oultrance, mais ilz ne firent chose dont on doye parler, car on dist tantost,: «ho!» qu'ilz devoient faire armes. Et fist ce faire le duc de Berry pour le Breton, qui estoit de la bande, dont il avoit moult grant paour, car le Portingallois se maintenoit en son harnoys si tres ligierement, que chascun lui donnoit la victoire, mais on ne pot oncques dire lequel la deust avoir au vray.

113. Item, le sabmedi ensuivant, XIIIe jour dudit moys d'octobre, oudit an, s'en vint le roy à Paris, à belle compaignie de ceulx de Paris, et plut tout le jour si tres fort [270] qu'il n'y avoit si jolis qui n'eust voulu estre à couvert. Et soudainement, environ huit heures de nuyt, commencerent les bonnes gens de Paris sans commandement à faire feus, et à baciner le plus grandement que on eust veu passé c ans devant, et les tables en my les rues [drecées à tous venans, par toutes les rues] de Paris qui point aient de renon.

114. Item, le XXIIIe jour d'octobre, depposerent le prevost, c'est assavoir, Andry Marchant, et firent lesdiz bandez prevost ung chevalier de la court du duc d'Orleans, qui estoit baron, nommé messire Tanneguy du Chastel [271], et ne le fut que deux jours et deux nuys, pour ce qu'il n'estoit pas bien de leur accort. La IIIe journée ensuivant fut reffait prevost sire Andry Marchant, tres cruel et sans pitié, comme davant est dit.

115. Item, en cedit temps, entre la Sainct Remy et Noël, lesdiz bandez, qui tout gouvernoient, firent bannir toutes les femmes de ceulx que devant avoient bannyz sans mercy, qui estoit moult grant pitié à veoir, car toutes estoient femmes de honneur et d'estat, et la plus grant partie de elles n'avoit oncques eslongné Paris sans honneste compaignie; et ilz estoient acompaignées de sergens très crueulx, selon signeur, mesniée duicte. Et qui plus leur destraingnoit le cueur, c'estoit que on les envoyoit toutes ou païs du duc d'Orleans, tout au contraire du païs où leurs amys et mariz estoient; et encores autre chose qui leur venoit au devant, car toutes femmes sont vittuperées d'estre menées à Orléans [272], et là les envoyoit on le plus; mais autrement ne povoit estre pour le temps, car tout estoit gouverné par jeunes signeurs, senon le duc de Berry et le conte d'Arminac.

Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449

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