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Parfois, j’entends crier: Cailleau, Guiraud, Briffaut:

Quels sont ces chiens de noms? Sont-ce des noms de chiens?

—Du tout, vous êtes en défaut,

Ce sont des noms d’académiciens.

*

* *

«Les maladroits!» disait M. Bénab... en apprenant que la tentative d’assassinat des janissaires avait échoué, «que n’en chargeaient-ils un jésuite!»

A chaque instant, le Figaro, comme tous les journaux de la Restauration, revient sur les jésuites; il ne faut point s’étonner de cet acharnement, il y aurait même, je crois, injustice à le blâmer.

«En ce temps-là, disait, dans l’Univers, M. Veuillot, les Siècle et les Constitutionnel mangeaient tous les matins un jésuite à la croque au sel.»

N’en déplaise à M. Veuillot, on ne faisait que se défendre. Les jésuites et les congréganistes ont ouvert l’abîme sous les pas de Charles X, il y est tombé, précipité par eux. Alors on fit tout pour le clergé, mais il voulait encore davantage. Il fut insatiable.

Les journaux, témoins des envahissements, des empiétements quotidiens, cherchaient à y mettre une digue. Il y avait tout à craindre de gens dont les passions politiques ont été de tout temps furibondes. Un pays voisin, d’ailleurs, donnait idée de ce que pouvait être la réaction.

En 1826, un auto-da-fé annoncé depuis longtemps attira à Valence une foule fanatisée. Le 31 juillet 1826, un pauvre israélite, revêtu du san benito, espèce de blouse couverte de peintures représentant des flammes et des diables, fut conduit au bûcher. Il était condamné à être brûlé vif; son crime était l’HÉRÉSIE. Il marcha au supplice entre une haie de dominicains, qui lui dépeignaient en chemin les délices dont il allait jouir dans l’autre vie pour prix de son supplice; ils l’appelaient frère infortuné. Tant que dura le supplice de la victime, les moines hurlèrent des hymnes dont le chant formidable devait étouffer les cris de l’infortuné.

Je laisse à penser l’épouvante de l’Europe, en apprenant que les feux de l’Inquisition se rallumaient en Espagne; son horreur, lorsque les journaux lui racontèrent ce sacrifice humain, nouvelle insulte à la religion du Christ.

Et c’est à nos armes, pourtant, que le fanatisme devait cette puissance. Qu’on s’étonne encore des attaques des journaux!

Quand la mode des auto-da-fé viendra, la Sentinelle de la Religion se mettra en éclaireur.

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* *

On parle d’établir de Paris à Bruxelles des relais en permanence à l’usage de MM. les agents de change, les financiers, les libraires, etc., qui désireraient faire banqueroute.

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* *

Un incendie vient de dévorer six arpents de bois dans la forêt d’Evreux, on assure qu’un jésuite y avait mis le feu en la traversant.

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M. le procureur général a reçu la dénonciation de M. le comte de Montlosier contre les jésuites; le même jour, M. Saintes a envoyé à Montrouge une dénonciation contre M. Montlosier.

Le comte de Montlosier, dont il va être si souvent question pendant l’année 1826, avait publié un ouvrage ayant pour titre: Mémoire à consulter sur un système religieux et politique tendant à renverser la religion, la société et le trône. L’auteur y dénonçait l’existence de la congrégation et y livrait le secret de ses actes. Sa conclusion était celle-ci:

«Les quatre grandes calamités signalées au présent mémoire, savoir: la congrégation, le jésuitisme, l’ultramontanisme et le système d’envahissement des prêtres, menacent la sûreté de l’État, celle de la société, celle de la religion. Elles sont notées par nos anciennes lois; ces lois ne sont ni abrogées ni tombées en désuétude; l’infraction qui leur est portée constitue un délit; ce délit, par cela qu’il menace la sûreté du trône, celle de la société et celle de la religion, se classe parmi les crimes de lèse-majesté, crimes pour lesquels l’action en dénonciation civique n’est pas seulement ouverte, mais commandée...»

L’effet de ce mémoire fut profond, immense. La France s’épouvanta de se voir ainsi enveloppée dans un vaste réseau de sociétés religieuses secrètes, qui comptaient dans leur sein des ministres et des laquais, des rois et des cardinaux, des femmes et des enfants.

L’alarme retentit d’un bout du royaume à l’autre. On s’effraya de ces missionnaires, de ces moines, qui s’en allaient par toutes les provinces recrutant, à l’aide de la gendarmerie souvent, des néophytes et des affiliés. On frémit en les voyant embrigader les enfants dans la Société des bonnes études, et leur apprendre à chanter les louanges du Seigneur sur des airs d’opéras comiques en vogue:

Chrétien diligent,

Quelle ardeur te dévore.

sur l’air du fameux chœur de Robin des bois, ou encore:

La religion nous appelle, etc....

sur l’air du Chant du départ.

Par les enfants et les domestiques habilement stylés, la congrégation pénétrait presque dans l’intérieur des familles, qu’elle tenait déjà par les femmes.

Voilà ce que dénonce le mémoire du comte de Montlosier.

Et l’effet fut d’autant plus grand, que le comte avait passé sa vie à attaquer le nouveau régime et à défendre l’ancien.

L’auteur du Mémoire tint sa promesse, et, malgré les cris et les menaces de cette toute-puissante congrégation, le 16 juillet 1826, déposa au greffe de la Cour royale la dénonciation annoncée.

La Cour devait se déclarer incompétente.

Mlle Adeline a souvent les yeux fixés sur le parterre d’une façon si singulière, que le parterre se met à rougir.

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* *

M. d’El*** est le premier baron catholique, comme Montmorency fut le premier baron chrétien.

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* *

M. Montlosier a dit: «Je soutiendrai mon opinion jusqu’à la mort.» Dépêchons-nous donc, ont dit les jésuites.

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* *

Hier, nous avons vu M. le comte de Bonald, qui se parlait à lui-même.—C’était sans doute pour voir s’il pourrait se comprendre.

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* *

M. Briffaut a dit, dans son discours académique, que «Louis XIV imposa la gloire à son siècle.» C’est une imposition à laquelle M. de V... n’a point pensé.

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* *

Un missionnaire observait très-pertinemment que l’infâme Voltaire avait assez écrit pour perdre deux millions d’âmes, et pas assez pour allumer dix bûchers.

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* *

Les jésuites ont des poignards, M. de Montlosier n’a que sa plume; les armes sont-elles égales?

Dimanche, 23 juillet 1826.


ESQUISSE


L’ACTEUR DE PARIS ET L’ACTEUR DE PROVINCE


L’ACTEUR DE PARIS.

Il est midi, il vient de se lever et, revêtu de son élégante robe de chambre, il fait quelques tours dans son appartement, visite ses tableaux et ses fleurs et demande ses journaux. Il sourit agréablement à la lecture de celui-ci, il grimace à la lecture de celui-là. «Jean!» s’écrie-t-il, et Jean accourt: «Tu renouvelleras mon abonnement à cette feuille et tu en prendras un second à celle-ci... A propos, Jean! tu passeras chez M***, l’auteur de la pièce nouvelle, pour lui dire de venir me voir.»

Après ce préambule, il se met à table, prend son rôle et le parcourt entre la côtelette et le chablis. «C’est pitoyable, dit-il de temps en temps; les auteurs ne travaillent que pour eux, rien pour les acteurs.» On sonne. «Déjà des visites, à cette heure!... Que voulez-vous, bonhomme?—Je suis le tailleur de monsieur, je venais pour un petit compte à régler.—Vous repasserez, je n’ai pas la tête aux calculs... Et vous, l’ami, que demandez-vous?—Je suis... vous savez...—Fort bien; il me faut trente hommes ce soir, voici trente billets, soignez donc un peu mieux mes entrées.—Monsieur sera content.» On sonne encore: c’est l’auteur de la pièce nouvelle. Il n’entre qu’en tremblant, il sait qu’il va subir mille observations plus ou moins ridicules dont il se propose bien de ne tenir aucun compte. En effet, l’acteur commande des rectifications, l’auteur résiste; la dispute s’échauffe; l’acteur tient bon et, dans son dépit, écrit au régisseur pour lui annoncer une indisposition subite; puis il fait sa toilette et court à la Bourse acheter fin de mois, sur le produit présumé de sa prochaine représentation à bénéfice. De la Bourse il vole vers la nouvelle propriété qu’il vient d’acquérir. A son retour, il tombe réellement malade en apprenant que la rente a baissé à Tortoni, et que sa doublure s’est fait vigoureusement applaudir dans son rôle, grâce aux trente hommes dont il a fait les frais. De dépit il va s’enterrer dans son petit ermitage, en ayant soin d’envoyer toucher à la caisse du théâtre ses émoluments et ses parts.

L’ACTEUR DE PROVINCE.

Il est six heures; le jour luit à peine, et déjà du fond d’une modeste alcôve retentit la voix d’Agamemnon, puis bientôt après celle de Scapin. «Chien de métier,» s’écrie en s’élançant hors de son lit un homme long et sec, «faire pleurer et rire alternativement, mourir et ressusciter régulièrement tous les soirs; et cela pour mille écus par an! chien de métier! allons du courage, une dernière répétition: Oui, c’est Agamemnon. Qui frappe?» Agamemnon pâlit et craint que ce ne soit quelque créancier matinal; vainement il cherche dans sa tête quelque tour de Scapin pour l’éconduire; on frappe encore, la porte s’ouvre d’elle-même! Dieu soit loué! c’est M. le Directeur.

Il entre avec précipitation, comme un homme affairé, et, sans avoir songé seulement à donner le bonjour au roi des rois, il déploie un rôle nouveau avec une partition: «Vite à l’ouvrage, vous me voyez dans un embarras... Notre opéra est annoncé et attendu pour ce soir, et notre basse-taille ne s’avise-t-elle pas de faire une chute à se casser la jambe?—Eh bien!—Vous allez prendre son rôle.—Vous plaisantez, une partie de basse-taille pour un soprano! d’ailleurs je suis enrhumé.—Tant mieux, cela renforcera votre voix; au reste, il n’y a que deux morceaux d’ensemble. Du courage! à midi répétition, et ce soir gratification si la recette est bonne.

Agamemnon-Scapin s’exécute de bonne grâce; la répétition arrive, il ne bronche presque pas, et, pour se donner plus de courage, il va chez le traiteur attendre l’heure de la représentation. Mais, fatale imprévoyance! sans doute il croyait déjà tenir la gratification, et quand vint le quart d’heure de Rabelais, il se souvint qu’elle n’était que promise; que faire? Le roi des rois n’a de crédit nulle part; Scapin vient à son secours: il envoie la carte à payer au théâtre, en priant le cher directeur de venir le dégager. La représentation a lieu; il est applaudi, sifflé, que lui importe! il n’a d’ambition et d’amour-propre que pour mille écus.

COUP

A la porte du couvent de Saint-Acheul, il y a, dit-on, un rémouleur qui n’est occupé qu’à aiguiser de petits couteaux.

Lundi, 24 juillet 1826.


RÉSUMÉ DE L’HISTOIRE DES PAPES

On déclame beaucoup aujourd’hui contre les usurpations des jésuites et les envahissements du spirituel sur le temporel, et il n’en résulte que beaucoup de bruit sans que le pape et le clergé s’en inquiètent le moins du monde. Que redouter, en effet, d’allégations vagues et mal fondées? Ce sont les faits qui tuent, et non les mots.

Aussi n’hésitons-nous pas à placer, en tête des ouvrages qui traitent cette matière, le Résumé de l’histoire des Papes. L’auteur donne rapidement, et en peu de mots, l’esquisse de la vie de chaque pontife. Peu de réflexions et beaucoup de détails, voilà comme il faut écrire l’histoire abrégée. Mais ce qui distingue surtout cet ouvrage, c’est un ton de gravité qui était commandé par le sujet, et que l’auteur n’abandonne jamais. C’est un mérite de plus, qu’au temps qui court on ne saurait trop apprécier.

Le pape, dit Montesquieu, est une vieille idole qu’on encense par habitude; il aurait pu ajouter par faiblesse et par superstition. L’histoire offre-t-elle rien de plus déplorable que l’excommunication de l’empereur Henri IV, et n’y a-t-il pas quelque chose de révoltant dans la défection de ses sujets dès qu’il fut condamné par l’ambitieux Grégoire?

Quoique la chaire de saint Pierre ait été souvent occupée par des hommes vraiment vertueux, on y a vu s’asseoir assez de pontifes indignes pour ne pas souhaiter de la voir dominer sur tous les trônes chrétiens. Et, d’ailleurs, où sont les titres de l’évêque de Rome à cette suprématie universelle qui ne soient mis au néant par chaque page de l’histoire?

Il est assez singulier que, dans le nombre des successeurs de saint Pierre, une femme ait figuré, les uns disent pendant deux ans et demi, les autres disent pendant cinq mois. En 854, un prêtre, connu sous le nom de Jean d’Anglican, fut élu après la mort de Léon IV. Un jour que, revêtu des habits pontificaux, il se rendait processionnellement à Saint-Jean de Latran, il parut éprouver des douleurs très-vives que ses efforts pour les cacher augmentèrent encore. Enfin le pape accoucha, ou plutôt la papesse, car c’était une femme, entre le Colisée et Saint-Clément; elle mourut sur la place même. Un monument d’expiation y fut élevé et subsista jusqu’au pontificat de Pie V, qui le fit détruire. De là vint la coutume de faire asseoir le nouveau pape sur un siége creusé, de manière qu’un homme pouvait passer dessous et s’assurer du sexe. Aussitôt cette opération faite, on s’écriait: Papam virum habemus.

COUPS DE LANCETTE.

Monsieur de Montlosier a demandé au préfet de police la permission de porter une cuirasse sous ses habits.

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* *

On annonce un prochain changement de ministère.—Quel bonheur!... Mais ce n’est qu’en Angleterre.

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Une Excellence, ayant entendu parler des conversions d’un révérend, répéta avec joie: «C’est donc un diable que cet homme-là?—Non, monsieur, c’est l’abbé G...»

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* *

Depuis que l’abbé G... a fait brûler Voltaire et Rousseau, on sait de quel bois les jésuites se chauffent.

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* *

Le général D... porte son épée comme un homme de cœur; cela ne dit pas qu’il soit brave.

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* *

Madame de G..., craignant de ne plus faire parler d’elle, après sa mort, vient de prier M. Auger de lui composer son épitaphe. La voici:

Ci-gît, mère de cent enfants,

Des comtesses la plus féconde;

Elle a fait du bruit dans le monde,

Elle y parla quatre-vingts ans.

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* *

Madame de Genlis ne croit pas aux jésuites, parce qu’elle n’en a pas connu avant la révolution.

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* *

C’était, avant-hier, la fête de Montrouge; MM. les jésuites se sont livrés à leur gaieté naturelle. Après un repas délicat, toute la confrérie a entonné en chœur ce doux refrain:

Il faut leur percer le flanc,

Plan, plan, rataplan, etc., etc.

Montrouge, dont Figaro parle à chaque instant, et que le Courrier français appelait «l’antre du fanatisme,» est la petite commune aux portes de Paris où les jésuites avaient fondé une maison mère. A Montrouge se tenait le conseil supérieur, dont les instructions et les commandements volaient avec une inconcevable rapidité d’un bout de la France à l’autre. «Les télégraphes jésuitiques de Montrouge, dit un journal, l’emportent sur les signaux du gouvernement.»

«Montrouge, disait un autre journal, c’est le jésuitisme, le foyer de la congrégation, le vrai siége du gouvernement.»

Qu’est-ce donc que ce joujou-là? demandait un enfant à un frère ignorantin, en lui montrant un canif.

—Mon fils, lui répondit l’élève de Montrouge, c’est un instrument qui sert à corriger les rois.

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Le Moniteur prépare une circulaire pour annoncer à l’Europe qu’il est le plus spirituel, le plus amusant, le meilleur des journaux littéraires... Nous croyions que c’était la Pandore.

Samedi, 29 juillet 1826.

VIEUX CONTE S’IL EN FUT JAMAIS

Or, il advint dans un pays de jubilé, par delà des montagnes bien hautes, qu’un jour il y eut grand aria, comme on dit. Voilà que tout à coup il n’y avait rien dans les coffres, rien dans la cave, rien au grenier, ni foin ni paille, rien enfin à mettre sous la dent. Quand il n’y a point de foin au râtelier, les ânes se battent. Mais il faut manger, quoiqu’on se batte; les uns firent ceci, les autres cela, tous firent de travers et cheminèrent de mal en pis. «Parbleu, dit un jour celui qui avait la plus belle plume au chapeau (bien qu’elle fût toute sale) et les plus beaux hauts-de-chausses (bien qu’ils fussent de pièces et de morceaux), si nous allons de ce train-là, nous n’irons pas loin; vite un tambour, et qu’on aille tambouriner partout pour que chacun vienne de suite, réflexion en poche et sabre au côté pour couper ce nœud gordien-là.» Un chacun réuni, après les dits et redits, le bourdon d’une grosse cloche coupa court, et l’on patenôtra cinq à six Orémus. Puis l’homme à la plume, d’un ton dolent, crachant à droite, éternuant à gauche, à quoi l’on repartit: Dieu vous bénisse, s’escrima ainsi, sur les choses du moment, avec un accent le plus solennel du monde: «Mes très-chers frères, saint Ignace (ici ceux qui étaient derrière les autres donnèrent un grand coup de front sur la nuque de ceux qui étaient devant; le mouvement gagna jusqu’à ceux qui étaient en tête de la longue et large colonne, et ceux-ci le firent à leur tour rétrograder brusquement jusqu’aux endormis de la dernière banquette), le grand saint Ignace, continua-t-il, nous punit par l’inanition des indigestions que nous nous sommes données. C’est visible: il faut donc, je crois, que le plus ventru de nous tous y passe le goût du pain et soit regardé comme le bouc émissaire des péchés d’Israël; saint Ignace m’est apparu rouge de colère comme l’œil du coq; il faut l’apaiser! Moi, je n’y vais pas par quatre chemins; j’ai mangé à crédit partout où j’ai pu; j’ai cédé, moyennant pot de vin, bail sur bail, les gros fermages de tous les pays; puis, le temps est venu où je n’ai plus à ronger que ma plume et mes chausses, si nous n’y mettons ordre, vous pour moi, et moi pour vous.»

Après ces mots, il y eut de la sensation, et les petits enfants demandèrent des tartines. Un conseiller, qui avait été nourri de la lecture de Molière, leur fit donner le fouet tout leur soûl. Puis un gros joufflu qui louchait, portant robe noire et perruque idem, parla dans ces mots en caressant un petit garçon d’un air tout à fait mystique: «Quand on n’a pas de pain, j’en ai encore et le garde; j’ai raison, et l’on doit être fier de me voir si dodu et si vermeil. On dit que j’ai faim comme quatre, et que je mange comme huit. Qu’est-ce que cela prouve, sinon que j’ai de l’appétit. On vit comme on peut; je peux parce que j’ai. Que ceux qui ont du crédit s’en servent, on payera quand on pourra; et quant aux gueux qui n’ont rien, ce sont des gueux qu’il faut pendre, cela leur apprendra à vivre. J’ai dit.» Tous tes plus grands, tous les plus gros, gens à pistolets et poignards en poche, gaillards trapus et hargneux, dogues à longs crocs et colliers pointus, excitèrent alors un vacarme d’applaudissements de tous les diables; on bâillait de faim, on braillait d’enthousiasme.

Quand on se fut bien estomaqué, un petit homme, couleur gris de poussière, sec comme la mort, blême comme un carême, jambes en fuseau, corps menu, nez d’un pied de long, grimpa dans l’égrugeoir comme un écureuil, et là, de pérorer d’une voix affamée, tirant la langue comme un chien de chasse qui vient de courre:

«Mes amis, je devrais me taire, car je n’ai pas soupé hier, déjeuné ce matin, ni dîné ce soir (murmures), mais la conscience l’emporte: je vais faire une révélation terrible. Un jour de fête, car, Dieu merci, nous sommes dans les fêtes jusqu’au cou, nous vivons comme des bienheureux (applaudissements), je fumais, car que faire de mieux, si on ne mange, que de fumer? (murmures plus prononcés)—quand une idée que je crus pieuse me passa par la tête: cette idée, messieurs, c’était de fondre toutes les cloches des monastères du pays pour en faire des pièces de six maravédis, à l’effet d’acheter pour nous et les nôtres des petits pains de seigle.» A peine l’orateur eut-il parlé, qu’il fut accueilli à grands coups de pied, à grands coups de poing, hué, conspué, tiraillé et reconduit avec force gifles, croquignoles, rebuffades et crachats au nez, jusqu’à une des plus belles potences qui aient jamais eu quinze pieds, et accroché, à la grande satisfaction de toutes les bonnes âmes, par le beau milieu de son cou. Depuis lors, le pays devint le chaos le mieux organisé, l’enfer le plus cagot qu’il se fût oncques vu; il y eut des cloches sans pain, des fêtes où l’on ne riait pas du tout, des cantiques de cinquante et quelques couplets, force coups de couteau, contrebande, guerre civile, combats de taureaux, peste, famine, plaies et bosses à bouche que veux tu, et autres gentillesses dans ce moule; mais, par-dessus le marché, pas une pièce de monnaie dans l’escarcelle pour acheter du baume de fier-à-bras!

COUPS DE LANCETTE.

Rivarol accusait M. Ginguené d’avoir des phrases d’une longueur désespérante pour les asthmatiques.—Qu’aurait-il dit de celles de M. Villemain?

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Jésuite pour jésuite, disait madame d’A..., j’aime mieux ceux à robes longues, cela cache mieux les choses.

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La Gazette, le Drapeau blanc et le Journal de Paris, depuis qu’ils publient les nouvelles de Portugal, ressemblent à ces tyrans de mélodrame, qui se montrent avec un visage riant et se retournent aussitôt en fronçant le sourcil et en disant tout bas: Dissimulons.

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Un dentiste célèbre, attaché au service d’un prince étranger, demandait au chambellan dans quelle langue il pourrait adresser ses remercîments à Son Altesse.—En français, si vous voulez, reprit le courtisan, pourvu que vous évitiez de prononcer le mot mâchoire.

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Dans une de ses dernières brochures, M. le comte de Bonald dit qu’il ne connaît rien de plus beau que les pays gouvernés par les prêtres, et il cite la fière Espagne avec son inquisition et ses moines.

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MM. Bénab... et Ling..... sont toujours à louer ou à vendre.

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Deux moines de la sainte inquisition lisaient à Madrid les détails de l’incendie de Constantinople.—«Que les habitants de cette ville sont heureux!» s’écria l’un des saints pères, «ils peuvent jouir à chaque instant du plaisir de voir brûler des hommes, des femmes et même des enfants!...»

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Il y a un proverbe florentin conçu ainsi: Qui fait ses affaires ne se salit pas les mains; M. le comte de... doit avoir les siennes furieusement propres.

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On a cité en justice un brave homme parce qu’il se nomme Napoléon. Est-ce en France ou chez les Hurons?

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M. de V... se fait, dit-on, répéter tous les matins, depuis huit jours, cette maxime d’un ancien: Un flatteur est un esclave qui n’est bon pour aucun maître.

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La Sentinelle de la Religion prétend qu’elle soutient tous les bons principes....... Sans doute comme la corde soutient le pendu.

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Mlle Delâtre disait qu’elle connaissait les livres de morale.—Oui, lui répondit-on, comme les voleurs la gendarmerie.

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Un auteur célèbre a dit que l’existence entière des jésuites fut un grand dévoûment à la religion et à l’humanité; ajoutez: et aux petits garçons.

Les vengeances et les colères d’une réaction furieuse donnèrent, sous la Restauration, un rôle des plus importants à la délation. Les délateurs, comme ceux de la Rome antique, sûrs de l’impunité, que dis-je, certains d’obtenir des récompenses et «des honneurs,» ne se renfermèrent pas toujours dans leur strict devoir. D’espions, ils devinrent agents provocateurs et, pour satisfaire leur «honnête ambition,» se mirent au service des rancunes. De là, des piéges honteux tendus à la crédulité d’une foule de malheureux, qui payèrent de leur tête le crime d’avoir écouté les propositions de misérables chargés d’organiser des émeutes et des complots, où d’autres misérables plus puissants qu’eux ramassaient dans le sang des victimes des croix et des cordons.

On est révolté au seul souvenir des crimes des cours prévôtales, en ce temps de terreur contre-révolutionnaire. Que de sang, à Grenoble! on y exécuta des hommes, des vieillards, un enfant, et plusieurs cependant avaient été reconnus innocents. A Lyon, on décima un village. Un député put s’écrier à la chambre: «Tous vos complots, jusqu’ici, ont été organisés par la police.» La droite ne dit pas non. Qui ne sait les tristes détails de la conspiration Berton, à Saumur; de l’affaire du colonel Caron! Ils avaient été vendus à l’avance.

«L’espionnage, disait M. de Montlosier dans son mémoire, était autrefois un métier que l’argent commandait à la bassesse; il est aujourd’hui commandé par la probité, par les devoirs que la congrégation impose. On assure que l’espionnage est devenu comme de conscience: on est prêt à lui donner des lettres de noblesse.»

En 1826, partout et toujours, l’opinion émue voyait des mouchards et des agents provocateurs.

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* *

Samedi, 12 août 1826.

NOTES MANUSCRITES

EXTRAITES DES MÉMOIRES D’UN MOUCHARD

Ma naissance ne fut pas plus célèbre que celle de Lazarille de Tormès: fils d’une femme de mauvaise vie, je fus vendu par elle à l’âge de cinq ans à un vieux mendiant; j’appris des camarades de mon sort, dans les tavernes où mon maître allait s’enivrer avec des confrères dignes de lui, mille jolis tours d’adresse que je mis en pratique dans plusieurs occasions assez importantes. Une seule manqua et me fit un nom: j’allais être pris, je défilais avec deux aigrefins de ma taille, et, trop fier pour mendier désormais, nous associâmes nos rares talents. Je gravissais avec légèreté cette échelle de drôleries qui conduit raide à la potence, lorsque l’exemple de mon meilleur ami, suspendu par le cou à un gibet, refroidit subitement mes principes chevaleresques. Ayant trop de cœur pour en revenir à mon premier état, pas assez pour persévérer dans le second, je me fis mouchard. Là se développa le génie que m’avait donné la nature. J’ai servi tour à tour à Londres, à Paris, à Vienne; les mystères de l’Escurial, le sphynx du Saint-Office, les énigmes du Vatican, ne furent pour moi que des secrets de Polichinelle: j’étais un joyau qu’on se prêtait par considération. J’ai tramé dans la machine infernale, mis, un des premiers, le feu à Moscou, et jeté le cri de sauve qui peut à Waterloo. J’étais présent au dix août. J’ai porté des rafraîchissements à l’Abbaye dans les premiers jours de septembre. J’ai traité de puissance à puissance avec Robespierre, soupé avec Lequinio, qui soupait avec le bourreau. J’étais un des gendarmes d’élite qui ont mis à mort le duc d’Enghien dans les fossés de Vincennes. Je fus un moment revêtu d’un caractère semi-diplomatique pour vendre Paris aux Cosaques; depuis j’ai parcouru Avignon, Grenoble, Nîmes, où périt Brune, et finalement Lyon. Tout jusque-là m’avait réussi. Ma fortune donna contre un écueil. Chargé de mettre des papiers parmi ceux d’un général royaliste, je refusai: j’avais fait l’honnête homme, je fus destitué; je le devins tout à fait. S’il n’y avait que la vertu qui surnageât, que d’Excellences on pourrait noyer dans un verre d’eau.

En devenant honnête, je devins furieux; cela se voit souvent, surtout lorsque la rancune est plus forte que l’amour-propre: je résolus de faire mes Mémoires; je les fis. J’allais les publier, lorsqu’un de mes amis, ancien prêtre, aujourd’hui père légitime d’une demi-douzaine de marmots qu’il élève à la Lancastre et pour les arts libéraux, homme de mœurs douces et d’esprit prudent, me représenta que les minutes officielles de mes aventures existaient, signées de ma main, au dépôt des archives, et qu’ainsi l’anonyme même ne saurait me mettre à l’abri des investigations de mes anciens compagnons d’armes. Je ne voulais pas donner quinze et brisque sur mon jeu, et mourir martyr après avoir vécu comme un gredin. Je me tus: je serrai mes paperasses, comme fit le courageux Ducis quand il écrivait contre Napoléon. Mais j’enrageais, j’enrageais... Je découvris bientôt un nouvel argument à l’appui du premier.

C’est moi, disais-je, qui ai révélé à Napoléon les conciliabules secrets du mont Saint-Valérien; le Calvaire a repris sa splendeur, certains messieurs, que l’on dit y apparaître encore, pourraient bien se piquer d’être plus chrétiens que l’Évangile. Taisons-nous: tout n’est pas gain pour ceux qui écoutent.

C’est moi, disais-je, qui ai démontré la connexion de l’affaire Pichegru avec celle de Georges; bien que M. Basterèche l’ait dit en toutes lettres à la tribune, il doit peu me convenir à moi de traiter Pichegru d’assassin. On lui élève une statue et, quoi qu’en dise l’article 8 de la Charte, ses amis et les amis de leurs amis pourraient se montrer plus royalistes que le roi. Taisons-nous: tout n’est pas gain pour ceux qui écoutent.

Si, ajoutai-je encore, je me vantais d’avoir mis le nez jadis dans les papiers de Cambacérès, on pourrait me faire des questions embarrassantes sur la cause de leur disparition, et si je disais ceci et cela, je pourrais passer pour un calomniateur, parce que je ne les ai plus devant moi, et que du reste je ne voudrais pas les avoir dans ma poche, Dieu m’en garde! Ainsi taisons-nous: tout n’est pas gain pour ceux qui écoutent.

Si je racontais l’histoire de la souricière (celle de Bayonne, bien entendu), je sais bien que le prince de T.... et l’archevêque de P.... ne m’accuseraient pas de mensonge. M. le duc de R..... pourrait faire une seconde publication, à cet égard, aussi risible que la première, mais ni lui, ni moi, ni nos amis, ne regagnerions nos entrées, et je ne vois là que dangers sans honneurs pour sortir d’un pas de clerc. Sylla, en affranchissant ses esclaves, se créa par cette adresse des légions de clients. Taisons-nous: tout n’est pas gain pour ceux qui écoutent.

J’aurais parlé, disais-je encore, de l’affaire des sous-traitants à qui Napoléon fit rendre gorge un peu à la turque: c’est moi qui avais arrêté le gros maréchal-ferrant millionnaire: mais que d’allusions à l’affaire Ouvrard! On dit que celle-ci tient à tant de choses si délicates, à ceci, à cela, à presque tout enfin. Je veux croire que ce sont des propos de gobe-mouches, c’est bon. Mais taisons-nous: tout n’est pas gain pour ceux qui écoutent.

On sait, disais-je enfin, comment est mort Paul Ier, et moi aussi, je le sais: mais si, comme le dit M. Dulaure, les Anglais ont semé l’or sterling à la brouette dans les quarante-quatre mille communes de la France, pour faire bouillir le vif-argent dans toutes les cervelles gauloises, aux bons vieux jours de Foucher, Carrier, Marat et Compagnie, ne trouveraient-ils pas dans quelques petits coins de leur escarcelle, toute délabrée qu’elle me paraît aujourd’hui, de quoi acheter à bon compte la peau de moi, chétif, dussé-je, comme une grenouille dépouillée, ne vivre que juste ce qu’il faut après pour la voir bien et dûment tannée pour en faire un tambour. Pas de ça, s’il vous plaît. Taisons-nous: tout n’est pas gain pour ceux qui écoutent. Et je jetai mes Mémoires au feu....

COUPS DE LANCETTE.

Dans un pays qui touche à la Turquie, les uns reçoivent des cordons, les autres n’obtiennent que la corde.

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M. T. L. assure qu’il est un homme.

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A Londres, la nommée Marie Cocnet d’Ouvrard, qui se dit fille du munitionnaire de Sainte-Pélagie, a été condamnée à la peine capitale pour avoir volé une montre.—On la croit de la famille.

Lundi, 21 août 1826.

ALBUM DE CHÉRUBIN.

A-compte.—Femme qui donne un à-compte sur une affaire amoureuse ne tardera pas à la solder.

Déclaration d’amour.Déclaration de guerre contre la vertu.

Esprit.—Une belle femme sans esprit est un dieu qu’on admire et auquel on ne sacrifie pas.

Familiarité.—Porte ouverte à l’amour.

Hélas!—Expression de la douleur, aussi fugitive que celle du plaisir.

Impôt.—Le regard d’une jolie femme est un impôt sur notre cœur.

Jalousie.—Saint Jérôme est presque une autorité en amour. Il dit que la jalousie d’un mari est sottise, car si une femme est facile, il est impossible de la garder; et si elle est chaste, elle n’a pas besoin qu’on la surveille.

Laideur.—Elle est une autre Vesta qui conserve religieusement le feu de la chasteté.

Mélange.—Le je ne sais quoi d’une femme se compose d’un mélange d’attraits, d’appas et de charmes qui séduit, engage, entraîne.

Œillade.—Lancée par une coquette, c’est un filet qui sert à prendre des dupes.

Paradis.—Un religieux arabe a dit que Dieu avait un paradis à part pour les femmes, parce que si elles entraient dans celui des hommes, elles en feraient un enfer.

Secret.—La Fontaine prétend qu’une femme ne peut garder un secret. Malgré le bonhomme, il est une justice à leur rendre: jamais elles ne divulgueront le secret..... de leur âge.

Tartufe.—Il est des tartufes femelles, mais ce sont les moins dangereux.

Vertu.—Rien ne conspire plus contre la vertu des femmes qu’elles-mêmes.

Yeux.—Agents provocateurs du plaisir.

Jeudi, 24 août 1826.

ANNIVERSAIRE

Il y aura, ce soir, à minuit, deux cent cinquante-quatre ans! La paix avait été signée entre les factions: la liberté des cultes en était la conséquence... Tout à coup, la cloche de Saint-Germain-l’Auxerrois annonce le signal, et, de proche en proche, le tocsin appelle tous les assassins au meurtre: ils sont prêts sur tous les points de la France. Rome approuvait la mort de Coligny... Il tombe sous le fer d’un valet!... Besme! cela est-il fait? s’écrie une voix.... Un cadavre qui tombe aux pieds de Guise lui sert de réponse... Il le foule! Va, Guise, va porter cette tête à Médicis. Ne crains pas. Hideuse, défigurée, sanglante, elle ne fera pas reculer Charles IX! Un ennemi mort sent toujours bon. Réjouissez-vous donc, respirez à l’aise, il y en a cent mille!!!! O rigueurs salutaires!....

COUPS DE LANCETTE.

—Où Bazile court-il donc, avec cet air si gai?

—Comment! tu ne sais pas?

—Non!

—C’est aujourd’hui jour de fête.

—Oh! oh! et quelle est donc cette fête, qui donne un éclat si vif à tes yeux creux et à ta physionomie plombée?

—La Saint-Barthélemy, parbleu!

—Infâme!....

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Mademoiselle Maria se plaint que les journalistes s’acharnent sur elle comme des corbeaux. Certes, notre méchanceté est connue, mais nous n’aurions jamais osé dire celle-là.

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Il y a des gens bien élevés, en Russie: les potences ont quinze pieds de haut.

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Savez-vous pourquoi le bibliothécaire B... serait bien placé aux finances?—Non!...—Parce qu’il ne touche pas au dépôt qui lui est confié.

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La statue de Louis XIV qui a été érigée à Lyon a coûté, tous frais faits, 537,950 francs. Que l’on dise ensuite dans vingt biographies que Louis XIV ne vaut rien.

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L’Etoile est payée pour mentir. Elle va prouver dans son prochain numéro que, lors de la Saint-Barthélemy, les protestants se sont suicidés eux-mêmes pour faire tort aux jésuites.

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—Un juge présidant les dernières assises

A certain vagabond reprochait son larcin.

—Ah! parbleu! répond-il, dites donc des sottises,

Sans les voleurs, bientôt vous crèveriez de faim.

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M. Lecomte, qui est généreux comme un Arabe, offre CENT FRANCS à l’homme de bonne volonté qui ira chercher querelle aux journalistes. Nous serons plus libéraux. Nous offrons cinq cents francs à l’homme de corvée qui aura le courage de déclarer publiquement que M. Lecomte est un bon acteur, un bon auteur et un homme d’esprit.

L’AMI DES MONSTRES

M. Geoffroy Saint-Hilaire est un professeur du Jardin des Plantes et membre de l’Académie des sciences (section d’histoire naturelle). C’est un homme fort savant et fort laborieux. Il se passe fort peu de séances de l’Académie des sciences sans que M. Geoffroy Saint-Hilaire n’ait quelques monstruosités nouvelles à signaler à l’attention de l’Académie. Les monstres sont une de ses manies, car il en a encore une autre dont nous parlerons tout à l’heure; M. Geoffroy Saint-Hilaire voit des monstres partout: il conserve chez lui, dans l’esprit-de-vin, des veaux à deux têtes, des chats à six pattes, des enfants à quatre jambes, des jumeaux attachés par le ventre, etc., etc. Avez-vous un doigt de plus ou de moins, vous êtes monstre; et M. Geoffroy Saint-Hilaire a été tenté de se déclarer monstre lui-même en se voyant dans une glace, parce qu’il a la plus extraordinaire construction d’oreilles qu’on puisse imaginer.

M. Geoffroy Saint-Hilaire arrive ordinairement à l’Académie armé de vases et de bocaux renfermant des monstres. Lundi dernier, le savant professeur est arrivé précédé d’une terrine de Nérac, de ces terrines pouvant contenir six perdreaux truffés. C’est un pâté, s’écrie-t-on de toutes parts; c’est un pâ â té, s’est écrié un académicien aussi éloquent que notre ami Bridoison; chacun se lève, et tous les membres du docte corps demeurent la bouche ouverte et les yeux fixés sur la bienheureuse terrine. Quel désappointement! Le professeur prend la parole: «J’ai l’honneur de présenter à l’Académie, dit-il, un enfant né il y a huit jours....» Chacun se rassied et se bouche le nez.... M. Geoffroy Saint-Hilaire s’aperçoit de l’effet produit par sa harangue et continue: «J’emporte mon monstre à la bibliothèque, et je le montrerai à ceux qui le désireront.»

M. Geoffroy Saint-Hilaire a encore une autre manie, de trouver une analogie entre l’homme et les moindres animaux. Dernièrement il expliquait l’analogie qu’il prétend exister entre l’espèce humaine et le lézard. Il avait apporté un de ces animaux dans une fiole; la fiole passait de mains en mains: elle arrive à un académicien, homme de beaucoup d’esprit, qui la passe à son voisin, en disant: «Mon confrère, permettez-moi de vous passer notre confrère.»

Avec tout cela, M. Geoffroy Saint-Hilaire est un homme profondément instruit, d’une élocution facile et élégante; il a de plus l’honneur d’être opposé de principes et d’opinion à un autre académicien riche de places, de dignités et de sinécures, et dont on a dit: «Ce cuvier-là, c’est le tonneau des Danaïdes.»

UNE JOURNÉE

(Extrait de l’album d’une dévote.)

..... J’ai été réveillée ce matin, à dix heures; on entrait dans mon boudoir sans se faire annoncer; j’ai cru que c’était mon mari, et j’allais le tancer de la bonne façon de son impertinence..., c’était mon directeur. D’abord il a aperçu sur un fauteuil une robe neuve apportée la veille, puis il m’a vue cacher avec précipitation quelque chose sous la couverture. Il a voulu savoir ce que c’était: je résistai, il insista, mit la main... c’était un roman! Comme il m’a sermonnée, ce bon M. Papelard, sur Satan, sur les vanités du monde! Il m’a prouvé par un argument que je n’oublierai jamais que la chair est bien fragile. On a frappé, mais la clé était en dedans: j’ai reconnu la voix de mon mari, qui voulait me souhaiter le bonjour; je l’ai prié d’aller faire un tour.

Pendant que M. Papelard achevait la péroraison d’un discours dont l’introduction avait été si violente, j’ai fait ma toilette. Point de coquetterie devant mon directeur, il chiffonne un fichu trop mondain, met la main sur tout ce qui est de luxe. Nous sommes sortis pour aller au sermon, il a pris mes Heures et un petit sac contenant les économies que je fais faire à mon mari, pour en verser une partie dans le tronc d’un séminaire et prendre un abonnement à la Sentinelle.

A notre retour, nous nous sommes encore enfermés: il avait, disait-il, à m’expliquer le texte du sermon, que je n’avais pas bien compris et qui était: Aperite portas vestras, et j’ouvrais de grandes oreilles.

J’ai trouvé une lettre adressée à mon mari par mon fils que j’ai mis à Saint-Acheul. Il se plaint de la vie qu’il y mène, le petit insolent! Bien m’en a pris de ne pas laisser cette lettre entre les mains de son père, il serait homme à mettre son fils dans un collége royal.

Mon mari m’a fait dire qu’il attendait deux amis à dîner; je lui ai répondu que je faisais maigre, et qu’il pouvait aller chez le restaurateur; j’ai eu soin surtout de lui défendre de rentrer avant onze heures.

Je voulais voir Tartufe, dont on m’avait tant parlé; j’avais eu soin de retenir une loge sang en rien dire à M. Papelard. Après le salut, j’ai été à la Comédie-française. Qu’il me tardait de voir ce Tartufe! Cette tragédie m’a fait pleurer.

COUPS DE LANCETTE.

Quand M. Ch. Nod... fait insérer dans un journal un article de trois colonnes, on peut écrire en bas de cet article: J’ai faim.

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Miracle! M. de Corbière a ouvert l’œil droit. Au train dont il y va, on suppose qu’il sera tout à fait réveillé pour la fin de l’année.

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M. de Corb... a, dit-on, la maladie de la pierre.

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M. de C...-Tonn... ne passera pas sur le pont des Invalides pour se rendre au Champ de Mars, parce qu’il n’y a plus de garde-fous.

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Que dites-vous de M. Madrole?... L’écho répond.

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Les valets détestent la liberté, parce qu’elle ne leur permet pas de se montrer plus insolents que leurs maîtres.

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«La garde meurt et ne se rend pas.» M. de Vil... a retourné ce proverbe: il ne meurt pas et ne rend rien.

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Petit Dialogue.—L’Excellence. Mon cher, concevez-vous l’insolence de tous ces folliculaires?—Monseigneur, j’en suis scandalisé... qu’ont-ils fait?—Ils ont l’audace de remplir leurs feuilles de l’éloge d’un comédien; ils ne parlent que de lui; que diraient-ils donc si je venais à mourir? (Le secrétaire reste un moment abasourdi; mais, reprenant bientôt son assurance, il répond:)—Rien, monseigneur.—Hein!—Rien, les grandes douleurs sont muettes.

(Historique.)

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Si j’avais été à Paris lorsque Talma se mourait, disait M. l’abbé de L.., je serais bien entré dans sa chambre; pourquoi a-t-on des gendarmes?

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Dans le bureau d’un journal on remarque des épées, mais on cherche en vain des plumes: il paraît qu’il est plus aisé de se battre que d’écrire.

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Un jésuite, entrant à l’Opéra, s’écria: O le joli couvent!

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Mademoiselle Adeline, qui paye des impositions, disait un jour: Je vais chez le percepteur faire relever ma cote.

POÉSIE BUREAUCRATIQUE

L'ancien Figaro

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