Читать книгу Voyages du capitaine Robert Lade en differentes parties de l'Afrique, de l'Asie et de l'Amérique - Antoine-François Prévost D'exiles - Страница 4
PRÉFACE.
ОглавлениеDe qui attendroit-on des Relations de Voyages plus utiles & plus interessantes que des Anglois? La moitié de leur Nation est sans cesse en mouvement vers les parties du monde les plus éloignées. L'Angleterre a presqu'autant de Vaisseaux que de maisons, & l'on peut dire de l'Isle entière ce que les Historiens de la Chine rapportent de Nankin; qu'une grande partie d'un Peuple si nombreux, demeure habituellement sur l'eau. Aussi voit-on paroître à Londres plus de Journaux de Mer, & de Recueils d'observations, que dans tout autre lieu. Les Anglois joignent à la facilité de s'instruire par les voies de la Navigation, le désir d'apprendre, qui vient du goût des sciences & de la culture des beaux Arts. D'ailleurs ce n'est pas seulement en qualité de Voyageurs, qu'ils acquièrent la connoissance des Pays éloignés. Ils y possedent des Régions d'une vaste étendue, dont ils ne négligent pas toujours les curiosités. Leurs Auteurs prétendent que les terres qui sont occupées par leur Nation depuis l'extrémité de la Nouvelle Écosse au Nord, jusqu'à celle de la Nouvelle Georgie au Sud, n'ont pas moins de seize ou dix-sept cent milles de longueur; sans compter leurs Iles, qui forment encore un Domaine si considérable, que la Jamaïque & la Barbade contiennent seules plus de deux cent mille Anglais.
Quoiqu'ils soient bien revenus de l'opinion qu'ils s'étoient formée de la richesse de tous ces Pays dans les premiers tems de leurs découvertes, ou de leurs Établissemens, il est certain qu'ils en tirent de très-grands avantages. Ils ne disent plus comme autrefois:»Les flots de nos Mers sont d'Ambre-gris;[A] le cours»de nos Rivières, est presqu'interrompu par l'abondance de l'or; le moindre Minéral que nous possedons, & que nous daignons à peine recueillir, est le cuivre, car nos terres le portent si près de la surface, qu'il ne faut que nous baisser pour en prendre.» C'est un Écrivain serieux, qui s'applaudissoit ainsi de son bonheur en prose. M. Waller, un des meilleurs Poètes d'Angleterre, a fait une peinture des Isles Bermudes, qui rappelle les plus délicieuses idées du Paradis terreste.» Qui ne»connoît pas, dit-il, ces Isles heureuses,[B] où croissent des limons d'une grosseur énorme; où le fruit des orangers surpasse celui du Jardin des Hesperides; où les perles, le corail, & l'ambre-gris donnent aux Côtes une splendeur céleste? Là, le Cèdre superbe, qui éleve sa tête jusqu'aux cieux, est le bois que les Peuples brûlent dans leurs foyers. La vapeur qui s'en exhale & qui embaume les viandes qui tournent à leurs broches, pourrait servir d'encens sur les Autels des Dieux; & les Lambris qu'il fournir à leurs appartenons, embelliroient les Palais des Rois. Les doux Palmiers y produisent une nouvelle espece de vin délicieux, & leurs feuilles, aussi larges que des Boucliers, forment un ombrage charmant, sous lequel on est tranquillement assis pour boire cette divine liqueur. Les figues croissent en plein champ, sans culture, telles que Caton les montroit aux Romains, pour les exciter par la vûe d'un fruit si rare, à la conquête de Cartharge, qui le voyait naître dans son terroir. Là, les Rochers les plus stériles ont une sorte de fécondité; car régulièrement, dans plus d'une saison, leur sommet aride offre un mets voluptueux, dans les œufs de plusieurs espèces d'oiseaux, &c.»
Ces descriptions pompeuses étoient le langage d'une Nation peu accoutumée à voir des figues & des oranges, qui croissent en effet difficilement dans un climat aussi froid que l'Angleterre. Pour l'or, le corail & l'ambre-gris, s'il s'en est quelquefois trouvé dans les Colonies Angloises, ce n'est point assez souvent, comme on le verra par quelques endroits de cette Relation, pour donner droit aux Anglois de s'en applaudir dans des termes si magnifiques. D'ailleurs, quoiqu'on ne puisse douter que leurs Plantations ne leur ayent d'abord été fort avantageuses, elles ont souffert de l'altération sur quantité de points; ce qui n'empêche pas néanmoins, qu'ils n'en tirent encore beaucoup d'utilité. Il se trouve là-dessus des détails curieux dans leurs Livres. M. Litleton Président de la Barbade, & le Chevalier Dalby Thomas, ont écrit avec beaucoup de feu sur cette matiére; & ces explications présentées au Peuple par des Écrivains si sensés, n'ont pas peu servi à redoubler l'ardeur de la Nation pour le service des Colonies.
On y voit surtout quel est l'esprit de nos voisins, non-seulement à l'égard des possessions qu'ils ont dans les Indes, mais par rapport même à celles d'autrui. Ils poussent la jalousie si loin, qu'un Anglois se tua, dans le siécle passé, du seul regret qu'il avoit conçu de ce que les Espagnols & les Portugais sont maîtres de la plus belle & de la plus riche partie de l'Amérique. Mais cette disposition les portant à ne rien négliger dans leurs voyages & à publier toutes les remarques qui peuvent être utiles à leur commerce, il ne se passe guères de semaines où l'on ne voie paraître à Londres, le récit de quelque nouvelle Navigation. Les Anglois qui ont fait des voyages remarquables, sont sûrs de l'immortalité dans leur Patrie; On voit gravés, dans mille endroits de l'Angleterre, les noms de ceux qui ont fait le tour du monde. En effet ces illustres Avanturiers, ne méritent pas moins d'être connus, dans tous les lieux où la hardiesse & l'industrie donnent droit à la gloire.
Le premier fut le Chevalier François Drake. À peine le Détroit de Magellan fut-il-décou vert, que cet audacieux Anglois entreprit le même voyage, pour le pousser beaucoup plus loin. Il s'embarqua au Port de Plymouth le 15 Novembre 1577. Il arriva au Détroit le 21 d'Août de l'année suivante; & se voyant dans la Mer du Sud, le 6 de Septembre, il continua sa navigation au long de la Côte Occidentale de l'Amérique, jusqu'au 43e degré de latitude du Nord, d'où il tourna par les Indes Orientales & revint en Europe par le Cap de bonne Espérance. La Mer du Sud avoit été découverte au travers des terres, par Baco Nunez de Balboa, qui avoit traversé le premier l'Isthme de l'Amérique. Mais Jean Sebastien Cano, Espagnol, étoit le seul qui eut fait le tour du monde avant le Chevalier Drake.
En 1586, le Chevalier Thomas Candish forma la même entreprise, & ne l'exécuta pas moins heureusement. Deux Hollandois, Olivier Nord, en 1598, & Georges Spilbergen, au commencement du 17e siècle firent aussi ce dangereux voyage. Mais le Chevalier Jean Narbroug, après avoir passé le Détroit de Magellan dans le cours de l'année 1609, & s'être avancé au long des Côtes jusqu'au Chili, repassa le Détroit, ce que personne n'avoit encore fait avant lui: car les périls que les Prédécesseurs y avoient courus n'avoient pas eu moins de force pour les empêcher de revenir par la même voie, que Le désir d'achever leur cercle autour du Globe. Le Maire découvrit plus au Sud, en 1616, un autre passage, auquel il donna son nom. Mais le Détroit n'en étoit pas moins dangereux que celui de Magellan. Ce fut en 1681, qu'un Anglois, nommé Sharp, trouva le moyen de repasser de la mer du Sud, dans celle du Nord, sans avoir apperçu aucune terre. Ayant traversé l'Isthme de l'Amérique, où il commit quantité de brigandages, il s'embarqua sur la Côte de la Mer du Sud, pour revenir par les Détroits de Magellan ou de le Maire; mais le vent s'étant opposé à son passage, il continua de voguer, & rentra enfin par une Mer ouverte, dans celle du Nord. Le Capitaine Cooke a fait dans le cours des années 1709, 1710, & 1711, un voyage autour du monde, dont il a publié la Relation en 1712.
Celle que je donne au Public n'a point un objet si vaste; mais elle n'est pas moins propre à faire connoître l'ardeur des Anglois pour tous les objets de fortune & de curiosité. Quoiqu'elle ait été mise en ordre depuis plusieurs années, sur les Journaux & les Mémoires de l'Auteur, elle n'est tombée que depuis fort peu de tems entre mes mains. Toutes les parties en sont si agréables & si interessantes qu'elle m'a paru digne d'une prompte traduction. La naïveté des détails personels; l'importance des observations qui regardent le commerce, la politique la situation des lieux & la connoissance de ce qu'ils renferment de plus curieux ou de plus utile; en un mot la variété des objets & la multitude des entreprises y présentent sans cesse de nouvelles scènes. Il y a même de l'avantage à tirer pour la morale, du caractère de droiture & de probité qui se soutient constamment dans les deux Négocians, dont on lit les projets & les expéditions. S'ils étoient conduits par la passion de s'enrichir, leurs motifs étoient fort differens de ceux de l'avarice; & l'intérêt qu'on prend au cours de leurs affaires, en fait voir avec joie le succès.
Les détails qui concernent la nouvelle Georgie, la Baye de Hudson, divers endroits des Côtes d'Afrique, la Nation des Muschetos, & plusieurs parties des Établissemens Espagnols & Hollandois, contiennent tant de particularités qui n'ont jamais été publiées, qu'on ne se plaindra point d'y trouver comme dans la plûpart des nouvelles Relations, la répétition de ce qu'on a déjà lû sous d'autres titres.
L'aversion que j'ai pour le merveilleux sans vraisemblance, m'a fait retrancher, à l'article de Saint Vincent, de longs récits, dont je n'ai pas mieux senti l'agrément que l'utilité. Je n'aurois pas même fait grace à l'Histoire du Dragon, & des Reptiles, si je ne m'étois souvenu qu'on en trouve des traces dans plusieurs autres Relations. Qui se persuadera que des hommes aussi grossiers que les Caraïbes, ayent parmi eux des Magiciens & des Sorciers, lorsque dans les Pays les plus éclairés de l'Europe, où la corruption du cœur n'a porté que trop souvent des gens d'esprit à vouloir s'initier dans ces odieux Mistères, & d'autres du moins à vouloir les approfondir, il ne s'est encore rien offert qui puisse leur donner le moindre crédit? Les Isles des Caraïbes ont des Imposteurs, dont les prestiges sont proportionés sans doute à l'ignorance & à la crédulité de cette Nation. Ce n'est point à la vûë des Européens, qu'ils ont la hardiesse de les exercer; & je ne me souviens point en effet d'avoir lû qu'aucun Voyageur Anglois ou François, ait jamais été témoin de leurs enchantemens. Mais les Sauvages, qui donnent aveuglement dans toutes sortes de piéges, paroissent persuadés de toutes ces merveilles dans les recits qu'ils en font aux Européens: & la persuasion est presque toujours contagieuse. Quelle apparence aussi, que s'il éxistoit une vallée remplie de pierres précieuses, dans une Isle, dont l'accès n'est pas refusé aux Étrangers, le même motif qui a fait traverser les Mer, & découvrir de nouveaux mondes, au travers de mille dangers, n'eût pas fait surmonter depuis long-tems, les obstacles qui nous dérobent de si précieux trésors.
On n'a joint à cet Ouvrage, avec la Carte générale, qu'une seule Carte particuliere qui convient aux principaux événemens, parce qu'il en auroit fallu trop souvent de particulieres, si l'on avoit entrepris de suivre nos Voyageurs a la trace. L'Écrivain Anglois laisse entrevoir dans plus d'une occasion, le motif qui lui a fait supprimer les hauteurs, lorsqu'il est question de cette riche Côte d'Afrique, qui devint le fondement de sa fortune. Ce n'est pas la première fois que l'intérêt ait fait garder le silence aux Négocians sur les voies du commerce. Mais on peut regarder cette suppression même, si elle est volontaire, dans un lieu où l'on est porté à la regréter, comme un caractère de bonne foi pour le reste de l'Ouvrage; puisqu'avec moins de respect pour la vérité, il auroit été facile de remplir ce vuide par des suppositions imaginaires.
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