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CHANT DEUXIÈME.

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LE JEUNE CAVALIER.


UN mouvement s’est fait vers la montagne alpine,

Et le long du ravin a frémi l’aubépine.

Sur le bord du sentier, comme si l’aquilon

Eût soufflé tout à coup, les échos du vallon

Traînent de roche en roche un long plaint monotone.

Et pourtant ce n’est pas l’âpre bise d’automne;

Elle pleure autrement. Non, ce n’est pas non plus

Le murmure que fait l’Isère dans son flux.

Dans l’air, comme on entend à l’heure des alarmes,

Roule un grondement sourd de voix, de pas et d’armes.

Un brouillard de poussière, avec ce vague son,

Monte en houle cendrée au bord de l’horizon.

L’oreille croit saisir au vent par intervalles

Comme un hennissement de guerrières cavales.

Mais le bruit par degrés s’accentue au lointain:

De la fanfare aux airs c’est l’éclat argentin,

Auquel, des grands conflits étourdissant prélude,

Les mugissants tambours mêlent leur note rude.

Et les gonfanons bleus, au front des corps armés,

Ouvrent leurs ailerons, de croix blanches semés.

Or, voici qu’un long cri, s’épandant sur la voie,

Tonne: «Dieu garde Amé !... Saint Maurice et Savoie!»

Et celui qui conduit cette troupe au chemin

Montre les bords français d’un geste de sa main;

Et sur le sol de France, — ainsi que fait l’Isère

En dégorgeant du lit montueux qui l’enserre, —

Des alpestres bassins ces groupes descendus

Débouchent, en grondant au large répandus.

Puis là-bas, dans les champs, vers la plage où le Rhône

Fiance son azur aux fanges de la Saône,

Les peuples, que ce bruit soudain vient d’éveiller,

Ont dit: «Où donc va-t-il ce jeune cavalier?»

Du pas des ouragans il dévore la terre.

Sa cavale bondit comme fait la panthère.

Rude est son éperon; ferme, son étrier.

Comme il domine bien les bonds du destrier!

Au regard du soleil son vêtement miroite.

Dressé pour le combat, un fer luit dans sa droite.

Comme son front de neige est beau sous cet armet

Dont un panache blanc couronne le sommet!

Plus perçant que les feux dont son casque ruisselle,

Dans ses yeux le regard de son âme étincelle.

En suivant ce rayon pénétrant, on croirait

Que, semblable à la foudre, il va tuer d’un trait;

Et telle on voit, le soir, derrière une fenêtre,

Une lampe briller, s’éclipser et renaître,

Telle on voit dans ces yeux, à travers l’azur clair,

Aller et revenir la pensée en éclair.

Mais la fleur de jeunesse en ces beaux traits éclose

A l’œil n’éclate pas des teintes de la rose;

Sa joue adolescente à peine encor revêt

Sa superbe pâleur d’un blond et fin duvet.

Cette bouche n’est pas un bouton rose et tendre

Que le sourire, air frais de l’âme, fait épandre,

Ni, comme chez l’enfant, un calice rempli

D’où la folâtre joie, entr’ouvrant son doux pli,

Fait, ainsi qu’un parfum coulant de la corolle,

En effluve léger ruisseler la parole.

Ces lèvres aux bords purs, mais aux graves contours,

Paraissent seulement s’ouvrir pour donner cours,

Rompant parfois le sceau rigide qui les ferme,

A l’austère parole, à l’accent court et ferme.

A ces lèvres, sitôt qu’il en sort une voix,

S’attachent tous les yeux suspendus à la fois.

Son esprit tout formé, comme un type où l’on coule,

Semble, par la visible empreinte de son moule,

Sur ces traits frais encor d’enfantine beauté

Avoir mis le cachet de la maturité.

D’audace et de candeur combinaison étrange,

Ame à fier caractère esquissée en traits d’ange,

Dans les regards vers lui tournés, ce noble aspect

Met l’éblouissement, l’amour et le respect.

Mais des suaves traits si la grâce touchante

Attire tous les cœurs par les yeux qu’elle enchante,

De l’esprit sur ce front l’ombre qui se répand

Tient l’admiration en crainte et la suspend.

Sur ce beau crâne uni ce pli n’est pas la ride

Que creuse de son soc la passion aride,

Mais le trait fugitif, le sillon transparent

Que la réflexion trace en le parcourant.

Vaguement, sur ce front dont le charmant ovale

S’encadre dans l’airain, on voit par intervalle,

Comme au lac se reflète un nuage léger,

De l’idée en son vol la forme s’imager.

De l’âme sur ces traits la beauté qui s’imprime,

Est d’un héros naissant l’expression sublime.

Il semble que cette âme aspire par éclair

Le vent du combat, comme une poitrine l’air.

On ne dirait pas faits pour les chocs de bataille

Ces traits fins, le flexible élan de cette taille,

L’albâtre de ce teint et l’or de ces cheveux.

Pourtant sa pose est sûre, et son bras est nerveux.

Sous ce gilet de bronze écailleux qui le charge,

Son cœur de dix-huit ans bat plein, rapide et large,

Et voudrait déborder de cet étroit milieu

Comme de son airain l’eau qui bout sur le feu;

Ou telle, dans le bois d’un tronc en pleine force

La sève abonde à faire éclater son écorce,

Tel, affluant au sein, son sang comme en émoi

Voudrait de sa poitrine entrouvrir la paroi.

Quel air de mâle aplomb sur lui! Quelle noblesse

Eclate dans ce port!... — Venus des bords de l’Aisse2, Trois cents preux cavaliers de son ban féodal Devant lui font flotter la housse au vert sandal. De ses légers chasseurs les impétueux groupes Vont après lui, pareils à des chevreuils en troupes: De la poudre qu’ils font l’air ondoie épaissi. Ce jeune cavalier, où donc va-t-il ainsi?

Dès l’aurore échappé de l’aire paternelle,

Il va, l’aiglon royal, essayer sa jeune aile,

Cette aile qui, plus tard, planant bien loin du sol,

Des Alpes aux Balkans mesurera son vol.

Hors de la sphère étroite où grandit son enfance,

Dans le large horizon de ses vœux il s’avance,

Comme fait le condor qui droit à son zénith

Monte le même jour qu’il est sorti du nid.

Issu des anciens Preux dont l’épée aguerrie

Aux enfants de Savoie a fait une patrie,

Bel astre à son lever; il va sous d’autres cieux

Ouvrir à sa carrière un champ plus spacieux.

Dans la lointaine voie où son instinct l’emporte,

Il a l’esprit vivant de ces Preux pour escorte,

Pour lustre autour de lui le nom qu’il reçut d’eux,

Et leur trace pour guide aux sentiers hasardeux.

La parole suprême et sainte de son père,

Il l’a mise en son cœur, afin qu’elle y tempère,

Comme une onde du ciel, les ardents éléments

Qui lèvent dans ce sein comme autant de ferments.

Il va.... Le premier pas que fera sa vaillance,

Le premier coup puissant que frappera sa lance,

Le sang vierge qui doit empourprer son pennon,

O France, il l’a voué pour défendre ton nom!

Il t’aime, noble France. Au glas de tes alarmes,

Tout son cœur s’est levé. Ceint des premières armes,

Des monts Savoisiens, doux champs de son berceau,

Il vient.... mourir peut-être.... au pied de ton drapeau.

Nos Preux, aux anciens jours (il t’en souvient sans doute,

O France! ), de leurs monts t’ont fait une redoute,

De tes périls nombreux acceptant la moitié,

Solides dans leur roc et dans leur amitié.

Sans doute il te souvient avec quelle largesse

Leurs généreux conseils, vrai trésor de sagesse,

Et leur bourse et leur veine, au temps de tes revers,

Comme pour une sœur, pour toi furent ouverts.

Mais souvent ton grand cœur ( et ce sont là les vices

Des hommes et des temps) oublia leurs services:

Souvent de leurs foyers, toi, tu les as proscrits:

Leur dévoûment valait peut-être un autre prix... —

Va donc, beau cavalier. Victoire à Saint Maurice!

Que comme un lis des monts ton panache fleurisse,

Et que le drapeau bleu, dans les heures d’effroi,

Comme un doux arc-en-ciel se déroule sur toi!

Pour qu’au champ des hasards, ton pied encor novice,

Sans se tromper de but, d’un sûr élan gravisse

Ces sommets escarpés qu’on nomme «Gloire, Honneur,»

La Croix sera pour toi comme l’œil du Seigneur!

Qu’au danger, en avant de tes pas, il la fasse

Sur ton obscur chemin rayonner vers ta face,

Comme il faisait splendir, au désert ténébreux,

Sa colonne de flamme au regard des Hébreux!

Au ciel de l’avenir, qui déjà se dévoile,

Noble Amé, dès ce jour marchera ton étoile.

Le Comte Vert de Savoie

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