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BATAILLE DE JEMMAPES.

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Ainsi la Liberté prophétise la Gloire;

Salut, peuple nouveau! Tu verras la victoire

S’unir comme une amante à tes jeunes destins.

(MASSON.)

CE nom de Jemmapes, devenu historique, rappelle l’un des plus glorieux souvenirs de la révolution française. Nos bataillons, à peine organisés, avaient montré à Valmy le sang-froid, la calme intrépidité qui semblent n’appartenir qu’à des guerriers soumis aux lois d’une sévère discipline, formés par une longue habitude à la fatigue des camps et au mépris du danger; ils déployèrent, pour la première fois, à Jemmapes cette ardeur impétueuse, ce courage irrésistible qui nous ont valu tant de victoires, et qui ont illustré jusqu’à nos derniers revers.

L’expédition de Dumouriez en Belgique peut être considérée comme le premier essai de cette nouvelle tactique, de ce système de grande guerre, perfectionné par le génie de Napoléon et qui a porté nos drapeaux dans presque toutes les capitales de l’Europe. Sous ce point de vue, la bataille de Jemmapes commence une mémorable époque. C’est le point de départ d’une gloire immense qui a couvert le monde, qui protège encore la patrie désarmée, et qui ne laisse pas notre avenir sans espérance.

La bataille de Jemmapes réveille encore d’autres pensées. L’issue de cette grande journée confirme une vérité importante; c’est que le sentiment du patriotisme, l’amour de la liberté élèvent les peuples au-dessus d’eux-mêmes, détruisent, comme par enchantement, les molles habitudes d’une société corrompue, donnent de l’énergie, même aux ames vulgaires, et produisent ces actes de dévouement à la patrie, ces sacrifices héroïques qui, dans les récits de l’antiquité, nous paraissaient autrefois fabuleux.

Ajoutez à ces réflexions la situation d’un peuple généreux dont l’indépendance est menacée; triomphant au dehors, déchiré au dedans par la fureur des factions; livrant ses destinées au fanatisme d’audacieux tribuns qui se précipitent avec lui dans les déplorables excès de la licence; réduit à préférer l’anarchie qui se dévore elle-même au joug injurieux de l’étranger, et rachetant toutes ses misères par les prodiges de sa gloire. Tel était l’étonnant spectacle qu’offrait la nation française, à l’époque où ses guerriers ouvraient cette carrière de triomphes, qui déjà frappait l’Europe de terreur et d’admiration. Au bruit des vieilles institutions qui s’écroulaient de toutes parts, s’élevèrent les premiers chants de victoire, et tous les cœurs français tressaillirent au nom glorieux de Jemmapes.

Les premiers trophées de la liberté devaient enflammer le pinceau de l’artiste, dont le talent, consacré à la gloire nationale, saisit tout ce qu’il y a d’intérêt et de noblesse dans les cicatrices d’un vieux guerrier; soit qu’il se livre à des pensers mélancoliques sur la tombe récente de ses compagnons d’armes, soit qu’il suspende sous le chaume son sabre d’honneur, soit qu’il cultive le sol sacré que sa vaillance a défendu.

Il n’est donc pas surprenant que le tableau de la bataille de Jemmapes soit l’un des plus beaux que nous devions à la verve brillante et aux nobles inspirations de M. Horace Vernet. Cet ouvrage honore l’École française; mais pour bien le comprendre, il est nécessaire d’avoir une idée précise du grand événement qui en est le sujet.

Ce fut le 6 novembre 1792 que le général Dumouriez résolut d’attaquer l’armée autrichienne commandée par le duc Albert de Saxe-Teschen, gouverneur des Pays-Bas. Dumouriez rassemble ses bataillons. «Géné-

» raux, officiers, soldats, leur dit-il; fiers

» républicains, vous tous, mes braves cama-

» rades, nous allons entrer dans la Belgique

» pour repousser et chasser des ennemis bar-

» bares. Pénétrons dans ces belles provinces

» comme des amis, des frères, des libéra-

» teurs; montrons de la clémence envers les

» prisonniers de guerre et de la fraternité en-

» vers les habitans du pays.»

Ces paroles excitent l’enthousiasme, et des chants de liberté appellent la victoire sous les drapeaux français.

L’armée autrichienne occupait une position formidable en avant de Mons. Sa droite était appuyée au village de Jemmapes, sa gauche à celui de Cuesmes. Tout le front de cette ligne, établi sur une montagne boisée, était protégé par des retranchemens, par de nombreuses redoutes et des batteries disposées en amphithéâtre sur le penchant des hauteurs. Des tranchées, des abattis pratiqués sur les talus, multipliaient encore les obstacles et les dangers. Les ennemis, pleins de confiance, ne doutaient point que la valeur française ne vint échouer au pied de ces retranchemens, que la nature et l’art contribuaient à rendre inexpugnables.

Les Français, impatiens d’aborder l’ennemi, demandaient le signal de l’attaque. Dumouriez, pour les éprouver, manœuvra d’abord sous le feu des Autrichiens. C’est alors qu’assuré de l’intrépidité de ses troupes et de la précision de leurs mouvemens, il fixa le moment de l’attaque.

Le général Ferrand commandait la gauche de l’armée; l’aile droite était sous les ordres du général Dampierre. Dumouriez demeura au centre, pour diriger avec plus de facilité l’ensemble des mouvemens. Le duc de Chartres, aujourd’hui duc d’Orléans, commandait sous lui. Ce jeune prince se faisait remarquer par un maintien noble et assuré ; le feu qui brillait dans ses yeux annonçait le sang de Henri IV; il paraissait fier de faire ses premières armes contre l’étranger sous les drapeaux de la patrie. Là, se trouvaient encore Macdonald, qui, depuis, immortalisa les bords de la Trébie; Beurnonville, qui doit une honorable mémoire à ses premiers efforts pour l’indépendance nationale; le général Harville dont la renommée brille d’un éclat sans nuages; l’amazone Fernig, la Clorinde de l’armée française, et l’infortuné Drouet qui arrosa de son sang les premières palmes de la liberté.

Le signal est donné. A midi précis toute l’infanterie se forme en colonne, en chantant les hymnes de la patrie. Le village de Quaregnon, qui protégeait Jemmapes à la droite de l’ennemi, avait déjà été emporté par l’adjudant-général Thouvenot, sous les ordres du général Ferrand. Déjà il insulte Jemmapes et tout le flanc droit de l’ennemi. Bientôt le général Ferrand s’avance au-delà de Quaregnon; mais des prairies marécageuses, coupées de fossés, retardent sa marche. Forcé d’abandonner son artillerie, il attaque, et emporte à la baïonnette les hauteurs de Jemmapes. Ce général, dont l’âge n’avait pas ralenti l’ardeur, s’expose aux plus grands dangers; son cheval, frappé à mort, s’abat sous lui; il reçoit à la jambe une forte contusion, se relève, se place à la tête des grenadiers, et continue l’attaque avec une bravoure inaltérable. A la droite, Beurnonville se trouve un moment compromis; débordé par six bataillons ennemis, il est exposé au feu meurtrier de cinq redoutes, établies près du village de Cuesmes. Dans ce moment critique, le brave Dampierre accourt à la tête du régiment de Flandre et des bataillons de Paris; il aborde les six bataillons ennemis, les culbute, les disperse, enlève les deux premières redoutes où il entre le premier, tourne leurs canons contre les Autrichiens, rend à Beurnonville la liberté d’agir, et fait seize cents prisonniers.

La droite de l’ennemi se trouvait enlevée; son corps de bataille était tourné et pris à revers. Alors, Dumouriez donna au centre l’ordre de marcher en avant. «Voilà les retranchemens

» de l’ennemi, dit-il à ses soldats, ne vous

» servez que de l’arme blanche et de la ter-

» rible baïonnette; c’est l’arme des Français

» et de la victoire.» Les soldats, animés par l’énergie de ces paroles, s’avancent au pas de charge, sous le feu des redoutes ennemies. Cependant plusieurs bataillons emportés par leur ardeur perdent leur alignement. Quelques colonnes, exposées aux décharges meurtrières d’une mitraille à demi-portée, hésitent et sont près de se rompre. Déjà la cavalerie ennemie s’élance pour déborder dans la plaine et charger en flanc nos colonnes ébranlées. Dumouriez, qui aperçoit le danger, envoie le duc de Chartres pour rétablir l’ordre. Le jeune prince arrive, rallie les troupes déjà éparses, les rassure par sa froide valeur, en forme une masse en colonne qu’il nomme le Bataillon de Jemmapes, marche en avant, attaque les redoutes autrichiennes et les enlève à la baïonnette.

Cependant Dumouriez se porte à la droite où la fortune balance encore. Les Autrichiens, protégés par leurs formidables retranchemens, opposent à Beurnonville une résistance meurtrière. Dumouriez arrive, reconnaît les bataillons de Paris et leur recommande la victoire. Une colonne de cavalerie ennemie s’ébranlait alors pour les charger. Enthousiasmés par la présence de leur général, ils attendent avec fermeté les escadrons autrichiens qui viennent se briser devant un rempart de baïonnettes. Profitant de cet avantage, la cavalerie française tombe sur les escadrons ennemis, les sabre et les repousse sur la route de Mons. Beurnonville appuie ce mouvement. On marche de nouveau aux redoutes, on les attaque avec impétuosité. Les Français avancent à travers les balles, les obus et les boulets. Les grenadiers hongrois descendus dans la plaine, sont forcés de regagner leurs retranchemens qu’ils défendent avec le courage du désespoir; la mêlée est horrible, le sang ruissèle de toutes parts; les redoutes sont jonchées de morts et de blessés. Enfin, par un dernier effort, tout est emporté, l’ennemi fuit en désordre et la victoire se repose sur nos drapeaux.

Cette sanglante bataille nous coûta beaucoup de monde, en officiers et en soldats. Drouet et Ferrand, le colonel Chaumont, l’adjudant-général Monjoie furent grièvement blessés; les généraux Dampierre, le duc de Chartres, les deux Frégeville, Beurnonville, le colonel Thouvenot, le jeune duc de Montpensier se distinguèrent, et nos soldats combattirent avec une rare valeur. C’est à Jemmapes que l’armée de l’Europe la mieux tenue, la mieux disciplinée, fléchit devant des soldats levés et enrégimentés à la hâte, et qui n’opposaient aux ressources d’une savante tactique, que l’amour de la patrie et l’enthousiasme de la liberté.

Nous terminerons ce récit par un trait d’héroïsme digne d’une éternelle mémoire. Un citoyen de Paris, Jolibois, apprend que son fils a quitté ses drapeaux; il part aussitôt pour le remplacer, arrive le matin de la journée de Jemmapes, combat avec le bataillon de son fils, et s’écrie douloureusement à chaque coup qu’il tire sur l’ennemi: «O mon fils! faut-il que le

» souvenir de ta fuite empoisonne un moment

» aussi glorieux!» Ce brave fut nommé officier sur le champ de bataille.

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