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CHAPITRE IV

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Défense du principe de contradiction ; il est évident de soi et n’a pas besoin de démonstration ; objections qu’on essaie de faire contre la vérité de ce principe ; futilité de ces objections ; méthode à suivre pour forcer l’adversaire à répondre directement à la question qu’on lui a faite ; erreurs monstrueuses auxquelles aboutit cette doctrine, en détruisant toute idée de substance ; et en réduisant l’Être et ses attributs à de simples qualités ; limites nécessaires des attributs ; il n’y a pas attributs d’attributs ; confusion de toutes ‘choses ; l’affirmation et la négation sont également vraies et également fausses ; critique de Protagore ; critique d’Anaxagore ; scepticisme universel ; danger et fausseté de ce système ; la pratique constante des choses de la vie démontre combien il est erroné ; il y a quelque chose d’absolu dans le monde ; il y a tout au moins du plus et du moins dans les choses ; condamnation sévère du Scepticisme.

§ 1. [35] Ainsi que nous l’avons dit, il y a des philosophes qui prétendent qu’il est possible que la même chose soit et ne soit pas, [1006a] et que l’esprit peut avoir la pensée simultanée des contraires. Bon nombre de Physiciens aussi admettent cette possibilité. Mais, quant à nous, nous affirmons qu’il ne se peut jamais qu’en même temps une même chose soit et ne soit pas ; et c’est en vertu de cette conviction que nous avons déclaré ce principe le plus incontestable [5] de tous les principes.

§ 2. Ceux qui essaient de démontrer ce principe lui-même ne le font que faute de lumières suffisantes ; car c’est manquer de lumières que de ne pas discerner les choses qu’on doit chercher à démontrer, et celles qu’on ne doit pas démontrer du tout. Il est bien impossible qu’il y ait démonstration de tout sans exception, puisque ce serait se perdre dans l’infini, et que, de cette façon, il n’y aurait jamais de démonstration possible.

§ 3. [10] Mais, s’il y a des choses qu’on ne doit pas vouloir démontrer, nos contradicteurs seraient bien embarrassés de dire quel principe mériterait cette exception mieux que le nôtre. On pourrait essayer, il est vrai, de démontrer, sous forme de réduction à l’absurde, que ce principe est impossible. Mais il faudrait tout au moins que celui qui le combattrait voulût bien seulement dire quelque chose d’intelligible ; et, s’il est hors d’état de rien dire, il serait assez plaisant de chercher à parler raison avec quelqu’un qui ne donne aucune raison sur le sujet même où ce quelqu’un est si peu raisonnable. Un tel homme, [15] en se conduisant ainsi, n’a guère plus de rapport avec nous que n’en a une plante.

§ 4. A mon sens, démontrer quelque chose par voie de réduction à l’absurde est fort différent de démontrer par la voie ordinaire. Celui qui essaierait de démontrer directement la fausseté du principe établi par nous, paraîtrait bien vite faire une pétition de principe. Mais, si c’est un autre, si c’est l’adversaire qui est cause de cette faute, c’est une simple réduction à l’absurde, et ce n’est plus là une démonstration. Pour répondre à toutes les objections de ce genre, le vrai moyen n’est pas de demander à l’adversaire de déclarer si la chose est [20] ou n’est pas ; car on verrait sans peine qu’on fait une pétition de principe ; mais c’est de lui demander une énonciation quelconque qui soit intelligible pour lui et pour l’autre interlocuteur. C’est là, en effet, une condition nécessaire du moment qu’il parle ; autrement, il ne se comprendrait pas plus lui-même qu’il ne serait compris d’autrui.

§ 5. Dès que l’adversaire a fait cette concession, la démonstration [25] devient possible, puisqu’on a dès lors un sujet précis qu’on peut discuter. Mais ce n’est pas celui qui démontre qui a provoqué ce résultat, c’est celui qui accepte la discussion ; car, tout en détruisant le raisonnement par sa base, il n’en accepte pas moins qu’on raisonne avec lui.

§ 6. Un premier point qui est en ceci de toute clarté, c’est qu’on ne peut pas exprimer le [30] nom d’une chose sans dire que la chose est ou n’est point telle chose ; d’où il suit qu’il ne se peut pas pour une chose quelconque qu’elle soit de telle façon, et en même temps ne soit pas de cette façon.

§ 7. De plus, si ce mot Homme, par exemple, exprime un certain être individuel, et que sa définition soit, si l’on veut, Animal-bipède, quand je dis que ce mot représente un certain être individuel, j’entends que, si telle chose est homme, en supposant qu’il s’agisse de l’homme, cette chose aura tous les attributs de l’homme. Peu importe d’ailleurs qu’on prétende qu’un mot peut désigner plusieurs êtres, pourvu seulement que ces êtres soient en nombre défini. [1006b] En effet, on pourrait alors imposer un nom différent à chaque signification particulière. Par exemple, si l’on nie que le mot Homme n’ait qu’un sens, et si l’on prétend qu’il en a plusieurs, il y en aura toujours un qui, pris isolément, serait celui d’Animal-bipède.

§ 8. En supposant aussi qu’il peut y avoir pour l’homme bien d’autres définitions que celle-là, le nombre en est limité ; [5] et à chacune d’elles on peut attribuer un nom différent et spécial. Si on ne le fait pas, et si l’on croit que les significations d’un mot peuvent être en nombre infini, alors il n’y a plus de langage possible. Ne pas exprimer quelque chose d’un et d’individuel, c’est ne rien exprimer du tout ; et, du moment que les mots ne signifient plus rien, il n’est plus possible aux humains de s’entendre entre eux ; et, à dire vrai, il sera tout aussi impossible de s’entendre avec soi-même, [10] puisqu’on ne peut jamais penser qu’à la condition de penser quelque chose d’individuel. Or, dès qu’on peut penser à quelque chose de précis, on peut donner un nom précis à cette chose.

§ 9. Reconnaissons donc, ainsi que nous l’avons dit au début, qu’un mot a toujours une signification et qu’il signifie une seule et unique chose. Il ne se peut certes pas qu’être homme signifie la même chose que n’être pas homme, du moment que le mot Homme signifie non pas seulement l’attribut d’un être, [15] mais bien une seule et même nature et un être individuel. C’est que l’attribut d’un être Un ne doit pas être considéré par nous comme signifiant cet être lui-même ; car, s’il en était ainsi, les attributs de Blanc, de Musicien, et le substantif Homme exprimeraient alors une seule et même chose, un seul et même être.

§ 10. Par suite, tous ces attributs sans exception seraient l’individu, puisqu’ils sont synonymes, et que la même chose ne peut jamais tout ensemble être et n’être pas, si ce n’est par simple homonymie, comme si l’être appelé par nous du nom d’Homme [20] recevait des autres l’appellation de Non-homme. Mais la question n’est pas de savoir si le mot peut à la fois être et n’être pas Homme, mais si la chose, si l’être réel, le peut. Si le mot Homme et le mot Non-homme ne signifient pas des choses différentes, il est clair que n’être pas Homme a aussi le même sens qu’être Homme, et que réciproquement être homme se confond [25] avec n’être pas homme. Ce ne serait alors qu’un seul et même être.

§ 11. Or, être une seule et même chose signifie que la définition est identique et une, comme pour les deux mots de Vêtement et d’Habit. Mais si c’était ici une seule et même chose qui fût exprimée, être homme se confondrait avec ne pas être homme. Or, nous venons de démontrer que les deux sens sont tout différents l’un de l’autre.

§ 12. C’est donc une nécessité, si toutefois cette définition est la véritable, qu’être homme, c’est être Animal-bipède ; [30] car le mot d’Homme n’avait pas un autre sens ; et si c’est là une conclusion nécessaire, il ne se peut plus dès lors qu’il ne soit pas un animal bipède ; car la nécessité d’être homme implique l’impossibilité de ne l’être pas. Donc, il ne se peut point que le même être soit et ne soit pas homme, en un même temps.

§ 13. Le raisonnement est le même si l’on dit que le mot en question est Non-homme ; [1007a] car être Homme et être Non-homme sont des expressions différentes, aussi évidemment qu’être blanc est tout autre chose qu’être Homme. Même en ceci, l’opposition est beaucoup plus forte, de façon que le sens est encore plus différent. Mais, si l’on [5] va jusqu’à soutenir que le blanc et l’individu qui est blanc sont une seule et même chose, nous répondrons, en répétant ce que nous avons déjà dit, à savoir que tout alors sans exception se confond en une seule unité, et que ce ne sont même plus seulement les opposés qui se confondent ainsi.

§ 14. Mais, comme cela ne se peut pas, notre objection conserve toute sa force, pourvu qu’on veuille bien ne répondre qu’à ce qu’on demande. A une interrogation simple et absolue, si l’on répond en ajoutant tout ce qui n’est pas l’objet dont il s’agit, ce n’est plus là répondre [10] à la question ; car rien n’empêche que l’être ne soit tout ensemble homme, blanc, et mille choses de ce genre. Mais, quand on vous demande s’il est vrai que telle chose spéciale soit ou ne soit pas Homme, il faut ne répondre que par un terme qui indique une seule chose, et ne point ajouter que l’objet est blanc ou qu’il est grand ; car, [15] les attributs accidentels étant innombrables, il serait bien impossible de les parcourir tous. Or, il faut, ou s’occuper de tous sans exception, ou ne s’occuper d’aucun.

§ 15. De même aussi, quoi qu’une même chose puisse être des milliers de fois Homme et Non-homme, il ne faut pas répondre, quand on vous demande si tel être est Homme, qu’il est Non-homme en même temps, puisqu’il n’est pas possible d’énumérer tout au long, dans la réponse qu’on fait, tout ce que l’homme est ou n’est pas ; et si, par hasard, [20] on se laisse aller à cette énumération, il n’y a plus moyen de discuter.

§ 16. Soutenir de tels principes, c’est complètement détruire la substance ; c’est détruire ce qui fait qu’elle est ce qu’elle est. Dans ce système, tout se réduit nécessairement à de purs accidents ; la réalité de l’homme et celle de l’animal cessent d’être et disparaissent également. Car, si l’homme est quelque chose de réel, il n’est pas possible que ce quelque chose soit le Non-homme, ou qu’il ne soit pas l’homme ; [25] et ce sont là cependant les seules négations possibles de l’homme. L’être que cette notion désignait était un et individuel ; et c’était bien là exprimer l’essence d’un certain être.

§ 17. Affirmer l’essence d’une chose revient à dire que cette chose ne peut pas être autre chose que ce qu’elle est. Mais si cette chose est tout ensemble l’homme, et aussi le Non-homme, ou la négation de l’homme, alors elle est une chose tout autre. Par conséquent, les partisans de cette théorie seront forcés de dire [30] qu’il ne peut jamais y avoir une définition essentielle de quoi que ce soit, mais qu’il n’y a que des accidents et des attributs.

§ 18. En effet, voici la différence de la substance et de l’attribut. Par exemple, la blancheur n’est qu’un accident et un attribut de l’homme, parce que l’homme peut avoir la blancheur, c’est-à-dire peut être blanc ; mais sa substance n’est pas la blancheur.

§ 19. Si l’on ne peut jamais exprimer que des accidents et des attributs, alors il n’y a plus de primitif auquel l’attribut puisse s’adresser. Si l’accident indiqué toujours [35] une attribution à un sujet, selon la catégorie, [1007b] on se perd nécessairement dans l’infini. Mais il est bien impossible de parcourir l’infini, puisque la combinaison ne peut aller ici au-delà de deux, et qu’il ne se peut jamais que l’attribut soit attribué à un autre attribut, à moins que tous les deux ne soient les attributs d’une seule et même chose. Prenons, par exemple, les attributs Blanc et Musicien ; je puis dire que le musicien est blanc ou que le blanc est musicien, [5] parce que l’un et l’autre sont des attributs possibles de l’homme. Mais on ne peut pas dire de Socrate qu’il soit musicien en telle sorte que ces deux termes soient l’un et l’autre les attributs de quelque être différent de lui.

§ 20. Puis donc qu’il y a des attributs de ces deux choses, les uns de cette façon et les autres de la façon opposée, tous ceux qui le sont dans le sens où l’on dit que Blanc est un attribut de Socrate, ne peuvent être en nombre infini dans la série remontante ; et, par exemple, Socrate blanc [10] ne peut recevoir encore un autre attribut, parce que de l’ensemble de ces attributs accumulés, il ne pourrait jamais se former une unité individuelle quelconque. A plus forte raison, l’attribut Blanc ne pourrait-il avoir un autre attribut, Musicien, si l’on veut ; car le premier n’est pas plus l’attribut du second que le second ne l’est du premier.

§ 21. Nous avons fait remarquer en même temps qu’il y a des attributs de ce genre, mais qu’il y en a aussi comme l’attribut de Musicien appliqué à Socrate. Pour ceux-ci, ce ne sont pas [15] des attributs attribués à des attributs ; mais les autres ne sont que cela. Par conséquent, tout n’est pas accident et attribut, comme on le dit ; et il y aura un terme aussi pour désigner l’être en tant que substance.

§ 22. Or, s’il en est ainsi, on a démontré par cela même que les contradictoires ne peuvent jamais être attribuées simultanément à une seule et même chose. Si les contradictoires étaient toutes également vraies relativement à la même chose, tout dès lors [20] serait confondu avec tout. Ce serait une seule et même chose qu’une trirème, un mur, un homme, si l’on peut indifféremment ou tout affirmer ou nier tout, comme sont forcés de le soutenir les partisans de la théorie de Protagore. Si quelqu’un trouve que l’homme n’est pas une trirème, l’homme évidemment n’est pas une trirème ; mais il l’est, si la contradictoire [25] est également vraie.

§ 23. On retombe alors aussi dans la doctrine d’Anaxagore : « Toutes choses sont confondues les unes avec les autres » ; et, par cela même, il n’y a plus rien qui soit réellement existant. Mais c’est là, il nous semble, ne parler que de l’indéterminé ; et ces philosophes, tout en croyant parler de l’Être, ne parlent que du Non-être uniquement ; car ce qui n’est qu’à l’état de simple possibilité, et non point à l’état de réalité complète, c’est ce qu’on doit précisément appeler l’indéterminé.

§ 24. On n’en doit pas moins pour toutes choses exprimées [30] l’affirmation ou la négation ; car il serait absurde de soutenir que, si chaque être peut recevoir sa propre négation, il ne peut pas aussi recevoir la négation d’un autre être, qui n’est pas lui. Je veux dire, par exemple, que, s’il est vrai de nier de l’homme qu’il soit homme, il est encore plus clair qu’il n’est pas une trirème. Si donc on prétend que l’affirmation d’un objet différent est vraie, la négation ne l’est pas moins nécessairement. [35] Mais, si l’affirmation n’est pas vraie, la négation d’un objet différent sera vraie du premier objet plus encore que la sienne propre. [1008a] Si donc cette dernière lui est applicable, celle de la trirème le lui sera aussi ; et, si cette négation de la trirème est exacte, l’affirmation l’est également.

§ 25. Voilà les conséquences où sont réduits ceux qui soutiennent cette théorie, et. qui avancent que ce n’est jamais une nécessité, ou de nier, ou d’affirmer. S’il est vrai que tel être soit Homme et [5] aussi Non-homme indifféremment, il n’y a plus réellement ni Homme ni Non-homme, puisque, pour les deux, il y a aussi deux négations égales ; et si, d’une part, les deux assertions se confondent en une seule, d’autre part, l’assertion opposée sera une assertion unique aussi.

§ 26. Ajoutez que, ou bien il en est ainsi pour toutes les propositions sans exception : par exemple, une chose est blanche et n’est pas blanche, une chose est et n’est pas, et de même pour toutes les autres affirmations et [10] négations ; ou bien, il n’en est pas ainsi, et l’observation s’applique aux unes tandis qu’elle ne s’applique pas aux autres. Si elle ne s’applique pas à toutes, c’est qu’on passe condamnation sur celles auxquelles l’observation ne s’applique pas ; et si elle s’applique à toutes, alors encore on peut nier tout ce qu’on a affirmé et affirmer tout ce qu’on a nié, ou bien nier ce qu’on a affirmé, sans pouvoir réciproquement affirmer tout [15] ce qu’on a nié.

§ 27. Si ce dernier cas a lieu, l’existence du Non-être devient indirectement certaine. Dès lors, on a un principe assuré, et, du moment que le Non-être est quelque chose d’assuré et de connu, l’affirmation opposée l’est encore davantage. Si l’on peut également affirmer tout ce qu’on a nié, alors il faut nécessairement, ou qu’on soit dans le vrai en divisant les propositions, et en disant, par exemple : [20] « Ceci est blanc » ; et à l’inverse : « Ceci n’est pas blanc » ; ou bien, on n’est pas dans le vrai. Mais, si l’on n’est pas dans le vrai, même en faisant cette division, c’est que l’adversaire ne peut plus soutenir aucune de ces assertions, et qu’il n’y a plus rien à discuter. Et comment des êtres qui ne sont pas, pour raient-ils encore parler et penser?

§ 28. Tout alors se confond et se réduit à l’unité, comme je le disais tout à l’heure ; et ce sera une même chose que l’homme, Dieu, une trirème, [25] ainsi que les contradictions de ces termes. Si, pour chaque cas, les assertions contradictoires sont également acceptables, une chose ne diffère plus d’une autre ; ou, si elle en diffère, ce sera cette différence qui sera vraie, et qui sera propre à la chose en question. Si l’on croit que, par la division des deux assertions, on peut arriver à la vérité, notre objection a toujours la même force.

§ 29. Ajoutez qu’alors tout le monde est dans le vrai, tout le monde est dans le faux ; et l’adversaire lui-même doit convenir [30] qu’il est aussi dans l’erreur. Il n’est pas moins clair qu’avec lui on ne peut plus engager de discussion sur un sujet quelconque ; car ce qu’il dit n’a pas la moindre valeur. Il ne se prononce, ni de cette façon, ni de la façon contraire ; mais il admet tout à la fois les deux façons de se prononcer. Puis, de nouveau, il nie les deux assertions, ne disant, ni que la chose est ainsi, ni qu’elle n’est pas ainsi ; et, s’il ne commettait pas cette équivoque, il y aurait sur-le-champ une assertion précise.

§ 30. Autre objection. Si, quand l’affirmation est vraie, la négation est fausse, et réciproquement si, quand la négation est vraie, c’est l’affirmation qui cesse de l’être, il en résulte qu’il est impossible d’être également dans le vrai en affirmant et en niant en même temps la même chose. [1088b] Mais peut-être nos adversaires nous répondraient-ils que c’est là précisément ce qui est en question.

§ 31. Cependant, si celui qui prétend que la chose est ou qu’elle n’est pas de telle façon est dans le faux, comment celui qui soutient les deux assertions à la fois peut-il avoir raison? S’il a la vérité pour lui, que peut alors signifier le dicton que l’on répète si souvent que telle est la nature [5] des choses? S’il n’a pas pour lui la vérité, et que celui qui croit au contraire que les choses ont une nature spéciale, ait davantage raison, c’est qu’alors les êtres sont en effet d’une certaine minière déterminée. Cette assertion est donc vraie, et il n’est pas possible qu’en même temps elle ne le soit pas. Mais, si les deux interlocuteurs disent également vrai et également faux, l’adversaire n’a plus à souffler mot et à rien dire, puisqu’il avance dans une seule et même phrase que telles choses sont et [10] qu’elles ne sont pas. Si son esprit ne s’arrête à rien, et s’il croit et ne croit pas, à titre pareil, ce qu’il dit, en quoi un tel homme se distingue-t-il d’un végétal?

§ 32. Mais voici quelque chose qui fera voir, de la façon la plus manifeste, que personne n’est sérieusement dans cette disposition d’esprit, ni parmi le reste des hommes, ni même parmi ceux qui soutiennent cette théorie. D’où vient que cet homme est en route pour se rendre à Mégare, au lieu de rester chez lui tranquillement, en s’imaginant [15] qu’il est en marche? Pourquoi, en sortant, un beau matin, ne va-t-il pas tout droit tomber dans un puits, ou dans un trou, qui se rencontre sous ses pas? Et pourquoi au contraire lui voit-on prendre mille précautions, comme un homme qui ne juge pas du tout qu’il soit également bon ou mauvais de tomber, ou de ne pas tomber, dans un précipice? Il est clair comme le jour qu’il juge l’une des deux alternatives meilleure, et qu’il ne trouve pas du tout que ce soit l’autre qui vaille mieux.

§ 33. Si cela est incontestable, il est nécessairement vrai aussi qu’il croit que tel être est un homme, et que tel autre n’est pas un homme ; [20] et que telle chose est douce et agréable, et que telle autre ne l’est pas. On ne traite pas toutes choses sur un pied d’égalité, ni dans ses actes, ni dans sa pensée ; et quand on croit qu’il vaut mieux boire de l’eau pour apaiser sa soif, ou voir quelqu’un dont on a besoin, on’ se donne la peine de rechercher et de découvrir l’un et l’autre. Il faudrait cependant rester dans la plus parfaite indifférence, si l’Homme et le Non-homme étaient réellement une seule et même chose. Mais, encore une fois, il n’y a personne qui, [25] dans les cas que nous venons d’indiquer, ne mette la plus grande attention à rechercher ceci ou à éviter cela.

§ 34. On peut donc assurer, à ce qu’il semble, que tout le monde croit à quelque chose d’absolu, si ce n’est sur toutes matières sans exception, du moins en ce qui fait la distinction du meilleur et du pire. Que si l’on ne sait pas précisément les choses de science certaine, et si l’on n’en a qu’une opinion vague, c’est une raison de plus pour apporter â la recherche de la vérité infiniment davantage de soin, de même que le malade s’occupe, avec bien plus de sollicitude, de la santé que celui qui se porte bien. [30] En effet, comparativement à l’homme qui sait les choses, celui qui ne s’en forme qu’une vague opinion n’est pas dans une santé parfaite par rapport â la vérité.

§ 35. En supposant même, à toute force ; que les choses peuvent être tout à la fois de telle façon et n’être pas de cette façon, il existe certainement du plus et du moins dans la nature des êtres. Ainsi ; on ne dirait jamais avec une vérité égale que deux et trois sont des nombres pairs ; et ce n’est pas non plus une égale erreur de croire que [35] quatre valent cinq, ou de croire qu’ils valent mille. Si l’erreur n’est pas la même des deux parts, il est clair que l’un se trompe moins que l’autre, et par suite qu’il est davantage dans le vrai. Comme ce qui est plus vrai se rapproche plus de la vérité, il faut donc aussi qu’il y ait une vérité absolue, [1009a] dont se rapproche davantage ce qui est plus vrai. Et même en supposant qu’il n’y ait pas d’absolu, il y a tout au moins quelque chose qui est plus solide et plus ferme que le reste ; et cela suffit pour nous débarrasser de cette théorie intempérante, qui nous interdisait de penser quoi que ce soit de déterminé et [5] de précis.

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