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CHAPITRE II
ОглавлениеDes acceptions différentes du mot Être ; exemples à l’appui ; de la science qui étudie l’Être en tant qu’Être ; les sciences spéciales n’étudient que des espèces de l’Être ; identité de l’Un et de l’Être ; citation du Choix des contraires ; une même science connaît les contraires opposés ; différence de la négation et de la privation ; réduction de toutes les oppositions à celle de l’unité et de la pluralité ; rôle de la philosophie dans ces questions, à côté de la Dialectique et de la Sophistique ; conclusion sur la science de l’Être considéré uniquement comme tel.
§ 1. Le mot d’Être peut avoir bien des acceptions ; mais toutes ces acceptions diverses se rapportent à une certaine unité, et à une réalité naturelle, unique pour toutes ces acceptions. Ce n’est pas un mot simplement homonyme ; mais il en est du mot Être comme du mot [35] Sain, qui peut s’appliquer à tout ce qui concerne la santé, tantôt à ce qui la conserve, tantôt à ce qui la produit, tantôt à ce qui l’indique, et tantôt à l’être qui peut en jouir. [1003b] C’est encore le même rapport que soutient le mot Médical avec tout ce qui concerne la médecine. Médical peut se dire tout aussi bien, et de ce qui possède la science de la médecine, et de ce qui est doué de qualités naturelles pour l’acquérir, et du résultat que la médecine obtient. Nous pourrions citer bien d’autres mots qui présentent des diversités analogues à celles-là.
§ 2. [5] C’est absolument de cette façon que le mot d’Être peut recevoir des acceptions multiples, qui toutes cependant se rapportent à un seul et unique principe. Ainsi, Être se dit tantôt de ce qui est une substance réelle, tantôt de ce qui n’est qu’un attribut de la substance, tantôt de ce qui tend à devenir une réalité substantielle, tantôt des destructions, des négations, des propriétés de la substance, tantôt de ce qui la fait ou la produit, tantôt de ce qui est en rapport purement verbal avec elle, ou enfin de ce qui constitue des négations de toutes [10] ces nuances de l’Être, ou des négations de l’Être lui-même. C’est même en ce dernier sens que l’on peut dire du Non-être qu’il Est le Non-être.
§ 3. De même donc qu’il appartient à une seule science de s’occuper de tout ce qui regarde la santé, comme nous venons de le dire, de même aussi pour toute autre chose ; car ce ne sont pas seulement les attributs essentiels d’un seul être que doit considérer une seule et unique science ; ce sont, de plus, toutes les relations de cette unique nature ; [15] car, à certains égards, ces derniers attributs s’appliquent bien aussi à ce seul être. Il faut donc en conclure que considérer les êtres en tant qu’êtres est l’objet d’une seule et même science.
§ 4. En toutes choses, la science s’occupe principalement du primitif, c’est-à-dire, de ce dont tout le reste dépend et tire son appellation. Or, si ce primitif est la substance, le philosophe a le devoir d’étudier les principes et les causes des substances.
§ 5. Pour un genre d’êtres tout entier, quel qu’il soit, il n’y a jamais qu’une seule manière [20] de les percevoir et une seule science ; et par exemple, la grammaire, tout en restant une seule et même science, étudie tous les mots du langage. Si donc c’est à une science génériquement une, d’étudier toutes les espèces de l’Être, chacune de ces espèces seront étudiées par des espèces particulières de cette science.
§ 6. L’Être et l’Un sont identiques et sont une seule et même réalité naturelle, parce qu’ils se suivent toujours l’un l’autre, comme principe et comme cause, et non pas seulement comme étant exprimés par un seul et même mot. [25] Par conséquent, il n’y a aucun inconvénient à les prendre pour semblables ; et en cela, il y a plutôt avantage. En effet, c’est bien toujours au fond la même chose de dire : C’est Un homme, ou bien C’est un être qui Est homme, ou simplement, Il est homme. On a beau accumuler les mots en les redoublant, on ne dit rien de plus : Il est un homme, ou Il est homme, ou bien C’est un être qui est homme.
§ 7. Il est clair que, dans aucun cas, on ne sépare jamais l’idée de l’Être de l’idée de l’Unité, ni dans la production, ni [30] dans la destruction. Il en est tout à fait de même de la notion de l’Un, qu’on ne sépare jamais non plus de la notion d’Être. Il faut en conclure que l’addition d’un de ces termes a tout-à-fait le même sens, et que l’Un ne diffère en rien de l’Être. La substance de chacun d’eux est une, et ne l’est pas accidentellement ; c’est de part et d’autre également la réalité d’un objet individuel.
§ 8. Voilà pourquoi autant il y a d’espèces de l’Un, autant il y en a de l’Être. C’est à une science génériquement une d’étudier ce que sont toutes ces espèces ; je veux dire, par exemple, d’étudier ce que c’est que l’Identité, la Ressemblance, et toutes les autres nuances de cet ordre, en même temps aussi que les notions qui y sont opposées. Or, presque tous les contraires peuvent se réduire à ce principe de l’unité et de la pluralité, [1004a] ainsi que nous l’avons expliqué dans notre Choix des contraires.
§ 9. On comprend qu’il y a autant de parties distinctes dans la philosophie qu’il y a de substances ; et par conséquent, entre ces parties diverses, l’une viendra la première, tandis que l’autre ne viendra qu’en sous-ordre. [5] Comme ce qu’on trouve tout d’abord, ce sont les différents genres, qui ont tous l’Un et l’Être, les sciences doivent se partager de la même manière, en les suivant. Le philosophe est, à cet égard, dans la situation du mathématicien, ainsi qu’on l’appelle, puisque les mathématiques ont également diverses parties, et qu’en elles aussi on peut distinguer une science qui est la supérieure, une autre qui est, la seconde, et d’autres qui ne viennent qu’à leur suite.
§ 10. Comme c’est à une même et unique science qu’il appartient [10] de considérer les opposés, et que l’opposé de l’unité, c’est la pluralité, il s’ensuit qu’il appartient aussi à une seule et même science de considérer la négation et la privation, parce qu’on peut étudier, à ce double point de vue, l’un, auquel la négation, ou la privation, s’adresse. En effet, ou nous disons d’une manière absolue d’une chose qu’elle n’existe pas du tout, ou nous disons simplement qu’elle n’est pas applicable à tel genre.
§ 11. Seulement, dans la négation, la différence est jointe à l’objet Un, contrairement à ce que la négation exprime ; car la négation est [15] la suppression de cette différence, tandis que, dans la privation, il subsiste toujours une certaine nature à laquelle la privation doit s’adresser.
§ 12. Mais, la pluralité étant l’opposé de l’unité, les termes opposés à ceux que nous avons mentionnés, c’est-à-dire l’Autre, le Dissemblable, l’Inégal et toutes les nuances appliquées, soit à ces termes, soit à la pluralité, soit à l’unité, sont l’objet [20] de la science dont nous nous occupons. L’opposition par contraire est bien aussi un de ces termes ; car cette opposition est une différence, et la différence constate l’existence d’une autre chose.
§ 13. Par suite, quoique le mot d’Être puisse être pris en plusieurs sens, et, quoique tous les termes dont nous venons de parler puissent en avoir aussi plusieurs, ce n’en est pas moins l’objet d’une seule science de les étudier tous ; car ce n’est pas la pluralité des acceptions qui exige une autre science ; mais il en faut une autre toutes les fois que [25] les définitions ne se rapportent pas directement à un seul et même objet, oui ne sont pas en quelque relation avec lui.
§ 14. Mais, si tout se rapporte au primitif, et si par exemple tout ce qui reçoit le nom d’Un doit être rapporté à l’Un primitif, cette remarque s’applique également bien à l’idée du Même, à celle de l’Autre, et à celle des Contraires. C’est là ce qui fait que, après avoir distingué toutes les acceptions diverses d’un mot, il faut avoir soin de montrer comment elles s’appliquent au primitif, dans chacune des catégories. [30] Ainsi, l’une de ces acceptions vient de ce que l’être en question possède ces qualités ; l’autre, de ce qu’il les produit ; une troisième, de ce qu’il est exprimé selon tels autres modes analogues à ceux-là.
§ 15. Il est donc clair, comme nous l’avons dit en posant ces questions, que c’est à une seule science d’étudier toutes ces différences et la substance qu’elles affectent ; et c’était là un des problèmes signalés par nous.
§ 16. [1004b] Le devoir du philosophe, c’est de pouvoir en ceci tout comprendre ; car, si ce n’était pas lui, quel autre aurait à examiner des questions comme les suivantes : « Socrate est-il une seule et même chose que Socrate assis? Telle unité est-elle contraire à telle autre unité? Et qu’est-ce que le contraire? En combien de sens peut-il être compris? », et une foule d’autres questions qui ressemblent à celles-là?
§ 17. [5] Mais, comme les modes essentiels qu’on vient d’indiquer sont ceux de l’unité, en tant qu’unité, et ceux de l’Être, en tant qu’Être, et non pas en tant que ce sont des nombres, des lignes ou du feu, il en résulte évidemment que c’est à cette science cherchée par nous qu’il appartient de connaître ce que sont ces termes en eux-mêmes, et ce que sont les relations qui s’y appliquent. Il n’est pas moins clair qu’on ne peut pas reprocher à ceux qui s’occupent de ces matières de ne pas les traiter en philosophes ; mais ils se trompent en ce que, la substance étant antérieure à tout le reste, [10] ils n’en soufflent pas mot.
§ 18. Or, de même que le nombre, en tant que nombre, a ses modifications propres, qui sont d’être impair, d’être pair, d’être proportionnel, égal, plus grand, plus petit, et que ces propriétés affectent les nombres pris en eux-mêmes ou dans leurs relations les uns avec les autres, et de même encore qu’il y a des propriétés spéciales du solide, qui est immobile ou qui est en mouvement, [15] qui n’a pas de poids ou qui en a ; de même aussi L’Être en tant qu’Être a ses propriétés, et c’est justement à les étudier que le philosophe doit s’appliquer pour découvrir le vrai.
§ 19. Ce qui le prouve bien, c’est que les Dialecticiens et les Sophistes, qui s’affublent du même vêtement que la philosophie, la Sophistique n’étant qu’une philosophie factice, et les Dialecticiens ne se faisant pas faute [20] de parler de tout, et par conséquent aussi de l’Être, qui est le sujet commun de toutes les recherches, les Sophistes, dis je, et les Dialecticiens dissertent tous sur ces matières, parce qu’en effet ces matières-là sont évidemment le domaine de la philosophie et son domaine propre.
§ 20. Ainsi, la Sophistique et la Dialectique tournent dans le même cercle de questions que la philosophie ; mais la philosophie se distingue, de celle-ci par la manière dont elle emploie ses forces, et de celle-là par l’intention qu’elle apporte dans la conduite de la vie. [25] La Dialectique essaie de connaître les choses que la philosophie connaît à fond ; et, quant à la Sophistique, elle n’a qu’une apparence sans réalité ; elle semble être, mais elle n’est pas.
§ 21. Quoi qu’il en soit, la privation est la seconde des deux combinaisons que peuvent présenter les contraires ; tous ils se ramènent à l’Être et au Non-être, à l’unité et à la pluralité. Ainsi, par exemple, on peut classer l’inertie dans l’unité, et le mouvement dans la pluralité.
§ 22. Or, on est assez généralement d’accord pour admettre [30] que les êtres et la substance viennent des contraires. Aussi, tous les philosophes reconnaissent-ils que les principes sont contraires : les uns les voyant dans l’impair et le pair ; les autres, dans le chaud et le froid ; ceux-ci, dans le fini et l’infini ; ceux-là, dans l’Amour.et la Discorde ; toutes ces oppositions et tant d’autres pouvant se réduire à celle de l’unité et de la pluralité.
§ 23. Supposons donc qu’en effet elles s’y réduisent, comme l’a démontré l’analyse que nous en avons faite, [1005a] et que les principes se rangent absolument dans ces deux classes, comme ils y ont été rangés par nos devanciers. Ces considérations ne peuvent que nous faire voir une fois de plus que c’est à une seule et même science d’étudier l’Être ; car toutes les choses, ou sont elles-mêmes des contraires, ou viennent de contraires, qui les produisent. [5] Or, les principes des contraires eux-mêmes sont l’unité et la pluralité, objets d’une même et seule science, soit que ces termes n’aient qu’une acception, soit qu’ils en aient plusieurs, comme c’est peut-être le cas.
§ 24. Mais, bien que l’unité puisse s’entendre en plusieurs sens, tout le reste de ces acceptions diverses se ramènera à l’acception primitive, ainsi que les contraires ; et, en supposant même que l’Être et l’Un ne soient pas des universaux identiques pour toutes choses, ou [10] qu’ils n’existent pas séparément, comme sans doute ils n’existent point en effet de cette façon, il n’en est pas moins vrai que toutes ces acceptions se rapportent directement à l’unité, ou qu’elles viennent à sa suite.
§ 25. C’est là ce qui fait que ce n’est pas au géomètre d’étudier ce qu’on doit entendre par le Contraire, le Parfait, l’Un, l’Être, le Même, l’Autre ; ou du moins, il ne peut les étudier qu’en en supposant préalablement l’existence.
§ 26. Donc, en résumé, il appartient certainement à une seule et même science d’étudier l’Être en tant qu’Être, avec tous les attributs qui lui sont propres, à ce titre. [15] Et non seulement cette même science doit étudier les substances, mais aussi leurs conditions essentielles ; et, sans parler de celles que nous avons indiquées, elle doit analyser également l’Antérieur et le Postérieur, le Genre et l’Espèce, le Tout et la Partie, et toutes les autres notions qui sont analogues à celles-là.