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CHAPITRE IV
ОглавлениеHésiode et Parménide ; puissance de l’Amour ; Empédocie admet deux principes : l’Amour et la Discorde ; citation de la Physique ; insuffisance de tous ces systèmes ; critique d’Empédocle ; ses défauts et ses mérites ; Anaxagore ; Leucippe et Démocrite ; leurs systèmes du plein et du vide ; ils expliquent tous les phénomènes à l’aide de trois différences. Résumé sur les deux causes, substance et mouvement.
1. On pourrait soupçonner qu’Hésiode a été le premier à exprimer une opinion de ce genre, ou attribuer aussi cette doctrine à tel autre philosophe qui, comme Parménide, a pris l’Amour et le Désir pour le principe universel des choses. Parménide, en effet, voulant expliquer l’origine de l’univers, a dit :
Il a formé l’Amour avant les autres Dieux.
Et Hésiode s’exprime à peu près de même :
Tout d’abord le Chaos apparut sur les ondes ; Puis après lui, la Terre, aux mamelles fécondes, Et l’Amour, souverain de tous les autres Dieux.
2. Cela revenait à supposer qu’il doit y avoir dans tout ce qui est une cause intime, qui met les choses en mouvement et qui les conserve. Quant à savoir à qui, parmi ces philosophes, doit appartenir réellement le premier rang, qu’on nous permette de renvoyer notre jugement un peu plus loin.
3. Cependant, comme il était facile de remarquer que, dans la nature, il y a bien des choses contraires à celles qui nous semblent bonnes, et qu’on y trouve non pas seulement l’ordre et la beauté, mais aussi le désordre et la laideur, [985a] le mal étant plus répandu que le bien, et les vilaines choses étant plus nombreuses que les belles, il y eut un philosophe qui, pour expliquer ces contrastes, imagina le système de l’Amour et de la Discorde, qui devaient être l’un et l’autre les causes de ces phénomènes contraires.
4. En nous attachant au fond de cette pensée, et en la suivant dans ses vraies conséquences, sans nous arrêter aux arguments que bégaie Empédocle, nous reconnaîtrons que, selon lui, l’Amour est la cause de tous les biens de ce monde, tandis que la Discorde est la cause de tous les maux. Par conséquent, si l’on soutient qu’en un sens Empédocle a pu dire, et qu’il a dit le premier, que le mal et le bien sont les principes de tout, on ne laisse pas d’être dans le vrai, puisqu’en effet, c’est le bien en soi qui est essentiellement la cause de tous les biens particuliers, de même que c’est le mal en soi qui est la cause de tous les maux.
5. Tels sont donc, d’après ce que nous venons d’exposer, les philosophes qui ont touché à cette théorie des deux causes, et voilà jusqu’à quel point ils ont poussé leurs recherches ; les deux causes étant et le principe de la matière et le principe du mouvement, ainsi que nous l’avons montré dans notre Physique.
6. Mais leurs systèmes sont restés incomplets et obscurs ; et ces philosophes ressemblent assez à des hommes qui marcheraient au combat sans avoir fait d’exercices préalables ; sans doute des soldats inexpérimentés peuvent, emportés par leur courage, frapper souvent de très-beaux coups ; mais ils se battent sans la moindre science de la guerre. De même, ces philosophes semblent parler sans trop se rendre compte de ce qu’ils disent ; car on ne voit pas qu’ils aient su tirer aucun parti de leurs principes ; ou du moins, l’usage qu’ils en font est très-insuffisant.
7. Ainsi Anaxagore, voulant expliquer la création des choses, se sert de l’Intelligence comme d’une véritable machine ; et s’il est embarrassé pour assigner la cause d’un phénomène nécessaire, il fait sortir l’Intelligence juste à point ; mais en général il s’adresse à toute autre cause plutôt qu’à elle pour expliquer les phénomènes de la nature.
8. Empédocle a recours à ses principes plus fréquemment qu’Anaxagore n’a recours aux siens ; mais, lui aussi, il est d’une grande insuffisance. Un autre défaut, c’est qu’il n’est pas toujours d’accord avec lui-même ; car, dans ses explications, c’est bien souvent l’Amour qui désunit, et la Discorde qui rapproche. Ainsi, quand, selon lui, le Tout se divise dans les éléments qui le forment sous l’impulsion de la Discorde, le feu, dans les idées d’Empédocle, n’en est pas moins toujours réuni en une seule masse, comme chacun des autres éléments. Et d’autre part, quand tous les éléments constituent une immense unité sous l’impulsion de l’Amour, les parties n’en doivent pas moins nécessairement se séparer de nouveau dans chacun des éléments.
9. Ce qui est à l’honneur d’Empédocle, c’est que, parmi tous ses devanciers, il est le premier qui ait introduit la cause motrice dans les recherches philosophiques, bien qu’en la divisant en deux, puisqu’il n’assigne pas une cause unique au mouvement, et qu’il le fait venir de deux causes contraires l’une à l’autre. Il faut lui rendre encore cette autre justice que c’est lui qui le premier fixa à quatre le nombre des éléments, considérés au point de vue de la matière ; mais il faut aussi reconnaître qu’il n’emploie pas toujours ces quatre éléments, et qu’il les réduit d’ordinaire à deux, [985b] en considérant le feu isolément, et en lui opposant les trois autres, la terre, l’air et l’eau, qu’il réunit en une seule nature. C’est ce dont on peut s’assurer en consultant ses vers.
10. Voilà donc, encore une fois, comment Empédocle a envisagé les principes et à quel nombre il les a portés.
11. Leucippe et son ami Démocrite ont admis pour éléments le plein et le vide, qui, suivant eux, sont en quelque sorte l’Être et le Non-Être ; le plein et le dense représentent l’Être ; le vide et le rare représentent le Non-Être. De là vient qu’ils soutiennent que l’Être n’existe pas plus que le Non-Être, attendu qu’à leur sens le vide n’existe pas plus que le plein ou corps solide.
12. D’ailleurs, ce sont là, dans leur système, les causes purement matérielles des êtres ; et de même que les philosophes qui ne reconnaissent qu’une seule substance constitutive des choses, ne regardent les autres phénomènes que comme des modifications de cette substance unique, de même, en prenant le rare et le dense pour les principes de ces modifications, Leucippe et Démocrite admettent que ce sont certaines différences qui sont les seules causes de tout le reste des phénomènes.
13. Toutefois, ils réduisent ces différences à trois : la forme, l’ordre et la position. A les entendre, l’Être ne peut avoir de différences qu’à ces trois égards : configuration, contact et tournure ; et de ces trois termes, la configuration répond à la forme ; le contact répond à l’ordre ; et la tournure, à la position. Par exemple, la lettre A diffère de la lettre N par la forme ; AN diffère de NA par Tordre ; et Z diffère de N par la position.
14. Quant au mouvement qui anime les êtres, quant à son origine et à ses espèces, ce sont là des questions que Leucippe et Démocrite n’ont pas abordées, montrant en ceci la même négligence que tous les autres philosophes.
15. En résumé, voilà les recherches qui ont été faites jusqu’ici sur deux des causes que nous avons indiquées, et tel est le point exact où ces recherches se sont arrêtées.