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CHAPITRE PREMIER

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Origine de la philosophie ; répartition des facultés entre les diverses classes d’animaux ; rôle de la mémoire ; supériorité de l’homme ; l’expérience tirée de l’observation ; citation de Polus ; l’art et la science ; débuts et progrès des arts ; idée générale delà science, fondée sur les notions universelles ; apparition successive des différentes sciences ; naissance des mathématiques en Egypte ; citation de la Morale ; la sagesse ou philosophie ; définition préliminaire de la philosophie, qu’on peut se représenter comme la science des principes et des causes.

1. [980a] L’homme a naturellement la passion de connaître ; et la preuve que ce penchant existe en nous tous, c’est le plaisir que nous prenons aux perceptions des sens. Indépendamment de toute utilité spéciale, nous aimons ces perceptions pour elles-mêmes ; et au-dessus de toutes les autres, nous plaçons celles que nous procurent les yeux. Or, ce n’est pas seulement afin de pouvoir agir qu’on préfère exclusivement, peut-on dire, le sens particulier de la vue au reste des sens ; on le préfère même quand on n’a absolument rien à en tirer d’immédiat ; et cette prédilection tient à ce que, de tous nos sens, c’est la vue qui, sur une chose donnée, peut nous fournir le plus d’informations et nous révéler le plus de différences.

2. La nature, on le sait, a doué les animaux de la faculté de sentir. Mais, chez quelques-uns, la sensation ne produit pas le souvenir, [980b] tandis que chez d’autres elle le produit. C’est là ce qui fait que ces derniers sont plus intelligents, et qu’ils sont susceptibles de s’instruire infiniment plus que ceux qui n’ont pas la faculté de la mémoire.

3. Les animaux, qui, tout en étant intelligents, ne peuvent rien apprendre, sont en général ceux à qui la nature a refusé un organe pour percevoir les sons, comme l’abeille et les autres espèces, s’il y en a qui soient à cet égard dénuées comme elle. Au contraire, ceux des animaux qui, à la mémoire, peuvent ajouter le sens de l’ouïe sont en état de s’instruire.

4. Ainsi, les animaux autres que l’homme ne vivent que sur des représentations sensibles et sur des souvenirs ; mais ils ne profitent que médiocrement de l’expérience, tandis que l’espèce humaine a, pour se conduire dans la vie, l’art et la réflexion.

5. C’est la mémoire qui forme l’expérience dans l’esprit de l’homme ; car les souvenirs d une même chose constituent, en se multipliant pour chaque cas, l’expérience dans toute son énergie ; [981a] et l’expérience est bien près de valoir la science et l’art, auxquels elle ressemble beaucoup. C’est l’expérience en effet qui a enfanté l’art et la science chez les hommes, attendu que, comme le dit si bien Polus, « C’est l’expérience qui engendre l’art, tandis que l’inexpérience ne doit le succès qu’au hasard qui la favorise ».

6. Le moment où l’art apparaît est celui où, d’un grand nombre de notions déposées dans l’esprit par l’expérience, il se forme une conception générale, qui s’applique à tous les cas analogues. Ainsi, avoir cette notion que Callias, atteint de telle maladie, a été soulagé par tel remède, et que Socrate et une foule d’autres personnes qui souffraient du même mal, ont été soulagés de la même manière, c’est là un fait d’expérience et d’observation.

7. Mais concevoir que, pour toutes les personnes qui peuvent être rangées dans une même classe comme ayant la même affection maladive, inflammation, mouvement de bile, fièvre ardente, etc., le même remède a eu la même efficacité, c’est là une conception qui appartient au domaine de l’art.

8. Dans la pratique, l’expérience semble se confondre avec l’art, dont elle ne se distingue pas ; et même on peut remarquer que les gens qui n’ont pour eux que l’expérience, paraissent réussir mieux que ceux qui, sans les données de l’expérience, n’interrogent que la raison. Le motif de cette différence est manifeste ; c’est que l’expérience ne fait connaître que les cas particuliers, tandis que l’art s’attache aux notions générales, aux universaux.

9. Or, quand on agit et qu’on produit quelque chose, il ne peut jamais être question que de cas particuliers. Le médecin, qui soigne un malade, ne guérit pas l’homme, si ce n’est d’une façon détournée ; mais il guérit Callias, Socrate, ou tel autre malade affligé du même mal, et qui est homme indirectement, dans le sens général de ce mot.

10. II s’ensuit que, si le médecin ne possédait que la notion rationnelle, sans posséder aussi l’expérience, et qu’il connût l’universel sans connaître également le particulier dans le général, il courrait bien des fois le risque de se méprendre dans sa médication, puisque, pour lui, c’est le particulier, l’individuel, qu’avant tout il s’agit de guérir.

11. Néanmoins savoir les choses et les comprendre est à nos yeux le privilège de l’art bien plus encore que celui de l’expérience ; et nous supposons que ceux qui se conduisent par les règles de l’art sont plus éclairés et plus sages que ceux qui ne suivent que l’expérience seule, parce que toujours la sagesse nous semble bien davantage devoir être la conséquence naturelle du savoir.

12. Cela vient de ce que ceux qui sont guidés par les lumières de l’art connaissent la cause des choses, tandis que les autres ne s’en rendent pas compte. L’expérience nous apprend simplement que la chose est ; mais elle ne nous dit pas le pourquoi des choses. L’art, au contraire, nous en révèle le pourquoi et la cause.

13. Aussi, en chaque genre, ce sont les hommes supérieurs, les architectes, que nous estimons le plus, et à qui nous supposons plus de science qu’aux ouvriers, [981b] qui ne font que travailler de leurs mains. Si les premiers nous paraissent plus savants et plus éclairés, c’est qu’ils connaissent les causes de ce qu’ils produisent, tandis que les autres, à la manière de certains corps sans vie, agissent certainement, mais agissent sans aucune connaissance de ce qu’ils font, comme le feu, qui brûle et ne le sait pas.

14. II est vrai que, si c’est par suite d’une organisation naturelle que les corps inanimés produisent chacun leur action propre, c’est grâce à l’habitude que les manœuvres remplissent si bien les leurs, de telle sorte que ce n’est pas pratiquement que les chefs sont plus habiles que leurs ouvriers, mais encore une fois c’est parce qu’ils raisonnent ce qu’il faut faire et qu’ils connaissent les causes de leurs actes.

15. D’une manière générale, ce qui prouve qu’on sait réellement une chose, c’est d’être capable de l’enseigner à autrui ; et voilà comment nous trouvons que l’art est de la science beaucoup plus que l’expérience ne peut en être, parce que ceux qui sont arrivés à l’art sont en état d’enseigner et que ceux qui n’ont que l’expérience en sont incapables.

16. C’est là encore pourquoi nous ne confondons jamais les perceptions sensibles avec la science. Cependant la sensibilité nous donne les notions les plus puissantes et les plus décisives des objets particuliers ; mais elle ne nous dit jamais le pourquoi de la chose. Ainsi, dans l’exemple qui vient d’être cité, la sensation ne nous explique pas pourquoi le feu est chaud ; elle nous informe simplement qu’il nous brûle.

17. Aussi le premier qui inventa un art quelconque, en allant au-delà des impressions sensibles que tout le monde éprouve, dut vraisemblablement exciter parmi les hommes une réelle admiration, non pas seulement comme ayant fait une découverte utile, mais comme étant un sage, fort supérieur à tous ses semblables. Plus tard, quand les arts se furent multipliés, les uns l’appliquant aux besoins nécessaires et les autres à l’agrément de la vie, on ne cessa pas pour cela de toujours considérer les gens qui s’élevaient jusqu’à l’art comme plus savants que les gens de simple expérience ; et cette estime leur fut accordée précisément parce que leurs connaissances n’avaient pas un but d’application immédiate.

18. Mais, une fois que tous les arts indispensables se furent constitués, on vit surgir des sciences dont l’objet ne peut être ni l’agrément ni le besoin. Elles naquirent tout d’abord dans les climats où l’homme peut se livrer plus facilement au repos ; et c’est ainsi que les sciences mathématiques prirent naissance en Egypte, où la caste des prêtres employait de cette façon les loisirs qui lui avaient été ménagés.

19 Dans notre Morale, on a pu voir par quels caractères se distinguent réciproquement l’art, la science et les autres connaissances de cet ordre ; mais pour notre étude actuelle, tout ce que nous voulons dire, c’est que, dans l’opinion de tout le monde, la science que l’on décore du nom de Sagesse, la Philosophie, a pour objet les causes et les principes des choses.

20. Je le répète donc, en résumant ce qui précède : l’expérience, à ce qu’il semble, est un degré de science plus relevé que la sensation, sous quelque forme que la sensation s’exerce ; l’homme qui se guide par les données de l’art est supérieur à ceux qui suivent exclusivement l’expérience ; l’architecte est au-dessus des manœuvres ; et les sciences de théorie sont au-dessus des sciences purement pratiques. [982b] Enfin, et par une conséquence évidente, la Sagesse ou Philosophie est la science qui étudie certaines causes et certains principes définis.

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