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CHAPITRE VI
ОглавлениеPhilosophie de Platon ; ses rapports avec les Pythagoriciens, Heraclite et Cratyle ; influence de Socrate sur Platon ; la théorie des Idées sortie de ces influences diverses ; exposition de cette théorie ; comparaison de Platon et des Pythagoriciens ; leurs différences — Résumé des recherches antérieures ; citation de la Physique : les philosophes anciens se sont attachés presque uniquement à la cause matérielle ; ils ont traité à peine la question de l’essence et la cause finale ; exactitude de la théorie d’Aristote prouvée par cette histoire du passé ; examen plus détaillé des opinions des philosophes sur les quatre causes.
1. C’est après les philosophies que nous venons de citer, que parut celle de Platon. Elle suivait en grande partie pas à pas ces derniers Pythagoriciens ; mais elle avait aussi ses doctrines propres, où elle s’éloignait de l’école Italique. Platon, dans sa jeunesse, avait d’abord fréquenté Cratyle ; et avec lui il s’était attaché aux opinions d’Héraclite, qui suppose que tous les objets sensibles sont dans un perpétuel écoulement, et qu’il n’y a pas de science possible pour des choses ainsi faites.
2. Ce sont là des pensées que Platon reprit plus tard en sous-œuvre et qu’il reproduisit. [987b]
3. II fît aussi des emprunts à Socrate, qui s’était beaucoup occupé de morale, sans essayer aucun système général sur la nature, et qui, dans cet ordre de recherches, s’était arrêté à l’universel en étant le premier à porter un examen attentif sur les définitions.
4. Héritier de Socrate et étudiant comme lui les universaux, Platon continua son maître ; mais il admit que les définitions s’appliquent réellement à des êtres fort différents des choses sensibles, par cette raison qu’une commune définition ne peut jamais convenir aux objets des sens, attendu qu’ils sont dans un flux perpétuel. Ces êtres nouveaux furent appelés Idées, du nom que Platon leur donna.
5. II ajouta que tous les objets sensibles existent en dehors des Idées, et qu’ils reçoivent le nom qui les désigne d’après la relation qu’ils ont avec elles ; car les individus multiples qui reçoivent entre eux des appellations synonymes sont homonymes aux Idées, et n’existent que par leur participation aux Idées mêmes.
6. C’est Platon qui introduisit ce mot nouveau de Participation. Les Pythagoriciens s’étaient contentés de dire que les êtres sont l’imitation des nombres ; Platon dit qu’ils sont la participation des Idées, expression qui n’est qu’à lui et qu’il a inventée. 7 D’ailleurs, Participation ou Imitation des Idées, Platon et les Pythagoriciens laissaient à qui le voudrait le soin d’expliquer ce qu’on doit entendre par là.
8. Platon admet encore, en dehors des choses sensibles et des Idées, les êtres mathématiques, qui sont des intermédiaires entre les Idées et les choses, différant des objets des sens en ce qu’ils sont éternels et immobiles, et différant des Idées, en ce qu’ils peuvent être en très grand nombre semblables les uns aux autres, tandis que, dans chaque genre, l’Idée ne peut jamais qu’être seule et unique.
9. Comme les Idées, suivant lui, sont les causes de tout le reste, il dut prendre les éléments des Idées pour les éléments de tous les êtres sans exception ; et de même que, sous le rapport matériel, il adopta pour principes le Grand et le Petit, de même sous le rapport de l’essence son principe fut l’unité ; car c’est par le Grand et le Petit que les Idées qui participent à l’unité sont aussi les nombres.
10. Cependant, en admettant que l’unité forme l’essence des choses et qu’il est impossible que ce soit autre chose que l’unité qui puisse être appelée l’Être, Platon se rapprochait beaucoup des Pythagoriciens ; c’était dire à peu près comme eux que les nombres sont pour le reste des choses la cause qui constitue leur essence.
11. Mais ce qui appartient proprement à Platon, c’est d’avoir substitué une dualité à l’infini, qui est Un, dans le système pythagoricien, et d’avoir soutenu que l’infini se compose du Grand et du Petit. Enfin, Platon isole les nombres des objets sensibles, tandis que les Pythagoriciens confondent les nombres avec les choses elles-mêmes et ne regardent pas les êtres mathématiques comme les intermédiaires des choses.
12. Si donc Platon a séparé des choses l’unité et les nombres, en ne les considérant point comme l’avaient fait les Pythagoriciens, et s’il a imaginé d’introduire la théorie des Idées, il y fut conduit par ses études de logique, que n’avaient point faites ses devanciers, ignorants comme ils l’étaient de la dialectique. Si de plus il a fait de la dualité le second principe naturel des choses, c’est que, d’après lui, tous les nombres, sauf les nombres premiers, sortent tout naturellement de la Dyade, comme d’un moule commun. [988a]
13. Mais en réalité c’est tout le contraire, et la théorie de Platon n’est pas du tout rationnelle. En effet, selon eux, la pluralité vient de la matière ; mais l’Idée platonicienne n’engendre qu’une unique fois. Cependant l’observation nous atteste évidemment que d’un seul morceau de matière, il ne sort qu’une seule table, par exemple, et que celui qui y ajoute encore l’Idée, fait ainsi plusieurs tables, bien qu’en réalité il n’y en ait qu’une seule.
14. II en est en ceci comme du mâle dans ses rapports avec la femelle : la femelle est fécondée par un accouplement unique, tandis que le mâle peut féconder plusieurs femelles successivement ; et ces images font assez bien comprendre ce que deviennent des principes ainsi conçus.
15. Telles sont donc les théories de Platon sur les questions que nous discutons ici. Ce que nous en avons dit suffit pour montrer qu’il n’a fait usage que de deux causes seulement : la cause de l’essence et celle de la matière. D’un côté, les Idées, suivant lui, sont, pour le reste des choses, les causes de leur essence, comme c’est l’unité qui est cette cause pour les Idées mêmes. D’un autre côté, Platon a déterminé quelle est la matière substantielle qui donne aux Idées leur appellation dans les choses sensibles, comme les Idées la reçoivent de l’unité ; et cette matière, c’est la dualité, composée elle-même du Grand et du Petit.
16. Enfin, Platon accorde à ses deux éléments d’être l’un et l’autre des causes, celui-ci, la cause du bien, et celui-là la cause du mal. Mais, à notre avis, celte question avait été traitée plus complètement même par quelques-uns des philosophes antérieurs, tels qu’Empédocle et Anaxagore.
17. Nous venons en quelques mots et sommairement de passer en revue les philosophes qui ont parlé des principes et qui ont étudié la vérité ; et nous avons vu ce qu’ils en disent. Cette rapide revue peut nous apprendre certainement que, dans ces recherches du principe et de la cause, personne n’a dépassé les limites que nous avons posées dans notre ouvrage Sur la Nature ; et que tous nos devanciers ont agité plus ou moins les mêmes problèmes, si d’ailleurs ils ne les ont pas suffisamment approfondis.
18. En effet, les uns ont admis la matière pour principe, soit en faisant ce principe unique ou multiple, soit en le faisant corporel ou incorporel-Pour Platon, par exemple, la matière, c’est le Grand et le Petit ; l’école Italique n’admet que l’infini ; Empédocle reconnaît pour principes le feu et la terre, l’eau et l’air ; enfin Anaxagore admet l’infinitude des Homéoméries.
19. Tous, on le voit, se sont occupés de la cause matérielle, surtout ceux qui ont admis l’air, ou le feu ou l’eau, ou encore un élément qui serait plus dense que le feu et plus léger que l’air ; car il y a des philosophes qui ont considéré cet élément intermédiaire comme le premier des éléments. Tous ceux-là n’ont donc touché absolument que la seule cause matérielle. D’autres, en petit nombre, admettant comme principe l’Amitié et la Haine, ou l’Intelligence, ou bien l’Amour, ont joint à la cause matérielle la cause motrice.
20. Mais pas un seul parmi eux ne s’est clairement expliqué sur l’essence et la cause substantielle. [988c] A cet égard, les moins satisfaisants sont encore ceux qui supposent les Idées et tout ce que les Idées comprennent, à les en croire. Selon eux, en effet, les Idées et ce qu’elles contiennent ne sont ni la matière des objets sensibles, ni la cause du mouvement, qu’elles produiraient. Loin de là, ils feraient bien plutôt des Idées une cause d’immobilité et d’absolu repos pour les choses. Les Idées ne donnent aux êtres que leur essence, comme l’unité la donne aux Idées elles-mêmes.
21. Quant au but final, auquel tendent tous les actes, tous les changements et tous les mouvements des choses, ces philosophes le considèrent bien à certains égards comme une cause ; mais ils ne l’étudient pas directement comme tel, et ils ne le voient pas nettement comme il est dans sa nature.
22. Par exemple, ceux qui prennent pour principe l’Intelligence ou l’Amour, regardent sans doute ces deux causes comme quelque chose de bon ; mais pourtant ils ne supposent pas que quoi que ce soit existe ou se produise dans le monde en vue de l’Intelligence et de l’Amour ; et ce serait bien plutôt des êtres qu’ils feraient venir les mouvements de ces deux causes.
23. De même encore, ceux aussi qui trouvent cette nature de cause dans l’Unité et dans l’Être, en font bien le principe de tout ce qui est ; mais dans leur système, ce n’est pas davantage pour elle, prise comme but final, que les choses existent ou se produisent. Par conséquent, on peut dire que tout à la fois ces philosophes reconnaissent et ignorent que c’est le bien qui est précisément cette cause, pour laquelle tout se produit et tout existe ; car ils ne font pas du bien le but absolu des choses, et ce n’est qu’indirectement qu’ils arrivent à le considérer ainsi.
24. En résumé, nous pouvons être assurés que nous avons exactement constaté le nombre et la qualité des diverses causes ; et tous ces philosophes semblent être les garants de notre exactitude, puisqu’ils n’ont pu découvrir aucun principe en dehors des nôtres. Nous ajoutons qu’évidemment il faut, ou étudier tous ces principes sans exception, d’après la méthode qui vient d’être exposée, ou en étudier certaine modification. Mais, pour faire suite à ce qui précède, nous allons reprendre ce qu’en ont dit chacun de ces philosophes, et exposer les objections qu’on peut soulever en ce qui regarde les principes tels qu’ils les entendent.