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II
Une autre Promenade amoureuse au Parc des Princes

Table des matières

D’où vient qu’un jour on rencontra Violette se promenant seule avec Santa-Cruz dans les sentiers de la mare d’Auteuil, sous ces beaux arbres où Bianca et Prémontré avaient mangé des fraises? Si nous écoutons sous l’orme, nous apprendrons que la duchesse est devenue fantasque à ce point que Violette ne la voit presque plus.

Où est l’âme humaine que n’a pas envahi le péché? Quelle créature n’a trahi ni son amour ni son amitié? Qui donc a toujours vécu dans les régions élevées du sentiment divin? La duchesse se croyait au-dessus de toutes les misères humaines; elle croyait que sa dignité la préserverait de toutes les atteintes qui marquent la conscience. Mais elle s’abandonnait trop aux entraînements de la rêverie amoureuse pour ne pas déchirer un peu sa robe aux sentiers de l’école buissonnière.

Voilà pourquoi depuis qu’elle sentait que Violette aimait Santa-Cruz comme Santa-Cruz aimait Violette, elle n’avait plus pour la douce exilée du Parc des Princes la même amitié expansive. Elle ne lui disait plus tout; elle ne la questionnait plus. Elle s’en voulait de ne pouvoir s’arracher cette jalousie du cœur, mais la jalousie était plus forte que son amitié.

Violette elle-même, tout en vouant un culte à la duchesse comme elle avait fait naguère à Geneviève de la Chastaigneraye, se sentait jalouse aussi. Mais elle se hâtait de se frapper trois fois le cœur, ne voulant accuser qu’elle-même, se disant d’ailleurs,–sans bien le croire,–que cet amour nouveau n’était qu’une distraction de son esprit.

La pauvre fille! cet amour nouveau prenait toute sa vie, comme l’amour de Parisis, deux ans plus tôt.

Donc, Violette et Santa-Cruz se promenaient-comme des amoureux,–un jour, vers midi, sous les ramées à peine verdoyantes du bois de Boulogne.

On est encore dans l’hiver, mais aux derniers soleils de mars. Les fleurettes rustiques rient déjà dans l’herbe, les bourgeons vont s’épanouir à la première chanson du merle, ce réveille-matin de la nature, les églantiers annoncent les roses sauvages par leurs branches toutes vertes.

Santa-Cruz et Violette étaient mélancoliques.

Santa-Cruz avait l’amour gai, mais Violette avait l’amour triste. Et comme l’amour de Violette était le plus fort, elle imposait son expression douloureuse à Achille. Même pour ceux-là qui sont heureux en femmes et qui courent les aventures galantes avec le scepticisme au cœur, il vient un jour où les mélancolies de la passion ont prise sur leur âme. La tristesse même a ses voluptés, puisqu’elle est le chemin le plus rapide vers le ciel. Violette ouvrait à Santa-Cruz des horizons nouveaux. Certes, elle n’était pas venue se promener avec lui pour faire un cours de philosophie, mais il trouvait en sa compagnie je ne sais quelle aspiration aux régions sereines. Il se sentait heureux à côté de Violette comme si elle eût été à la fois sa sœur et sa maîtresse, quoiqu’elle ne fût ni sa maîtresse ni sa sœur.

Violette marchait vite comme si elle fuyait un souvenir qui l’accusât. Santa-Cruz lui parla du passé, car il lisait à livre ouvert dans ce cœur si pur et si loyal qu’il ne pouvait rien cacher.

–Non, dit-elle, le passé pour moi c’est un tombeau où je me réveille vivante tous les jours. Faites-moi croire à une métamorphose. Dites-moi que tout se renouvelle, prouvez-moi qu’une autre femme est née en moi-même.

On sait que Santa-Cruz était l’homme par excellence des vérités paradoxales; aussi s’empara-t-il de ce thème avec une éloquence des plus entraînantes. Il dit à Violette que la nature est impitoyable pour le passé. Elle jette dans le néant la rose comme le chardon, la jeune fille comme le crapaud. Le monde n’est qu’une épitaphe perpétuelle. Hier ne compte pas dans l’addition d’aujourd’hui et demain. La nature moissonne le cœur comme elle moissonne la terre. Que reste-t-il des anciennes amours? Les cendres des gerbes brûlées. La science de la vie c’est de ne jamais se retourner; c’est de marcher en avant, vaille que vaille, coûte que coûte. Vivre du passé c’est vivre dans un cloître, si ce n’est dans un tombeau.

Depuis que la duchesse voyait moins Violette, Achille la voyait plus. La pauvre solitaire ne voulait pas trahir son amie, aussi défendait-elle à Santa-Cruz de venir chez elle. Mais elle voulait bien le rencontrer comme sans préméditation, au hasard du sentier. C’était un hasard prévu puisqu’elle se pronait presque toujours dans la même zone, depuis le Pré-Catelan, où elle allait boire du lait, jusqu’à la mare d’Auteuil où elle allait cueillir des myosotis.

Achille qui ne traînait pas les choses en longueur, qui ne filait pas le parfait amour aux pieds d’Omphale, qui ne se perdait pas dans la république platonicienne, avait acquis dans la compagnie de Violette toutes les vertus, y compris la patience. Il ne se reconnaissait plus lui-même.

Déjà la duchesse l’avait habitué à ne pas risquer l’heure et le moment. Mais avec elle il était tourmenté des aiguillons de l’amour, tandis qu’avec Violette, c’était l’adorable commerce des âmes. Il goûtait doucement le charme de ses yeux, de sa voix, de son âme, de toute sa beauté visible et invisible. Il était en paradis, il ne demandait pas la volupté des flammes vives.

Ce matin-là, Santa-Cruz, redevenu primitif comme dans ses montagnes, se penchait à chaque instant pour cueillir une fleurette. Il finit par composer un très joli bouquet rustique qu’il noua avec un brin d’herbe.

–Tenez, Violette, je ne vous ai jamais rien donné.

–Merci, dit-elle en portant le bouquet à ses lèvres, voilà un bouquet qui m’est plus cher que toutes les fleurs de Paris.

–Parce qu’il ne m’a rien coûté, reprit Achille.

Il s’était rapproché d’elle–si près, si près, si près–qu’il l’embrassa.

Elle trouva cela tout naturel, elle ne se défendit pas. Mais comme il voulait recommencer:

–Non, dit-elle, je vous aime trop.

On se sépara avec la joie dans le cœur.

Mais dès que Violette fut seule dans sa chambre, elle tomba agenouillée, tant son âme était triste, même dans la joie.

Le lendemain, à la même heure, on se retrouva sous les mêmes arbres, dans les mêmes rêveries. Violette était venue à pied, Santa-Cruz était venu à cheval, mais il avait laissé son cheval à son groom dans l’avenue des Marronniers.

–Dites-moi donc votre histoire, demanda Violette à Achille.

L’inconnu a une grande-force sur les femmes, mais la curiosité l’emporte: elles ne sont contentes que si elles savent, au risque de briser leur illusion comme le singe brise la pendule.

Dieu a été plus grand encore en gardant son secret.

–Que je vous conte mon histoire, dit Santa-Cruz, à quoi bon? Un coup de soleil sur la neige des montagnes! Une paysannerie plus ou moins romanesque! Une églogue de Théocrite.

–C’est ce qui me charmera, murmura Violette.

Achille lui rappela qu’il avait refusé de conter sa jeunesse à la duchesse de Montefalcone, sous prétexte que les hommes de génie seuls avaient droit d’ouvrir le livre de leur vie. Mais comme tout homme aime à se conter soi-même, puisque parler de soi c’est revivre du passé. Achille se laissa aller à la tentation.

On se coucha sans façon sur l’herbe, comme les endimanchés du bois de Boulogne.

Ce ne fut pas sans beaucoup de parenthèses, sans beaucoup d’œillades idolâtres, sans beaucoup de violettes jetées aux pieds de Violette, que Santa-Cruz raconta l’histoire d’Achille Le Roy, car il y avait bien deux hommes en lui, un pâtre et un Grand d’Espagne.

Le Grand d’Espagne, qui avait horreur du moi, parla de lui à la troisième personne comme il eût fait d’un ami.

Mais il y avait déjà si loin d’Achille Le Roy à Santa-Cruz que celui-ci pouvait parler de celui-là comme d’un autre homme.

Je vais vous dire cette histoire à peu près comme Santa-Cruz me la conta lui-même.

Les Parisiennes: Les Femmes adultères

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