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III.

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LE PRINCE DÉGUISÉ EN PATRE ET LE LIVRE DE SUZANNE.

Je vous dirai que le jeune prince habitait non loin de la chaumière de Suzanne un château en ruine, — un vieux château dans les bois, juché au milieu d’un étang, avec ses tourelles et ses créneaux. — Robert était beau comme le jour. Il avait perdu sa fortune dans les guerres du royaume. Son père avait tout sacrifié pour défendre son Dieu et son Roi, afin d’avoir à son tour une belle épitaphe dans l’église seigneuriale.


Le jeune prince se moquait de tous les préjugés de son temps. Il aurait pu aller à la cour: il préférait vivre dans les bois. Ce qu’il aimait, c’était la chasse et les livres. Aussi le rencontrait-on tous les jours, tantôt avec une arbalète, tantôt avec un roman de chevalerie.


Ce fut ainsi qu’il apparut à Suzanne.

A force de se rencontrer, ils se parlèrent.

— Bonjour, ma voisine.

— Bonjour, mon voisin.

Et les voilà les meilleurs amis du monde.

Il est vrai que le beau seigneur s’était bien gardé de dire à Suzanne qu’il était un prince. Il se disait le fils d’un pâtre.


— Est-ce que vous croyez aux Fées, Robert?

— Si j’y crois, Suzanne! Je crois même aux sorcières.


— Moi je pense, dit Suzanne, que nous ne sommes conduits que par les anges et les démons; or ce sont peut-être les bonnes Fées et les mauvaises Fées.

— Par malheur, reprit Suzanne, elles ne viennent plus comme autrefois.

— Elles viennent toujours, continua Robert, seulement elles viennent la nuit pendant que nous dormons.

Ce soir-là, Robert dit adieu à Suzanne, car on avait sonné l’Angelus, — le couvre-feu des campagnes. — Suzanne se coucha et s’endormit dans les vagues inquiétudes de l’espérance et de l’imprévu.

L’Angelus vous savez que c’est une voix de la terre qui parle au ciel.

Ou plutôt une voix du ciel qui parle à la terre.

— Souvenez-vous de moi, dit l’esprit de Dieu.

— Veillez sur moi, dit l’esprit de la terre.


Suzanne avait aussi une voisine.

C’était une riche vigneronne qui, une fois par semaine, faisait des gaufres pour ses enfants et pour Rubicon.

Le petit diable, assis devant l’âtre, écoutait les histoires de la veillée, et ne donnait pas au chat sa part des gaufres.


Pendant que Suzanne contait l’histoire de l’oiseau rouge couleur de feu, Rubicon faisait des niches à tout le monde. Ainsi il découpait des papillons de papier et les lançait comme autant de cerfs-volants mignons, qui allaient s’abattre sur le nez des bonnes gens.

Suzanne était matinale. Aux premières aubades des merles et des fauvettes, elle courait à son champ. Elle passait ses plus belles heures à sarcler ses fèves, à ramer ses pois ou à filer à la quenouille, non pas l’or et la soie, mais le chanvre léger qu’elle avait battu elle-même avec ses belles mains brunies par le soleil.

Elle vivait seule, toute seule, toute seule, avec son petit frère, se levant avec l’aube et se couchant quand elle avait dit adieu à la première étoile, une amie inconnue qui lui jetait un regard sympathique au travers des vitres.

A peine si on la rencontrait de temps en temps à la fontaine, où papillonnaient toutes les filles du village en chantant des ballades.

Mais, comme je l’ai dit, le dimanche, plus belle encore, car elle ne songeait qu’à Dieu, on la voyait passer pour aller à la messe.

Elle fuyait le monde comme une âme exilée, non pas qu’elle craignît de montrer sa figure ni ses beaux yeux qui rappelaient le ciel, ni ses cheveux ondulés où le soleil avait oublié des rayons.

Mais la candeur est ainsi faite qu’elle a peur du grand jour, comme si c’était déjà un péché de trop montrer ce qui est beau.

Robert venait souvent jouer avec le petit frère, pour avoir l’occasion de babiller un peu avec la grande sœur.

De quoi parlait-on? Des beaux cantiques de Noël, des sérénades du rossignol, des bouquets de la Fête-Dieu, des bonnes et des mauvaises Fées.

Elle lui conta son histoire: la mort de sa mère, sa solitude, son espoir en Dieu. Elle lui chanta ses cantiques et ses chansons.

— Que lisez-vous donc là ? lui dit-elle un jour.

— L’histoire des quatre fils Aymon, répondit-il.

— Eh bien, moi, reprit-elle, je ne lis que l’histoire des quatre Évangélistes.

— Et moi, dit Rubicon, je ne sais que l’histoire du diable à quatre.


Suzanne n’avait qu’un livre, mais c’était le plus beau livre du monde.

C’était l’Évangile.

La pantoufle de Cendrillon, ou Suzanne aux coquelicots

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