Читать книгу Les mains pleines de roses, pleines d'or et pleines de sang - Arsène Houssaye - Страница 10
TOUT ET RIEN
ОглавлениеQuand Georges rentra à Landouzy-les-Vignes, il rencontra son frère qui cueillait des rimes aux buissons.
«C'est moi, lui dit-il, qui ai eu une vision poétique.»
Et il conta à Pierre comment une jeune fille, une rêverie idéale en robe blanche lui était apparue dans le parc du château de Margival.
«C'est la préface de l'amour, lui dit Pierre. Mais moi qui suis poëte, je vais t'expliquer en prose l'énigme de cette apparition. Mlle de Margival est arrivée depuis quelques jours au château avec son père; elle a dix-huit ans et elle a les dix-huit beautés voulues par le peintre et le sculpteur…
—Allons, tu vas commencer par divaguer.
—C'est toi qui divagues; parce que tu vois une jeune fille en robe blanche, te voilà rêvant à une apparition magique.
—Tu as peut-être raison, je ne suis qu'un visionnaire.»
Et Georges du Quesnoy, qui n'y avait pas songé, chercha à se prouver que la jeune fille en blanc, c'était Mlle de Margival.
Mais voilà que tout à coup, et comme pour jeter le trouble dans son esprit, une calèche à deux chevaux passa devant les deux frères, emportant vers le château M. de Margival et sa fille.
«Tu vois bien que ce n'était pas elle.»
Les paysans, qui s'étaient arrêtés pour voir passer ce qu'ils appelaient le carrosse, apprirent à Georges que M. et Mlle de Margival venaient du château de Marchais où ils avaient déjeuné chez le prince de Monaco, tout en faisant un pèlerinage à Notre-Dame-de-Liesse.
«Cette fois, dit Pierre à son frère, je n'y suis plus du tout, à moins qu'il n'y ait au château quelque cousine inconnue, promenant sa robe blanche.»
Mais les mêmes paysans qui étaient les moissonneurs et les vendangeurs de M. de Margival, affirmèrent que, hormis le père et la fille, il n'y avait pas âme qui vive, sinon une cuisinière grosse comme un tonneau et une femme de chambre grande comme un moulin.
Les jeunes gens finirent par parler d'autre chose, ils allèrent retrouver leur père, qui les attendait pour dîner. Au dessert, après avoir parlé de ceci et de cela, après avoir mangé beaucoup de ces belles cerises du pays qui valent bien mieux que les cerises de Montmorency, M. du Quesnoy leur dit:
«Eh bien, messieurs mes fils, maintenant que vous voilà tous les deux bacheliers ès lettres, il faut vous décider à devenir des hommes; que ferez-vous?
—Rien, dit Pierre.
—Tout, dit Georges.»