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LES APPRÊTS DU SACRE.

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L’impératrice, accompagnée de Mme de La Rochefoucauld, dame d’honneur, et de Mme d’Arberg, dame du palais, partit de Fontainebleau, le jeudi 29 novembre 1804, et arriva dans la même journée à Paris. Elle y précéda de quelques heures l’empereur et le pape qui, à Fontainebleau, étaient montés ensemble en voiture, et qui firent leur entrée aux Tuileries à huit heures du soir. Un peloton de mamelucks suivait le carrosse impérial, et c’était une chose singulière de voir ces musulmans escorter le vicaire de Jésus-Christ. Le pape fut logé aux Tuileries, dans le pavillon de Flore. On attacha à sa personne M. de Viry, chambellan de l’empereur; M. de Luçay, préfet du palais, et le colonel Durosnel, écuyer cavalcadour.

Tout Paris était agité par l’approche du grand événement. Les hôtels regorgeaient de monde. La population de la capitale se trouvait presque doublée, tant l’affluence des provinciaux et des étrangers était grande. Les fournisseurs travaillaient jour et nuit pour que les toilettes et les uniformes fussent prêts. C’était dans tous les ateliers une activité sans pareille. Leroy, qui, jusqu’alors n’avait été que marchand de modes, s’était décidé, pour la circonstance, à entreprendre la couture, et avait pris pour associée Mme Raimbault, célèbre couturière de l’époque. De leurs magasins étaient sortis les magnifiques vêtements que l’impératrice devait porter, le jour du sacre. Quant à ses joyaux, qui consistaient en une couronne, un diadème et une ceinture, ils étaient l’œuvre du joaillier Margueritte. La couronne se composait de huit. branches, qui se réunissaient sous un globe d’or surmonté d’une croix. Les branches étaient garnies de diamants, quatre en forme de feuilles de palmier, et quatre en feuilles de myrte. Autour de la courbure il y avait un cordon incrusté de huit énormes émeraudes. Le bandeau étincelait d’améthystes. Le diadème était formé par quatre rangées de perles entrelacées de feuillage en diamants, avec plusieurs gros brillants, dont un seul pesait cent quarante-neuf grains. La ceinture enfin était un ruban d’or, enrichi de trente-neuf pierres roses. Le sceptre de l’empereur avait été confectionné par Odiot; il était en argent massif, enlacé d’un serpent d’or, et surmonté d’un globe sur lequel on voyait une figurine représentant Charlemagne assis. Quant à la main de justice, à la couronne et à l’épée, elles sortaient des ateliers de Biennais. Le costume des hommes de la cour devait être très riche. Il se composait d’un habit français de couleurs différentes pour les services qui dépendaient du grand-maréchal, du grand-chambellan et du grand-écuyer, avec une broderie d’argent pour tous; le manteau sur une épaule, en velours et doublé de satin; l’écharpe, le rabat de dentelle et le chapeau retroussé sur le devant et garni d’un panache. Les femmes devaient être en robe de bal, à traînes, avec une collerette de blonde appelée chérusque, qui, attachée sur les deux épaules et montant assez haut derrière la tête, rappelait les modes du temps de Catherine de Médicis.

On faisait des répétitions pour le couronnement, comme pour une pièce à grand spectacle. Depuis les principaux acteurs jusqu’aux moindres comparses, chacun étudiait son rôle en conscience; les maitres des cérémonies devaient servir de souffleurs à ceux qui manqueraient de mémoire. Les voitures impériales et celles des princes et des princesses avaient été conduites un matinaux alentours de Notre-Dame attelées de leurs chevaux et à vide. Cochers, postillons, palefreniers, s’étaient ainsi bien rendu compte de l’itinéraire qu’ils devaient suivre et des endroits où ils devaient stationner. Les équipages étaient splendides, les chevaux magnifiques, les livrées étincelantes. On n’avait jamais vu plus de luxe aux époques les plus fastueuses de la monarchie.

M. de Bausset raconte que, huit jours avant le couronnement, le peintre Isabey reçut de l’empereur la demande de sept dessins devant représenter les sept principales cérémonies qui auraient lieu à Notre-Dame, mais dont les répétitions ne pouvaient se faire dans la cathédrale, à cause des nombreux ouvriers occupés, jour et nuit, à l’embellir et à la décorer. Exiger sur-le-champ sept dessins réunissant chacun plus de cent personnes en action, c’était demander l’impossible. Isabey éluda la difficulté avec beaucoup d’adresse. Il acheta chez les marchands de joujoux tous les petits bonshommes qu’il put trouver, les habilla en pape, en empereur, en impératrice, en princes, en princesses, en grands dignitaires, en cardinaux, en chambellans, en écuyers, en dames d’honneur, en dames du palais. Il plaça les poupées ainsi habillées sur un plan en relief de l’intérieur de Notre-Dame, et portant le tout à l’empereur: «Sire, dit-il, j’apporte à Votre Majesté mieux que des dessins.» Napoléon trouva l’idée très ingénieuse, et se servit des poupées et du plan, pour bien faire comprendre à chaque figurant sa place et son emploi.

Le Moniteur du 9 Frimaire an XIII (30 novembre 1804) publia à l’avance, avec les détails les plus minutieux, le cérémonial du sacre, qui fut réglé par l’empereur avec autant de soin qu’un plan de bataille. Une difficulté s’était élevée à cette occasion. Le pape aurait voulu que l’empereur communiât publiquement, le jour du sacre, et Napoléon en avait délibéré. Le grand-maître des cérémonies, M. de Ségur lui objecta la nécessité préalable d’une confession à laquelle il ne se prêterait peut-être pas, et d’une absolution qu’on pourrait lui refuser. «La difficulté n’est point là, répliqua l’empereur, le Saint-Père sait distinguer les péchés de César de ceux de l’homme.» Puis il ajouta: «Je sais que je dois l’exemple du respect pour la religion et ses ministres; aussi me voyez-vous bien traiter les prêtres, aller régulièrement à la messe, et y assister avec une attitude grave et recueillie. Mais on me connaît, et, pour moi, comme pour les autres, si j’allais plus loin, qu’en penseriez-vous? Ne serait-ce pas donner l’exemple de l’hypocrisie, et commettre un sacrilège?» Le pape n’insista point. L’idée de cette crainte d’un sacrilège, Napoléon l’exprimera de nouveau, en 1816, sur le rocher de Sainte-Hélène: «On fit tout au monde, dira-t-il alors, pour me porter, à la manière de nos rois, à aller en grande pompe communier à Notre-Dame; je m’y refusai tout à fait; je n’y croyais pas assez, disais-je, pour que ce pût m’être salutaire, et j’y croyais trop encore pour m’exposer raidement à un sacrilège.»

Il y eut une autre difficulté qui préoccupait beaucoup le pape, et qui ne se trouvait pas réglée dans le cérémonial du sacre. Il s’agissait de savoir si l’empereur recevrait la couronne des mains du souverain-pontife. Pie VII avait posé la question, avant son départ de Rome, et le cardinal Consalvi avait écrit sur ce sujet, auquel le Vatican attachait une extrême importance: «Tous les empereurs français, tous ceux d’Allemagne qui ont été sacrés par les papes, ont été, en même temps, couronnés par eux. Le saint-père, pour se décider au voyage, a besoin de recevoir de Paris l’assurance qu’il ne sera rien innové, dans la circonstance actuelle, contrairement à l’honneur et à la dignité du souverain-pontife.» A Rome, les réponses avaient été vagues, dilatoires. A Paris, l’empereur, laissant quelque chose à l’imprévu, s’était contenté de dire: «J’arrangerai cela moi-même. »

Les préparatifs s’achevaient à Notre-Dame. Ils étaient très considérables. On avait abattu plusieurs maisons qui gênaient la façade septentrionale. Devant le grand portail, alors mutilé par les ravages révolutionnaires, on avait élevé une décoration en charpente peinte, figurant un vaste porche gothique à quatre arcs qui soutenaient les statues des trente-six bonnes villes dont les maires devaient assister au couronnement. Adroite et à gauche, se dressaient les images de Clovis et de Charlemagne, le sceptre en main. Au-dessus, entre deux aigles d’or, rayonnait le blason impérial. Ce portrail était uniquement destiné à l’entrée des cortèges du pape et de l’empereur. Il communiquait avec l’archevêché au moyen de grandes galeries couvertes, en bois, et ornées, à l’intérieur, de belles tapisseries des Gobelins. L’archevêché, où Pie VII et Napoléon devaient se rendre, avant d’entrer dans la cathédrale, et qui, aujourd’hui, n’existe plus (il a été demoli, le 14 février 1831, dans un jour de fureur populaire), était situé tout à côté de l’église métropolitaine. Construit en 1161 par Maurice de Sully, reconstruit en 1697 par le cardinal de Noailles, embelli en 1750 par l’archevêque de Beaumont, ce palais de l’archevêché avait servi de local à l’Assemblée Constituante, du 19 octobre au 9 novembre 1789. C’est là que le pape et l’empereur devaient faire une station, en venant des Tuileries, et revêtir les grands costumes du sacre, avant de pénétrer dans la cathédrale.

Le vaisseau de Notre-Dame avait été entièrement tendu d’étoffes cramoisies ornées de franges d’or, et portant, brodées à tous les coins, les armes de l’Empire. De chaque côté de la grande nef, et dans le pourtour du chœur, on avait élevé trois rangs de tribunes, également décorées de tentures de soie et de velours, frangées d’or, avec des trophées de drapeaux à chaque pilier. Au-dessus des trophées, il y avait des Victoires ailées et dorées, portant des girandoles garnies d’une profusion de bougies. A ces girandoles s’ajoutaient vingt-quatre lustres suspendus à la voûte de la cathédrale. La construction des tribunes avait diminué le jour, et l’on était en plein hiver, à une saison où la nuit arrive vite. On avait donc décidé que la cathédrale serait éclairée pendant tout le temps de la cérémonie, ce qui augmenterait l’éclat et la pompe de cette solennité. Le chœur fermé par une balustrade, avait été réservé pour le clergé. A droite du maître-autel, sur une estrade de onze marches, on avait élevé le trône pontifical, que surmontait un dôme doré, décoré des armoiries de l’Église catholique, apostolique et romaine. En face, et de chaque côté du trône pontifical, se trouvaient des banquettes à dossier, destinées aux cardinaux et aux prélats. Pour l’empereur et l’impératrice, on avait préparé ce qu’on appelait le petit trône et le grand trône. Le petit trône se composait de deux fauteuils, l’un pour Napoléon, l’autre pour Joséphine. Ces deux fauteuils, placés sur une estrade de quatre marches, étaient en face du maître-autel. L’empereur et l’impératrice devaient s’y asseoir, durant la première partie de la cérémonie. Quant au grand trône, il était situé à l’autre extrémité de l’église, et adossé à la grande porte, qui se trouvait ainsi condamnée. On arrivait à ce grand trône, exhaussé sur une vaste estrade en demi-cercle, par un large escalier de vingt-quatre marches. Il était placé sous un baldaquin en forme d’arc de triomphe, que soutenaient huit colonnes dorées, et il dominait toute l’église. L’empereur et l’impératrice ne devaient monter sur le grand trône qu’après leur couronnement.

Napoléon, à l’occasion du sacre, avait fait présent à la cathédrale d’un assortiment de vases sacrés en vermeil, enrichis de diamants, d’aubes en dentelles très précieuses, d’une croix pro. cessionnelle, de chandeliers, d’encensoirs. En même temps, il fit rendre à l’église métropolitaine un grand nombre de reliques dont la piété de saint Louis avait doté la Sainte-Chapelle. Déposées, en 1791, par ordre de Louis XVI, au trésor de Saint-Denis, puis transportées en 1793 dans le cabinet des curiosités de la Bibliothèque nationale, elles avaient figuré, sous le Directoire, dans la salle des Antiques. L’empereur les rendait aux hommages des fidèles.

Les préparatifs du sacre étaient achevés, et la cérémonie s’annonçait comme devant être magnifique. Mme Junot, la future duchesse d’Abrantès, déjeuna aux Tuileries, chez l’impératrice, le 1er décembre 1804, veille du couronnement. Joséphine était fort émue, mais le bonheur perçait dans son regard. Elle raconta, pendant le déjeuner, tout ce que l’empereur lui avait dit d’aimable, le matin même, et comment il lui avait essayé sur le front la couronne, qu’elle devait ceindre le lendemain à Notre-Dame. En disant cela, elle versait des larmes de reconnaissance. Elle parla ensuite de la peine qu’elle avait éprouvée, en recevant un refus de Napoléon, lorsqu’elle lui avait demandé, le matin même, le retour de Lucien. «J’ai voulu, dit-elle, invoquer une aussi grande journée, mais Bonaparte m’a répondu avec aigreur, et j’ai été contrainte de me taire. Je voulais prouver à Lucien que je sais rendre le bien pour le mal; si vous en trouvez l’occasion, faites-le lui savoir.»

Dans la soirée, le Sénat vint aux Tuileries présenter à l’empereur le résultat du plébiscite qui approuvait l’empire et l’hérédité ; trois millions cinq cent vingt et un mille six cent soixante citoyens avaient voté pour; deux mille cinq cent soixante-dix-neuf avaient voté contre. Napoléon répondit au président du Sénat avec cette infatuation que donnent le succès et le sentiment de la force: «Je monte au trône où m’ont appelé les vœux unanimes du Sénat, du peuple et de l’armée, le cœur plein du sentiment des grandes destinées de ce peuple que, au milieu des camps, j’ai, le premier, salué du nom de grand. Depuis mon adolescence, mes pensées tout entières lui sont dévolues, et, je dois le dire ici, mes plaisirs et mes peines ne se composent plus aujourd’hui que du bonheur ou du malheur de mon peuple. Mes descendants conserveront longtemps ce trône. Ils ne perdront jamais de vue que le mépris des lois et l’ébranlement de l’ordre social ne sont que les résultats de la faiblesse et de l’incertitude des princes.» A l’homme qui parle avec tant de confiance de sa race, et qui jette sur l’avenir un regard si tranquille, n’est-on pas tenté de répondre avec le poète:

L’avenir! l’avenir!... Mystère!

Toutes les choses de la terre,

Gloire, fortune militaire;

Couronne éclatante des rois,

Victoire aux ailes embrasées,

Ambitions réalisées,

Ne sont jamais sur nous posées

Que comme l’oiseau sur nos toits.

Non, si puissant qu’on soit; non, qu’on rie ou qu’on pleure,

Nul ne te fait parler, nul ne peut avant l’heure

Ouvrir ta froide main,

O fantôme muet, ô notre ombre, ô notre hôte,

Spectre toujours masqué, qui nous suis côte à côte,

Et qu’on nomme demain!

L’heure des catastrophes viendra vite, mais elle n’est pas encore sonnée, et demain sera encore radieux. De six heures du soir jusqu’à minuit, des salves d’artillerie sont tirées d’heure en heure, pour annoncer l’approche du grand événement; à chaque salve, les tours, les clochers, les édifices publics sont éclairés, pendant quelques minutes, par des flammes de Bengale. Les insignes impériaux, entre autres l’épée de Charlemagne, se trouvent déjà dans l’église de Notre-Dame. Le général de Ségur, alors capitaine et adjoint au grand-maréchal du palais, est chargé de veiller, pendant la nuit, sur ce précieux dépôt. Il a consigné, à ce propos, un fait qui prouve bien l’esprit batailleur des hommes de l’époque. Un des officiers qui le secondaient dans la garde du glaive impérial eut la folle idée de s’en servir, en provoquant l’un de ses camarades, qui, lui ayant opposé son sabre, se consola d’avoir été vaincu, et même un peu blessé, par une épée si glorieuse.

Dans la même nuit — celle qui précéda le sacre — les vœux de Joséphine furent exaucés. Son union avec Napoléon fut bénie par l’église. On dressa mystérieusement un autel dans le palais desTuileries, et là, en présence de M. de Talleyrand et du maréchal Berthier, qui, seuls, servirent de témoins, le cardinal Fesch célébra, dans le plus profond secret, le mariage religieux de l’empereur et de l’impératrice. Les scrupules de Pie VII se trouvaient ainsi apaisés. Joséphine pouvait être couronnée le lendemain.

La cour de l'impératrice Joséphine

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