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LA DISTRIBUTION DES DRAPEAUX.

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Le couronnement fut le signal d’une période de fêtes. Napoléon voulait que toutes les classes de la société se réjouissent, que le commerce réalisât des bénéfices considérables, que le luxe fit des prodiges, que Paris apparût comme la ville par excellence, la capitale des capitales. Le lendemain du sacre devait être la fête de la populace, et le jour de la distribution des drapeaux la fête de l’armée. Le lundi 3 décembre, il y eut partout des jeux forains, des plaisirs à la portée de la foule. L’esprit de courtisanerie prenait toutes les formes, même la forme populaire, et l’on se servait de tous les langages, même du jargon des halles, pour flatter le nouveau souverain. On chantait la «Ronde joyeuse sur la loterie de treize mille volailles, avec accompagnement des fontaines de vin.» C’était la description des comestibles distribués aux pauvres de la ville de Paris:

Vive, vive Napoléon,

Qui nous baille

D’la volaille,

Du pain et du vin à foison,

Vive, vive Napoléon!

Des le premier jour, l’abondance

Et le bonheur sont dans la France.

Puisque ca commence si bien.

Je n’manquerons jamais de rien.

Cette chanson se chantait dans toutes les rues, sur toutes les places, comme en 93 se chantait le Ça ira.

Le compliment des forts de la Halle et de leurs dames était ainsi tourné :

J’ons dans l’parvis, avec not’femme,

Fait un petit raisonnement,

C’est que c’n’est pas un bâtiment

Mille fois grand comm’Notre-Dame

Qui s’rait capable d’contenir

Tous ceux qu’ont sujet d’te bénir.

En fait d’encens, les souverains trouvent tout bon, même ce qu’il y a de plus grossier, de plus vulgaire.

On faisait, au sujet de Napoléon, ce distique:

Il a reçu pour nous, quand un Dieu le forma,

Le bras de Romulus et l’esprit de Numa.

L’impératrice avait aussi sa part de louanges:

Epouse du héros que l’univers contemple,

Les grâces avec toi l’accompagnent au temple.

Chacun voit la bonté respirer sur tes traits.

Ta main en répand les bienfaits.

Elle aimait beaucoup les fleurs; on lui adressa ce quatrain:

Josephiniana! telle est la fleur nouvelle

Dont l’éclat fixe mon regard.

Pour joindre aux lauriers de César,

Il ne fallait rien moins qu’une fleur immortelle.

On chantait aussi le souverain dans un langage mythologique, car ses flatteurs voulaient épuiser pour lui tous les genres de l’adulation. Le jour du sacre, la préfecture de police avait fait distribuer une pièce de vers intitulée: la Couronne de Napoléon apportée de l’Olympe, de la part de Jupiter:

Montant l’un des coursiers de la fière Bellone,

De l’Olympe, Mercure apporte une couronne,

Le roi des dieux l’envoie au héros des Francais.

Elle est le prix de ses succès.

Vous qu’il guida cent fois dans les champs de la gloire,

Phalange des guerriers, enfants de la victoire,

En bravant des Anglais l’impuissante fureur,

Chantez Napoléon, chantez votre empereur.

Le 3 décembre, les réjouissances publiques organisées parle gouvernement s’étendirent depuis la place de la Concorde jusqu’à l’Arsenal. Des hérauts d’armes parcouraient la ville, en distribuant des médailles frappées à l’occasion du couronnement. Ces médailles représentaient d’un côté la figure de l’empereur, le front ceint de la couronne des Césars; de l’autre, l’image d’un magistrat et celle d’un guerrier antique soulevant sur un bouclier un héros couronné, et couvert d’un manteau impérial. Au-dessous on lisait: «Le Sénat et le Peuple.»

Aussitôt après le passage des hérauts d’armes les réjouissances commencèrent. Elles devaient se prolonger fort avant dans la nuit. Les distributions de vivres se joignaient aux jeux de tout genre. On se serait cru au temps des empereurs romains. Panem et circenses. On avait élevé sur la place de la Concorde quatre grandes salles en bois pour les bals populaires. Le froid était rigoureux; il gelait. Cependant l’animation était extrême. Sur les boulevards, il y avait à chaque pas des théâtres de pantomime, des groupes de chanteurs ambulants, des danseurs de corde, des mâts de cocagne, des orchestres. Depuis la place de la Concorde jusqu’à l’extrémité du boulevard Saint-Antoine étincelait un double cordon de verres de couleur en guirlandes. Le Garde-meuble et le palais du Corps législatif resplendissaient de lumières. Les portes Saint-Denis et Saint-Martin étaient couvertes de lampions depuis le bas jusqu’ au sommet; la foule fut ravie du feu d’artifice; jamais elle n’en avait vu un si beau.

Les habitants de Paris avaient été invités à illuminer les façades de leurs maisons, et, soit par enthousiasme soit par calcul, ils avaient dépensé pour cela des sommes considérables. Parmi les illuminations, on remarquait celle de l’ingénieur Chevalier, dont la boutique donnait sur le Pont-Neuf. Dans un cartouche transparent, entouré de lauriers et de myrtes, était représenté un opticien qui dirigeait sa lunette vers le ciel où luisait une étoile brillante, autour de laquelle on lisait: Dans ce signe est le salut! In hoc signe salus!

Le 3 décembre avait été le premier jour des «fêtes du couronnement». Le troisième jour de ces fêtes fut consacré suivant les expressions du Moniteur, «aux armes, à la valeur, à la fidélité ». Ce fut le jour où Napoléon distribua solennellement à l’armée et aux gardes nationales de l’empire les aigles «qu’elles devaient toujours trouver sur le chemin de l’honneur». La cérémonie eut lieu au Champ-de-Mars, Comme dit encore le Moniteur, «ce vaste champ, couvert de députations qui représentaient la France et l’armée, offrait le spectacle d’une valeureuse famille réunie sous les yeux de son chef». La façade principale de l’École militaire avait été décorée d’une immense tribune, formant plusieurs tentes à la hauteur des appartements du premier étage de l’édifice. Celle du milieu, fixée sur quatre colonnes qui portaient des figures de victoires dorées, couvrait le trône de l’empereur et celui de l’impératrice. Les princes, les grands dignitaires, les ministres, les maréchaux de l’Empire, les grands officiers de la couronne, les officiers civils, les princesses, les dames de la cour devaient se placer à la droite du trône. La galerie, au milieu de laquelle se trouvait la tente impériale, et qui était devant la façade de l’École militaire, se divisait en seize parties: huit à droite, huit à gauche, qui représentaient les seize cohortes de la Légion d’honneur. On descendait de cette galerie dans le Champ-de-Mars par un large escalier, dont le premier gradin était garni par les présidents de canton, les préfets, les sous-préfets et les membres du conseil municipal. Sur les autres degrés étaient rangés les colonels des régiments et les présidents des collèges électoraux des départements qui portaient les drapeaux surmontés par les aigles. Aux deux côtés de l’escalier apparaissaient les figures colossales de la France faisant la guerre et de la France faisant la paix. Vingt-cinq mille hommes de troupes, dont chacun admirait la belle tenue et l’air martial, étaient depuis six heures du matin sous les armes.

Malheureusement, le temps était horrible. Il dégelait. La pluie tombait à torrents. Le Champ-de-Mars était un lac de boue. Les courtisans, qui, le 2 décembre, avaient tant célébré le soleil, représenté par eux comme un comparse de la fête, comme un esclave docile aux volontés de l’empereur, étaient bien obligés de reconnaître qu’il pleuvait. Mme de Rémusat a fait à ce propos une réflexion fort juste. Elle a bien raison de dire qu’une des flatteries les plus communes dans tous les temps, quoiqu’elle soit la plus ridicule, c’est celle qui tend à faire croire que le besoin qu’un roi a du soleil arrive à avoir de l’influence sur l’apparition de cet astre. «J’ai vu, au château des Tuileries, ajoute-t-elle, l’opinion comme établie que l’empereur n’avait qu’à déterminer une revue ou une chasse à tel ou tel jour, et que le ciel, ce jour-là, ne manquait pas d’être serein. On remarquait avec assez de bruit chaque fois que cela arrivait, et on glissait sur les temps de brouillard et de pluie. On voit, au reste, que c’était la même chose sous Louis XIV. Je voudrais, pour l’honneur des souverains, qu’ils reçussent avec tant de froideur, je dirais presque de dégoût, cette puérile flatterie, que personne ne s’avisât plus d’en essayer l’effet. Il ne fut pourtant plus possible de dire qu’il n’avait pas plu au Champ-de-Mars pendant la distribution des aigles. Mais combien ai-je vu de gens qui assuraient, le lendemain, que la pluie ne les avait pas mouillés!»

Malgré le mauvais temps, une foule énorme remplissait les endroits par où devait passer le cortège impérial. Les terrasses des Tuileries, la place de la Concorde, les quais étaient pleins de monde. D’innombrables spectateurs garnissaient les talus du Champ-de-Mars. Le Moniteur, toujours courtisan, devait dire, dans sa description officielle de la cérémonie: «Si la situation des spectateurs était pénible, il n’en est pas un qui ne trouvât un dédommagement dans le sentiment qui l’y faisait demeurer, et dans l’expression des vœux que ses acclamations manifestaient de la manière la plus éclatante.»

A midi, l’empereur et l’impératrice, suivis de leur cortège, et dans l’ordre adopté pour le couronnement, sortirent du château des Tuileries, traversèrent la grande allée, le pont Tournant, la place de la Concorde, et se rendirent au Champ-de-Mars. Devant leur voiture, marchaient les chasseurs de la garde et l’escadron des mamelucks, derrière les grenadiers à cheval et la légion d’élite. Arrivés à l’École militaire, Napoléon et Joséphine reçurent les hommages du corps diplomatique, puis se revêtirent des costumes du sacre, et allèrent se placer dans la tribune adossée à la façade, à la hauteur du premier étage. Dès que l’empereur fut sur son trône, les salves d’artillerie se joignirent au bruit des tambours, au son des clairons, aux fanfares des musiques militaires. Les députations de l’armée, groupées dans le Champ-de-Mars, se mirent en colonnes serrées et s’approchèrent. Alors, Napoléon se leva, et d’une voix forte: «Soldats! s’écria-t-il, voilà vos drapeaux; ces aigles vous serviront toujours de point de railliement; ils seront partout où votre empereur le jugera nécessaire pour la défense de son trône et de son peuple. Vous jurez: de sacrifier votre vie pour les défendre, et de les maintenir constamment, par votre courage, sur le chemin de la victoire. Vous le jurez!» Officiers et soldats répondirent: «Nous le jurons!»

Hélas! ces drapeaux seront toujours sur le chemin de l’honneur, mais ils ne seront pas toujours sur le chemin de la victoire, car la victoire est femme, et souvent elle varie. Ces drapeaux, contre combien d’ennemis faudra-t-il les défendre, sous les feux d’un soleil brûlant, ou sous des avalanches de neige glacée! Quels traits d’héroïsme, quels prodiges de courage, quelles admirables actions d’éclat se produiront, sur tant de champs de bataille, à côté de ces étendards! Que de fatigues, que de souffrances, que de sacrifices, que de dangers, que de blessures terribles, que de morts glorieuses, quelle pluie de sang, et tout cela pour arriver, en fin de compte, aux plus lamentables catastrophes! Si l’on avait prévu le lugubre avenir, les tambours qui battaient aux champs auraient dû être couverts d’un crêpe noir. Mais l’armée se croyait invincible. L’idée de la possibilité d’une défaite l’aurait fait sourire de pitié. Fière d’elle-même et de son chef, elle poussait des cris de joie et d’orgueil, en défilant par divisions devant le trône.

Un seul incident troubla cette cérémonie militaire. Tout à coup un jeune homme inconnu s’approcha de la tribune impériale, et cria: «Point d’empereur! La liberté ou la mort!» On arrêta tout de suite l’ardent républicain. Sa voix avait été étouffée par le bruit des armes et par les fanfares.

Cependant la pluie tombait toujours. Elle avait percé les toiles et les tentures qui abritaient le trône. L’impératrice fut forcée de se retirer, avec sa fille, qui relevait de couches. Les autres princesses imitèrent cet exemple, à l’exception de Mme Murat qui demeura courageusement exposée aux averses, quoique légèrement vêtue. Elle s’accoutumait dès lors, disait-elle, à supporter les contraintes inévitables du rang suprême.

A cinq heures du soir, Napoléon et Joséphine étaient de retour aux Tuileries, où il y eut, dans la galerie de Diane, un grand dîner de gala. Dressée au milieu de la galerie, sur une estrade, la table de l’empereur et de l’impératrice était placée sous un dais magnifique. L’impératrice s’y assit, ayant l’empereur à sa droite et le pape à sa gauche. Autour de la table impériale, les grands officiers de la couronne, ainsi qu’un colonel général de la garde et un préfet du palais, se tenaient debout.

Le service était fait par des pages. L’archichancelier de l’empire germanique prit place à la table du souverain. Il y avait également, dans la galerie de Diane, d’autres tables.pour les princes français et pour le prince héréditaire de Bade, pour les ministres, pour les dames et les officiers de la maison impériale. Après le dîner, il y eut un concert, auquel le pape consentit à assister. Le concert une fois fini, Pie VII se retira, et la soirée se termina par un ballet que les danseurs de l’Opéra dansèrent dans la grande salle désignée depuis l’Empire sous le nom de salle des Maréchaux.

La cour de l'impératrice Joséphine

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