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LE SACRE.

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Nous sommes au 2 décembre 1804. Dès le matin, tout Paris est sur pied. Il fait très froid. Le ciel est brumeux, mais on ne songe pas à la rigueur de la saison. Toutes les rues par lesquelles doit passer le cortège ont été soigneusement nettoyées et sablées. Les habitants ont décoré la façade de leurs maisons selon leurs goûts et leurs moyens, avec des draperies, des tapisseries, des fleurs artificielles, des branches d’arbres verts. Deux haies d’infanterie bordent un espace de près d’une demi-lieue. Bien avant l’heure où le pape et l’empereur doivent quitter les Tuileries pour se rendre à Notre-Dame, une foule innombrable se presse dans les rues, à toutes les fenêtres, sur tous les toits. Le maréchal Murat, gouverneur de Paris, offre de bonne heure un magnifique déjeuner aux princes d’Allemagne, venus à Paris pour assister au sacre: l’électeur archichancelier de l’empire germanique, les princes de Nassau, de Hesse et de Bade. Après le déjeuner, il les fait conduire à Notre-Dame dans quatre superbes voitures à six chevaux, avec une escorte commandée par un de ses aides de camp, et lui-même monte à cheval pour se mettre à la tête des vingt escadrons de cavalerie qui doivent précéder le carrosse de l’empereur.

Aux Tuileries, Napoléon endosse le costume désigné sous le nom de petit habillement. C’est celui qu’il doit porter, pendant le trajet du palais à l’archevêché. Il ne revêtira le grand habillement, c’est-à-dire la robe et le manteau impérial, qu’à l’archevêché, au moment d’entrer dans l’église. Voici la description du petit habillement, telle que la donne Constant, le valet de chambre de l’empereur: bas de soie brodés en or, brodequins de velours blanc, brodés en or, sur les coutures, avec boutons et boucles en diamants aux jarretières, habit de velours cramoisi, avec parements en velours blanc, demi-manteau cramoisi, doublé de satin blanc, couvrant l’épaule gauche, et rattaché à droite sur la poitrine avec une double agrafe en diamants; toque en velours noir, surmontée de deux aigrettes, la ganse en diamants, et pour bouton, le plus célèbre des joyaux de la couronne, le Régent.

Le costume de l’impératrice n’est pas moins magnifique. Elle porte une robe à traîne en brocart d’argent semé d’abeilles d’or, elle a les épaules découvertes, mais ses bras sont enserrés dans des manches étroites, à broderies d’or, dont le haut est enrichi de diamants, et auxquelles se trouve attachée une fraise en dentelle lamée d’or, qui remonte jusqu’au milieu de la tête. La robe collante est sans taille, suivant la mode du temps. Au-dessous du sein, il y a un ruban d’or, enrichi de trente-neuf pierres roses. Les bracelets, les boucles d’oreilles, le collier se composent de pierres précieuses et de camées antiques. Le diadème est formé par quatre rangées de perles entrelacées de feuillage en diamants. Coiffée de mille boucles, comme au temps de Louis XIV, l’impératrice, qui a quarante et un ans, semble, au dire de Mme de Rémusat, n’en avoir que vingt-cinq. L’empereur admire la beauté de Joséphine, dans ce riche appareil. Tant de luxe et d’éclat l’éblouit. A ce moment, il évoque les souvenirs de son enfance, et, se tournant du côté du plus aimé de ses frères, il lui dit avec émotion: «Joseph, si notre père nous voyait!»

Neuf heures viennent de sonner. C’est le moment fixé pour le départ du pape, qui doit arriver à Notre-Dame avant l’empereur. Le souverain-pontife, vêtu de blanc, descend l’escalier du pavillon de Flore, et monte dans une voiture surmontée d’une grande tiare et attelée de huit chevaux gris. Il est d’usage à Rome, quand le pape sort pour officier dans les grandes églises, comme celle de Saint-Jean-de-Latran, par exemple, qu’un de ses camériers parte un instant avant lui, monté sur une mule, et portant une grande croix de procession. Pie VII a exigé que cet usage fût respecté à Paris. Le cortège pontifical est donc précédé par un camérier, dont la mule ne laisse pas d’exciter les sourires de la foule innombrable qui borde les quais. Mais quand passe le pape, on s’agenouille, et l’on reçoit pieusement sa bénédiction. Précédées et suivies de détachements de cavalerie, la voiture du pape et les huit voitures dans lesquelles se trouvent les cardinaux, les prélats et les officiers italiens venus de Rome avec lui, s’avancent lentement par les quais jusqu’à l’archevêché. Au moment où le souverain-pontife fait son entrée dans ce palais, où l’attendent tous les cardinaux, archevêques, et évêques français, et où il va revêtir les ornements pontificaux, il est reçu par le cardinal du Belloy, métropolitain de Paris. Il doit se rendre de l’archevêché à Notre-Dame par la galerie de bois qui met en communication le palais et la cathédrale. Le cortège pontifical entre à Notre-Dame dans l’ordre suivant; un prêtre portant la croix apostolique, sept acolytes portant les sept chandeliers d’or, plus de cent évêques, archevêques ou cardinaux, en chape et en mitre, marchant deux à deux, et enfin, pour fermer la marche, sous un dais, entre deux cardinaux qui, de chaque côté, soutiennent les bords de sa chape d’or, le saint-père, la tiare sur la tête. Le clergé entonne l’hymne Tu es Petrus, qui produit une impression profonde, et le souverain-pontife, après s’être agenouillé quelques instants devant le maître-autel, va s’asseoir au milieu du chœur, à droite de l’autel, sur le trône pontifical, que surmonte un dôme décoré des armoiries de l’Église.

L’empereur et l’impératrice, qui devaient partir des Tuileries à dix heures précises, n’en sortent qu’à dix heures et demie. Ils montent dans la magnifique voiture appelée voiture du sacre. Ce merveilleux carrosse de gala excite l’admiration de la foule, toujours si curieuse de spectacles. Attelé de huit superbes chevaux splendidement caparaçonnés, il est surmonté d’une énorme couronne d’or que soutiennent quatre aigles aux ailes éployées. Les quatre côtés de la cloison, formés par des glaces sans tain et encadrées dans de minces montants ciselés, laissent voir aussi distinctement que si la voiture était découverte Napoléon et Joséphine, qui sont dans le fond, et Joseph et Louis Bonaparte, qui sont sur le devant. Des salves d’artillerie retentissent pour annoncer que l’empereur vient de partir des Tuileries. Vingt escadrons de cavalerie, ayant le maréchal Murat à leur tète, le précèdent. Dix-huit voitures à six chevaux, contenant les grands dignitaires, et les personnages de la cour, le suivent. Les musiques militaires jouent des marches triomphales, et, sur le parcours, une foule innombrable salue le souverain. Le cortège, qui sort des Tuileries par le Carrousel, prend la rue Saint-Honoré jusqu’à celle des Lombards, puis le pont au Change et les quais jusqu’à la rue du Parvis-Notre-Dame et à l’archevêché. Au moment même où l’empereur et l’impératrice entrent dans la cour du palais archiépiscopal, le brouillard, qui couvrait le ciel depuis le matin, se dissipe, le soleil se lève, et ses rayons font étinceler les dorures du carrosse impérial. Le Moniteur, dans son. enthousiasme officiel, montrera «l’astre du jour échappant, contre toute espérance, à l’empire d’une saison ténébreuse pour éclairer une si belle journée.»

Arrivé à l’archevêché, Napoléon y ôte le petit habillement, pour revêtir le costume du sacre. Ce costume, entièrement distinct du petit habillement que l’empereur a porté pendant le trajet des Tuileries à l’archevêché, se compose d’une étroite robe de satin blanc, brodée d’or sur toutes les cou tures, et d’un manteau impérial en velours cramoisi, entièrement semé d’abeilles d’or et entouré d’un large dessin de branches d’olivier, de laurier et de chêne, enlaçant des N couronnés; la doublure, la bordure et l’épitoge ou palatine sont en hermine. Ce manteau, qui recouvre l’épaule droite, tout en laissant passer le bras, et retombe par devant jusqu’au dessous du genou, ne pèse pas moins de quatre-vingts livres, et bien qu’il soit soutenu par quatre personnes, le prince Joseph, le prince Louis, l’archichancelier Cambacérès et l’architrésorier Lebrun, c’est pour l’empereur, qui est de petite taille, un somptueux, mais pesant fardeau. Il le porte d’ailleurs avec majesté. Il a mis sur sa tête une couronne de laurier d’or, le laurier de César; à son cou, le collier de la Légion d’honneur en diamants; à son côté gauche, un glaive à forte poignée, dont le fourreau en émail bleu est orné d’aigles et d’abeilles d’or. En même temps, Joséphine a complété son costume, en mettant sur sa robe un long manteau en velours rouge semé d’abeilles d’or et doublé d’hermine, dont les pans sont soutenus par les princesses Joseph, Louis, Elisa, Pauline et Caroline.

Le cortège impérial se rend de l’archevêché à Notre-Dame par la galerie de bois, qui relie l’édifice à la cathédrale, et entre dans l’église, non point par le portail, condamné parce que le grand trône y est adossé, mais par l’une des deux portes latérales de la façade. On observe dans la marche l’ordre suivant, avec dix pas de distance entre chaque groupe: les huissiers, sur quatre de front; les hérauts d’armes, sur deux de front; le chef des hérauts d’armes; les pages, sur quatre de front; les aides des cérémonies; les maîtres des cérémonies; le grand-maître des cérémonies, M. de Ségur; le maréchal Sérurier, portant sur un coussin l’anneau de l’impératrice; le maréchal Moncey, portant la corbeille qui doit recevoir le manteau de la souveraine; le maréchal Murat, portant sur un coussin sa couronne; l’impératrice, ayant son premier écuyer à sa droite, son premier chambellan à sa gauche, et couverte du manteau impérial, soutenu par les cinq princesses, qui ont elles-mêmes chacune un manteau de cour soutenu par un officier de leurs maisons; Mme de La Rochefoucauld, dame d’honneur, et Mme de Lavalette, dame d’atours de l’impératrice; le maréchal Kellermann, portant la couronne de Charlemagne, diadème à six branches orné de camées précieux; le maréchal Pérignon, portant le sceptre de Charlemagne, sceptre qui est terminé par la boule du monde, avec une figurine du grand empereur carlovingien; le maréchal Lefebvre, portant l’épée de Charlemagne; le maréchal Bernadotte porte le collier de Napoléon, le colonel général Eugène de Beauharnais, l’anneau de l’empereur; le maréchal Berthier, le globe impérial; M. de Talleyrand, grand chambellan, la corbeille destinée à recevoir le manteau du souverain. L’empereur s’avance ensuite, la couronne de laurier d’or sur la tête, et tenant d’une main son sceptre d’argent, surmonté d’un aigle et entouré d’un serpent d’or, de l’autre, sa main de justice. Son manteau est soutenu par ses deux frères: Joseph, grand électeur, et Louis, connétable, ainsi que par l’archichancelier Cambacérès et l’architrésorier Lebrun. Puis viennent le grand-écuyer, le colonel général de la garde de service et le grand-maréchal du palais, tous trois de front, les ministres sur quatre de front et les grands officiers militaires.

Dès que Napoléon paraît dans l’église, les vingt mille personnes qu’elle contient poussent le cri de «Vive l’empereur!» Un cardinal présente l’eau bénite à Joséphine, le cardinal archevêque de Paris la présente à Napoléon, et les deux prélats, après avoir complimenté l’impératrice et l’empereur, les conduisent processionnellement, sous un dais porté par des chanoines, jusqu’à la place où s’élève, dans le chœur, le petit trône. C’est ainsi qu’on désigne les deux fauteuils où le souverain et sa compagne doivent s’asseoir pendant la première partie de la cérémonie, et qui sont placés en face du maître-autel, sur une estrade de quatre marches. Au moment où l’empereur et l’impératrice entrent dans le chœur, le pape descend de sa chaire pontificale et entonne le Veni Creator. L’empereur remet à l’archichancelier sa main de justice, à l’architrésorier son sceptre, au prince Joseph sa couronne, au prince Louis son épée, au grand-chambellan son manteau impérial, au colonel général Eugène de Beauharnais son anneau. Ces six objets — main de justice, sceptre, couronne, épée, manteau impérial et anneau — constituent ce qu’on appelle les «ornements de l’empereur». Ils sont déposés sur l’autel par chaque dignitaire chargé de les porter et doivent être remis au souverain par le pape pendant le sacre. Il en est de même des «ornements de l’impératrice», qui se composent de son anneau, de son manteau, de sa couronne, et qui sont déposés sur l’autel: l’anneau, par le maréchal Sérurier, le manteau, par le maréchal Moncey, la couronne, par le maréchal Murat. Quant aux insignes de Charlemagne, sa couronne, son sceptre, son épée, ils resteront pendant tout le temps de la cérémonie entre les mains des maréchaux Kellermann, Pérignon et Lefebvre qui se tiennent debout à droite du petit trône, dans le chœur.

Dès que les ornements de l’empereur et de l’impératrice ont été déposés sur l’autel, le pape demande en latin à l’empereur s’il promet d’employer tous ses efforts pour faire régner dans l’Église et parmi son peuple la loi, la justice et la paix. Napoléon touche des deux mains le livre des évangiles, que lui présente le grand-aumônier, et il répond: Profiteor. Alors le pape, les évêques, les archevêques, les cardinaux s’agenouillent devant l’autel et commencent les litanies. Lorsqu’on arrive aux trois versets qui ne se disent que pour le sacre des souverains, l’empereur et l’impératrice se mettent aussi à genoux.

Après les litanies, le grand aumônier, un autre cardinal et deux évèques se dirigent vers le petit trône, s’inclinent profondément devant Napoléon et Joséphine, et les conduisent au pied de l’autel pour y recevoir l’onction sacrée. L’empereur et l’impératrice s’agenouillent sur des carreaux de velours bleu placés à la première marche de l’autel.

Le pape fait à Napoléon une triple onction sur la tête et dans les deux mains, en disant la prière de la consécration:

«Dieu puissant et éternel, qui avez établi Hazaël pour gouverneur de la Syrie, et Jéhu, roi d’Israël, en leur manifestant vos volontés par l’organe du prophète Elie; qui avez également répandu l’onction sainte des rois sur la tête de Saül et de David, par le ministère du prophète Samuel, répandez par mes mains les trésors de vos grâces et de vos bénédictions sur votre serviteur Napoléon, que, malgré notre indignité personnelle, nous consacrons aujourd’hui empereur en votre nom.»

Le pape fait ensuite les même onctions à l’impératrice, en récitant cette prière: «Que le Père de l’éternelle gloire soit ton aide, et que le Tout-Puissant te bénisse; qu’il exauce tes vœux; qu’il remplisse ta vie de longs jours; qu’il confirme sans cesse cette bénédiction et la maintienne à jamais avec tout le peuple; qu’il couvre de confusion tes ennemis; que la sanctification du Christ et l’onction de cette huile fleurissent sur toi, afin que celui qui t’a accordé sa bénédiction sur la terre te donne dans le ciel le bonheur des anges, et que tu sois bénie et gardée, pour la vie éternelle par Jésus-Christ, notre Seigneur, qui vit et règne dans les siècles des siècles.»

L’empereur et l’impératrice sont ensuite reconduits au petit trône, c’est-à-dire à leurs deux fauteuils; devant chaque fauteuil est un prie-Dieu. Puis la grand’messe commence. Elle est dite par le pape. C’est une messe en musique, dont les morceaux ont été composés par Paesiello, l’abbé Rose et Lesueur. Chanteurs et instrumentistes, il y a trois cents exécutants. On remarque parmi les solistes le grand chanteur Lais, et Kreutzer et Baillot, deux célèbres violonistes. Au Graduel, la messe est interrompue pour la bénédiction des ornements dont l’empereur et l’impératrice ont été ensuite revêtus.

Napoléon, suivi de l’archichancelier, de l’architrésorier, du grand chambellan, du grand écuyer, de deux chambellans, et Joséphine, accompagné par sa dame d’honneur, sa dame d’atours, son premier chambellan, son premier écuyer, se dirigent vers l’autel, et en gravissent les premières marches en même temps, le souverain pontife, tournant le dos à l’autel, s’assied sur un siège en forme de pliant, sans dossier. Puis il bénit les ornements impériaux, et prononce pour chacun de ces ornements une prière spéciale. Sa Sainteté les remet à l’empereur dans l’ordre suivant: d’abord l’anneau, que Napoléon passe à son doigt, ensuite l’épée, qu’il replace dans le fourreau, le manteau, qui est attaché sur ses épaules par les chambellans, puis la main de justice et le sceptre, qu’il rend à l’archichancelier et à l’architrésorier.

Le seul ornement qu’il reste encore à remettre à l’empereur, c’est la couronne. On se rappelle qu’il y a eu à Rome une longue négociation pour savoir si l’empereur serait couronné par le pape, ou s’il se couronnerait lui-même. La question est restée dans le vague, et Napoléon a dit qu’il la réglerait à Notre-Dame au moment décisif. Cependant Pie VII est convaincu qu’il va placer la couronne sur la tête du souverain. Il vient de lui remettre l’anneau, l’épée, le manteau, la main de justice, le sceptre, et il s’apprête à faire de même pour la couronne. Mais l’empereur, qui a gravi la dernière marche de l’autel, et qui observe chaque mouvement du pape, lui prend des mains le signe du pouvoir suprême, et, fièrement, le pose lui-même sur sa tête. Pie VII, dominé et surpris, n’a pas essayé de résister au conquérant.

Napoléon, après s’être ainsi couronné, va couronner l’impératrice. C’est le moment le plus solennel de la vie de Joséphine. Ce moment, qui écartera loin d’elle les appréhensions du divorce tant redouté, c’est la réalisation éclatante de ses espérances les plus chères, c’est l’apogée de son triomphe. Napoléon s’approche avec émotion de cette compagne de ses beaux jours, de la femme qui lui a porté bonheur. Elle est prosternée devant lui, le visage inondé par des pleurs de joie et de reconnaissance, joignant les mains et frémissante. De son côté, il se rappelle tout ce qu’il lui doit: son bonheur, car il a eu, grâce à elle, le bien suprême, un amour partagé ; sa gloire, car c’est elle qui lui a fait obtenir, en 1796, le commandement en chef de l’armée d’Italie, origine de tous ses triomphes. Comme il se félicite, en ce moment, de n’avoir pas obéi aux suggestions haineuses de ses frères, et d’avoir conservé auprès de lui sa chère Joséphine! La tendresse du jeune général Bonaparte revit dans le cœur du souverain. Il trouve Joséphine plus gracieuse, plus touchante, plus aimable que jamais, et c’est avec un élan d’allégresse qu’il pose le diadème impérial sur cette tête charmante et chérie.

L’empereur et l’impératrice, une foiscouronnés, vont se rendre au grand trône qui est élevé à l’entrée de l’église, contre le grand portail. Ils y sont solennellement conduits par le pape et ses cardinaux. Le cortège impérial se reforme dans le même ordre qu’à son arrivée à Notre-Dame, l’impératrice précédant l’empereur. A ce moment les princesses semblent faire quelque difficulté pour porter les pans du manteau de la souveraine. L’empereur s’en aperçoit, et adresse à ses sœurs quelques mots secs et fermes, qui mettent tout le monde en mouvement. Le cortège arrive jusqu’au pied du grand trône. L’empereur en gravit le vingt-quatre marches, et s’y asseoit majestueusement, couronné, couvert du manteau impérial, tenant la main de justice et le sceptre. A sa droite, sur un fauteuil semblable au sien, à un degré plus bas, se place l’impératrice. A un degré plus bas encore, les princesses se mettent sur de simples sièges. A gauche de l’empereur et à deux degrés au-dessous de lui, se trouvent les princes et les grands dignitaires. De chaque côté de l’estrade, se rangent les maréchaux, les grands-officiers et les dames de la cour. Le coup d’œil est éblouissant. Le souverain-pontife monte à son tour les vingt-quatre marches, et, dominant ainsi toute la cathédrale, il étend les mains sur l’empereur et l’impératrice, et prononce ces paroles latines, formule de l’intronisation: In hoc solio confirmare vos Deus, et in regno œterno secum regnare faciat Christus! «Que Dieu vous confirme sur ce trône, et que le Christ vous fasse régner avec lui dans son règne éternel!» Puis, le souverain-pontife baise l’empereur sur la joue, et, se retournant vers les assistants, il s’écrie: Vivat imperator in œternum! «Que l’empereur vive à jamais!» C’est le cri qui, dix siècles auparavant, a retenti dans la basilique de Saint-Pierre de Rome, quand le chef du même peuple, Charlemagne, a été proclamé empereur d’Occident!

Les acclamations retentissent, et trois cents musiciens entonnent le Vivat imperator! hymne composée par l’abbé Rose. Le cortège pontifical et le cortège impérial retournent dans le chœur. L’empereur et l’impératrice y reprennent leur place sur leurs fauteuils, et le pape commence le Te Deum. Après ce cantique d’action de grâces, exécuté par quatre chœurs et deux orchestres, la messe, qui avait été interrompue au Graduel par la remise des ornements impériaux et l’intronisation, continue. A l’Offertoire, Napoléon et Joséphine, suivis des deux princes et des cinq princesses, vont remettre leur offrande au souverain pontife. Elle se compose d’un vase en vermeil, d’un pain d’or, d’un pain d’argent, et d’un cierge autour duquel sont incrustées treize pièces de monnaie. A l’Élévation, le prince Joseph ôte la couronne de l’empereur, et Mme de La Rochefoucauld, dame d’honneur, celle de l’impératrice. Napoléon et Joséphine s’agenouillent devant l’hostie, et reprennent leur couronne, en se relevant.

La messe une fois finie, l’empereur prête le serment politique prescrit par la Constitution, et dont les termes avaient soulevé une si vive opposition à Rome. Les présidents des grands corps de l’État lui apportent la formule, et, la main étendue sur le livre des Évangiles, l’empereur jure de maintenir les principes de la Révolution, ainsi que l’intégrité du territoire, et de gouverner en vue de l’intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français. Le chef des hérauts d’armes crie alors d’une voix forte: «Le très glorieux et très auguste empereur Napoléon, empereur des Français, est couronné et intronisé : Vive l’empereur! » C’est la fin de la cérémonie. Les salves d’artillerie se joignent aux acclamations.

La solennité a réussi, et Napoléon pourra dire à son frère Joseph: «C’est pour moi une bataille gagnée; j’ai obtenu, de l’art et des mesures que j’ai prises, au delà du succès que je pouvais en attendre.» N’avait-il pas raison, n’était-il pas prophète quand, au moment de la signature du Concordat, il disait à son secrétaire: «Bourrienne, vous verrez quel parti je saurai tirer des prêtres?» Les chasubles d’or ont bien fait à côté des uniformes, les crosses et la tiare à côté des épées et du sceptre. Habile metteur en scène, Napoléon a su vieillir sa gloire récente, en empruntant au passé toutes ses majestés, toutes ses pompes, et en accaparant avec habileté ce qu’il y a de plus lumineux dans la légende des siècles. Il a pris à Charlemagne ses insignes, et à César son laurier d’or. Chef d’une nation qui a grandi par la croix et le glaive, il a voulu faire de son couronnement la fête de l’Église et de l’armée.

Le cortège impérial et le cortège pontifical retournent à l’Archevêché, et, au bout d’une demi-heure, se dirigent vers les Tuileries, en suivant le Marché-Neuf, la place du Châtelet, la rue Saint-Denis, les boulevards, la rue et la place de la Concorde, le pont Tournant et la grande allée du château. La nuit est venue. Les maisons sont illuminées. Cinq cents torches éclairent la marche des deux cortèges, et à leur clarté, qui a quelque chose d’imposant et d’étrange, la foule contemple avidement le nouveau Charlemagne et le vicaire de Jésus-Christ. On se croirait revenu aux temps épiques du moyen âge, tels que les décrira le poète:

Le pape et l’empereur sont tout; rien n’est sur terre

Que pour eux et par eux; un suprême mystère

Vit en eux, et le ciel, dont ils ont tous les droits,

Leur fait un grand festin des peuples et des rois.

Le monde au-dessous d’eux s’échelonne et se groupe.

Ils font et défont; l’un délie et l’autre coupe.

L’un est la vérité, l’autre est la force; ils ont

Leur raison en eux-mêmes, et sont parce qu’ils sont.

Lorsqu’ils sortent, tous deux égaux, du sanctuaire,

L’un dans sa pourpre, et l’autre avec son blanc suaire,

L’univers ébloui contemple avec terreur

Ces deux moitiés de Dieu, le pape et l’empereur .

Napoléon et Joséphine rentrent aux Tuileries, à six heures et demie, et le pape à près de sept heures. L’empereur, un peu fatigué de tant de pompes, reprend avec plaisir son modeste uniforme de colonel des chasseurs de la garde. Il dîne en tête à tête avec Joséphine, et lui demande de garder, pendant le repas, le diadème qu’elle porte si gracieusement, et qui lui va si bien. Le soir, il cause gaiement avec les dames du palais, et, admirant leurs riches toilettes qui ont fait, dans la journée, si bon effet à Notre-Dame, il leur dit en riant: «C’est à moi, mesdames, c’est à moi que vous devez d’être si charmantes.» Puis, on regarde aux fenêtres le jardin illuminé, le grand parterre entouré de portiques en lampions, la grande allée décorée de colonnades radieuses, sur les terrasses des orangers en feu, à chaque arbre une multitude de verres de couleur, et enfin, sur la place de la Concorde, une immense étoile. On dirait un palais de flammes.

C’est le peintre conventionnel, le montagnard, le régicide, qui a insulté Louis XVI, qui a fait l’apothéose de Marat, qui a crayonné d’une main haineuse les traits de Marie-Antoinette, marchant à l’échafaud; c’est ce peintre-là, ce démagogue fougueux, cet ardent révolutionnaire, qui se chargera de faire le tableau officiel du sacre. Il poussera la galanterie jusqu’à choisir pour sujet non pas le moment où Napoléon s’est couronné lui-même, mais le moment du couronnement de l’impératrice, et, comme un critique lui reprochera d’avoir fait Joséphine trop jeune: «Allez le lui dire!» répondra-t-il vivement. Quand le tableau sera terminé, l’empereur et la cour iront le voir dans l’atelier de l’artiste. Napoléon, la tête couverte, se promènera pendant une demi-heure devant cette large toile, haute de plus de six mètres, longue de plus de neuf, et qui contient cent portraits. (Elle est actuellement à Versailles dans la salle des Gardes, au haut de l’escalier de marbre). L’empereur la contemplera avec la plus grande attention, tandis que David et tous les assistants observeront un respectueux silence. Cette longue attente fera battre le cœur de l’artiste. Enfin Napoléon, se tournant de son côté, lui dira: «C’est bien, David, c’est très bien. Vous avez deviné toute ma pensée, vous m’avez fait chevalier français. Je vous sais gré d’avoir transmis aux siècles à venir la preuve d’affection que j’ai voulu donner à celle qui partage avec moi les peines du gouvernement.» Puis, faisant deux pas vers l’artiste, et levant son chapeau, il lui dira, d’une voix élevée: «David, je vous salue.»

Parfois, à Notre-Dame, pendant la semaine sainte, lors des cérémonies du soir, où l’antique cathédrale est éclairée par des lustres, comme le jour du sacre, j’évoque les souvenirs de cette métropole, je songe aux baptêmes et aux mariages royaux qui y furent célébrés, aux drapeaux qui furent suspendus à ses voûtes, aux Te Deum et aux De Profundis qu’on y chanta, à Bossuet y prononçant l’oraison funèbre du prince de Condé, à l’impudique déesse de la Raison y profanant le sanctuaire. Je me recueille, je ferme les yeux. Il me semble que j’assiste aux pompes du sacre, que je vois le pape Pie VII sur son trône pontifical, et, devant l’autel, Napoléon qui couronne de ses propres mains Joséphine. J’entends l’écho lointain des litanies et des fanfares, de l’orgue et des acclamations. Puis je médite sur l’inanité, le néant des grandeurs et des gloires d’ici-bas. De tant de personnages illustres qui s’agenouillèrent dans cette vieille basilique, que reste-t-il? A peine quelques pincées de cendre... Je rouvre les yeux. Les chants ont cessé. La foule s’est écoulée lentement. Les lustres sont éteints, et, au fond de l’église, dans la pénombre, comme une timide étoile dans un ciel nuageux, apparaît une lampe solitaire.

La cour de l'impératrice Joséphine

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