Читать книгу Brancas; Les amours de Quaterquem - Assollant Alfred - Страница 12
VI
Оглавление«Eh bien! dit le conseiller d'État à son neveu, es-tu content de ta future?
—Oui.... assez.
—Est-elle jolie?
—Charmante.
—A-t-elle de l'esprit?
—Trop.
—Comment trop!
—Eh! oui, rien ne l'étonne.
—Ah! tu aimes mieux le mystère et les petites filles qui baissent modestement les yeux et regardent les hommes à travers leurs doigts écartés. À ton aise, mon ami, la province est pleine de ces ingénues. Va en province.
—J'y vais.
—Ainsi, tout est rompu?
—Vous m'entendez mal, cher oncle. Rita est tout à fait séduisante, mais....
—Mais elle ne te séduit pas.
—Oui, elle me plaît beaucoup; mais je la trouve trop raisonnable, trop gaie; j'ai pour elle beaucoup d'amitié, je n'aurai jamais d'amour.
—Jamais d'amour! ô douleur! Tu comptais donc sur un mariage d'amour?
—Pourquoi non?
—Très-bien, mon ami. Ce pourquoi non? est sublime. Est-ce que l'amour est de ton âge? L'amour, c'est l'Inconnu. Quand on a pénétré cet Inconnu, tout est fini. Toutes les femmes se ressemblent. Les grimaces changent un peu, le son de voix est plus doux ou plus rude, la feuille de figuier est plus ou moins bien taillée, mais le fond est toujours le même. Cléopatre ou Goton, c'est tout un. Oh! si tu n'avais jamais aimé, je comprendrais ton désir.
—J'ai aimé.
—Qui?
—Ni Goton ni Cléopatre assurément, mais de fort aimables créatures qui m'ont été tantôt cruelles, tantôt compatissantes, suivant l'humeur du jour ou les conseils de la nuit, je vous jure qu'aucune d'elles ne m'a ennuyé ni fait voir deux fois le même spectacle. L'amour est infini et varié comme ce vaste univers. Cher oncle, vous n'entendez plus rien à ces questions. Vous êtes comme un brave vétéran qui a cent fois affronté le feu dans sa jeunesse, mais qui ne connaît plus la manoeuvre.
—En résumé, dois-je demander la main de Mlle Oliveira, ou faut-il attendre qu'un rayon d'amour t'illumine?
—Demandez toujours, cher oncle. Vous pourriez avoir une pire nièce.»
Deux jours après, Brancas partit pour Vieilleville. En ce temps-là, qui déjà pour nous se confond avec celui où Noé jeta l'ancre sur le mont Ararat, les convois du chemin de fer s'arrêtaient à Orléans, et toute la France qui est entre la Loire et les Pyrénées ne connaissait qu'en peinture cette manière de voyager. Il fallut donc monter en diligence à Orléans. Il était minuit, et Brancas, un manteau sous le bras et les mains dans les poches, attendait patiemment dans le bureau que le conducteur donnât le signal du départ. À ce moment, deux dames entrèrent suivies de onze malles, caisses et cartons à chapeau. Cette vue fit blasphémer le facteur, qui croyait son travail terminé. Le conducteur leva les épaules, et Brancas regarda les dames. La plus âgée paraissait avoir cinquante ans et n'avait rien de remarquable qu'une maigreur assez rare et des grâces pleines d'affectation. Ce n'était pas de quoi séduire le voyageur. En revanche la plus jeune avait les plus beaux yeux noirs qu'on pût voir, et son visage régulier et doux, mais un peu altier, était de ceux qu'on n'oublie pas. Le Parisien en fut ébloui, et se rangea respectueusement pour lui faire place près du bureau. Elle le remercia par un salut et un demi-sourire auquel Brancas, fin connaisseur en sourires, devina qu'elle avait le sentiment de sa propre supériorité.
«Parbleu! se dit-il, en sortant du bureau de la diligence, voilà une petite personne à qui il ne doit pas être facile de baiser le bout des doigts. Mais qu'elle est belle! Rita est à cent piques au-dessous.»
Sur cette réflexion, il fit le tour de la place du Martroi, en regardant les étoiles, et revint à la diligence au moment où le conducteur, ayant déjà terminé l'appel des voyageurs, criait à tue-tête:
«Monsieur Brancas! en voiture!»
Il se hâta de monter dans le coupé, où déjà les deux dames l'avaient précédé, et s'installa dans un coin avec le soin d'un homme qui remplit scrupuleusement tous ses devoirs envers lui-même. Le postillon fit claquer son fouet, et les quatre chevaux s'élancèrent au galop sur la route de Vieilleville.
Le temps était sombre et pluvieux. La dame maigre, qui occupait l'autre coin du coupé, avança bientôt la tête, et dit d'une voix cadencée:
«Monsieur, voulez-vous avoir la bonté de relever le carreau de votre côté? ma poitrine est si délicate qu'elle ne peut supporter la fraîcheur de l'air ambiant.»
Le Parisien, déjà plongé dans les délices du premier sommeil, ne répondit rien. La dame irritée se pencha vers lui de nouveau.
«Monsieur, dit-elle avec aigreur, voulez-vous relever le carreau?»
Brancas ouvrit les yeux.
«Plaît-il, madame? que désirez-vous?
—Monsieur, dit poliment la jeune dame, ma mère qui est malade, vous prie de vouloir bien relever le carreau.»
L'avocat s'empressa de s'excuser et d'obéir. Il est des voix fortes, il en est de sourdes, de claires, d'agréables, de discordantes, d'harmonieuses; il en est qui vont au coeur, il en est qui déchirent le tympan, il en est qui donnent envie de bâiller, il en est qui donnent envie de rire, il en est qui commandent, il en est qui supplient; celle de la jeune dame était mélodieuse et souple, mais un peu saccadée, signe certain d'un esprit pénétrant et gracieux, et d'une rare fierté. Après quelques instants de silence, Brancas regarda sa voisine à la clarté de la lune qui commençait à dissiper les nuages, et s'aperçut qu'elle dormait. Une respiration calme soulevait à intervalles égaux son sein, et de toute sa personne s'exhalait ce divin parfum que donnent la jeunesse, la santé et la grâce. L'avocat se sentit ému.
«Diable! pensa-t-il, deviendrais-je par hasard amoureux de ma compagne de voyage! Ce serait curieux, à la veille d'épouser Rita. Ne faisons pas cette folie.»
Cette sage résolution dura quelques minutes, mais la belle dormeuse fut bientôt la plus forte, et Brancas reprit le cours de ses rêveries.
«Est-elle mariée? Non.... Son mari ne la laisserait pas voyager ainsi. D'ailleurs, elle est bien jeune. On n'est pas plus belle! Voilà une main ravissante.»
Il faut dire que la main était exposée en pleine lumière, blanche, fine, transparente, un peu longue et d'une beauté parfaite.
Un grave accident mit fin aux réflexions sentimentales de l'avocat. La diligence descendait alors le long d'une côte escarpée; le conducteur dormait, et le postillon, ivre ou maladroit, poussait aveuglément ses chevaux. La route, bordée d'un côté par la montagne, de l'autre par un précipice, tournait brusquement vers le milieu de la descente. Tout à coup les chevaux s'emportèrent, prirent le mors aux dents et se précipitèrent au galop. Les deux premiers, dans leur élan, franchirent le parapet peu élevé qui servait de garde-fou le long du précipice, et la diligence elle-même demeura comme suspendue et prête à se jeter dans l'abîme. Le postillon, renversé par le choc, tomba de son siège; les voyageurs poussaient des cris, cherchant à ouvrir les portières et s'embarrassant mutuellement dans leurs efforts. Tout paraissait perdu.
Seul, l'avocat gardait son sang-froid. Sans s'émouvoir du tumulte et aussi libre d'esprit que s'il eût été dans un salon, il ouvrit promptement la portière et dit à sa voisine toute tremblante:
«Ne craignez rien. Suivez-moi. Je réponds de vous.»
En même temps il sauta à terre et se trouva hors de danger; mais le plus difficile était encore à faire. La dame sèche criait de toutes ses forces:
«Sauvez-moi! sauvez Claudie!» et lui tendait les bras.
Brancas, mettant le pied sur la roue de la diligence, malgré le danger d'être renversé et écrasé sous les pieds des chevaux, dit d'une voix forte:
«Donnez-moi la main, ou vous êtes perdue.»
En même temps, les chevaux firent un violent effort pour se dégager, et la voiture recula. Claudie, éperdue, s'élança dans les bras du Parisien, qui l'enleva rapidement et la mit en sûreté.
«Monsieur, sauvez ma mère!» s'écria-t-elle.
Déjà la diligence, penchée sur le talus, perdait l'équilibre et allait rouler au fond du précipice; la dame sèche, épouvantée, sortait à demi du coupé sans oser sauter à terre et poussait des cris épouvantables. Le Parisien la saisit brusquement à bras le corps, l'enleva et la remit, non sans danger, aux mains de sa fille.
Au même moment, un grand cri se fit entendre. La diligence et les chevaux roulèrent et se brisèrent au fond de la vallée. Heureusement, le conducteur et le postillon, qui s'étaient relevés sans graves contusions, avaient eu le temps de dégager les autres voyageurs. Tout le monde frémit, et Claudie s'écria:
«Ah! monsieur, nous vous devons la vie!»
Brancas reçut avec modestie ce remercîment et ceux de sa mère.
Le danger passé, on tint conseil. Les voyageurs étaient à deux lieues du relai le plus proche. Le conducteur, forcé d'annoncer cette triste nouvelle, fut couvert de malédictions, aussi bien que le postillon malencontreux.
«Qu'allons-nous faire? disait en gémissant la dame sèche. Il est trois heures du matin; nous gèlerons. Ce conducteur veut nous faire périr. J'écrirai à l'administration des Messageries, et je le ferai destituer. Brrr! qu'il fait froid!
—Madame, dit Brancas, je vais descendre et chercher votre châle qui est resté dans la voiture.
—Monsieur, dit la dame sèche en minaudant, je ne sais si je dois....»
Au fond, elle brûlait d'envie de le voir descendre. Brancas le comprit, et, s'accrochant avec les mains aux arbustes, posant le pied avec précaution dans les moindres saillies du rocher, à la clarté de la lune, il commença cette périlleuse descente.
«Laissez le châle! lui cria le conducteur, vous allez vous casser le cou!»
Mais Brancas ne l'écoutait pas. Tout à coup, une grosse pierre sur laquelle ses pieds étaient appuyés glissa, et il parut près de rouler la tête la première dans le précipice. Heureusement il vit le danger et, par un effort désespéré, il reprit l'équilibre et parvint sans accident au fond de la vallée.
Les voyageurs restés sur la route le regardaient avec une inquiétude mêlée d'admiration.
«Voilà un gaillard qui ne manque pas de sang-froid, dit le conducteur. Au diable si je risque jamais ma peau et mes os pour aller chercher un châle.»
La dame sèche l'entendit et répliqua sur-le-champ:
«Ces hommes sont égoïstes et lâches!»
Le conducteur vit bien qu'il n'était pas de force à soutenir une conversation qui débutait si vivement, et, ramassant le sac de dépêches qu'il s'était hâté de jeter hors de la diligence, il se mit à la tête de la caravane et prit le chemin du relais. Les voyageurs le suivirent clopin-clopant, demi-endormis, demi-éveillés, mais grognant tous avec un parfait ensemble.
Enfin, l'avocat reparut, chargé de vêtements de toute espèce, parmi lesquels le châle de la dame sèche et ses socques. La dame sèche se confondit en remercîments auxquels il répondit de son mieux.
Après quelques minutes, que les trois voyageurs employèrent à se rouler dans leurs châles et leurs manteaux, la vieille dame prit le bras de l'avocat et ils se hâtèrent de rejoindre les pauvres diables moins heureux qui étaient déjà en marche.
«Vous êtes Parisien, monsieur? dit la dame sèche.
—Oui, madame, et vous aussi, sans doute? répondit Brancas.
—Non, monsieur, répliqua fièrement la dame sèche, mais il n'a tenu qu'à moi d'habiter Paris, et nous y avons des amis haut placés. M. Duverney, mon cousin, qui est chef de bataillon dans la garde nationale, dîne avec Louis-Philippe trois fois par an.
—Diable! dit le Parisien, c'est un heureux homme que M. Duverney; est-ce qu'il est fonctionnaire public?
—Non, monsieur, il est bottier, dit Claudie.
—Il est bottier, reprit la mère; mais il n'était pas né pour faire des bottes. Il a publié, en 1835, un poëme dramatique intitulé: la Danse macabre, que Victor Hugo appelait le «monument impérissable du dix-neuvième siècle.» Je me rappelle encore les derniers mots de la lettre de Victor Hugo:
«Lisez la Bible et Homère, mon cher Duverney. Nourrissez-vous de cette moelle de lion.»
—Peste! dit l'avocat, c'est un brevet d'immortalité, cela.
—N'est-ce pas, monsieur? Eh bien! le public est si peu connaisseur qu'il ne s'en est pas vendu six exemplaires, et cependant je vous jure qu'il n'y manquait aucune des épices de la vraie poésie. On y voyait des femmes séduites par des gnômes, des poëtes plus beaux que le jour assassinés la nuit par de jeunes princesses mal élevées, des rois qui s'embusquaient au détour des rues pour poignarder lâchement de sublimes boulangers. Monsieur, c'était une bénédiction. J'ai compté vingt-cinq personnes qui mouraient de mort violente en six mille vers. Notez que je laisse de côté les menus crimes, les petites trahisons, les viols, les adultères et autres incidents tragiques.
—Six exemplaires vendus!
—Oui, monsieur, six.
—Au moins Louis-Philippe avait acheté l'un des six, puisqu'il a tant d'amitié pour M. Duverney?
—Sa Majesté se soucie bien de poésie! La première fois que M. Duverney dîna aux Tuileries, Louis-Philippe lui parla de ses bottes pendant un quart d'heure. Pas plus de Danse macabre que sur la main. Monsieur, mon cousin était si outré qu'il allait voter pour le candidat de l'opposition. Heureusement le ministre de l'intérieur l'apprit et lui envoya la croix. Depuis ce temps, mon cousin est tout dévoué à la dynastie, et le roi ne fait rien sans lui demander conseil. Oh! c'est un homme de caractère que mon cousin Duverney. Il l'a dit souvent au roi: «Sire, tenez tête aux Anglais, développez le commerce, encouragez l'industrie, rendez le peuple heureux, et je réponds de tout. On ne connaît ses vrais amis que dans l'adversité; mais si vous êtes malheureux quelque jour, j'irai vous consoler dans votre exil. Vos pairs et vos députés pourront vous trahir, mais jamais Duverney ne vous manquera.»
—Et qu'a répondu le roi?
—Ma foi, le roi en est très-flatté; c'est que Duverney le ferait comme il le dit.»
Le Parisien s'amusait fort de l'histoire du sieur Duverney, chef de bataillon dans la garde nationale, et ami dévoué mais indépendant, du roi Louis-Philippe. Il n'eut pas de peine à reconnaître dans la dame sèche un des individus les plus distingués de cette belle famille de vertébrés, mammifères, bipèdes, imberbes, aux doigts unguiculés, aux dents incisives, canines et molaires, qui, sous prétexte de poésie, ont agacé, depuis trente ans, un nombre considérable de maris de province. Il devina qu'elle devait être poëte, et moitié pour entretenir la conversation, moitié pour gagner sa confiance:
«Vous aimez la poésie, madame? dit-il.
—Qui ne l'aimerait, s'écria-t-elle avec enthousiasme. N'est-ce pas aux poëtes que nous devons les jouissances les plus pures et les plus sublimes? Le poëte n'est-il pas le maître souverain de la nature? Sur sa palette magique le bleu de cobalt se fond avec le blanc d'argent, et le carmin avec la terre de Sienne. La poésie, c'est l'azur du ciel où se perdent des millions d'étoiles; c'est la profondeur insondable de l'Océan qui cache à nos yeux des amas innombrables d'êtres animés, comme nous fils de l'Éternel.
—Maman, interrompit Claudie, marchons plus vite, il fait froid.»
La dame sèche jeta sur elle un regard courroucé.
«Ma chère enfant, répliqua-t-elle d'un ton aigre-doux, je marche comme il me plaît. Ce n'est pas à mon âge qu'on reçoit des leçons de sa fille.
—Permettez-moi mademoiselle, de vous offrir mon manteau, dit Brancas.
—Vous êtes bien bon de faire attention aux discours de cette petite sotte, reprit la dame sèche. Elle n'a parlé que pour m'interrompre.... Où donc en étais-je, s'il vous plaît?
—Vous faisiez, madame, l'éloge de la poésie, dit le Parisien qui se mordait les lèvres pour ne pas rire.
—C'est cela; j'y suis.... Mais que dire des mains où la poésie est tombée? Où trouver cette magnifique déesse à la démarche majestueuse, à la robe flottante, au visage mobile, tour à tour riant et sombre, doux et terrible, joyeux et mélancolique, qui se plaît aux festins, aux combats, aux discours des sages et au tumulte des multitudes, qui souffle à son gré l'amour ou la haine, qui tient dans sa main le coeur des hommes et la destinée des empires? Où trouver ce génie si souple, si étendu, si sublime, si profond et si varié que la poésie demande au poëte? Les hommes avec leurs froids calculs, leur stérile bon sens, l'horreur qu'ils ont de l'idéal, peuvent-ils atteindre à ce sommet? Ils ne le peuvent pas, ils reculent épouvantés, et, découragés eux-mêmes, ils cherchent à décourager les plus braves. Trop faibles pour tenter l'escalade, ils renversent à coups de sottes plaisanteries les échelles déjà dressées contre le rempart, ils tirent par les pieds ceux qui de la tête touchent déjà les créneaux! Ah! monsieur, que de génies inconnus, que de grands esprits végètent en province, à qui l'occasion seule a manqué pour soulever le monde! Que de femmes, peut-être égales par la pensée à cette femme illustre qui est l'un des premiers écrivains de ce siècle, s'éteignent tous les jours dans la mort lente des travaux domestiques, des bas à tricoter et des chemises à recoudre! Ah! qu'il est dur d'habiter Vieilleville!»
Pendant cette tirade, le Parisien regardait la belle Claudie qui donnait des signes non équivoques d'impatience. Tout à coup, il se retourna, frappé des derniers mots qu'avait prononcés la dame sèche.
«Vous allez à Vieilleville, madame? demanda-t-il.
—Oui, monsieur, et vous?
—Moi aussi, madame. Est-ce un beau pays?
—Vous ne le connaissez pas! C'est inconcevable. On m'avait bien dit que les Parisiens n'étaient pas forts en géographie, mais cela passe les bornes. Vieilleville, monsieur, est une grande ville de trente mille âmes, perchée sur une colline assez élevée. Les Romains l'ont bâtie, les Anglais l'ont prise, les protestants l'ont brûlée, la cour royale y rend ses arrêts, l'évêque y fait ses mandements, le recteur ses circulaires, et le préfet y trône. Avez-vous des amis à Vieilleville?
—Je n'ai, madame, d'autre ami que mon client, M. Athanase Ripainsel.
—Vous êtes avocat, monsieur?
—Oui, madame.»
La conversation devint bientôt plus intime. La dame sèche apprit à Brancas étonné qu'elle s'appelait Mme Bonsergent, que Mlle Claudie était l'amie de pension de Mlle Rita, et qu'elles venaient de visiter un oncle à succession qui habitait Orléans.
Enfin, l'on atteignit le relais, et les voyageurs fatigués et à demi gelés purent s'asseoir et se reposer au coin d'un bon feu. Le reste du voyage se fit sans accident, et une nouvelle diligence, chargée des bagages de l'ancienne qu'on retrouva en fort mauvais état au fond du précipice, déposa Brancas à la porte de son ami Ripainsel. Au moment de quitter les dames, il demanda poliment à Mme Bonsergent la permission de se présenter chez elle et de lui porter le bracelet que Mlle Rita envoyait à son amie. La permission fut accordée avec empressement, et le Parisien entra gaiement dans la maison de son hôte.