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A MA FILLE

Le jour baisse. De gros nuages courent tout affolés dans le ciel, chassés par le vent du nord. On dirait une flotte dispersée par la tempête. Les ruisseaux gonflés se précipitent, comme s’ils avaient hâte de quitter la prairie, depuis qu’ils n’ont plus de fleurs à caresser sur leurs bords. Des hurlements sinistres s’échappent des profondeurs de la forêt. Les grands arbres qui forment sa ceinture laissent tomber leurs feuilles, en signe de deuil, tandis que, là-bas, sur la route crayeuse, le vent enlève la poussière en épais tourbillons.

La fauvette qui chantait si gaiement dans le jatdin, sous ma fenêtre, garde un silence obstiné, comme une chanteuse qui aurait été mal accueillie l’ingrate! Nous qui l’écoutions si bien le soi sous la tonnelle!.

Les hirondelles ont cessé de mener joyeuse vie au-dessus de ma cheminée. Elles sont parties, les frileuses filles du soleil, pour leur résidence du midi, tandis que nous, retenus sur ce petit coin de terre isolé, nous errons tristement dans les bois, en songeant aux amis qui nous on quittés et aux beaux jours qui s’en vont.

Déjà la longue terrasse, si chère aux admirateurs des vastes horizons, a perdu le cortège habituel de ses élégants promeneurs. Les ombrages du parc devenus moins discrets sont abandonnés par les rêveurs et les poètes. Les fleurs des parterres s’étiolent. Les plates-bandes aux couleurs éclatantes ont cessé d’exhaler leurs parfums. Le vieux château lui-même, à demi caché sous son manteau de brume, n’apparaît plus que comme un fantôme de pierre.

Nos pieds se mouillent, à force de pousser devant nous les feuilles humides qui recouvrent les sentiers. Secouées par la bise les hautes branches égrènent sur nos têtes leurs perles liquides. Le brouillard tombe. Il fait froid. Rentrons.

Maintenant que nous sommes confortablement établis tous deux devant un bon feu, à proximité de ce guéridon chargé de revues et de journaux, nous pouvons braver à notre aise la pluie qui commence à tomber, et ce grand effronté de vent d’automne, qui siffle de toutes ses forces dans notre serrure, comme un spectateur mécontent, dans une clé forée, un jour de première représentation.

C’est le moment de raconter ces histoires– vraies ou fausses, qu’importe?–qui vous plaisent tant, écrites avec le cœur ou créées par l’imagination; tristes ou gaies, courtes surtout et que l’on peut lire tout d’une haleine, comme on respire une fleur ou comme on prend un sorbet.

Vous aimez aussi avec passion, je le sais, ces récits fantastiques qui vous transportent clans des contrées merveilleuses, au milieu d’événements et de personnages impossibles, mais qui, touchés par la plume magique de l’écrivain, animés par son souffle, revêtent toutes les apparences de la réalité et de la vie.

Puisque vous vous plaisez à ces jeux innocents de l’esprit et puisque nous sommes condamnés à rester ici encore quelque temps, j’ai résolu d’utiliser mes loisirs au profit de vos prédilections littéraires. Dans ce but, j’ai fait appel un peu à ma mémoire, beaucoup à mon mon imagination, et j’ai composé, dans le secret de mes matinées silencieuses, ce recueil de Nouvelles et de Légendes, sortes de fleurs des champs que je vous offre, comme un souvenir de la campagne.

Les soirées de Saint-Germain

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