Читать книгу Valérie - Barbara Juliane Freifrau von Krüdener - Страница 8

ERNEST A GUSTAVE.

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Hollyn, le…

Cette lettre, cher Gustave, t'apportera au milieu des beaux pays que tu habites maintenant les parfums de notre printemps et les souvenirs de la patrie. Oui, mon ami, les cieux se sont ouverts, des milliers de fleurs sont revenues sur les prairies de Hollyn, que nos pieds foulèrent si souvent ensemble. Que ne sommes-nous encore réunis! nous traverserions ces vastes forêts, nous poursuivrions l'élan jusque dans ses retraites les plus cachées; mais, sans le blesser, nous le laisserions à sa sauvage liberté, et, charmés du silence et de la solitude, nous nous reposerions, comme nous le fîmes si souvent, de nos courses vagabondes. Ce besoin d'errer sans projet, sans dessein, t'ôtait quelque chose de ces forces trop actives, trop dévorantes. Oh! que n'es-tu encore ici! que ne calmes-tu ainsi cette agitation de ton âme qui te jette maintenant dans des dangers que je crains tant pour toi! Tu le sais, Gustave, je n'ai jamais redouté l'amour; il est désarmé pour moi, par la tranquillité de mon imagination, par une foule d'habitudes douces, de sensations peut-être monotones, mais qui par là même ont un empire continuel. Ma vie se compose d'un doux bien-être, et je ressemble à ces végétaux de l'Inde que la nature destina à garantir de l'orage, puisque l'orage ne les frappe jamais. C'est ainsi que je me crois plus fait que bien d'autres pour calmer, pour diriger un peu les mouvements trop exaltés de ton âme. Ce n'est pas ton absence seule qui me chagrine, c'est cette passion que chaque jour verra augmenter avec les charmes et surtout avec les vertus de Valérie. Oui, Gustave, elle croîtra avec ces dangereuses compagnes, elle consumera ces forces avec lesquelles tu luttes encore. Oh! crois-moi, reviens, arrache-toi à ces funestes habitudes! Ouvre ton âme à cet ami que tu m'as appris à respecter; reviens: n'a-t-il pas pour but ton bonheur et pour règle ses devoirs? Ton âme vaste et grande le frappa, il te crut propre aux plus brillants développements; et, mûri lui-même par l'expérience, appelé à cette auguste adoption par l'amitié, il voulut être ton père, et achever, dans la patrie des arts, cette éducation déjà si heureusement commencée. Mais, s'il voyait cette même âme dévastée, ces grandes facultés anéanties; s'il voyait ton bonheur s'engloutir dans un terrible naufrage, dis-moi, lui-même ne serait-il pas inconsolable? Encore une fois, reviens, change ta dévorante et délicieuse fièvre contre plus de tranquillité. Que dis-je? ta délicieuse fièvre! non, non, Gustave n'a point d'ivresse; pour lui l'amour n'a que des tourments, et ses félicités n'arrivent dans son sein que comme des poignards qui le déchirent.

Adieu, mon ami, je compte t'écrire bientôt et te parler d'Ida, qui, malgré la coquetterie que tu lui reproches et ses petites imperfections, ne laisse pas que d'être bien bonne et bien aimable.

(La réponse à cette lettre d'Ernest ne s'est point retrouvée.)

Lettre XIII.

Vienne, le…

Oh! Ernest, je suis le plus malheureux des hommes; Valérie est malade; elle peut être en danger; je ne puis t'écrire, j'ai la fièvre, je sens tous les battements de mon coeur contre la table où je suis appuyé; je ne pourrais compter les tourments que j'ai endurés depuis ce matin.

A six heures du soir.

Elle va mieux, elle est tranquille. O Valérie! Valérie! avais-je besoin de ces craintes pour savoir qu'il n'est plus de ressource pour moi, que je t'aime comme un insensé! C'en est fait: il est inutile de lutter contre cette funeste passion. O Ernest! tu ne sais pas combien je suis malheureux. Mais puis-je me plaindre? elle est mieux, elle est hors de danger. Tu ne sais pas comment elle est devenue malade; c'est une chute, mais cette chute n'eût été rien, si… Quelle agitation il m'est resté, quel supplice! ma tête est bouleversée; mais je veux absolument t'écrire; je veux que tu saches combien je suis faible et malheureux.

Le comte m'annonça, il y a quelques jours, que nous partirions dans peu, afin d'arriver à Venise, de nous y établir; il ajouta que Valérie avait besoin de repos, que son état l'exigeait. Son état, Ernest, cela me frappa. Et quand le comte me dit qu'elle deviendrait mère, qu'il me le dit avec joie, crois-tu qu'au lieu de l'en féliciter, je restais dans une espèce de stupeur; mes bras, au lieu de chercher le comte pour l'embrasser, pour lui témoigner ma joie, se sont croisés machinalement sur moi-même; je trouvais qu'il y avait de la cruauté à exposer cette jeune et charmante Valérie; j'ai beaucoup souffert, et le comte s'en est aperçu. Il m'a dit avec bonté: Vous ne m'écoutez pas; et, voyant que je portais la main à ma tête, il m'a demandé si j'étais malade. — Je vous trouve changé. — Oui, je suis malade, lui ai-je répondu; et, rejetant sur les poêles d'Allemagne, qui sont de fonte, un mal de tête que j'éprouvais réellement, j'ai remercié le comte de sa bonté toujours attentive pour moi; je lui ai dit que son bonheur m'était mille fois plus cher que le mien, et c'était vrai. Au dîner, je n'ai osé rester dans ma chambre, de peur de voir arriver le comte chez moi, de me voir interroger; et cependant j'éprouvais un embarras extrême, j'étais tourmenté par l'idée de revoir Valérie. Il me semblait que tout était changé autour de moi: singulier effet de l'altération de ma raison. Depuis quelque temps, je deviens réellement fou; les tendres attentions du comte pour Valérie m'avaient toujours rappelé celles d'un frère, d'un ami; il est si calme! il a tant de dignité dans sa manière de l'aimer! Valérie est si jeune!

En entrant dans l'antichambre de la comtesse, j'ai vu un homme qui sortait de chez elle; il avait l'air fort grave: il me semblait qu'il secouait la tête en mettant une espèce de surtout qui était jeté sur une chaise; mon coeur a battu violemment; j'ai cru que c'était un médecin, et que Valérie n'était pas bien; j'ai voulu lui parler, je n'ai osé élever la voix, tant je pensais qu'elle devait être troublée; je suis entré dans la chambre de Valérie; elle était devant une glace; mais, étant encore trop agité, je ne voyais pas ce qu'elle faisait. Cependant je me réjouissais de la voir levée, j'approchais, je la trouvais fort rouge. — Etes-vous malade, madame la comtesse? dis-je avec une espèce d'inquiétude et de gravité. — Non, monsieur de Linar, me dit-elle du même ton. — Et elle se mit à rire. Elle ajouta: — Vous me trouvez très-rouge, c'est que j'ai pris une leçon de danse. — Une leçon de danse! m'écriai-je. — Oui, me dit-elle encore en riant; me trouvez-vous trop vieille pour danser? Au moins vous ne me défendez pas l'exercice. — Et elle riait toujours; elle a levé les bras, un moment après, pour descendre un rideau, et tout à coup elle a jeté un cri, en mettant sa main sur le côté. — Valérie, me suis-je écrié, vous me ferez mourir; vous nous ferez tous mourir, ai-je ajouté, avec votre légèreté. Pouvez-vous vous exposer ainsi? vous vous ferez mal. — Elle m'a regardé avec étonnement, elle a rougi. — Pardon, madame, ai-je ajouté, pardonnez à l'intérêt le plus vif… — Je me suis arrêté. — N'oserai-je donc plus sauter, lever les bras? —Oui, ai-je dit timidement, mais actuellement… — Elle m'a compris; elle a rougi encore, et est sortie. Quand le comte est venu, elle l'a tiré à l'écart et l'a grondé.

Deux jours après, Valérie sortit pour voir une femme de sa connaissance; en descendant de voiture, elle a sauté étourdiment; elle est tombée de manière à se faire beaucoup de mal; on a été obligé de la reconduire chez elle sur-le-champ; toute la nuit la fièvre a été forte; on l'a saignée, car on craignait une fausse couche. Heureusement que la voilà hors de tout danger!

Nous partons dans peu de jours; je compte t'écrire de la route.

Lettre XIV.

R…, le…

Nous avons quitté le Tyrol, nous sommes entrés en Italie: nous nous sommes mis en route ce matin avant le lever du soleil. Pendant qu'on faisait rafraîchir les chevaux fatigués d'une marche de trois heures, le comte a proposé à sa femme de prendre les devants, et nous avons fait une des promenades les plus agréables: nous étions ravis de fouler aux pieds le sol de l'Italie; nous attachions nos regards sur ce ciel poétique, sur cette terre d'antiques merveilles, que le printemps venait saluer avec toutes ses couleurs et tous ses parfums. Quand nous eûmes marché quelque temps, nous aperçûmes des maisons groupées çà et là sur un côteau, et l'impétueux Adige se lançant avec fureur au milieu de ces tranquilles campagnes. Un groupe de cyprès et des colonnes à moitié ruinées fixèrent notre attention. Le comte nous dit que c'était sûrement quelque temple ancien. Cette terre, couverte de grands débris, s'embellit des ruines, et les siècles viennent expirer tour à tour dans ces monuments, au milieu de la nature toujours vivante. Nous nous écartâmes du grand chemin pour aller visiter ce temple, dont l'architecture corinthienne nous parut encore belle. Apparemment que les habitants du village aimaient ce lieu solitaire, que les cyprès et le silence semblaient vouer à la mort. Nous vîmes son enceinte remplie de croix qui indiquaient un cimetière; quelques arbres fruitiers et des figuiers sauvages se mêlaient au vert noirâtre des cyprès. Une antique cigogne paraissait au sommet d'une des plus hautes colonnes, et le cri solitaire et aigu de cet oiseau se confondait avec la bruyante voix de l'Adige. Ce tableau à la fois religieux et sauvage, nous frappa singulièrement. Valérie, fatiguée ou entraînée par son imagination, nous proposa de nous reposer. Jamais je ne la vis si charmante; l'air du matin avait animé son teint; son vêtement pur et léger lui donnait quelque chose d'aérien, et l'on eût dit voir un second printemps plus beau, plus jeune encore que le premier, descendu du ciel sur cet asile du trépas. Elle s'était assise sur un des tombeaux; il soufflait un vent assez frais, et, dans un instant, elle fut couverte d'une pluie de fleurs des pruniers voisins, qui, de leur duvet et de leurs douces couleurs, semblaient la caresser. Elle souriait en les assemblant autour d'elle, et moi, la voyant si belle, si pure, je sentis que j'eusse voulu mourir comme ces fleurs, pourvu qu'un instant son souffle me touchât. Mais, au milieu du trouble délicieux d'un premier amour, au milieu de cette volupté d'un matin et d'un printemps d'Italie, un pressentiment funeste vint me saisir; Valérie s'en aperçut et me dit que j'avais l'air préoccupé. — Je pense aux feuilles de l'automne qui, flétries et desséchées, tomberont et couvriront ces fleurs. — Et nous aussi, dit-elle. — Le comte nous appela alors pour nous montrer une inscription; mais Valérie vint bientôt reprendre sa place. Un grand et beau papillon qu'on nomme, je crois, le sphinx, enchanta Valérie par ses couleurs; il était sur un des figuiers. Le comte voulut le prendre pour l'apporter à sa femme; mais, comme le sphinx de la fable, il alla s'asseoir sur le seuil du temple. Je courus pour m'en saisir, mon pied glissa, et je tombai; bientôt relevé, j'eus le temps de saisir encore le papillon, que j'apportai à la comtesse. Toute effrayée de ma chute, elle était pâle, et le comte s'en aperçut. — Je parie, dit-il, que Valérie a la superstition de sa mère et de beaucoup de personnes de sa patrie. — Oui, dit-elle, je suis honteuse de l'avouer. — Et quelle est cette superstition? demandai-je d'une voix émue. — Le comte me répondit en riant: — C'est quelque grand malheur qui vous arrivera; vous êtes tombé dans un cimetière, et vous verrez que Valérie s'attribuera vos désastres. — Je ne puis te dire, Ernest, ce que j'éprouvai, je tressaillis. Peut-être, pensai-je, vient-il m'avertir de mon destin et d'une main amie m'empêcher de tomber dans le précipice que me creuse une passion insensée. — Asseyez-vous tous deux ici, nous dit Valérie, et ne vous moquez plus de moi. Vous rappelez-vous, mon ami, dit-elle au comte, la belle collection de papillons que possédait mon père? Oh! comme on aime ces souvenirs de l'enfance! comme elle était jolie, cette maison de campagne! — Ne me parlez pas, répondit le comte, de ces tristes sapins; j'ai la passion des beaux pays. — Et, moi, dit Valérie, je voudrais avoir écrit tant de choses, si simples, qu'elles ne sont rien par elles-mêmes, et qui me lient pourtant si fortement à ces sapins, à ces lacs, à ces moeurs, au milieu desquels j'ai appris à sentir, à aimer. Je voudrais qu'on pût se communiquer tout ce qu'on a éprouvé; qu'on n'oubliât rien de ce bonheur de l'enfance, et qu'on pût ramener ses amis, comme par la main, dans les scènes naïves de cet âge. Il y avait une grange auprès de la maison, où revenait toujours une hirondelle avec laquelle je m'étais liée d'amitié; il me semblait qu'elle me connaissait; quand le départ pour la campagne était retardé, je tremblais de ne plus retrouver mon hirondelle; je défendais son nid, quand mes jeunes compagnes voulaient s'en saisir. — Voilà comment, dit le comte, Valérie promettait déjà de devenir une bonne petite maman. — Je n'étais pas toujours si raisonnable, poursuivit Valérie; quelquefois je me plaisais à tourmenter mes soeurs; j'étais la seule qui sût bien conduire une petite barque que nous avions et qui était très-légère; je l'éloignais du rivage, fière de ma hardiesse, et n'écoutant pas leurs menaces; seulement, quand elles me priaient et m'appelaient leur chère Valérie, je savais bien vite revenir adroitement au port. Qu'il était charmant! ce petit lac, où le vent jetait quelquefois les pommes de pin de la forêt, ce lac au bord duquel croissaient des sorbiers avec leurs grappes rouges, que je venais cueillir pour mes oiseaux, tandis que sur les branches des sapins se balançaient de jeunes écureuils en se mirant dans les ondes!

Nous fûmes interrompus par le bruit des voitures qui vinrent nous enlever à ces doux souvenirs de l'enfance de Valérie, où je la voyais plus jeune, plus délicate encore, courir sous les sapins, attacher ses yeux d'un bleu sombre, avec leurs regards si tendres, sur la petite famille qu'elle protégeait; il me semblait que je ne l'aimais plus que comme une soeur. Ainsi, les scènes de l'innocence ramenèrent un moment dans mon coeur le sentiment qu'il m'est permis d'avoir pour elle. Nous remontâmes dans la berline, qui s'avançait lentement le long de l'Adige; les femmes de la comtesse nous suivaient dans l'autre voiture. C'est ainsi que j'ai fait ce voyage, m'habituant peu à peu à la douce présence de Valérie et vivant toujours sous son regard.

Il est bien tard; je reprendrai ma lettre au premier endroit où nous nous arrêterons.

Lettre XV.

Padoue, le…

C'est de Padoue que je t'écris (tu vois que nous avançons à grands pas vers Venise). Cette antique ville, qui est habitée par plusieurs savants, nous parut d'une tristesse affreuse; mais Valérie avait besoin de se reposer. Ce soir, apprenant que David et la Banti devaient chanter, la comtesse eut envie d'aller à l'opéra. Le comte, ayant des lettres à écrire, ne put nous y accompagner. Valérie ne voulut point faire de toilette, et nous prîmes une loge grillée. O Ernest! de tous les dangers, aucun ne pouvait être aussi terrible pour ton ami! Figure-toi ce que je devais éprouver: il me semblait que toutes les voluptés habitaient cette funeste salle; le contraste des lumières, des parures de ces femmes éblouissantes, avec cette loge faiblement éclairée, où il me semblait que Valérie ne vivait que pour moi; la voix enchanteresse de David, qui nous envoyait des accents passionnés; cet amour chanté par des voix qu'on ne peut imaginer, qu'il faut avoir entendues, et qui, mille fois plus ardent encore, brûlait dans mon coeur. Valérie, transportée de cette musique, et moi si près d'elle, si près que je touchais presque ses cheveux de mes lèvres; alors la rose même qui parfumait ses cheveux achevait de me troubler. O Ernest! quels tumultes! quels combats pour ne pas me trahir! Et, actuellement encore que j'ai quitté depuis trois heures ce spectacle, je ne puis dormir; je t'écris d'une terrasse où Valérie est venue avec le comte, et d'où elle est sortie depuis une heure. L'air est si doux, que ma lumière ne s'éteint pas, et je passerai la nuit sur la terrasse. Comme le ciel est pur! Un rossignol soupire dans le lointain ses plaintives amours! Tout est-il donc amour dans la nature, et les accents de David, et la complainte de l'oiseau du printemps, et l'air que je respire, empreint encore du souffle de Valérie, et mon âme défaillante de volupté? Je suis perdu, Ernest! je n'avais pas besoin de cette Italie, si dangereuse pour moi. Ici les hommes énervés nomment amour tout ce qui émeut leurs sens et languissent dans des plaisirs toujours renouvelés, mais que l'habitude émousse; ils ne reçoivent pas de l'âme cette impulsion qui fait du plaisir un délire, et de chaque pensée une émotion; mais moi, moi, destiné aux fortes passions, et ne pouvant pas plus leur échapper que je ne puis échapper à la mort, que deviendrai-je dans ce pays? Ah! puisque ceux qui n'ont besoin que de plaisirs, par cela seul, ne sentent rien fortement, moi qui apporte une âme neuve et ardente, sortant d'un climat âpre, moi, je suis d'autant plus sensible aux beautés de ce ciel enchanteur, aux délices des parfums et de la musique, que j'avais créé ces délices avec mon imagination, sans qu'elles fussent affaiblies par l'habitude. Ernest, que faisais-tu, quand tu me laissas partir? Il fallait me précipiter dans les flots de la Baltique, comme Mentor précipita Télémaque.

Lettre XVI.

Valérie

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