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ERNEST A GUSTAVE.

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H…, le…

Gustave, j'ai dans ma tête une suite de tableaux et de souvenirs qu'il faut que je te communique; ton image y a été mêlée sans cesse, et le plaisir que j'ai à t'en parler doit me faire pardonner si j'entre dans trop de détails. J'ai voulu passer la fête de saint Jean chez les parents d'Ida, où l'on est toujours plus gai qu'ailleurs. Tu sais combien de fois nous avions fait ce voyage ensemble. Je voulus aussi le faire à pied. Je partis la nuit, avec mon fusil, car j'avais le projet de chasser dans ma course. Il avait fait si chaud pendant la journée, que la fraîcheur me parut délicieuse. Je passai d'abord par le bocage des Nymphes, que nous avions nommé ainsi parce que nous aimions à y lire Théocrite. Un vent frais agitait les souples et légers bouleaux; ces arbres exhalaient une forte odeur de rose. Ce parfum me rappela vivement le souvenir de notre première course: c'était dans la même saison, à la même heure et avec le même projet que nous partîmes ensemble. Je m'assis à l'entrée du bocage, sur une des larges pierres qui sont au bord de la fontaine, et où l'on vient encore abreuver les vaches du village. Tout était calme; je n'entendais dans le lointain que les aboiements des chiens de la ferme qui est à l'ouest. J'entendis sonner onze heures à la cloche du château, et cependant il faisait encore assez clair pour me permettre de lire sans difficulté ta dernière lettre; les expressions de ta tendresse m'émurent vivement, et le trouble de ton malheureux amour me fit éprouver quelque chose d'inexprimable. Au milieu de cette tranquille nuit et de ces tranquilles campagnes, un vent chaud soufflait dans les feuilles; il me semblait qu'il venait d'Italie pour m'apporter quelque chose de toi. Je fus tiré de ma rêverie par un jeune garçon qui faisait marcher devant lui des boeufs qu'il conduisait à la ville la plus voisine; il chantait monotonement quelques paroles sur l'air des montagnes; il s'arrêta auprès de la fontaine pour se reposer. Je continuai ma marche; de jeunes coqs de bruyères s'agitaient dans leurs nids, et semblaient appeler le jour par leurs chants ou plutôt par leur murmure matinal; enfin je passai près du lac d'Ullen. La fraîcheur qui précède l'aurore commençait à se faire sentir; je vis sur ces bords quelques canards sauvages qui, à mon approche, secouèrent leurs ailes et leur tête appesantie de sommeil. D'abord je voulus tirer sur eux, puis je le leur laissai gagner tranquillement la largeur du lac… Je doublai le petit cap et m'enfonçai dans la forêt. Je marchais sous les hauts sapins, n'entendant que le bruit de mes pas, qui quelquefois glissaient sur les aiguilles des rameaux dont la terre était jonchée. En attendant, le court intervalle entre la nuit et l'aurore s'était passé. J'arrivai à la chaumière du bon André; j'entrai dans l'enceinte du petit enclos, où tant de fois nous étions venus ensemble: tout dormait encore; les animaux seuls venaient de se réveiller, ils paraissaient me recevoir avec plaisir. Je m'assis un instant, et je respirai l'air pur du matin. Je considérai autour de moi ces ustensiles si simples, si propres, et je pensai à la paix qui habitait cette demeure. Je passai une partie de la journée dans cette ferme, et je m'assis pendant le gros de la chaleur sous ce vieux chêne si épais, où le soleil, dans toute sa force, ne parvenait à jeter, à travers les branches, que quelques feuilles dorées qui tombaient çà et là; des colombes des champs filaient au-dessus de ma tête; les souvenirs de notre jeunesse m'environnaient; et quand je m'en allai et que je ne vis que mon ombre solitaire, je sentis mon coeur se serrer, je sentis combien tu étais loin de moi, cher compagnon de mon heureuse enfance.

J'arrivai le soir à la jolie maison qu'habitent les parents d'Ida. C'était la veille de la fête de saint Jean; tout le monde me demanda de tes nouvelles et fut peiné de ton absence. Le lendemain matin, quand je descendis pour déjeuner, je trouvai Ida avec une couronne d'épis que de jeunes paysannes avaient posée sur ses cheveux. Elle était sous ce grand sapin près de la fontaine qui est dans la cour; une multitude de jeunes filles et de jeunes garçons l'environnaient, chacun lui avait apporté son présent; les premiers avaient posé sur la fontaine des fraises dans des paniers d'écorce de bouleau; d'autres, comme les filles d'Israël, y avaient placé de grandes cruches de lait, tandis que d'autres encore lui offraient des rayons de miel. Ida remerciait chacune d'elles avec une grâce charmante et passait quelquefois ses doigts délicats sur les joues vermeilles des jeunes paysannes. Plusieurs enfants lui apportèrent des oiseaux qu'ils avaient élevés; l'un d'eux tenait dans ses petites mains une nichée entière de rossignols; mais Ida exigea qu'on les reportât où on les avait pris, ne voulant pas priver la mère de ses petits ni les forêts de leurs plus aimables chantres. Je remarquai un jeune garçon de seize à dix-huit ans; il tenait entre ses bras une petite hermine toute blanche, qu'il avait apprivoisée, et qu'il offrit en rougissant à Ida.

Le soir, toute la cour fut remplie de paysans. Tu te rappelles l'antique usage de la Saint-Jean; toutes les femmes avaient une couronne de feuilles sur la tête, et leurs tabliers étaient remplis de feuilles odorantes, dont elles couvraient tous ceux qui s'approchaient d'elles, en chantant des paroles amicales et bienveillantes. On avait dressé de grandes tables dans la forêt qui touche à la cour, et on avait allumé les feux de la Saint-Jean; on soupa, et ensuite on dansa toute la nuit. Voilà, cher Gustave, le récit de cette petite fête, dont j'ai voulu te mander tous les détails, afin que ton imagination les suive tous et se rapproche des scènes où la mienne t'appelait sans cesse et s'occupait toujours de toi. Adieu, mon cher Gustave, adieu; quand te verrai-je, ami cher?

Lettre XVII.

Venise, le…

Valérie

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